Audition de M. Gilles BRÜCKER
directeur général de
l'Institut de veille sanitaire
(mercredi 10 décembre
2003)
M. le
PRÉSIDENT
- Monsieur le directeur général,
pourriez-vous tout d'abord nous donner votre approche de ce projet de loi
relatif à la politique de santé publique ? Il s'agit du
premier projet de cette nature depuis un siècle. Contient-il, selon
vous, des avancées importantes ? Avez-vous des réserves
quant à certaines de ses dispositions ? Les rapporteurs et les
commissaires vous interrogeront ensuite sur votre intervention et d'autres
points du texte.
M. Gilles BRÜCKER
- Merci beaucoup, monsieur le président,
mesdames et messieurs. Je m'en tiendrai essentiellement à ce qui
concerne l'Institut national de veille sanitaire, que je dirige depuis dix-huit
mois. C'est une durée suffisante pour prendre la mesure des enjeux
auxquels fait face cet institut récent, puisqu'il a été
établi en 1998. Quelles sont les nouvelles orientations
conférées par ce projet de loi à l'InVS ? On serait
tenté de dire aucune, dans la mesure où la loi avait
déjà confié à l'InVS une mission très vaste,
qualifiée de « sans limites » par M. le ministre
Mattei. L'InVS est ainsi chargé de surveiller toute la population,
détecter tous les risques et toutes les menaces et alerter les pouvoirs
publics sur l'ensemble de ces risques et menaces.
Le nouveau projet de loi apporte cependant des précisions importantes,
qui rejoignent certaines de mes préoccupations initiales lorsque j'ai
débuté au poste de directeur général de l'InVS. Les
actions à mener avaient été définies avec
l'autorité de tutelle au sein d'un contrat d'objectifs et de moyens,
appelé « COM 1 ». Nous travaillons actuellement
à la préparation de notre COM 2. Nous avions mis en place
à travers ce COM 1 un grand nombre d'outils adaptés aux
différentes pathologies, mais l'approche par populations ou par
déterminants sociaux restait insuffisamment développée.
Ce projet de loi prévoit que l'InVS doit surveiller et
répertorier les populations les plus fragiles. C'est un point
très important. Le champ d'intervention de l'InVS n'est pas
élargi, puisqu'il contenait déjà l'ensemble des risques,
mais une priorité de la santé publique portant sur les
populations les plus vulnérables et les plus fragiles est ainsi
définie. Il est bien entendu impossible de passer sous silence le drame
de la canicule de l'été 2003. Cet événement a
souligné la vulnérabilité d'une population, celle des
personnes âgées. L'InVS n'a pas aujourd'hui de programme
spécifique de surveillance des personnes âgées. La
surveillance porte sur des pathologies spécifiques, Alzheimer par
exemple. Cette approche par maladie requiert une méthodologie
différente de celle du suivi global de la population des personnes
âgées. Ce projet confirme l'existence d'une priorité
accordée aux populations les plus fragiles.
Les personnes âgées constituent un groupe de plus en plus
important du fait de l'évolution démographique,
hétérogène en termes d'exposition aux risques sanitaires.
Mais de nombreux autres sous-ensembles de la population méritent une
attention particulière. La naissance est par exemple un
événement sanitaire d'une importance extrême qui
nécessite un suivi particulier. L'InVS et son autorité de tutelle
ont exclu la naissance de ses priorités en 1998 et 1999 pour
différentes raisons. Pour ma part je crois que le suivi de la naissance
devrait faire partie de nos priorités. Je pourrais citer bien d'autres
exemples. La question des maladies rares évoquée tout à
l'heure ne comporte pas toujours un objectif accessible de prévention.
Mais c'est toujours un objectif d'importance pour la veille sanitaire,
traité en grande partie en dehors de l'InVS. C'est bien ainsi car l'InVS
n'a pas vocation à assurer toutes les activités de surveillance
lui-même ; cela illustre néanmoins la nécessité
pour l'InVS de créer de très nombreux partenariats.
