B. L'ACTION SUR LA DEMANDE : LA BAISSE DU COÛT DU TRAVAIL DANS LE SECTEUR MARCHAND

1. Les allègements de charge sur les bas salaires

a) La problématique
(1) L'effet sur l'emploi

Le Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale (CERC) avait noté dans son premier rapport, paru en février 2001, l'intérêt de concentrer les allègements de charges sur les bas salaires .

L'intérêt de concentrer les allègements de charges sur les bas salaires

Pour un montant budgétaire donné, une réduction des taux de cotisations sociales patronales produit des effets d'autant plus favorables à l'emploi qu'elle est concentrée dans le bas de la distribution des salaires , cela pour deux raisons principales.

En premier lieu, un effet d'assiette : pour un montant budgétaire donné, la baisse du coût du travail est proportionnellement plus forte lorsqu'elle est ciblée sur les bas salaire s. Toutes choses égales par ailleurs, une baisse générale des cotisations employeurs produit donc toujours moins d'effets sur l'emploi qu'une baisse ciblée dans le bas de la distribution.

En second lieu, l'emploi est plus sensible au coût du travail pour les bas salaires que pour l'ensemble des travailleurs . Une baisse du coût du travail produit des effets d'autant plus favorables sur l'emploi que le travail est substituable au capital et que la demande de biens est sensible aux baisses de prix associées aux réductions des coûts de production. Par ailleurs, les possibilités de substitution entre catégories de main-d'oeuvre doivent être également prises en considération. Les études appliquées qui ont tenté de mesurer la sensibilité de l'emploi au coût du travail concluent à des possibilités de substitution importantes entre travail qualifié et travail moins qualifié.

Ces deux facteurs, indépendants l'un de l'autre, plaident en faveur d'une concentration des allégements de cotisations employeurs dans le bas de la distribution des salaires.

En revanche, en concentrant les allégements sur une zone très étroite de salaire, on introduit un frein aux carrières salariales : le coût du travail progresse plus rapidement que le salaire brut, et ce d'autant plus que la zone de dégressivité est étroite. Cela explique qu'une dégressivité des allégements de cotisations patronales sur une plage allant de 1 à 1,8 fois le  SMIC ait été retenue pour les lois « Aubry ». La loi « Fillon » retient une plage de 1 à 1,7 fois le SMIC. En la matière, il y a un arbitrage à trouver entre coût, efficacité sur l'emploi et dynamiques salariales individuelles .

Source : d'après le rapport du CERC, février 2001

Pour sa part, la DARES a pu montrer en janvier 2000 que le seuil de croissance pour obtenir des créations d'emploi serait passé de 2,3 % dans les années quatre-vingts, à 1,5 % à partir de la seconde moitié des années quatre-vingt-dix , ce qu'elle a, en partie, attribué aux politiques d'allègement de charges.

Ces allègements sont particulièrement favorables aux PME dans la mesure où les salaires y sont généralement moins élevés. D'une façon générale, les plus grands gisements d'emploi se situent aujourd'hui dans les services tels que la restauration ou les « services à la personne », secteurs au sein desquels l'augmentation de la productivité du travail, qui se heurte à des contraintes physiques évidentes, n'évolue pas proportionnellement au SMIC.

M. Pierre Cahuc, dans une contribution au rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) intitulé « Productivité et emploi dans le tertiaire » 20 ( * ) , posant la question du coût du travail, constate que « lorsqu'une personne ne dispose pas des capacités requises pour occuper un emploi rémunéré au moins au salaire minimum, deux stratégies sont possibles pour l'intégrer dans l'emploi : diminuer le coût du travail ou bien améliorer son efficacité en la formant ».

Parvenu au terme de sa réflexion, il avance qu' « on ne doit pas attendre des dépenses publiques de formation et d'éducation non ciblées sur des populations très particulières (en l'occurrence surtout des populations jeunes défavorisées) des conséquences miraculeuses. De telles dépenses ont des rendements très limités, vraisemblablement très inférieurs à ceux d'abaissements des charges sociales pour la majorité des travailleurs faiblement qualifiés dans la situation actuelle du marché du travail français. Pour intégrer ces personnes dans l'emploi, la solution consiste sans doute à concentrer les baisses de charges sur les bas salaires, éventuellement en ciblant les baisses sur une fourchette plus étroite que la fourchette actuelle, qui s'étend jusqu'à 1,7 SMIC ».

(2) Une entrave à la hausse des bas salaires ?

Ainsi que le rapport du CERC ( supra ) en formule l'avertissement, les mesures de resserrement doivent cependant faire l'objet d'un dosage circonspect, car les dynamiques salariales sortiraient pénalisées d'une trop forte concentration des allègements sur le bas de l'échelle salariale.

En effet, les entreprises peuvent chercher à optimiser le rendement de ces mesures en embauchant de nombreux travailleurs à bas salaires et en freinant leur progression salariale pour qu'ils restent sous le seuil de 1,2 ou 1,3 fois le SMIC. Les mesures d'allègement ciblées sur les bas salaires créeraient donc des « trappes à bas salaire ».

Une étude de MM. Audenis, Laïb et Roux 21 ( * ) appréhende cette question, en mesurant la « décote » de salaire entraînée par le fait d'avoir appartenu l'année précédente à la tranche des bas salaires. Or cette « décote » ne s'accentue pas à partir de 1993, date de mise en place des premières mesures d'allègement.

