Audition de M. Gilles BRÜCKER
directeur général de l'Institut de veille sanitaire
(mercredi 10 décembre 2003)

M. le PRÉSIDENT - Monsieur le directeur général, pourriez-vous tout d'abord nous donner votre approche de ce projet de loi relatif à la politique de santé publique ? Il s'agit du premier projet de cette nature depuis un siècle. Contient-il, selon vous, des avancées importantes ? Avez-vous des réserves quant à certaines de ses dispositions ? Les rapporteurs et les commissaires vous interrogeront ensuite sur votre intervention et d'autres points du texte.

M. Gilles BRÜCKER - Merci beaucoup, monsieur le président, mesdames et messieurs. Je m'en tiendrai essentiellement à ce qui concerne l'Institut national de veille sanitaire, que je dirige depuis dix-huit mois. C'est une durée suffisante pour prendre la mesure des enjeux auxquels fait face cet institut récent, puisqu'il a été établi en 1998. Quelles sont les nouvelles orientations conférées par ce projet de loi à l'InVS ? On serait tenté de dire aucune, dans la mesure où la loi avait déjà confié à l'InVS une mission très vaste, qualifiée de « sans limites » par M. le ministre Mattei. L'InVS est ainsi chargé de surveiller toute la population, détecter tous les risques et toutes les menaces et alerter les pouvoirs publics sur l'ensemble de ces risques et menaces.

Le nouveau projet de loi apporte cependant des précisions importantes, qui rejoignent certaines de mes préoccupations initiales lorsque j'ai débuté au poste de directeur général de l'InVS. Les actions à mener avaient été définies avec l'autorité de tutelle au sein d'un contrat d'objectifs et de moyens, appelé « COM 1 ». Nous travaillons actuellement à la préparation de notre COM 2. Nous avions mis en place à travers ce COM 1 un grand nombre d'outils adaptés aux différentes pathologies, mais l'approche par populations ou par déterminants sociaux restait insuffisamment développée.

Ce projet de loi prévoit que l'InVS doit surveiller et répertorier les populations les plus fragiles. C'est un point très important. Le champ d'intervention de l'InVS n'est pas élargi, puisqu'il contenait déjà l'ensemble des risques, mais une priorité de la santé publique portant sur les populations les plus vulnérables et les plus fragiles est ainsi définie. Il est bien entendu impossible de passer sous silence le drame de la canicule de l'été 2003. Cet événement a souligné la vulnérabilité d'une population, celle des personnes âgées. L'InVS n'a pas aujourd'hui de programme spécifique de surveillance des personnes âgées. La surveillance porte sur des pathologies spécifiques, Alzheimer par exemple. Cette approche par maladie requiert une méthodologie différente de celle du suivi global de la population des personnes âgées. Ce projet confirme l'existence d'une priorité accordée aux populations les plus fragiles.

Les personnes âgées constituent un groupe de plus en plus important du fait de l'évolution démographique, hétérogène en termes d'exposition aux risques sanitaires. Mais de nombreux autres sous-ensembles de la population méritent une attention particulière. La naissance est par exemple un événement sanitaire d'une importance extrême qui nécessite un suivi particulier. L'InVS et son autorité de tutelle ont exclu la naissance de ses priorités en 1998 et 1999 pour différentes raisons. Pour ma part je crois que le suivi de la naissance devrait faire partie de nos priorités. Je pourrais citer bien d'autres exemples. La question des maladies rares évoquée tout à l'heure ne comporte pas toujours un objectif accessible de prévention. Mais c'est toujours un objectif d'importance pour la veille sanitaire, traité en grande partie en dehors de l'InVS. C'est bien ainsi car l'InVS n'a pas vocation à assurer toutes les activités de surveillance lui-même ; cela illustre néanmoins la nécessité pour l'InVS de créer de très nombreux partenariats.

Chaque pathologie que nous surveillons concerne de nombreux sous-ensembles de populations qui nécessitent parfois des études particulières. A l'occasion de la journée mondiale sur le SIDA, nous avons mentionné l'importance des contaminations survenant au sein des populations originaires d'Afrique subsaharienne. En articulation avec l'INPES, nous nous efforçons de promouvoir des actions de prévention ciblées parmi ces communautés. La surveillance ciblée me paraît donc être un objectif de première importance nécessitant des moyens particuliers. Ce n'est pas bien sûr une nouveauté à l'InVS, qui menait déjà il y a deux ans des enquêtes dans les hôpitaux auprès des personnes séropositives originaires de l'Afrique subsaharienne. Mais ce texte de loi met véritablement l'accent sur cet aspect qui sans être totalement nouveau n'en revêt pas moins une grande importance stratégique. Cet aspect entrera donc bien entendu dans le cadre de notre contrat d'objectifs et de moyens COM 2, qui ne sera malheureusement signé qu'en 2005. En effet, l'InVS n'aura en 2004 qu'un avenant au contrat existant.

