X. AUDITION DE M. JEAN LEONETTI, DÉPUTÉ, RAPPORTEUR DE LA PROPOSITION DE LOI RELATIVE AUX DROITS DES MALADES ET À LA FIN DE VIE
(MERCREDI 30 MARS 2005)

Réunie le mercredi 30 mars 2005 sous la présidence de M. Nicolas About, président , la commission a procédé à l'audition de M. Jean Leonetti, député, président et rapporteur de la mission d'information sur l'accompagnement de la fin de vie, rapporteur de la commission spéciale chargée d'examiner la proposition de loi relative aux droits des malades et à la fin de vie .

M. Nicolas About, président , a souligné la très grande qualité de la réflexion conduite par la mission d'information de l'Assemblée nationale consacrée à la fin de vie. A partir de ces travaux, la commission des affaires sociales du Sénat s'est attachée, pour sa part, à entendre l'opinion de personnes qui n'auraient pas fait l'objet d'une audition par l'Assemblée nationale afin de compléter son information.

M. Jean Leonetti a tout d'abord déclaré que c'est avec plaisir qu'il a constaté que le travail réalisé par la mission d'information de l'Assemblée nationale avait été qualifié de « sénatorial ». Il y voit la reconnaissance d'un travail sérieux, conduit avec lenteur, gravité et prudence. Cette mission, instituée dans le contexte émotionnellement difficile de l'affaire Humbert, comprenait trente et un députés qui, au-delà de leurs croyances éthiques ou religieuses, ont parfois été confrontés au sujet lors de la mort d'un proche. Les auditions menées ont été nombreuses, plus de quatre-vingt-dix, toujours riches, parfois dérangeantes et ont entraîné la remise en cause de bien des convictions.

Si des difficultés sont apparues au moment d'écrire le texte de la proposition de loi, certaines convergences se sont dégagées et un consensus s'est imposé autour d'une approche humaniste détachée de tout esprit de rivalité entre un camp ou un autre, qu'il s'agisse de celui des laïcs sur les religieux ou de celui de la droite sur la gauche.

La mission a en effet estimé que le maintien du statu quo était intolérable car hypocrite : le bilan de la situation actuelle révèle une profonde disparité des pratiques et certaines inégalités, seule la moitié des départements, par exemple, étant dotée de soins palliatifs. Le premier axe de travail a donc consisté à assurer, par la loi, l'égalité des chances face à l'accès à une mort digne. Le second s'est attaché à résoudre le conflit apparent de valeurs entre le droit à l'autonomie de chacun et au respect de sa volonté vis-à-vis de sa propre vie d'une part et le respect de la valeur suprême que constitue la vie, d'autre part.

M. Jean Leonetti a fait valoir que le corps médical se trouve désormais surpris par sa propre puissance vis-à-vis de la vie et de la mort et que, parfois désorienté, il réclame de pouvoir bénéficier d'un cadre d'actions. Il a également constaté que la société actuelle nie la mort et refuse le deuil, souvent à cause de la peur de mourir, ou plutôt de la peur de mal mourir, dans des conditions de souffrance ou de dégradation physique et morale qui altèrent l'image que le malade se fera de lui même à la fin de sa vie.

La mission d'information de l'Assemblée nationale a exploré la piste de l'euthanasie, en étudiant notamment la notion d'exception d'euthanasie qui figure dans les travaux du comité consultatif national d'éthique. Mais, a déclaré M. Jean Leonetti, le consensus dégagé sur cette notion résulterait en fait d'une ambiguïté au sein du comité, chaque membre ayant eu tendance à l'interpréter dans un sens favorable à ses convictions. La mission d'information a, pour sa part, mis en évidence que les termes d'exception d'euthanasie ne concernent pas autre chose qu'une option procédurale pénale qui existe déjà dans le droit français.

Sur cet aspect, il a insisté sur le fait que l'audition de M. Robert Badinter avait assuré la mission dans l'idée de placer ses travaux hors du champ pénal : celui-ci a en effet fait valoir que la vie est un droit constitutionnel et qu'inscrire, au sein du code pénal, la notion d'euthanasie pourrait être une source de conflits graves. L'audition de M. Bernard Kouchner a ensuite incité la mission à explorer la voie d'une modification du code de la santé publique pour compléter, de manière significative, la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades.