Chaque pathologie que nous surveillons concerne de nombreux sous-ensembles de
populations qui nécessitent parfois des études
particulières. A l'occasion de la journée mondiale sur le SIDA,
nous avons mentionné l'importance des contaminations survenant au sein
des populations originaires d'Afrique subsaharienne. En articulation avec
l'INPES, nous nous efforçons de promouvoir des actions de
prévention ciblées parmi ces communautés. La surveillance
ciblée me paraît donc être un objectif de première
importance nécessitant des moyens particuliers. Ce n'est pas bien
sûr une nouveauté à l'InVS, qui menait déjà
il y a deux ans des enquêtes dans les hôpitaux auprès des
personnes séropositives originaires de l'Afrique subsaharienne. Mais ce
texte de loi met véritablement l'accent sur cet aspect qui sans
être totalement nouveau n'en revêt pas moins une grande importance
stratégique. Cet aspect entrera donc bien entendu dans le cadre de notre
contrat d'objectifs et de moyens COM 2, qui ne sera malheureusement
signé qu'en 2005. En effet, l'InVS n'aura en 2004 qu'un avenant au
contrat existant.
Un autre point sensible soulevé par ce texte est la participation active
de l'InVS à la gestion des crises. M. Philippe Lamoureux citait tout
à l'heure les métaphores du directeur de la santé, qui
comparait l'INPES à l'outil et la direction de la santé à
la main. Le directeur de la santé a de même comparé l'InVS
à l'oeil et la direction au cerveau. La rétine fait pourtant
partie intégrante du cerveau. Ce propos n'avait rien d'inamical et
soulignait la nécessaire articulation de notre action et de celle de la
Direction générale de la santé. Néanmoins, l'InVS
n'est pas qu'un observateur passif, il a un rôle à jouer dans la
gestion des crises sanitaires qu'il détecte. L'InVS est ainsi une force
de proposition, c'est un point qu'il convient de prendre en compte.
Le projet de loi insiste aussi sur le développement de systèmes
d'information prenant en compte différents facteurs déterminants,
parmi lesquels les déterminants climatiques. L'InVS n'a pas
méconnu les phénomènes environnementaux existants, nous
avons été très actifs sur les questions de pollution
atmosphérique à l'échelle nationale et européenne.
Nous étions par exemple coordonnateur d'un programme appelé PHEIS
consistant à analyser la pollution de l'air dans 27 villes
européennes dont neuf françaises. Nous n'avions cependant pas
intégré dans nos systèmes les questions relatives aux
alertes climatiques. Nous y travaillons actuellement avec Météo
France. L'InVS a ainsi lancé une première alerte
« froid » le vendredi 3 décembre.
Un autre point important mentionné dans le texte est la prise en compte
des déterminants sociaux. Je suis absolument convaincu de l'importance
de ces déterminants dans la problématique de santé. Mais
leur intégration représente un défi majeur pour l'InVS,
nécessitant de nouvelles approches, de nouveaux partenariats et de
nouvelles compétences. La question n'est pas entièrement
nouvelle : nous avions déjà travaillé avec des
sociologues sur différentes recherches liées au VIH/SIDA. Il
s'agissait d'étudier le comportement des toxicomanes risquant la
contamination par voie intraveineuse et les politiques de prévention des
risques comme le programme d'échange de seringues. Les sociologues et
les associations ont aussi servi de relais à nos enquêtes dans le
cadre de l'évolution des comportements sexuels, notamment homosexuels,
à risque. Ces informations seraient très difficiles à
obtenir sans leur assistance. Le conseil scientifique de l'InVS avait
d'ailleurs, dès l'année dernière, mené une
réflexion importante sur la place des sciences sociales à l'InVS.
Le projet de loi propose également une disposition très innovante
relative à la centralisation de toutes les données concernant les
accidents du travail et les maladies professionnelles par l'InVS. Le lien entre
santé et travail, longtemps ignoré, est extrêmement
important. De nombreux travaux sont en cours sur ce très vaste sujet.
L'InVS gère ainsi le Programme national de surveillance du
mésothéliome lié à l'exposition à l'amiante.
