Audition de Mme Nicole QUESTIAUX, Vice-Présidente
du Comité consultatif national d'éthique pour
les sciences de la vie et de la santé (CCNE)
(mercredi 17 décembre 2003)

M. Nicolas ABOUT, président - Mes chers collègues, je vous propose d'ouvrir les auditions sur le projet de loi relatif à la politique de santé publique. Elles feront l'objet d'un enregistrement audiovisuel en vue de leur retransmission sur la chaîne parlementaire. Je passe sans plus attendre la parole à Mme Nicole Questiaux.

Mme Nicole QUESTIAUX - Merci, monsieur le président. Le champ de réflexion en matière de santé publique est particulièrement intéressant. Les événements récents ont d'ailleurs démontré l'importance des aspects de prévention. Toutefois, ni la société française, ni le législateur ne se retrouvent en terrain inconnu. Le paradoxe de la situation vient du fait que la négociation européenne, partie du problème du médicament, a fini par aboutir à une directive que le ministre français de la santé, M. Mattei, propose de transcrire dans le texte de loi sur la santé publique.

Le comité d'éthique a porté ses réflexions sur ce projet de transcription. Mon propos aujourd'hui ne concerne que l'avis du comité ; je ne me permettrai pas de me prononcer sur les aspects juridiques de ce texte. Le conseil d'État et les administrateurs seront plus habilités à le faire.

A la suite de l'examen du projet de transcription, le comité d'éthique souhaite soulever trois grandes questions. J'espère que notre réflexion servira d'inspiration aux travaux et aux éventuels amendements qui seront portés au projet de loi lors de ses présentations devant l'Assemblée nationale et le Sénat.

Les trois grands axes de réflexion que je souhaite vous présenter sont les suivants : la suppression de la distinction entre la recherche avec bénéfice individuel direct et sans bénéfice individuel direct, les questions de consentement - et notamment la question du consentement des personnes qui ne sont pas en mesure de consentir elles-mêmes - et, enfin, le remplacement d'un régime de déclaration par un régime d'autorisation avec l'impact sur la mission des comités de protection de la personne. Le comité d'éthique, dont l'avis sur l'ensemble du projet est favorable, souhaite apporter quelques commentaires sur ces trois points qui n'ont pas encore fait l'objet d'une définition précise au sein du projet de loi.

Le projet de loi propose la transformation de la notion de bénéfice individuel direct en « balance bénéfice risque ». Or toute intervention sur l'homme comporte un risque, même minime. L'homme n'accepte donc la recherche médicale que s'il en attend un certain bénéfice. La loi Huriet avait bâti un système assez fin sur l'idée que si, dans certains cas, la réaction de l'homme était assez immédiate - il ressentait ainsi un « bénéfice direct » - dans d'autres cas, son sentiment relevait d'un « bénéfice indirect ».

La notion d'équilibre « bénéfice risque » est très en vogue dans les droits des démocraties contemporaines et dans toutes sortes de domaines dès lors que deux principes se conjuguent : la liberté de la recherche d'une part, et la protection de la personne d'autre part. La médecine invite les patients à faire référence au « principe de proportionnalité », en d'autres termes de bon sens, afin d'équilibrer les avantages et les inconvénients de l'intervention. Le comité d'éthique préfère cette référence à la précédente. Nous avons en effet estimé que déclarer que certaines personnes ont un bénéfice direct à la recherche a conduit à certaines dérives : certains acteurs de la recherche ont fait preuve d'une imagination zélée pour entrer dans le champ du bénéfice direct, et se sont jugés dispensés de parler de risques. Selon nous, il existe une balance, qui suppose que la notion de risque ne soit plus dissimulée. Nous sommes d'autant plus rassurés qu'une étude aboutissant à un avis précédant celui que je présente aujourd'hui et qui concernait les essais de phase 1 en cancérologie - en d'autres termes des essais portés sur des malades en phase terminale, et visant à évaluer la toxicité de chacune des chimiothérapies - nous avait révélé l'hypocrisie de certaines pratiques.