Un autre point sensible soulevé par ce texte est la participation active de l'InVS à la gestion des crises. M. Philippe Lamoureux citait tout à l'heure les métaphores du directeur de la santé, qui comparait l'INPES à l'outil et la direction de la santé à la main. Le directeur de la santé a de même comparé l'InVS à l'oeil et la direction au cerveau. La rétine fait pourtant partie intégrante du cerveau. Ce propos n'avait rien d'inamical et soulignait la nécessaire articulation de notre action et de celle de la Direction générale de la santé. Néanmoins, l'InVS n'est pas qu'un observateur passif, il a un rôle à jouer dans la gestion des crises sanitaires qu'il détecte. L'InVS est ainsi une force de proposition, c'est un point qu'il convient de prendre en compte.

Le projet de loi insiste aussi sur le développement de systèmes d'information prenant en compte différents facteurs déterminants, parmi lesquels les déterminants climatiques. L'InVS n'a pas méconnu les phénomènes environnementaux existants, nous avons été très actifs sur les questions de pollution atmosphérique à l'échelle nationale et européenne. Nous étions par exemple coordonnateur d'un programme appelé PHEIS consistant à analyser la pollution de l'air dans 27 villes européennes dont neuf françaises. Nous n'avions cependant pas intégré dans nos systèmes les questions relatives aux alertes climatiques. Nous y travaillons actuellement avec Météo France. L'InVS a ainsi lancé une première alerte « froid » le vendredi 3 décembre.

Un autre point important mentionné dans le texte est la prise en compte des déterminants sociaux. Je suis absolument convaincu de l'importance de ces déterminants dans la problématique de santé. Mais leur intégration représente un défi majeur pour l'InVS, nécessitant de nouvelles approches, de nouveaux partenariats et de nouvelles compétences. La question n'est pas entièrement nouvelle : nous avions déjà travaillé avec des sociologues sur différentes recherches liées au VIH/SIDA. Il s'agissait d'étudier le comportement des toxicomanes risquant la contamination par voie intraveineuse et les politiques de prévention des risques comme le programme d'échange de seringues. Les sociologues et les associations ont aussi servi de relais à nos enquêtes dans le cadre de l'évolution des comportements sexuels, notamment homosexuels, à risque. Ces informations seraient très difficiles à obtenir sans leur assistance. Le conseil scientifique de l'InVS avait d'ailleurs, dès l'année dernière, mené une réflexion importante sur la place des sciences sociales à l'InVS.

Le projet de loi propose également une disposition très innovante relative à la centralisation de toutes les données concernant les accidents du travail et les maladies professionnelles par l'InVS. Le lien entre santé et travail, longtemps ignoré, est extrêmement important. De nombreux travaux sont en cours sur ce très vaste sujet. L'InVS gère ainsi le Programme national de surveillance du mésothéliome lié à l'exposition à l'amiante. Cette centralisation offre la possibilité de renforcer encore l'information et la communication sur ces sujets.

Il a été écrit que l'InVS devait « prévoir l'imprévisible ». J'interprète cet apparent paradoxe comme une incitation à prendre en compte les événements, non pas totalement imprévisibles, mais imprévus, voire hautement imprévus. C'est un sujet passionnant et difficile. La canicule de cet été a marqué les esprits et profondément influencé l'InVS lui-même. La canicule n'était pas imprévisible, mais nous ne l'avions pas prévue. Jusqu'où devons-nous développer des systèmes d'informations adaptés à des événements exceptionnels ?

La question des ressources se pose avec acuité : chercher à prévoir l'imprévu crée une certaine dispersion et éloigne de l'étude de phénomènes plus communs. Nous avons évoqué les maladies professionnelles. Je pense aussi à la problématique de la violence sociale qui s'aggrave. L'InVS n'a actuellement aucune activité de surveillance de la gravité de la violence sociale et de ses conséquences sur la santé. Je suis convaincu que l'InVS devrait être présent sur ce terrain. Malheureusement, nos ressources sont aujourd'hui accaparées pleinement par nos tâches quotidiennes : la bronchiolite, les vagues de froid, la journée mondiale contre le SIDA... Il y a en permanence de nouveaux domaines à explorer, mais nous sommes limités par les ressources dont nous disposons.