Cette centralisation offre la possibilité de renforcer encore
l'information et la communication sur ces sujets.
Il a été écrit que l'InVS devait
« prévoir l'imprévisible ».
J'interprète cet apparent paradoxe comme une incitation à prendre
en compte les événements, non pas totalement
imprévisibles, mais imprévus, voire hautement imprévus.
C'est un sujet passionnant et difficile. La canicule de cet été a
marqué les esprits et profondément influencé l'InVS
lui-même. La canicule n'était pas imprévisible, mais nous
ne l'avions pas prévue. Jusqu'où devons-nous développer
des systèmes d'informations adaptés à des
événements exceptionnels ?
La question des ressources se pose avec acuité : chercher à
prévoir l'imprévu crée une certaine dispersion et
éloigne de l'étude de phénomènes plus communs. Nous
avons évoqué les maladies professionnelles. Je pense aussi
à la problématique de la violence sociale qui s'aggrave. L'InVS
n'a actuellement aucune activité de surveillance de la gravité de
la violence sociale et de ses conséquences sur la santé. Je suis
convaincu que l'InVS devrait être présent sur ce terrain.
Malheureusement, nos ressources sont aujourd'hui accaparées pleinement
par nos tâches quotidiennes : la bronchiolite, les vagues de froid,
la journée mondiale contre le SIDA... Il y a en permanence de nouveaux
domaines à explorer, mais nous sommes limités par les ressources
dont nous disposons.
Enfin, au sujet de l'organisation de la veille sanitaire, j'ai
évoqué certaines de nos faiblesses : les maladies rares, la
naissance, les violences sociales, le handicap... On peut aussi citer la
santé mentale, qui avait finalement été
écartée des priorités du COM 1. Nous devons
aujourd'hui reprendre cette réflexion. On constate un grand
décalage entre les outils de surveillance dont nous disposons et les
priorités définies par le projet de loi relatif à la
politique de santé publique. Parmi les cent objectifs
répertoriés, nous en traitons à peu près la
moitié. Il existe donc de réelles lacunes, en particulier sur les
maladies mentales ou neurologiques.
Je terminerai par une réflexion sur l'approche stratégique de
cette veille sanitaire. Le projet de loi prévoit la mise en place des
GRSP. En effet, il est nécessaire de renforcer notre présence de
veille à l'échelon régional. L'InVS s'est doté
depuis quelques années de cellules interrégionales
d'épidémiologie (CIRE). Ce système est loin d'être
achevé. L'InVS n'a pas encore une CIRE dans chaque région, et les
effectifs en sont souvent insuffisants. Certaines CIRE ont cependant atteint
une taille opérationnelle en l'état actuel de leurs missions,
avec un effectif de huit ou neuf personnes. La coordination de la veille
régionale, en lien avec les DRASS, est un défi en termes
d'effectifs et d'organisation pour l'InVS. Je crois que nous pouvons relever ce
défi et que nous le devons afin de progresser.
La dimension européenne doit être prise en compte au même
titre que la dimension régionale. Dans une Europe qui garantit la libre
circulation des biens et des individus, il est essentiel d'assurer des
conditions sanitaires correctes protégeant l'ensemble des citoyens
européens. La veille sanitaire nationale ou régionale ne peut
s'abstraire de la situation au niveau européen. Je parle de l'Europe au
sens de la définition de l'Organisation mondiale de la santé,
comprenant donc une cinquantaine d'états. L'élargissement de
l'Union européenne introduit également de nouveaux enjeux en
matière de veille sanitaire. L'InVS bénéficie d'une
excellente reconnaissance au niveau européen. Nos partenaires attendent
beaucoup de notre engagement européen.
Il ne faut pas non plus ignorer la dimension mondiale de la veille sanitaire,
comme l'a montré la crise du syndrome respiratoire aigu
sévère (SRAS). L'InVS s'est très fortement mobilisé
sur ce sujet à l'échelon mondial en partenariat avec l'OMS. Nous
avons d'ailleurs des liens étroits avec le noyau de réflexion sur
la situation épidémiologique mondiale et nous soutenons
activement le pôle de l'OMS à Lyon, qui participe activement au
développement de l'épidémiologie internationale et de la
constitution de réseaux de laboratoires de surveillance. Je leur ai
ainsi rendu visite hier afin d'aborder avec eux les enjeux soulevés par
les menaces de bioterrorisme.
