Audition de Mme Pascale BRIAND, Déléguée à la
mission
interministérielle pour la lutte contre le
cancer
(mercredi 17 décembre
2003)
M.
Nicolas ABOUT, président
- Mes chers collègues, nous
poursuivons nos auditions par l'audition de Mme Pascale BRIAND,
déléguée interministérielle à la lutte
contre le cancer. Je vous rappelle que ces auditions sont
télévisées sur la chaîne Public Sénat. C'est
la raison pour laquelle nous essayons de les rendre le plus clair possible,
afin que les téléspectateurs puissent percevoir l'enjeu du
débat et du projet de loi présenté aujourd'hui. Madame la
déléguée, je vous remercie d'avoir accepté de nous
consacrer du temps. Je vous invite à nous présenter votre
approche de ce texte, après quoi le rapporteur ainsi que les autres
commissaires vous interrogeront.
Mme Pascale BRIAND
- Monsieur le président, mesdames et messieurs
les sénateurs, mesdames et messieurs, je souhaite commencer mon
intervention par une très brève présentation du Plan
Cancer, qui s'inscrit de la meilleure façon dans la loi de santé
publique.
Le Plan Cancer est un programme stratégique qui traduit sous la forme de
mesures concrètes la volonté publique exprimée par le
Président de la République de faire de la lutte contre le cancer
une des priorités de sa mandature. Ce plan a par conséquent un
caractère emblématique : il répond à un enjeu
considérable de santé publique, et constitue une
expérimentation grandeur nature pour le projet de loi de santé
publique. Nous pouvons dégager les premiers enseignements du Plan
Cancer, quelques mois après son déclenchement.
Il s'agit d'une mise sous tension du système de santé dans une
perspective pluriannuelle, une véritable logique de projet et une
obligation de résultat. Le Plan Cancer contribue à ce que
l'action contre le cancer devienne une préoccupation de la
société française. Il s'agit bien, dans le domaine du
cancer, d'induire un changement d'image sociale de la pathologie. Le plan a la
caractéristique de posséder son propre outil de pilotage,
à savoir un outil de mise en oeuvre - la mission
interministérielle de pilotage - et l'outil pérenne de lutte
contre le cancer - l'Institut national de lutte contre le cancer.
En termes de mise en oeuvre, la logique projet s'est exprimée
via
la mission, qui joue le rôle de chef d'orchestre permettant une
mobilisation sur le terrain, et notamment en région, afin de mettre en
synergie l'ensemble des acteurs de la lutte contre le cancer :
médecins, patients, services de l'État, collectivités
locales...
Après neuf mois de mise en oeuvre, je suis heureuse de vous
présenter des résultats encourageants. Les engagements de
l'année 2003 ont été tenus. Nous pouvons d'ores et
déjà voir au travers de ce plan le bien-fondé de
l'architecture de la loi sur la politique de santé publique. La
structure de pilotage permet de répondre à la complexité
des enjeux et à la nécessité de solliciter une grande
variété d'acteurs. L'approche intégrée a fait ses
preuves : le Plan Cancer répond aux enjeux de lutte contre le
cancer en couvrant l'ensemble de ses champs - prévention,
dépistage, organisation des soins, amélioration de la
qualité de vie et d'accompagnement des patients, information et
recherche. Cette politique intégrée est essentielle.
Par ailleurs, le Plan Cancer est centré sur le patient, et répond
aux attentes formulées par les malades lors des États
généraux qui se sont déroulés voici deux ans. Il
démontre la nécessité de décloisonnement, ce qui
est déjà à l'oeuvre dans la majorité des
régions, comme ont pu le constater les responsables de la mission lors
de nos déplacements sur le terrain. La combinaison synergie et
décloisonnement fait la force de ce plan, qui bénéficie
ainsi de la richesse des multiples acteurs qui y participent.
Le Plan Cancer est une expérimentation grandeur nature du modèle
de la loi de santé publique. Permettez-moi de prendre comme exemple la
priorité que constitue le rééquilibrage en faveur de la
prévention et du dépistage par rapport aux soins. Cet enjeu
figure parmi les priorités de l'année 2003, avec la lutte
contre les conduites à risque - tabagisme, alcool,
déséquilibre alimentaire. En outre, il a fait l'objet d'un
financement privilégié : si le pourcentage de financement
alloué à la prévention (environ 2,3 %) est d'une
façon générale marginal, le financement en faveur de la
prévention et du dépistage du cancer atteint 13 % des moyens
accordés à la lutte contre cette maladie.
