XI. AUDITION DE M. DOMINIQUE PERBEN, GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE
(JEUDI 31 MARS 2005)

Réunie le jeudi 31 mars 2005 sous la présidence de M. Nicolas About, président, la commission a procédé à l'audition de M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice , sur la proposition de loi n° 90 (2004-2005), adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture, relative aux droits des malades et à la fin de vie dont M. Gérard Dériot est le rapporteur .

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice , a rappelé que le texte adopté, sans aucune opposition par l'Assemblée nationale en première lecture, le 30 novembre 2004, est le fruit du travail exceptionnel de la commission d'information animée par M. Jean Leonetti, à partir du rapport de Mme Marie de Hennezel réalisé à la demande du ministère de la santé.

Il a confirmé la forte attente du corps social sur ces questions, qui s'explique par l'augmentation de l'espérance de vie et par les progrès de la médecine, qui conduisent nos concitoyens à s'interroger sur les conditions de leur décès dans l'hypothèse où, confrontés à la maladie, des choix fondamentaux s'imposeraient. Ils souhaitent mourir sans douleur, sans acharnement thérapeutique, dans le respect de la dignité, autant de valeurs qui ont été utilement reprises dans la proposition de loi.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice , a ensuite fait valoir la confusion engendrée par les approximations sémantiques qui conduisent à employer le terme d'euthanasie pour couvrir des réalités concrètes très diverses. Celui-ci s'applique ainsi au suicide assisté d'une personne dont le pronostic vital n'est pas directement engagé et qui ne peut se donner elle-même la mort pour différentes raisons, à la mort donnée volontairement et directement à une personne par compassion, à la mort par abstention médicale, avec l'intention délibérée de ne pas sauver le malade dont l'état de santé s'est aggravé, et à la mort liée à un arrêt total ou partiel des soins curatifs et des appareils de survie. Le point commun à toutes ces situations réside dans l'intention et le contexte dans lesquels un tiers agit à l'égard de la personne malade. C'est le mobile compassionnel qui conduit à parler d'euthanasie pour désigner ces actes, plutôt que d'utiliser les qualifications pénales qui leur sont normalement applicables.

Puis le ministre a rappelé l'interdit de donner la mort et fait observer que la proposition de loi n'est pas une loi sur l'euthanasie, puisqu'elle ne touche pas au code pénal. De ce fait, le comité national consultatif d'éthique, la commission nationale consultative des droits de l'homme, l'Eglise de France et bien d'autres encore approuvent le contenu du texte voté.

Il a confirmé que, devant la commission Leonetti, il avait exprimé sa préférence pour une modification du code de déontologie médicale mais qu'en inscrivant dans la loi les principes juridiques qui garantissent le droit des malades et précisent les conditions d'intervention du corps médical, les députés ont abouti à un texte équilibré : du côté du médecin, s'il n'entre pas dans sa vocation de donner la mort, mais au contraire de la préserver, il est légitime de lui assurer une plus grande sécurité juridique lorsqu'il intervient en fin de vie ; du côté des malades, il s'agit d'instaurer, si le patient le demande, une procédure collégiale de décision d'arrêt des thérapies curatives, dont ses proches seraient informés.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice , a toutefois indiqué que deux problèmes de droit subsistent encore : d'une part, l'organisation de la collégialité car si la rédaction du texte convient, elle réclame un décret d'application ; d'autre part, la question de l'applicabilité du texte aux mineurs et aux adultes protégés.

En effet, abstraction faite de l'article 7, qui exclut qu'un mineur puisse valablement rédiger des directives anticipées, aucune disposition de la proposition de loi n'explicite sa portée à l'égard des mineurs et des majeurs faisant l'objet d'une mesure de protection juridique. Puisque la loi permet l'administration des soins, mais aussi la limitation ou l'arrêt du traitement, il convient d'organiser la protection particulière des mineurs et des majeurs protégés, lorsqu'ils sont hors d'état de manifester leur volonté.

En effet, s'agissant des actes non thérapeutiques sur le corps d'un mineur ou d'un majeur protégé, le droit de la santé soit les exclut (don d'organe par une personne vivante), soit les encadre par des garanties d'un niveau élevé (don de moelle osseuse, stérilisation contraceptive d'un majeur protégé).

Le ministre a toutefois indiqué que la toute prochaine réforme des tutelles sera l'occasion de clarifier ce point.

En conclusion, M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice , a considéré que la proposition de loi est globalement équilibrée et qu'elle permettra aux professionnels de la santé de mieux exercer leurs responsabilités, tout en garantissant aux patients des conditions de fin de vie dignes. Il a souligné que, compte tenu de l'évolution rapide des progrès technologiques, la société française sera de plus en plus souvent confrontée aux drames humains de cette nature qui sont mieux surmontés lorsqu'un dialogue de qualité s'est instauré avec l'équipe médicale. Dans ce contexte, il a jugé nécessaire de renforcer le cadre juridique, au-delà du code de déontologie, et de promouvoir une éthique partagée de la fin de vie.