Voilà ce que l'on peut dire de ce projet de loi concernant son influence
sur les missions et les stratégies de l'InVS.
M. le PRÉSIDENT
- Merci beaucoup, monsieur le directeur
général. Monsieur le rapporteur, avez-vous des questions
complémentaires ?
M. Francis GIRAUD, rapporteur
- Oui, merci, monsieur le
président. Monsieur le directeur général, vous nous avez
exposé votre exigeante mission. Nous vous souhaitons un plein
succès afin de discerner l'indiscernable. Votre champ d'intervention est
illimité, mais il convient bien sûr établir des objectifs
prioritaires à des fins d'organisation. Je vous poserai quelques
questions sur le texte lui-même. L'article 1 dispose que le Haut Conseil
de santé publique, auquel nous appartenons tous deux, assure une
fonction générale d'expertise en matière de gestion des
risques sanitaires. De même, un comité national de santé
publique coordonne l'action des départements ministériels en
matière de sécurité sanitaire. Comment l'action de l'InVS
s'articule-t-elle avec celle de ces institutions ?
Vous avez souligné les mérites de l'échelon
régional. De quels moyens concrets disposez-vous pour intervenir au sein
des GRSP qui se mettront en place ?
Par ailleurs, comment concevez-vous les réseaux de surveillance de
l'ensemble du territoire, voire de l'Europe et du monde, afin que
l'échelon central soit en permanence informé dans les meilleurs
délais ? Comment assurer une transmission optimale de l'information
à l'échelle nationale, et la traduire en actions réelles
sur le terrain ?
M. le PRÉSIDENT
- Monsieur le directeur général,
voulez-vous répondre d'abord à ces trois questions avant que nous
ne passions aux réactions des commissaires ?
M. Gilles BRÜCKER
- Oui, je vous remercie, monsieur le
président. Je traiterai d'abord du rôle de l'InVS relativement au
Haut conseil de santé publique et au Comité national de
santé publique.
Le Haut Conseil de santé publique résulte de la fusion du Haut
Comité de santé publique et du Conseil supérieur
d'hygiène public de France - section des maladies transmissibles.
Connaissant bien ces deux structures pour y avoir participé, cette
fusion me paraissait problématique faute d'objectifs communs aux deux
institutions. Le Haut comité de santé publique se livrait
à une réflexion globale et stratégique sur les
problématiques de santé, publiant par exemple des rapports sur
l'état de santé des Français ou sur des sujets plus
ciblés comme la santé des adolescents ou la nutrition. Le Conseil
supérieur d'hygiène public de France, dont j'assurais pendant
plusieurs années la présidence, se consacrait à la gestion
de risques directs. Il avait une fonction d'alerte et une approche beaucoup
plus pragmatique et directive. Il se prononçait par exemple sur la
pertinence de certaines vaccinations.
La fusion des missions de ces deux institutions qui nécessitent une
réactivité différente, l'une traitant du moyen et long
terme et l'autre des problèmes immédiats, est un sujet
d'interrogation. La lourde charge de travail qui pesait sur ces deux
institutions ne va pas s'atténuant. L'InVS participait activement
à la production d'expertises pour le Conseil supérieur
d'hygiène publique et à un moindre degré pour le Haut
comité de santé publique au sein des ses groupes de
réflexion.
L'InVS sera au service de ce Haut Conseil de santé publique afin de
produire des expertises selon les besoins. Les membres du Haut Conseil devront
en effet se référer à de la documentation, des analyses
bibliographiques et des travaux d'expertise. Il appartient donc à l'InVS
de produire cette information à l'appui de la réflexion des
membres du Haut Conseil. Je conçois de même l'action de l'InVS
auprès du Comité national de santé publique. Il faut donc
faire de l'InVS un lieu de production d'information et d'expertise à la
demande de ces structures.