Les actions sont focalisées sur l'amélioration de
l'équité dans l'accès aux soins, et sur l'offre de soins
de qualité pour tous. Cet objectif répond aux attentes tant des
patients que des professionnels de la santé. Le Plan Cancer vise
également à améliorer la qualité de vie des
patients - cette question n'est pas dissociée de celle de la
qualité des soins. Il s'appuie sur une meilleure organisation des soins,
avec la prépondérance de l'organisation en réseau et de la
concertation des professionnels de santé (notamment au sein des
consultations pluridisciplinaires qui se mettent en place) et la
continuité des soins (articulation des soins entre la ville et
l'hôpital). Le Plan Cancer facilite les conditions de l'hospitalisation
à domicile avec la mise en place de plates-formes de soins de support,
la connexion avec les services sociaux, l'articulation avec la médecine
du travail (notamment en région) et la réinsertion après
la maladie.
L'amélioration de l'accompagnement et de la qualité de vie passe
aussi par l'amélioration de l'information, avec la priorité
donnée à l'information vis-à-vis des patients et des
professionnels de santé, et la focalisation sur la
nécessité d'obtenir une meilleure traçabilité des
actions et de leur financement. Avant même la mise en place de la
tarification à l'activité, une meilleure visibilité de
l'affectation des moyens constitue déjà une priorité. Nous
y travaillons au sein de régions pilotes.
En guise de conclusion, je souhaite indiquer que le Plan Cancer est ambitieux
dans ses objectifs comme dans sa mise en oeuvre puisqu'il intègre une
obligation de résultats. Ce plan place chacun d'entre nous devant
l'obligation de s'investir afin de répondre à l'enjeu de
société que constitue le cancer, renverser son image sociale et
mobiliser l'ensemble du corps social (hommes politiques, citoyens, patients,
experts médicaux, État et collectivités). La mise en
oeuvre du Plan Cancer démontre d'ores et déjà la
pertinence des orientations de la loi de santé publique.
Enfin, je rappelle que la loi prévoit la création de l'Institut
national du cancer, un dispositif pérenne qui constituera la pierre
angulaire de la lutte contre le cancer. La création de cet institut a
été annoncée par le Président de la
République. Il répond à l'absence, en France, d'une
instance fédératrice et d'un pôle d'impulsion, de suivi et
d'évaluation des actions. L'article 15 du projet de loi
prévoit que cet institut soit créé sous forme de
groupement d'intérêt public qui associera les acteurs publics et
privés impliqués dans la lutte contre le cancer. Ce groupement
d'intérêt public regroupera l'ensemble de la filière, de la
prévention à la politique de formation et de recherche. Sa
création vient combler un chaînon manquant et indispensable afin
de pérenniser la politique de lutte contre le cancer et lui donner une
dimension internationale. La forme du groupement d'intérêt public
doit procurer à l'Institut une souplesse de fonctionnement et une
réactivité permettant à la lutte contre le cancer
d'avancer : le cancer constitue plus que jamais un enjeu de santé
publique et de société.
M. le PRÉSIDENT
- Merci, madame la déléguée.
J'invite M. le rapporteur à nous faire part de ses remarques et de ses
éventuelles questions.
M. Francis GIRAUD
- Madame la déléguée, tous les
membres de la commission des Affaires sociales sont conscients de l'importance
d'un plan pour lutter contre le cancer, qui constitue une priorité
nationale. Mes questions porteront sur les éléments de lutte
contre le cancer préexistants, et sur la façon dont vous
envisagez les relations de ce nouvel institut avec les organismes scientifiques
(INSERM, CNRS ou autres), les associations (la Ligue contre le cancer, l'ARC)
et les centres anticancéreux régionaux. Je rappelle que la loi
autorise l'Institut à bénéficier de dons et de legs.