Puis M. Jean Leonetti a présenté les sujets qu'il a semblé opportun d'évoquer dans le texte. Le premier porte sur la question des traitements destinés à lutter contre la douleur mais qui peuvent, de manière indirecte, entraîner la mort du patient. Il a précisé que l'intention de la commission spéciale en charge de l'examen du texte à l'Assemblée nationale a été d'assurer la transparence et la proportionnalité de ces traitements. Il a également signalé que le terme de « souffrance » a été volontairement préféré à celui de « douleur ». Il a insisté sur le fait que l'Assemblée nationale a tenté, par cet article, un exercice de précision et de vérité, qui aurait d'ailleurs pu être inscrit au sein du code de déontologie médicale, puisqu'il y figure déjà de manière fractionnée.

Le deuxième sujet de débat entre les membres de la mission a été celui du refus de soins. L'hypothèse du malade conscient ne soulève guère de difficultés lorsqu'il est, médicalement parlant, en fin de vie. Sur ce point, la commission spéciale a souhaité éviter que le mourant se voie voler ses derniers instants par des soins invasifs et inutiles et elle a prévu, en conséquence, qu'il appartiendra au malade de dominer sa fin de vie, notamment par le choix de traitements plus doux.

Le problème est autre lorsque le malade est conscient, mais n'est pas en fin de vie. Le droit en vigueur dispose que le médecin doit alors convaincre le patient de poursuivre le traitement indispensable à sa survie, ce qui aboutit, dans la réalité, à ce que la maladie impose au patient ce traitement. La proposition de loi a donc souhaité préciser qu'aucun traitement ne pourra être imposé, tout en introduisant des garanties fortes : le recours à une procédure collégiale préalable à l'arrêt du traitement et l'introduction d'un délai de réflexion raisonnable, permettant d'écarter les situations d'urgence de cette hypothèse d'arrêt des soins.

Il a cependant fait observer que les difficultés suscitées par l'alimentation artificielle n'étaient alors pas résolues, car l'hypothèse de son interruption est souvent la cause des réticences de ceux dont les convictions religieuses sont les plus fortes. Toutefois, les propos tenus devant la commission spéciale, tant par le cardinal Barbarin que par le père Verspieren, ont permis de lever les oppositions, car ils ont tous deux condamné l'acharnement thérapeutique et l'alimentation artificielle forcée. De même, le grand rabbin Joseph Sitruk n'a pas approuvé le principe de traitements qui maintiennent artificiellement la vie.

Puis M. Jean Leonetti a abordé les difficultés spécifiques posées par la situation des malades inconscients, les membres de la mission s'étant interrogés sur les limites du maintien en vie du malade pour lequel aucune amélioration de son état n'est possible. Il a tout d'abord insisté sur le risque pénal existant pour les réanimateurs qui prendraient la décision d'un arrêt de soins à l'égard de ces patients. Ces difficultés seront désormais levées, grâce à l'introduction du principe de collégialité de la prise de décision d'interruption des traitements et à l'inscription, dans la loi, de la faculté de rédiger des directives anticipées. Cette faculté s'adresse tout particulièrement à un certain nombre de malades, notamment ceux qui ont pu savoir, lors du diagnostic de leur maladie, par exemple la maladie de Charcot, dans quelle situation physique ils risqueraient de se trouver au stade ultime de leur maladie. Les directives anticipées permettront à ces patients d'indiquer à l'avance l'étape supplémentaire du traitement qu'ils ne souhaitent pas franchir. Il a insisté sur le fait que, pour conserver toute leur valeur, ces directives doivent avoir un caractère indicatif et être réversibles.

En conclusion, il a précisé que certains députés ont eu le sentiment d'aller jusqu'aux limites autorisées par leur conscience et leur foi tandis que d'autres n'ont considéré le travail accompli que comme une première étape à compléter ultérieurement. Il a fait valoir, enfin, que ce texte a aussi une vocation méthodologique, la démarche retenue ayant été fortifiée lors d'un déplacement de la mission d'information en Hollande, où les différents praticiens et associations avaient incité les parlementaires à rechercher un consensus et à élaborer une loi conforme à l'éthique de la France.

M. Nicolas About, président , a rappelé les propos tenus devant la commission des affaires sociales du Sénat par le grand rabbin Michel Gugenheim, qui avait fait valoir que les transactions acceptables en fin de vie n'étaient légitimées qu'au nom du respect de la vie elle-même.