Le comité d'éthique est donc favorable à ce premier champ. Toutefois, nous souhaitons rappeler que l'évocation du « risque » devant un patient consiste à ouvrir la boîte de Pandore : notre société doit apprendre à dominer la réalité du risque. C'est pourquoi vous trouverez dans notre avis, qui n'a pas d'implications sur le texte, l'idée qu'il faut aller vers la franchise sans pour autant énumérer de façon exhaustive les risques pour le malade en vue de protéger de façon abusive l'opérateur de recherche. Le comité d'éthique est favorable à une gestion mesurée de cette balance. Toutefois, la mise en oeuvre de la nouvelle directive ne doit pas limiter la recherche aux cas où le risque est totalement absent, sans quoi la recherche médicale piétinera. Ainsi, nous souhaitons faire émerger du débat une notion à laquelle la société doit s'habituer. Il s'agit de se doter des procédures permettant la transparence des informations et le partage, entre les différents partenaires de l'opération, d'une conception raisonnable du risque. Permettez-moi d'insister : nous devons rester vigilants afin que la notion de balance ne conduise pas vers un débat de juristes visant à créer de façon artificielle l'immunité des opérateurs de recherche.

Concernant la question du consentement, le texte, tel qu'il se présente à l'issue de son traitement par l'Assemblée nationale, dépasse le cadre de la directive. En effet, la directive, très influencée par la tendance internationale, n'envisage aucune limite au consentement. Par conséquent, il n'existe pas de dérogation possible au consentement. Nous ne formulons aucune objection au mécanisme qui consiste à aller solliciter le consentement d'un tiers dans certaines situations. Toutefois, nous souhaitons réagir à deux dimensions du consentement qui nous ont paru dangereuses.

Tout d'abord, le consentement en cas d'urgence a quelque peu choqué les praticiens qui siègent au sein du comité d'éthique. Les développements possibles de précaution pour une personne dans le coma supposent une autorisation juridique au préalable de toute expérimentation médicale. En d'autres termes, il sera quasiment impossible de pratiquer la recherche sur une personne dans le coma. La mécanique protectrice de la personne suscite de nombreuses inquiétudes. Le comité d'éthique ne peut pas admettre que la recherche soit paralysée par ces contraintes procédurières.

Nos réflexions en cours se portent sur la notion de « médiation », que l'on souhaite voir substituée à celle de consentement, dont l'usage, dans certains cas limites, est devenu abusif et, par conséquent, abscons. Le traitement des situations dans lesquelles les personnes ne sont pas en mesure de s'exprimer nous semble davantage relever des instances médiatrices, au sein desquelles une personne indépendante des chercheurs définirait les limites de l'opération tout en préservant les intérêts de la recherche.

Le remplacement d'un régime de déclaration par un régime d'autorisation constitue le troisième axe de recherche du comité d'éthique. Le comité d'éthique est conscient du fait que le concept de « bénéfice risque » et le pouvoir d'autorisation des recherches renforcent le pouvoir d'autorisation du comité de protection de la personne. Nous sommes persuadés que ces textes ne seront appliqués qu'à condition que le système des comités de protection de la personne soit renforcé. Nous n'avons pas la certitude que ces comités seront maintenus dans tous les hôpitaux. Il est possible que la difficulté d'interprétation du « bénéfice risque » implique une restructuration d'ampleur au niveau régional. Des sociétés savantes ont manifesté l'intention de mener ces travaux. Le comité d'éthique n'y est pas favorable, puisqu'il s'agit de constituer des comités de protection de la personne au sein desquels les problèmes de renouvellement des personnes, d'indépendance et des charges seront pris en compte. Cette réflexion, qui n'est pas mentionnée dans le texte de loi, est essentielle à la bonne application de la loi.

Voilà, monsieur le président, les trois éléments de réflexion du comité d'éthique.

M. le PRÉSIDENT - Merci beaucoup, madame la ministre. Je cède la parole à M. le rapporteur.

M. Francis GIRAUD, rapporteur - Monsieur le président, madame la ministre, il est bien difficile de prendre la parole à la suite de cet exposé certes limité dans le temps, mais pas dans l'analyse, et dont le contenu sur les problématiques de la recherche biomédicale est extrêmement pertinent.

J'ai présidé un comité consultatif de protection des personnes dans la recherche biomédicale (CCPPRB) pendant dix ans. Vous avez en partie répondu à mes questions avant même que je sois invité à les poser, mais permettez-moi néanmoins de vous solliciter pour un point de précision. La loi s'apprête à modifier le fonctionnement de ces instances. Auparavant, ces systèmes étaient remarquables du fait du pluralisme des personnes qui les composaient - médecins, scientifiques, intellectuels. Ces membres étaient sollicités davantage pour leur bon sens que pour leurs connaissances scientifiques. Or le fait de confier à ces comités un rôle de donneur d'avis - bien que le ministre soit habilité à revenir sur cet avis - constitue un changement fondamental. Nous sommes autorisés à nous interroger sur les aboutissements de cette évolution : la réflexion sur cet enjeu doit être approfondie.