Mme Pascale BRIAND
- Monsieur le rapporteur, l'Institut n'a pas vocation
à se substituer aux organismes préexistants, ni à
constituer une nouvelle strate administrative. L'Institut national du cancer a
vocation à coordonner les actions, en particulier dans le domaine de la
recherche où il agira en collaboration avec les organismes de recherche,
notamment l'INSERM, le CNRS, le Commissariat à l'énergie atomique
ou encore l'INRA, et plus généralement avec les équipes
universitaires. Il s'agit bien là d'une action de coordination, dont les
efforts pour favoriser l'émergence des canceropoles dès 2003
constituent les prémices. Cette coordination est une action structurante
de pôles de recherche, qui ont vocation à accélérer
l'innovation et qui s'appuient sur des équipes de recherche
labellisées par les organismes de recherche ou reconnues par
l'université. L'Institut aura d'ailleurs pour mission de labelliser les
canceropoles. Cette articulation se fera
via
la concertation avec les
organismes de recherche. L'Institut n'a pas d'équipes de recherche
propres : il agira avec les organismes et donnera l'impulsion des axes
fédérateurs de la recherche, inscrivant les équipes dans
une véritable démarche projet.
En ce qui concerne les associations représentant les patients, je
rappelle qu'elles sont impliquées dans la conception de l'Institut
national du cancer. Le président de la Ligue contre le cancer,
M. Henri Pujol, est d'ailleurs membre du comité permanent
d'orientation de la mission interministérielle, dont il suit, à
ce titre, la mise en place.
Quant aux ressources de l'Institut, une partie d'entre elles est d'ores et
déjà inscrite dans la loi de finances pour 2004. Leur montant
s'élève à 11 millions d'euros (ministère de la
santé), mais au-delà le ministère de la recherche et
d'autres partenaires, dont l'assurance maladie, devraient apporter leur
contribution.
En ce qui concerne enfin les centres anticancéreux, la
Fédération des centres de lutte contre le cancer de même
que les fédérations CHU et les autres fédérations
professionnelles seront associées à la préparation de la
convention constitutive et devraient par conséquent être
partenaires du groupement d'intérêt public. Je précise par
ailleurs que la structuration des pôles régionaux de
référence et de recours, bâtis autour des centres
hospitalo-universitaires de lutte contre les cancers, constitue une action
prioritaire dès 2004.
M. le PRÉSIDENT
- Je transmets la parole à M. Paul
Blanc.
M. Paul BLANC
- Merci, monsieur le président. Madame la
déléguée, je tiens, dans un premier temps, à
présenter mes excuses pour mon absence à la réunion
présidée hier par M. Ségura. Peut-être ma
question a-t-elle déjà été posée hier ?
Vous avez évoqué l'évaluation des actions prévue
dans la loi. Certes, nous vivons dans une société d'information
immédiate au sein de laquelle chacun d'entre nous cherche à tout
savoir, tout de suite. Or, dans le domaine de la prévention contre le
cancer, les résultats de telle ou telle démarche ne peuvent pas
être connus instantanément, à l'exception du
dépistage rapide, à condition de distinguer la prévention
et le dépistage. Ce dernier n'empêche pas la maladie
d'apparaître mais, en la détectant de façon précoce,
il en ralentit la progression. Comment l'évaluation des actions de
prévention est-elle prévue par la loi ? Quels seront les
moyens alloués à cette évaluation ?
M. le PRÉSIDENT
- Pouvez-vous également nous indiquer la
répartition qui se fera entre les moyens alloués à la
prévention et au dépistage ?
Mme Pascale BRIAND
- Permettez-moi de répondre, dans un premier
temps, à la question portant sur l'évaluation et le suivi de la
mise en oeuvre des mesures prévues dans la loi. La mission
interministérielle doit s'assurer d'abord de la mise en oeuvre des
actions et donc disposer des indicateurs correspondants. Mais au delà,
ce sont les indicateurs d'impact qui sont les plus importants. Les
préciser et en suivre l'évolution relève transitoirement
de la mission et reviendra, dès sa mise en place, à l'Institut
national du cancer. Je précise qu'un certain nombre d'indicateurs
d'impact relèvent, en termes de suivi, d'opérateurs
déjà existants. L'Institut national de veille sanitaire assure
par exemple le dépistage organisé du cancer du sein. En
matière de prévention, les indicateurs inscrits dans le plan
permettent de mesurer la diminution du nombre de fumeurs. Le fait de fumer a,
en effet, un impact sur l'ensemble des cancers, même si cet impact est
différé dans le temps : c'est pourquoi la seule indication
de la réduction du nombre de fumeurs constitue déjà une
indication d'impact. En septembre dernier, la réduction de 8 % du
nombre de fumeurs, liée à la première augmentation du prix
du tabac, marque un premier impact positif après quelques mois seulement
de mise en oeuvre. Les grandes campagnes d'information et la politique
menée au sein des établissements scolaires et des sites sensibles
(transports, hôpitaux...) ont également contribué à
la réduction du nombre de fumeurs.