Au sujet de nos moyens régionaux, nous disposons actuellement de seize
cellules interrégionales d'épidémiologie, contre neuf il y
a deux ans. Malgré cette progression sensible, nous ne sommes pas
prêts à en établir une par région. Nous avions
marqué cette orientation il y a dix-huit mois en accord avec le
directeur de la santé, compte tenu des contraintes de l'InVS en
matière de ressources humaines. Du fait de la diversité des
thèmes traités, il est préférable de renforcer les
CIRE existantes que d'en créer de nouvelles en sous-effectif. Il m'est
impossible de vous donner les chiffres consolidés de nos effectifs dans
les CIRE, mais je pense qu'elles emploient aujourd'hui une soixantaine de
personnes.
Le nombre limité de CIRE reste tout de même un sujet de
préoccupation : il n'y a par exemple qu'une unique CIRE couvrant
les trois régions d'Alsace, de Lorraine et de Champagne-Ardenne. Ce
champ est trop vaste pour assurer une veille sanitaire véritablement
régionale. Nous avons, par exemple, des difficultés à
recruter des collaborateurs hautement spécialisés prêts
à s'installer dans la région de Nancy. La demande en
épidémiologistes a en effet fortement augmenté avec le
développement de la veille sanitaire. Cette évolution n'a pas
été suivie par une augmentation du nombre des professionnels en
formation, un domaine dans lequel la France accuse encore un certain retard.
Recruter dans chaque région des personnes compétentes est un
énorme défi. L'InVS a embauché en dix-sept mois une
centaine de personnes, dont une large part d'épidémiologistes et
de biostatisticiens. Nous atteignons les limites de ce marché. Ouvrir un
poste ne signifie pas nécessairement le pourvoir.
M. le PRÉSIDENT
- Trois intervenants prendront la parole :
MM. Jean-Louis Lorrain, rapporteur, André Lardeux et André
Vantomme.
M. Jean-Louis LORRAIN, rapporteur
- Merci, monsieur le président.
Etant moi-même élu d'un département de l'Est, le Haut-Rhin,
je pense que nous disposons tout de même d'atouts susceptibles d'y
attirer vos chercheurs.
Je suis chargé de rapporter sur le sujet spécifique de la
santé-environnement. Je ressens une frustration devant ce texte, qui
n'aborde dans ce domaine que les problèmes de saturnisme et de
qualité de l'eau. La problématique de la
santé-environnement est pourtant beaucoup plus vaste. Le texte et ses
annexes mentionnent de nombreux préalables hypothétiques,
d'informations épidémiologiques, par exemple. On semble vouloir
reporter les décisions sensibles à plus tard.
Je citerai un exemple concret. J'ai visité récemment une commune
investie par le radon. Ne faisant partie d'aucun programme national, ses
habitants devaient gérer eux-mêmes ce problème
environnemental. Ne devrait-on pas quantifier davantage les objectifs de
ce projet de loi, sur le modèle des objectifs quantifiés
existant, concernant par exemple la pollution atmosphérique ? Cela
me paraîtrait plus opérationnel. Qu'en pensez-vous ?
Au regard de la mission consistant à « prévoir
l'imprévisible », ne pensez-vous pas qu'un tel objectif
contribue à alimenter un climat d'angoisse parmi la population ?
L'InVS engage de plus sa responsabilité sur cette mission, ce qui me
paraît exagéré. Les réflexions en cours que vous
avez citées (sur la violence sociale, la santé mentale...)
soulèvent la question de la coordination des politiques dont vous
êtes l'acteur et l'opérateur, ce qui me semble être le foyer
de toutes les résistances.
M. André LARDEUX
- Ma question rejoint celle de
M. Jean-Louis Lorrain. Comment opérer la coordination entre les
nombreux intervenants ? Dans ce sens, estimez-vous que la
répartition des responsabilités prévue par la loi
constitue une amélioration ?