Enfin, au sujet de l'organisation de la veille sanitaire, j'ai évoqué certaines de nos faiblesses : les maladies rares, la naissance, les violences sociales, le handicap... On peut aussi citer la santé mentale, qui avait finalement été écartée des priorités du COM 1. Nous devons aujourd'hui reprendre cette réflexion. On constate un grand décalage entre les outils de surveillance dont nous disposons et les priorités définies par le projet de loi relatif à la politique de santé publique. Parmi les cent objectifs répertoriés, nous en traitons à peu près la moitié. Il existe donc de réelles lacunes, en particulier sur les maladies mentales ou neurologiques.

Je terminerai par une réflexion sur l'approche stratégique de cette veille sanitaire. Le projet de loi prévoit la mise en place des GRSP. En effet, il est nécessaire de renforcer notre présence de veille à l'échelon régional. L'InVS s'est doté depuis quelques années de cellules interrégionales d'épidémiologie (CIRE). Ce système est loin d'être achevé. L'InVS n'a pas encore une CIRE dans chaque région, et les effectifs en sont souvent insuffisants. Certaines CIRE ont cependant atteint une taille opérationnelle en l'état actuel de leurs missions, avec un effectif de huit ou neuf personnes. La coordination de la veille régionale, en lien avec les DRASS, est un défi en termes d'effectifs et d'organisation pour l'InVS. Je crois que nous pouvons relever ce défi et que nous le devons afin de progresser.

La dimension européenne doit être prise en compte au même titre que la dimension régionale. Dans une Europe qui garantit la libre circulation des biens et des individus, il est essentiel d'assurer des conditions sanitaires correctes protégeant l'ensemble des citoyens européens. La veille sanitaire nationale ou régionale ne peut s'abstraire de la situation au niveau européen. Je parle de l'Europe au sens de la définition de l'Organisation mondiale de la santé, comprenant donc une cinquantaine d'états. L'élargissement de l'Union européenne introduit également de nouveaux enjeux en matière de veille sanitaire. L'InVS bénéficie d'une excellente reconnaissance au niveau européen. Nos partenaires attendent beaucoup de notre engagement européen.

Il ne faut pas non plus ignorer la dimension mondiale de la veille sanitaire, comme l'a montré la crise du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS). L'InVS s'est très fortement mobilisé sur ce sujet à l'échelon mondial en partenariat avec l'OMS. Nous avons d'ailleurs des liens étroits avec le noyau de réflexion sur la situation épidémiologique mondiale et nous soutenons activement le pôle de l'OMS à Lyon, qui participe activement au développement de l'épidémiologie internationale et de la constitution de réseaux de laboratoires de surveillance. Je leur ai ainsi rendu visite hier afin d'aborder avec eux les enjeux soulevés par les menaces de bioterrorisme.

Voilà ce que l'on peut dire de ce projet de loi concernant son influence sur les missions et les stratégies de l'InVS.

M. le PRÉSIDENT - Merci beaucoup, monsieur le directeur général. Monsieur le rapporteur, avez-vous des questions complémentaires ?

M. Francis GIRAUD, rapporteur - Oui, merci, monsieur le président. Monsieur le directeur général, vous nous avez exposé votre exigeante mission. Nous vous souhaitons un plein succès afin de discerner l'indiscernable. Votre champ d'intervention est illimité, mais il convient bien sûr établir des objectifs prioritaires à des fins d'organisation. Je vous poserai quelques questions sur le texte lui-même. L'article 1 dispose que le Haut Conseil de santé publique, auquel nous appartenons tous deux, assure une fonction générale d'expertise en matière de gestion des risques sanitaires. De même, un comité national de santé publique coordonne l'action des départements ministériels en matière de sécurité sanitaire. Comment l'action de l'InVS s'articule-t-elle avec celle de ces institutions ?

Vous avez souligné les mérites de l'échelon régional. De quels moyens concrets disposez-vous pour intervenir au sein des GRSP qui se mettront en place ?

Par ailleurs, comment concevez-vous les réseaux de surveillance de l'ensemble du territoire, voire de l'Europe et du monde, afin que l'échelon central soit en permanence informé dans les meilleurs délais ? Comment assurer une transmission optimale de l'information à l'échelle nationale, et la traduire en actions réelles sur le terrain ?

M. le PRÉSIDENT - Monsieur le directeur général, voulez-vous répondre d'abord à ces trois questions avant que nous ne passions aux réactions des commissaires ?