M. Paul BLANC
- Ces résultats sont indéniables. Toutefois,
les indicateurs de performance des mesures liées à l'alimentation
et destinées à combattre le cancer du colon sont plus difficiles
à définir.
Mme Pascale BRIAND
- La problématique de l'alimentation est
inscrite dans le plan national nutrition et santé, dont l'Institut
national du cancer doit renforcer le suivi et l'évaluation.
M. Paul BLANC
- La société française veut des
résultats immédiats. Convaincre le public va nécessiter
une grande force de persuasion, de même que des moyens financiers.
M. le PRÉSIDENT
- Je transmets la parole à M. Gilbert
Chabroux.
M. Gilbert CHABROUX
- Madame la déléguée, j'ai
suivi avec beaucoup d'attention votre intervention ; sachez que j'admire
votre détermination. Je constate néanmoins certaines lacunes du
Plan Cancer au niveau professionnel. Selon l'Institut national de veille
sanitaire, 10.000 cancers professionnels sont recensés chaque
année. Or seulement 800 d'entre eux sont reconnus. Un million de
Français seraient exposés à des risques
cancérigènes dans leur environnement professionnel.
Je souhaite, par ailleurs, revenir sur les effets de la hausse des prix sur la
réduction du tabagisme. Certains chiffres contredisent vos affirmations.
Par ailleurs, il est difficile d'estimer la quantité de tabac vendu
via
les circuits parallèles. En outre, si la hausse du prix des
cigarettes a affecté la consommation des fumeurs, le moratoire sur cette
hausse contredit quelque peu cette démarche.
Mme Pascale BRIAND
- Je souhaite, tout d'abord, mentionner la forte
augmentation de la vente de patchs nicotiniques, qui confirme les effets
positifs de la hausse des prix du tabac : de nombreux Français
souhaitent arrêter de fumer. L'augmentation considérable des
demandes de consultation de sevrage anti-tabagique est une autre preuve de
cette tendance.
La hausse des prix du tabac déjà effective, marque une
volonté gouvernementale particulièrement forte : ses effets
sont notables et durables, car nos concitoyens ont pris conscience du danger du
tabac. Quant à la fraude que vous évoquez, permettez-moi de
signaler qu'elle est limitée à certaines régions proches
des zones frontalières. Le poids de la contrebande dans la vente totale
de cigarettes en France est marginal.
Les cancers professionnels et environnementaux sont bien abordés dans le
cadre du Plan Cancer, par le biais de deux mesures spécifiques. Il est
néanmoins exact qu'il subsiste un décalage entre le nombre
estimé de cancers professionnels réels et le nombre
déclaré. Il est nécessaire de mobiliser la médecine
du travail sur ce domaine. C'est dans cette optique que le ministère de
la santé et le ministère des affaires sociales et du travail
viennent de signer un contrat-cadre qui doit permettre d'inscrire l'ensemble
des actions menées dans ce domaine.
Permettez-moi, à ce sujet, de partager avec vous mes impressions au
lendemain de mes visites sur le terrain. Je termine actuellement mon tour de
France des régions. Les discussions qui ont lieu en région
réunissent l'ensemble des services de l'État concernés,
sous la présidence des préfets. Les interactions avec la
médecine du travail permettent le développement de certaines
actions fort intéressantes, notamment dans les régions les plus
concernées par les cancers professionnels. Ces actions feront l'objet
d'une présentation sur le site du Plan Cancer ouvert en fin
d'année. Ce site permettra à chacun de s'informer sur le Plan
Cancer et offrira aux régions la possibilité de décrire
les initiatives les plus pertinentes.
En ce qui concerne la répartition des crédits
supplémentaires alloués au dépistage et à la
prévention du cancer, sachez que, sur une enveloppe de 35 millions
d'euros, 18 millions d'euros ont été consacrés
à la mise en place de structures de gestion pour la
généralisation du dépistage du cancer du sein, et le reste
à des mesures de préventions (information, augmentation du nombre
de registres...).