Je traduirai ces interrogations à travers deux questions plus
précises. La région vous paraît être l'échelon
pertinent pour votre activité de veille. Or le projet de loi relatif
à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, ne
mentionne pas le niveau régional mais fait référence
à des plans d'alerte départementaux sous la supervision du
Préfet, du Conseil général et des ARH. Cette mesure vous
paraît-elle pertinente ?
M. Gilles BRÜCKER
- Pouvez-vous, s'il vous plaît,
répéter le thème de votre question ?
M. André LARDEUX
- Il s'agit de la Caisse nationale de
solidarité pour l'autonomie qui traite le problème de la
dépendance. Les plans d'alerte départementaux auxquels je me
référais traiteraient donc les crises équivalentes
à celle de la canicule à un échelon inférieur
à celui que vous préconisez.
Comment envisagez-vous également le problème des maladies
professionnelles ? Vous avez évoqué les conséquences
de l'exposition à l'amiante, mais de nombreuses autres pathologies
émergent, telles que les troubles musculo-squelettiques, qui ont des
causes multiples et ne sont que partiellement liées au travail. Quelle
est votre action dans ce domaine ? Estimez-vous que le projet de loi y
apporte des avancées ?
M. le PRÉSIDENT
- M. André Vantomme posera la
dernière question.
M. André VANTOMME
- Monsieur le directeur général,
j'ai cru comprendre que la question des maladies mentales n'est pas encore
traitée à part entière par l'InVS. Quelle est la raison de
cette mise à l'écart d'un problème qui a pourtant
cruellement transparu au travers d'affaires récentes, impliquant parfois
d'éminentes personnalités de la République. Comment
envisagez-vous le traitement par l'InVS des maladies mentales et des affections
neuropsychiatriques ? Ces questions concernent en effet dix des cent
objectifs de santé publique issus de la consultation nationale et
mentionnés dans le projet de loi qui nous occupe.
M. Gilles BRÜCKER
- Je m'efforcerai de répondre
brièvement puisque le temps nous est compté. L'InVS est fortement
impliqué dans le champ des problématiques de
santé-environnement, qui est vaste. Nous traitons ainsi les
problèmes de pollution de l'air, de l'eau et des sols, ainsi que
d'autres questions environnementales comme le climat ou le radon que vous avez
cité. Il est impossible de mettre en place dans chaque endroit
confronté à une problématique environnementale des
équipes avec les moyens et les compétences nécessaires.
Les questions de santé-environnement suscitent des travaux longs,
importants et difficiles. Ces questions tiennent une place de plus en plus
importante dans les programmes mis en place par les CIRE, concernant les
nuisances sonores par exemple. Ceci suppose de mettre en place des
études très complexes et coûteuses.
Les risques de pollution liés aux dioxines générées
par les installations d'incinération forment ainsi par exemple une de
nos préoccupations majeures. L'étude nationale de mesure de
l'imprégnation des dioxines en cours ne peut s'effectuer sur l'ensemble
du territoire du fait de son coût. Nous choisissons de concentrer nos
moyens sur les lieux les plus propices à l'observation. Ces choix
créent parfois un ressentiment sensible parmi les collectivités
locales. Nous n'avons cependant pas les moyens d'effectuer ces mesures partout.
Le seul dosage des dioxines issu de nos observations coûte
déjà à l'InVS 1 million d'euros. Nous travaillons sur
les lieux présentant des conditions optimales de qualité afin
d'éclairer la gestion des politiques de santé. C'est aussi le cas
des observations menées sur le radon.
Vous mentionnez également la vaste question de la gestion du
« climat d'angoisse ». Dans le cadre du lancement de
l'alerte « froid » de la semaine dernière, j'ai
reçu des encouragements mais aussi des critiques. Ce genre de message
participe peut-être de l'instauration d'un tel climat d'inquiétude
et d'angoisse. Ces décisions ne se font pas sans mal. La communication
de nos messages doit progresser. Il y a aujourd'hui parmi la population une
forte demande d'information sur les différents risques.
L'interprétation de nos messages pose souvent problème,
également du fait de la diversité des publics auxquels nous nous
adressons. C'est un vaste sujet sur lequel nous pourrions nous étendre
si nous en avions le temps.