M. Gilles BRÜCKER - Oui, je vous remercie, monsieur le président. Je traiterai d'abord du rôle de l'InVS relativement au Haut conseil de santé publique et au Comité national de santé publique.

Le Haut Conseil de santé publique résulte de la fusion du Haut Comité de santé publique et du Conseil supérieur d'hygiène public de France - section des maladies transmissibles. Connaissant bien ces deux structures pour y avoir participé, cette fusion me paraissait problématique faute d'objectifs communs aux deux institutions. Le Haut comité de santé publique se livrait à une réflexion globale et stratégique sur les problématiques de santé, publiant par exemple des rapports sur l'état de santé des Français ou sur des sujets plus ciblés comme la santé des adolescents ou la nutrition. Le Conseil supérieur d'hygiène public de France, dont j'assurais pendant plusieurs années la présidence, se consacrait à la gestion de risques directs. Il avait une fonction d'alerte et une approche beaucoup plus pragmatique et directive. Il se prononçait par exemple sur la pertinence de certaines vaccinations.

La fusion des missions de ces deux institutions qui nécessitent une réactivité différente, l'une traitant du moyen et long terme et l'autre des problèmes immédiats, est un sujet d'interrogation. La lourde charge de travail qui pesait sur ces deux institutions ne va pas s'atténuant. L'InVS participait activement à la production d'expertises pour le Conseil supérieur d'hygiène publique et à un moindre degré pour le Haut comité de santé publique au sein des ses groupes de réflexion.

L'InVS sera au service de ce Haut Conseil de santé publique afin de produire des expertises selon les besoins. Les membres du Haut Conseil devront en effet se référer à de la documentation, des analyses bibliographiques et des travaux d'expertise. Il appartient donc à l'InVS de produire cette information à l'appui de la réflexion des membres du Haut Conseil. Je conçois de même l'action de l'InVS auprès du Comité national de santé publique. Il faut donc faire de l'InVS un lieu de production d'information et d'expertise à la demande de ces structures.

Au sujet de nos moyens régionaux, nous disposons actuellement de seize cellules interrégionales d'épidémiologie, contre neuf il y a deux ans. Malgré cette progression sensible, nous ne sommes pas prêts à en établir une par région. Nous avions marqué cette orientation il y a dix-huit mois en accord avec le directeur de la santé, compte tenu des contraintes de l'InVS en matière de ressources humaines. Du fait de la diversité des thèmes traités, il est préférable de renforcer les CIRE existantes que d'en créer de nouvelles en sous-effectif. Il m'est impossible de vous donner les chiffres consolidés de nos effectifs dans les CIRE, mais je pense qu'elles emploient aujourd'hui une soixantaine de personnes.

Le nombre limité de CIRE reste tout de même un sujet de préoccupation : il n'y a par exemple qu'une unique CIRE couvrant les trois régions d'Alsace, de Lorraine et de Champagne-Ardenne. Ce champ est trop vaste pour assurer une veille sanitaire véritablement régionale. Nous avons, par exemple, des difficultés à recruter des collaborateurs hautement spécialisés prêts à s'installer dans la région de Nancy. La demande en épidémiologistes a en effet fortement augmenté avec le développement de la veille sanitaire. Cette évolution n'a pas été suivie par une augmentation du nombre des professionnels en formation, un domaine dans lequel la France accuse encore un certain retard. Recruter dans chaque région des personnes compétentes est un énorme défi. L'InVS a embauché en dix-sept mois une centaine de personnes, dont une large part d'épidémiologistes et de biostatisticiens. Nous atteignons les limites de ce marché. Ouvrir un poste ne signifie pas nécessairement le pourvoir.

M. le PRÉSIDENT - Trois intervenants prendront la parole : MM. Jean-Louis Lorrain, rapporteur, André Lardeux et André Vantomme.

M. Jean-Louis LORRAIN, rapporteur - Merci, monsieur le président. Etant moi-même élu d'un département de l'Est, le Haut-Rhin, je pense que nous disposons tout de même d'atouts susceptibles d'y attirer vos chercheurs.

Je suis chargé de rapporter sur le sujet spécifique de la santé-environnement. Je ressens une frustration devant ce texte, qui n'aborde dans ce domaine que les problèmes de saturnisme et de qualité de l'eau. La problématique de la santé-environnement est pourtant beaucoup plus vaste. Le texte et ses annexes mentionnent de nombreux préalables hypothétiques, d'informations épidémiologiques, par exemple. On semble vouloir reporter les décisions sensibles à plus tard.