M. le PRÉSIDENT
- Je vous remercie pour ces précisions.
M. Jean-Pierre GODEFROY
- Il existe dans ma région - le Nord
Cotentin - un registre du cancer financé notamment par les
collectivités territoriales du fait de la présence dans le
département d'activités nucléaires, qu'il s'agisse de
retraitement, de production ou de stockage. Quelles seraient les relations de
l'Institut avec ces registres ?
Par ailleurs, est-il possible de déployer un plan de prévoyance
lié à l'exposition des travailleurs aux irradiations ? En
effet, il est aujourd'hui impossible de déterminer les
conséquences de l'exposition au nucléaire. Il convient par
conséquent de prévoir des moyens à titre préventif.
Est-ce prévu ? Pouvons-nous envisager l'extension des registres du
cancer dans les régions les plus exposées ?
Je signale que les travailleurs du secteur du nucléaire sont très
souvent employés par des sociétés en tant
qu'intérimaires. Ils sont par conséquent particulièrement
mobiles à travers la France, ce qui n'aide pas à les retrouver,
et qui constitue par ailleurs une extension géographique du risque en
cas d'hérédité du cancer. Quelles seront les mesures et la
position de l'Institut en matière d'anticipation des maladies
professionnelles ?
Mme Pascale BRIAND
- L'Institut National du Cancer pourra effectivement
donner une nouvelle impulsion et renforcer l'action en matière de lutte
contre les cancers professionnels. L'Institut national de veille sanitaire a
d'ores et déjà lancé une étude du suivi du cancer
de la thyroïde. Ce suivi a bénéficié d'un
renforcement budgétaire dès 2003. Au-delà du suivi
via
les registres, une synthèse des données émanant
d'autres sources permet également d'affiner le dispositif. L'Institut
National du Cancer sera en position de faire des recommandations notamment en
terme de renforcements d'actions dans le domaine de la veille
via
l'Institut national de veille sanitaire, par exemple.
M. le PRÉSIDENT
- La parole est à M. Alain Gournac.
M. Alain GOURNAC
- Madame la déléguée, j'ai suivi
avec beaucoup d'attention la présentation du Plan Cancer. J'ai
déjà eu l'occasion de vous interroger sur ce sujet dans d'autres
instances. J'ai participé à la mise en place du plan de lutte
contre le cancer du sein dans les Yvelines, avec le conseil
général. Je souhaite avoir des précisions sur certaines
questions.
Tout d'abord, je m'interroge sur les délais et les
échéances du plan. Dans le cas que je viens d'évoquer, les
moyens disponibles pour effectuer des mammographies étaient
insuffisants, et consistaient davantage en des tests qu'en des clichés,
à l'inverse du département voisin (le Val d'Oise). Je
souhaiterais savoir quand l'Institut national du cancer aura les moyens de
fournir les bons conseils aux associations de médecins, notamment en
termes de mammographie. La pauvreté de l'action menée contre le
cancer du sein est scandaleuse. Quels sont les objectifs dans ce domaine ?
Par ailleurs, je souhaiterais connaître les mesures envisagées
pour lutter contre le cancer colorectal. La fiabilité des tests de
dépistage du cancer colorectal est aujourd'hui contestée.
Existe-t-il un test fiable ? La mortalité due à ce type de
cancer est d'autant plus préoccupante que cette maladie touche de
nombreux jeunes.
Je m'interroge également sur les moyens consacrés au soutien des
familles. L'accompagnement des proches est essentiel. Il s'agit d'y
réfléchir de façon individualisée : le cancer
a des impacts psychologiques dévastateurs sur l'entourage des patients.
Je tiens en outre à rappeler qu'il est urgent de réhabiliter les
associations, dont l'image s'est considérablement ternie depuis la
sinistre affaire que nous avons tous en mémoire. Nous pourrions
envisager d'attribuer une sorte de label à celles qui le
méritent. Le succès du Téléthon est frappant.
Enfin, j'attends du Plan Cancer une démarche volontaire de
prévention en direction des jeunes. Il existe certainement des moyens de
les convaincre de ne pas fumer. Il serait par exemple souhaitable que la
prévention anti-tabagisme soit intégrée aux programmes
scolaires, et qu'un médecin intervienne au sein de l'école afin
de convaincre nos enfants de ne pas céder à la tentation de la
première cigarette. Il s'agit, d'une façon plus
générale, de parler du cancer sans tabou. Je ne comprends pas que
le cancer suscite la honte : il s'agit d'une maladie comme une autre.