M. Gérard Dériot, rapporteur , a estimé à son tour que les dispositions de la proposition de loi sont équilibrées et s'est déclaré favorable à la clarification des points se rapportant au domaine pénal. Il a rappelé que, lors de son audition par la mission d'information de l'Assemblée nationale, le garde des sceaux avait évoqué une modification de l'article 37 du code de déontologie médicale et son accompagnement par une circulaire d'application adressée au parquet. Dès lors que la proposition de loi propose l'élévation, au niveau législatif, du principe de refus de l'obstination déraisonnable, il s'est interrogé sur le contenu prévisible de cette circulaire.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice , a confirmé avoir fait cette proposition au début des travaux de la commission Leonetti, mais il considère désormais que la solution retenue par les auteurs de la proposition de loi, si elle va un peu plus loin qu'il ne le pensait initialement, apparaît satisfaisante. Après avoir souligné que les soins palliatifs sont expressément mentionnés dans le texte, il a reconnu l'importance des marges d'appréciation laissées au corps médical.

M. Gérard Dériot, rapporteur , a rappelé que la position du comité national consultatif d'éthique avait évolué jusqu'à concevoir l'idée d'une « exception d'euthanasie ». Il a demandé au ministre quelles observations lui inspire cette notion.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice , s'est déclaré totalement hostile à la pratique de l'euthanasie, qu'elle soit active ou passive. Il a mis en avant l'importance de la confiance dans la relation entre un médecin et son patient, en soulignant que ce dernier doit avoir la certitude que tout est entrepris pour le guérir ou le soulager. Il a jugé que les principes de transparence, de collégialité et de dialogue avec les familles permettront de mieux définir le moment où il conviendra d'interrompre les soins d'un malade en impasse thérapeutique.

M. Gérard Dériot, rapporteur , a indiqué que la proposition de loi introduit la notion de « directives anticipées » et s'est demandé si ce mode d'expression de la volonté est entouré des garanties juridiques suffisantes. Il s'est interrogé sur l'opportunité de voir figurer ces directives dans des documents ad hoc, comme des fichiers, ou de les inclure dans le dossier médical personnel.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice , s'est prononcé contre la création d'un système de fichier centralisé, en estimant qu'une certaine souplesse doit prévaloir en cette matière. Il a considéré que les garanties juridiques nécessaires à la validité des directives anticipées s'attachent à trois aspects : l'authentification du demandeur, la vérification de l'intégrité de la volonté de la personne rédigeant la demande et la vérification de la date d'inscription.

Après avoir relevé que la proposition de loi réécrit, en réalité, une partie des dispositions figurant déjà au code de la santé, Mme Marie-Thérèse Hermange a fait référence à la jurisprudence du Conseil d'État en matière de libertés fondamentales. Elle a relevé la création de plusieurs notions nouvelles, comme celle de la personne de confiance ou celle de la collégialité, qui renvoie d'ailleurs à la réalité de l'équipe médicale. Elle a demandé si l'extension de ce principe de collégialité, ainsi développé dans le cadre de la fin de vie, ne trouvera pas bientôt à s'appliquer pour d'autres pathologies. Elle s'est enfin interrogée sur l'âge retenu ici comme celui de la majorité, sachant qu'en matière médicale, il est parfois différent de celui de la majorité civile.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice , a indiqué que la majorité civile est ici celle fixée à l'âge de dix-huit ans, et non celle de la majorité sanitaire. Il a reconnu que la proposition de loi change assurément les conditions du droit de la fin de vie, tout en relevant qu'une large partie de la jurisprudence existante se trouvera ainsi consacrée au niveau législatif.

Mme Isabelle Debré a indiqué que les dispositions relatives aux directives anticipées d'une personne en fin de vie lui posent un véritable problème de conscience, à la lumière d'un cas vécu où la personne, qui s'est finalement remise d'une très grave pathologie, aurait été privée d'assistance si l'on avait suivi de telles directives. Elle a mis en doute, à titre personnel, la nécessité de légiférer sur la fin de vie, en estimant que la noblesse et la grandeur de la médecine consistent précisément à faire face à ce type de situation.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice , a rappelé que ces directives anticipées ne constituent qu'un élément consultatif parmi d'autres, permettant d'apprécier la volonté du malade.

M. François Autain a constaté que ce texte rend licite un certain nombre d'euthanasies passives et que le garde des sceaux a tenté d'élaborer une définition de ce terme à partir d'une analyse de l'intention de la personne. Il a souligné que la répression de l'euthanasie demeure la base du droit français, tout en s'inquiétant de la grande diversité entre différents jugements rendus récemment. Après avoir estimé que la pression de l'opinion publique en faveur d'une évolution législative avait été relativement faible jusqu'ici, dans la mesure où précisément le cadre juridique actuel n'était plus respecté, il s'est demandé si une loi qui n'est pas appliquée peut être une bonne loi.