Je citerai un exemple concret. J'ai visité récemment une commune investie par le radon. Ne faisant partie d'aucun programme national, ses habitants devaient gérer eux-mêmes ce problème environnemental. Ne devrait-on pas quantifier davantage les objectifs de ce projet de loi, sur le modèle des objectifs quantifiés existant, concernant par exemple la pollution atmosphérique ? Cela me paraîtrait plus opérationnel. Qu'en pensez-vous ?

Au regard de la mission consistant à « prévoir l'imprévisible », ne pensez-vous pas qu'un tel objectif contribue à alimenter un climat d'angoisse parmi la population ? L'InVS engage de plus sa responsabilité sur cette mission, ce qui me paraît exagéré. Les réflexions en cours que vous avez citées (sur la violence sociale, la santé mentale...) soulèvent la question de la coordination des politiques dont vous êtes l'acteur et l'opérateur, ce qui me semble être le foyer de toutes les résistances.

M. André LARDEUX - Ma question rejoint celle de M. Jean-Louis Lorrain. Comment opérer la coordination entre les nombreux intervenants ? Dans ce sens, estimez-vous que la répartition des responsabilités prévue par la loi constitue une amélioration ?

Je traduirai ces interrogations à travers deux questions plus précises. La région vous paraît être l'échelon pertinent pour votre activité de veille. Or le projet de loi relatif à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, ne mentionne pas le niveau régional mais fait référence à des plans d'alerte départementaux sous la supervision du Préfet, du Conseil général et des ARH. Cette mesure vous paraît-elle pertinente ?

M. Gilles BRÜCKER - Pouvez-vous, s'il vous plaît, répéter le thème de votre question ?

M. André LARDEUX - Il s'agit de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie qui traite le problème de la dépendance. Les plans d'alerte départementaux auxquels je me référais traiteraient donc les crises équivalentes à celle de la canicule à un échelon inférieur à celui que vous préconisez.

Comment envisagez-vous également le problème des maladies professionnelles ? Vous avez évoqué les conséquences de l'exposition à l'amiante, mais de nombreuses autres pathologies émergent, telles que les troubles musculo-squelettiques, qui ont des causes multiples et ne sont que partiellement liées au travail. Quelle est votre action dans ce domaine ? Estimez-vous que le projet de loi y apporte des avancées ?

M. le PRÉSIDENT - M. André Vantomme posera la dernière question.

M. André VANTOMME - Monsieur le directeur général, j'ai cru comprendre que la question des maladies mentales n'est pas encore traitée à part entière par l'InVS. Quelle est la raison de cette mise à l'écart d'un problème qui a pourtant cruellement transparu au travers d'affaires récentes, impliquant parfois d'éminentes personnalités de la République. Comment envisagez-vous le traitement par l'InVS des maladies mentales et des affections neuropsychiatriques ? Ces questions concernent en effet dix des cent objectifs de santé publique issus de la consultation nationale et mentionnés dans le projet de loi qui nous occupe.

M. Gilles BRÜCKER - Je m'efforcerai de répondre brièvement puisque le temps nous est compté. L'InVS est fortement impliqué dans le champ des problématiques de santé-environnement, qui est vaste. Nous traitons ainsi les problèmes de pollution de l'air, de l'eau et des sols, ainsi que d'autres questions environnementales comme le climat ou le radon que vous avez cité. Il est impossible de mettre en place dans chaque endroit confronté à une problématique environnementale des équipes avec les moyens et les compétences nécessaires. Les questions de santé-environnement suscitent des travaux longs, importants et difficiles. Ces questions tiennent une place de plus en plus importante dans les programmes mis en place par les CIRE, concernant les nuisances sonores par exemple. Ceci suppose de mettre en place des études très complexes et coûteuses.

Les risques de pollution liés aux dioxines générées par les installations d'incinération forment ainsi par exemple une de nos préoccupations majeures. L'étude nationale de mesure de l'imprégnation des dioxines en cours ne peut s'effectuer sur l'ensemble du territoire du fait de son coût. Nous choisissons de concentrer nos moyens sur les lieux les plus propices à l'observation. Ces choix créent parfois un ressentiment sensible parmi les collectivités locales. Nous n'avons cependant pas les moyens d'effectuer ces mesures partout. Le seul dosage des dioxines issu de nos observations coûte déjà à l'InVS 1 million d'euros. Nous travaillons sur les lieux présentant des conditions optimales de qualité afin d'éclairer la gestion des politiques de santé. C'est aussi le cas des observations menées sur le radon.