L'image du cancer me rappelle le tabou du handicap.
Mme Pascale BRIAND
- Au sujet du cancer du sein, le cahier des charges a
été défini et stabilisé selon les normes
européennes. Il doit être respecté par l'ensemble des
professionnels et des structures de gestion qui sont en place dans chaque
département. Entre 1989 et 2002, le dépistage organisé
s'est mis en place lentement, département après
département : moins de 40 départements en plus de
dix ans. Ce retard a été comblé depuis le début de
l'année 2003 : aujourd'hui, l'ensemble des départements sont
dotés du dispositif de dépistage organisé. Le
comité technique, présidé par Mme Seradour, veille
sur le dispositif. Celui-ci s'appuie à 90 % sur la médecine
libérale. Les professionnels se sont engagés à appliquer
le cahier des charges. Des formations complémentaires ont
été dispensées, et les professionnels se sont dotés
d'équipements nouveaux. Dans la grande majorité des cas, le
cahier des charges est respecté. Nous sommes donc dans la bonne voie sur
cette première étape. La suivante consistera à atteindre
des taux de participation beaucoup plus élevés qu'actuellement.
Cet objectif nécessite la mobilisation d'associations de femmes sur le
terrain afin de mobiliser d'une façon générale les femmes
qui ne se sentent pas encore concernées par le cancer du sein et
notamment les femmes en situation de précarité. L'Institut
national du cancer devra renforcer ces actions. Ce dispositif sera
évalué afin de connaître l'apport du dépistage
organisé. D'ores et déjà, le respect du cahier des charges
par les professionnels induit une amélioration de la qualité, ce
dont chacun de nous peut se réjouir.
J'attire également votre attention sur la montée en puissance du
dispositif de lutte contre le cancer colorectal. Cinq départements
ont été initialement engagés dans la phase
expérimentale de dépistage organisé, puis dix et
aujourd'hui vingt-deux. Le dispositif bénéficie des structures de
gestion déjà mises en place pour le dépistage du cancer du
sein, même si les techniques ne sont bien entendu pas les mêmes. A
l'issue de cette phase expérimentale, le dispositif sera
généralisé de façon rapide et devrait être
optimisé à l'horizon 2007.
Un ensemble de mesures vise à améliorer le soutien aux familles
des malades. L'impact du cancer sur les familles est terrible, en particulier
lorsque le patient est un enfant. C'est la raison pour laquelle des
congés particuliers pour les parents d'enfants malades d'un cancer et
une adaptation des dispositifs, afin de permettre aux parents de pouvoir
accompagner leur enfant dans la maladie, doivent être
aménagés. Les services sociaux sont également
mobilisés, avec un renforcement dès 2003 de la psycho-oncologie.
J'ai également demandé à Daniel Serin de faire une
évaluation de l'aide en psycho-oncologie. Cette expertise sera
disponible dès janvier. Par ailleurs, au-delà de l'accompagnement
direct, c'est l'environnement global qu'il faut améliorer et, par
exemple, faciliter l'accès aux prêts et aux assurances. Un
important travail d'information est là nécessaire. Un groupe de
travail composé de représentants des malades et de la Ligue
contre le cancer se consacre à cette question en collaboration avec des
représentants des banques et des assurances.
Je partage votre volonté de voir pratiquer un discours de fermeté
à l'attention des jeunes. Il s'agit de changer l'image du tabac. Cette
démarche ambitieuse nécessite la mobilisation des médias,
des stars de cinéma ou de la chanson. Nous sommes tous
concernés : c'est à chacun d'entre nous d'agir. Je suis
persuadée que la conjoncture induite par l'engagement au plus haut
niveau de l'État décuple l'efficacité des actions
individuelles. L'action vis-à-vis des jeunes doit mobiliser chacun
d'entre nous.
M. le PRÉSIDENT
- Je vous remercie, madame la
déléguée, pour le temps que vous avez accepté de
nous consacrer, et pour cette présentation du Plan Cancer. Nous
accueillons à présent M. Jean-François Mattei, ministre de
la santé, de la famille et des personnes handicapées.