Concernant la problématique de la coordination soulevée par
MM. Jean-Louis Lorrain et André Lardeux, l'ensemble des agences de
sécurité sanitaire et de leurs partenaires dans le champ de la
veille sanitaire y accorde énormément d'importance. Nous essayons
autant que possible de coordonner nos actions au mieux. Vous entendrez, tout
à l'heure, Mme Michèle Froment-Védrine, directrice
générale de l'AFSSE. Lors de la création de l'AFSSE, nous
avons travaillé ensemble à la définition de nos champs
respectifs dans le cadre des problématiques de
santé-environnement. Nous nous efforçons d'être aussi
complémentaires que possible dans nos approches.
L'InVS se coordonne aussi avec les démarches dirigées par
Mme Mireille Elbaum, de la Direction de la recherche, des études,
de l'évaluation et des statistiques (DREES) sur les questions de
santé comportant un important aspect social. La coordination est une
préoccupation constante pour l'InVS. La direction générale
de la santé organise d'ailleurs tous les mercredis une réunion de
coordination des agences de sécurité sanitaire pour aborder les
questions actuelles et prospectives dans ce domaine. La coordination doit bien
entendu être encore approfondie mais beaucoup d'efforts ont
été déployés dans ce domaine.
A propos de la place du département, je crois qu'il est
nécessaire de conserver un échelon départemental
d'intervention. Il existe une véritable volonté à ce
niveau de participer à la veille sanitaire malgré une situation
assez hétérogène selon les départements en termes
d'effectifs et de compétences. Les métiers de la veille sanitaire
ont connu une véritable révolution depuis dix ans. Il est
nécessaire de mettre en place davantage de programmes de formation
à la veille sanitaire et à la gestion des crises. La
région ne peut être un centre efficace de veille sanitaire sans la
mobilisation des DASS. Le rôle du département est donc important.
Au sujet des maladies professionnelles, des causes multiples peuvent
effectivement en être à l'origine. C'est le cas des troubles
musculo-squelettiques qui peuvent être liés aussi bien à
des activités professionnelles que personnelles. Nous essayons de
développer des outils à même de déterminer la
durée et l'intensité de l'exposition à un risque tout au
long du parcours professionnel. Ce programme s'intitule MAGENE, matrice
emplois-exposition. Il n'est pas encore opérationnel mais devrait
permettre d'identifier avec précision les différentes
périodes d'expositions à un risque lors de parcours
professionnels aujourd'hui très mouvants. Cet objectif est clairement
traité par l'InVS.
Enfin, M. André Vantomme mentionnait l'absence des questions de
santé mentale des objectifs de l'InVS. Je ne peux répondre avec
certitude, n'étant pas présent à l'époque de cette
décision pendant la négociation du contrat d'objectifs et de
moyens COM 1. Cependant, je ne crois pas que l'on ait sous-estimé
l'importance de ce problème. Ce sujet extrêmement complexe
nécessitait sans doute un dispositif de veille beaucoup plus
délicat à développer que d'autres thèmes plus
immédiatement accessibles.
Nous pouvons aujourd'hui aborder la problématique de la santé
mentale grâce aux acquis et aux expériences accumulés par
l'InVS depuis sa création. J'ai demandé que soit conduit un
travail prospectif à ce sujet. Un chercheur de l'InVS m'a ainsi remis un
rapport sur la faisabilité de la surveillance de la santé mentale
en France. Je dois encore étudier les propositions de ce rapport dans le
détail, mais j'ai pris connaissance de ses grandes lignes. La
surveillance de la santé mentale soulève en effet la question du
choix et de la pertinence des indicateurs utilisés. Ce problème
concerne la population dans son ensemble. Nous espérons mettre en place
un début de surveillance au cours de l'année 2004, en attendant
les nouveaux axes prioritaires qui seront définis en 2005 par le
COM 2.
M. le PRÉSIDENT
- Monsieur le directeur général, je
vous remercie au nom de tous mes collègues.