Vous mentionnez également la vaste question de la gestion du « climat d'angoisse ». Dans le cadre du lancement de l'alerte « froid » de la semaine dernière, j'ai reçu des encouragements mais aussi des critiques. Ce genre de message participe peut-être de l'instauration d'un tel climat d'inquiétude et d'angoisse. Ces décisions ne se font pas sans mal. La communication de nos messages doit progresser. Il y a aujourd'hui parmi la population une forte demande d'information sur les différents risques. L'interprétation de nos messages pose souvent problème, également du fait de la diversité des publics auxquels nous nous adressons. C'est un vaste sujet sur lequel nous pourrions nous étendre si nous en avions le temps.

Concernant la problématique de la coordination soulevée par MM. Jean-Louis Lorrain et André Lardeux, l'ensemble des agences de sécurité sanitaire et de leurs partenaires dans le champ de la veille sanitaire y accorde énormément d'importance. Nous essayons autant que possible de coordonner nos actions au mieux. Vous entendrez, tout à l'heure, Mme Michèle Froment-Védrine, directrice générale de l'AFSSE. Lors de la création de l'AFSSE, nous avons travaillé ensemble à la définition de nos champs respectifs dans le cadre des problématiques de santé-environnement. Nous nous efforçons d'être aussi complémentaires que possible dans nos approches.

L'InVS se coordonne aussi avec les démarches dirigées par Mme Mireille Elbaum, de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) sur les questions de santé comportant un important aspect social. La coordination est une préoccupation constante pour l'InVS. La direction générale de la santé organise d'ailleurs tous les mercredis une réunion de coordination des agences de sécurité sanitaire pour aborder les questions actuelles et prospectives dans ce domaine. La coordination doit bien entendu être encore approfondie mais beaucoup d'efforts ont été déployés dans ce domaine.

A propos de la place du département, je crois qu'il est nécessaire de conserver un échelon départemental d'intervention. Il existe une véritable volonté à ce niveau de participer à la veille sanitaire malgré une situation assez hétérogène selon les départements en termes d'effectifs et de compétences. Les métiers de la veille sanitaire ont connu une véritable révolution depuis dix ans. Il est nécessaire de mettre en place davantage de programmes de formation à la veille sanitaire et à la gestion des crises. La région ne peut être un centre efficace de veille sanitaire sans la mobilisation des DASS. Le rôle du département est donc important.

Au sujet des maladies professionnelles, des causes multiples peuvent effectivement en être à l'origine. C'est le cas des troubles musculo-squelettiques qui peuvent être liés aussi bien à des activités professionnelles que personnelles. Nous essayons de développer des outils à même de déterminer la durée et l'intensité de l'exposition à un risque tout au long du parcours professionnel. Ce programme s'intitule MAGENE, matrice emplois-exposition. Il n'est pas encore opérationnel mais devrait permettre d'identifier avec précision les différentes périodes d'expositions à un risque lors de parcours professionnels aujourd'hui très mouvants. Cet objectif est clairement traité par l'InVS.

Enfin, M. André Vantomme mentionnait l'absence des questions de santé mentale des objectifs de l'InVS. Je ne peux répondre avec certitude, n'étant pas présent à l'époque de cette décision pendant la négociation du contrat d'objectifs et de moyens COM 1. Cependant, je ne crois pas que l'on ait sous-estimé l'importance de ce problème. Ce sujet extrêmement complexe nécessitait sans doute un dispositif de veille beaucoup plus délicat à développer que d'autres thèmes plus immédiatement accessibles.

Nous pouvons aujourd'hui aborder la problématique de la santé mentale grâce aux acquis et aux expériences accumulés par l'InVS depuis sa création. J'ai demandé que soit conduit un travail prospectif à ce sujet. Un chercheur de l'InVS m'a ainsi remis un rapport sur la faisabilité de la surveillance de la santé mentale en France. Je dois encore étudier les propositions de ce rapport dans le détail, mais j'ai pris connaissance de ses grandes lignes. La surveillance de la santé mentale soulève en effet la question du choix et de la pertinence des indicateurs utilisés. Ce problème concerne la population dans son ensemble. Nous espérons mettre en place un début de surveillance au cours de l'année 2004, en attendant les nouveaux axes prioritaires qui seront définis en 2005 par le COM 2.

M. le PRÉSIDENT - Monsieur le directeur général, je vous remercie au nom de tous mes collègues.

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