M. Nicolas About, président , a approuvé le parti pris de l'extension des droits des malades et a estimé que cette évolution contribuera à accroître la responsabilité du corps médical.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice , a considéré que la notion d'euthanasie apparaît comme un terme générique recouvrant des réalités très différentes et réaffirmé qu'à son sens, elle consiste à administrer volontairement la mort. Il s'est prononcé en faveur de la proposition de loi, dans la mesure où elle s'abstient précisément de modifier les dispositions du code pénal. Il a indiqué avoir simplement demandé au parquet d'être attentif à ces affaires et s'est déclaré convaincu qu'au-delà des directives générales, la justice sait prendre en considération les cas particuliers. Il a jugé que l'amélioration apportée par le présent texte repose essentiellement sur la promotion de la transparence venant opportunément mettre fin à une certaine hypocrisie : dans de trop nombreux établissements de soins ou de santé, la problématique de la fin de vie repose aujourd'hui sur la prise en compte de considérations éthiques incertaines, voire purement économiques.

M. Jean-Pierre Michel s'est interrogé également sur la nécessité de légiférer dans une matière aussi délicate et a souligné que le texte examiné par le Parlement ne permettra pas de régler des cas tragiques, comme celui du jeune Vincent Humbert. Il s'est inquiété de la perspective de futurs procès liés à l'absence de modification du code pénal. S'agissant des directives anticipées, il s'est préoccupé des hypothèses dans lesquelles les documents pourraient ne pas être accessibles. Il a fait part de sa surprise lors de l'ordonnance de non-lieu délivrée par le juge d'instruction du tribunal d'Evry dans l'affaire de la clinique de la Martinière et s'est enquis des raisons pour lesquelles le garde des sceaux n'a pas déposé un pourvoi. Il a constaté que, de ce fait, la loi n'a pas été appliquée et s'est demandé si la Chancellerie a adressé une circulaire en ce sens au parquet.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice , a estimé que les membres du corps médical qui respecteront les dispositions de la proposition de loi bénéficieront d'une protection juridique sinon totale, du moins largement renforcée et que seuls les actes réellement répréhensibles seront passibles de poursuites pénales. Il a précisé que les directives anticipées que les personnes majeures peuvent rédiger, pour le cas où elles seraient un jour hors d'état d'exprimer leurs volontés relatives à leur fin de vie, pourraient être consignées dans leur dossier médical. S'agissant de l'application du code pénal, il a indiqué que la Chancellerie n'a adressé aucune directive au parquet demandant de ne pas appliquer la loi. Enfin, il a considéré que la prééminence accordée à la compassion et aux émotions par le corps social ne favorisent pas un exercice serein de la justice.

Mme Bernadette Dupont a relevé le caractère essentiel de la confiance dans la relation entre le médecin et son patient et regretté que la proposition de loi tende à faire douter de la responsabilité des médecins. Elle s'est prononcée en faveur du renforcement de la prise en compte des aptitudes psychologiques et humaines dans la formation des médecins. Après avoir relevé le caractère ambivalent du principe de collégialité, elle s'est inquiétée du cas des mineurs et des majeurs protégés : ayant pris acte de l'information suivant laquelle la question pourrait être réglée dans le cadre de la future loi portant réforme du régime des tutelles, elle a demandé comment il sera possible de tenir compte des personnes manquant de discernement, alors même que l'objectif des pouvoirs publics semble être de réduire le nombre de personnes placées sous tutelle. Enfin, elle a considéré que l'intitulé du projet de loi, « droits des malades et fin de vie », devrait plutôt être le suivant : « droits des malades en fin de vie ».

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice , s'est félicité de l'apport positif du principe de collégialité, qui tend à promouvoir le dialogue entre les médecins. Il a indiqué, par ailleurs, que l'objectif de la future réforme des tutelles ne tendra pas à diminuer le nombre des personnes placées dans cette situation, actuellement 600.000 dans notre pays, mais plutôt à lutter contre la dérive consistant à utiliser ce type d'instrument juridique pour résoudre d'autres problèmes, notamment sociaux, comme le montre l'exemple fréquent des personnes surendettées.

M. Nicolas About, président , a estimé que le titre du projet de loi trouve son explication dans le fait que plusieurs dispositions s'adressent respectivement aux personnes maintenues en état végétatif, mais dont le pronostic vital n'est pas engagé, d'une part, et à celles choisissant de rédiger, parfois longtemps à l'avance, des directives anticipées pour le cas où elles seraient un jour hors d'état d'exprimer leur volonté, d'autre part. De ce fait, le texte ne concerne pas que les personnes effectivement en fin de vie.

M. Dominique Leclerc s'est interrogé sur l'opportunité d'adopter une législation en la matière. Il s'est prononcé en faveur d'une plus grande protection juridique des membres du corps médical qui, in fine, assument la responsabilité de faire face à de tels cas de conscience. Il a rendu hommage à la noblesse et à la grandeur du rôle des médecins et estimé que l'on ne parviendra jamais à encadrer totalement une pratique comme celle de l'euthanasie.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice , a reconnu que l'interrogation sur la nécessité de légiférer en cette matière est légitime, mais que, pour autant, il lui semble nécessaire, compte tenu de l'évolution de la société, de réaffirmer l'autorité de la loi et la responsabilité du législateur. Il a confirmé l'analyse suivant laquelle les dispositions de la présente proposition de loi n'aboutissent pas à rendre licites les pratiques médicales mises en évidence dans les affaires médiatisées du type de celle de Vincent Humbert.

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