L'effet de trappe ne serait donc pas prépondérant . C'est qu'en tout état de cause, les perspectives salariales des « bas salaires » ne sont jamais favorables. A cet égard, la hausse programmée du SMIC par la loi « Fillon » paraît appréciable ( infra ).

b) La politique suivie
(1) Une politique bien acclimatée

La politique d'allègement des charges sociales pesant sur les emplois peu qualifiés a connu une montée en charge progressive, notamment à partir de la mise en place, en 1993 et en 1995, de la ristourne dégressive sur les bas salaires (jusqu'à 1,3 fois le SMIC), dite « ristourne Juppé ».

Cette politique a été poursuivie avec la diminution du temps de travail organisée par les lois « Aubry » de 1998 (allègement « Aubry I »)  et 2000 (allègement « Aubry II »). Il a ainsi été accordé aux entreprises ayant fixé leur durée collective de travail à 35 heures hebdomadaires (ou 1.600 heures annuelles) une ristourne dégressive jusqu'à 1,8 fois le SMIC, à laquelle s'ajoutait, le cas échéant, une ristourne forfaitaire par salarié pour celles ayant « anticipé » le passage aux 35 heures dans le cadre de la première loi « Aubry ».

(2) L'abandon de la référence à la durée du travail par la loi « Fillon »

La loi « Fillon » a instauré à partir du 1 er juillet 2003 un dispositif absorbant la « ristourne Juppé » et l'allègement « Aubry II », qui doit mener, à compter du 1 er juillet 2005, à un dispositif unifié de réduction de cotisations patronales, dans lequel le montant de la réduction sera une fonction unique de la rémunération horaire.

Cette mesure a été élaborée dans le contexte de la nécessaire « convergence des SMIC » programmée pour le 1 er juillet 2005, et dans le souci de tenir compte d'un double impératif économique : la restauration d'un SMIC horaire unique ne devait pas occasionner de perte pour les salariés déjà passés aux 35 heures, et la revalorisation substantielle du pouvoir d'achat des minima salariaux (+ 6,5 % en moyenne de 2003 à 2005) qu'impliquait cette convergence ne devait pas porter préjudice à la compétitivité des entreprises.

(3) La pleine appréhension du coût des exonérations par le budget du travail

En 2003, le coût de cette unification, de l'ordre du milliard d'euros, avait été sans incidence sur le budget du travail , le FOREC (fonds de financement de la réforme des cotisations de sécurité sociale patronale) assurant la compensation auprès des organismes de sécurité sociale des allègements de charges décidés dans le cadre de la réduction du temps de travail et en faveur des bas salaires.

En revanche, depuis 2004, le coût du dispositif « Fillon » a été pleinement assumé par le budget du travail ( infra ).

(4) Le resserrement des exonérations autour du SMIC pour 2005

En application de l' article 74 rattaché (cf. examen infra ), au 1 er juillet 2005, l'allègement unique sera dégressif jusqu'à 1,6 fois le SMIC, et non pas 1,7  fois le SMIC comme l'avait prévu la loi « Fillon ».

2. La suppression définitive de la part salariale de la taxe professionnelle

Afin de favoriser la compétitivité des entreprises dans un sens favorable à l'emploi, il a été décidé en loi de finances pour 2003 22 ( * ) de mener à son terme la suppression progressive de la part salariale de la taxe professionnelle qu'avait engagée le précédent gouvernement depuis 1999.

3. Une nouvelle aide au profit de l'hôtellerie restauration

Grâce à la mise en oeuvre d'une aide à l'emploi d'un coût estimé à 549,5 millions d'euros pour 2005, les professionnels du secteur ont décidé de supprimer le mécanisme dit de « SMIC hôtelier » en application duquel 260.000 salariés de la branche se trouvaient rémunérés à un montant inférieur de 5,2 % au SMIC de droit commun.

La mesure de l'impact de cette aide présentera un intérêt particulier, à l'heure où il apparaît très nettement que les gisements d'emploi se situent dans les services, où il existe souvent un décalage entre salaire proposable et salaire attendu.

En effet, le rapport précité du Conseil d'analyse économique intitulé « Productivité et emploi dans le tertiaire » 23 ( * ) part du constat suivant : si la France comportait proportionnellement autant de personnes dans le commerce, l'hôtellerie et la restauration que les Etats-Unis, elle aurait 3,4 millions d'emplois supplémentaires. Et si la proportion observée en Allemagne ou au Danemark était constatée en France, 1,2 million d'emplois supplémentaires seraient créés.

Il n'est pas fortuit que M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale envisage de présenter, pour Noël, un « plan de développement du service à la personne ».

* 20 Rapport du CAE n° 49, juillet 2004.

* 21 Audenis C., Laïb N. et Roux S., « L'évolution de l'emploi faiblement rémunéré au cours des dernières années », in l'Economie Française 2002-2003, Le Livre de Poche (2002).

* 22 Tous effets confondus, la diminution des ressources du budget général correspondant à la suppression de la part salariale de la taxe professionnelle ressortait, pour 2003, à 1,83 milliard d'euros.

* 23 Rapport du CAE n° 49, de juillet 2004.

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