Par ailleurs, la problématique du consentement, que l'on retrouve dans d'autres textes législatifs notamment liés à la bioéthique, pose la question de la substitution. La notion de « personne de confiance » requiert certaines explications. Le législateur n'est en effet pas en mesure de proposer une définition précise de la personne de confiance, ni de définir son rôle.

Vous suggérez par ailleurs la nomination d'un médiateur que l'on pourrait également appeler un sage. Pouvez-vous apporter quelques explications quant à la nature des CCPPRB telle que vous envisagez de la redéfinir ?

Mme Nicole QUESTIAUX - Permettez-moi tout d'abord de signaler que je suis particulièrement honorée d'être assise à côté d'un membre des CCPPRB. C'est une mission que j'ai toujours considérée difficile.

D'après mon expérience au sein du comité d'éthique, qui n'est pas un CCPPRB mais dont le fonctionnement quotidien démontre l'expérience, je crois personnellement que ce qui n'est pas scientifique n'est pas éthique. En d'autres termes, la priorité consiste à s'interroger sur le sérieux de tel ou tel acte expérimental. L'acte sur l'homme n'est jamais futile, et ne saurait être le produit de l'acharnement intellectuel de tel ou tel expert avide de reconnaissance. Si le renforcement de la mission scientifique du CCPPRB implique un mécanisme accessible aux experts, il ne suppose pas pour autant que le CCPPRB soit composé de scientifiques spécialisés sur l'acte médical en question. En effet, vingt ans d'expérience au sein du comité d'éthique m'ont enseigné que même des non-spécialistes sont en mesure, face à une situation aussi grave qu'un état de coma, de donner un avis mesuré et pertinent. Bien entendu, les CCPPRB devront être composés de personnalités attentives et sensibles. La grosse difficulté des CCPPRB provient donc des attentes scientifiques, car s'ils ont une conviction forte sur la valeur de la recherche, les autres questions n'exigent pas davantage de compétence que la bonne foi et la mesure. Le thème du « renforcement » signifie par conséquent que des personnes de grande qualité devront être mobilisées sur tout le territoire pour participer aux CCPPRB. La difficulté va consister à convaincre ces personnes et à renouveler régulièrement la composition des CCPPRB. La définition de la loi ne suffit pas : il s'agira d'accompagner les CCPPRB de façon adéquate.

La personne de confiance, dont la définition revient dans différentes problématiques scientifiques (par exemple l'euthanasie), constitue un concept particulièrement embarrassant, autant pour le comité d'éthique que pour la commission des Droits de l'Homme. La question se pose de savoir s'il s'agit du porte-parole de la personne sur laquelle l'acte médical doit se porter. Je répondrais positivement à cette question, que ce porte-parole soit médicalement compétent ou non. Il est par conséquent difficile de récuser son autorité de confiance. Quoi qu'il en soit, il est préférable que la personne de confiance ne soit pas trop proche du patient, afin d'assurer la neutralité de son rôle. Le comité d'éthique n'a pas encore clairement défini sa position dans ce débat délicat.

M. le PRÉSIDENT - Messieurs les commissaires souhaitent-ils interroger Mme Questiaux ?

M. Gilbert CHABROUX - Aurons-nous communication de l'avis du comité d'éthique ? Je souhaiterais qu'il soit joint au compte-rendu de la présente audition.

M. le PRÉSIDENT - L'avis du comité d'éthique sera bien entendu joint au procès-verbal de notre séance.

M. Gilbert CHABROUX - Je vous remercie.

M. le PRÉSIDENT - En l'absence d'autres questions, je remercie Mme la ministre pour l'exposé clair de ces trois points. Le problème du consentement est particulièrement intéressant. J'ai bien conscience que nous avons ouvert la boîte de Pandore sur cette question.

Nous ne manquerons pas de refaire appel à vous, madame la ministre, ainsi qu'au comité consultatif national d'éthique si le rapporteur souhaite obtenir des renseignements complémentaires d'ici à son intervention en séance.

Je souhaite à présent accueillir Mme Pascale BRIAND. Merci encore, madame la ministre.

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