M. Gérard Dériot, rapporteur , a souligné combien le travail accompli par la mission d'information de l'Assemblée nationale a été guidé par des considérations relatives à l'intérêt général et à la nécessité de doter la France d'un cadre global destiné à permettre de traiter les cas particuliers qui peuvent se présenter. Il a souhaité que le consensus apporté au texte par l'Assemblée nationale puisse se manifester également au Sénat. Il a ensuite demandé les raisons pour lesquelles le texte ne précise pas si ses dispositions sont applicables aux mineurs et majeurs sous tutelle, mise à part la disposition relative à la rédaction des directives anticipées, qui constitue une prérogative expressément réservée aux personnes majeures. Il a ensuite observé qu'une hiérarchisation est imposée entre les informations émanant de la personne de confiance et celles figurant dans les directives anticipées et s'est interrogé sur l'opportunité d'instaurer la prévalence de ces dernières. Il a enfin demandé s'il est clairement confirmé que la procédure collégiale d'interruption des traitements est applicable aux personnes qui, sans pouvoir physiquement exprimer leur volonté, ne sont pas, stricto sensu, en fin de vie.

Mme Sylvie Desmarescaux s'est également préoccupée du bien-fondé de prévoir une hiérarchie entre les dispositions figurant dans les directives anticipées et le témoignage apporté par la personne de confiance, celles-là l'emportant sur celui-ci.

M. Jean Leonetti a déclaré que l'opportunité d'instaurer une hiérarchie entre le témoignage de la personne de confiance et les dispositions contenues dans les directives anticipées du malade avait fait l'objet d'un vrai débat au sein de la mission d'information. L'option finalement retenue a eu pour but de renforcer le rôle de la personne de confiance pour éviter les conflits familiaux potentiels, en cas de désaccord entre les proches du malade. Toutefois, il s'agit, dans l'esprit du texte, d'une « prééminence molle » des directives anticipées sur la personne de confiance, car l'objectif recherché par le législateur doit être de favoriser l'émergence d'un consensus entre l'ensemble des parties concernées, les proches, le patient, à travers la rédaction de ses directives, et l'équipe médicale.

M. Nicolas About, président , a insisté sur la nécessité d'affirmer que la décision finale revient au médecin, car le choix ferait peser une responsabilité écrasante pour la famille, et il est essentiel que celle-ci n'ait pas le sentiment d'avoir elle-même tranché.

Sur la question de l'applicabilité des dispositions de la proposition de loi aux mineurs et aux majeurs sous tutelle, M. Jean Leonetti a considéré que le texte est, en l'état, suffisamment clair et qu'il leur est également destiné, du fait de son insertion dans le code de la santé publique.

Sur ce point, Mme Marie-Thérèse Hermange a fait observer que les dispositions de la proposition de loi sont à son sens largement redondantes avec des dispositions figurant déjà dans le code de la santé publique. Elle a toutefois admis que ce texte s'inscrit dans une logique qui lui est propre.

Mme Isabelle Debré a fait valoir que l'égalité des chances entre les patients n'existe plus lorsque ces derniers sont inconscients. Elle a fait part de ses doutes sur l'opportunité de légiférer sur cette question de la fin de vie et s'est déclarée hostile au dispositif des directives anticipées, estimant qu'il appartient au médecin de décider en dernier ressort de l'attitude à tenir.

M. Alain Gournac a souhaité que l'évolution de la législation sur la fin de vie n'entraîne pas d'effets pervers, notamment au détriment des personnes âgées.

M. Gilbert Barbier s'est enquis de l'incidence de la collégialité sur la conscience des médecins et des conséquences possibles de la proposition de loi sur les poursuites pénales éventuelles exercées à l'encontre des praticiens. Il s'est associé aux propos tenus par M. Alain Gournac tendant à condamner l'idée que la jeunesse du malade justifierait qu'on se batte davantage pour le maintenir en vie.

M. Nicolas About, président , a fait valoir que la proposition de loi a également pour objet d'éviter les abus existants et de ramener la sérénité nécessaire à ce débat en plaçant les professionnels de santé devant des responsabilités clairement établies.

M. Jean Leonetti a déclaré qu'une des raisons pour lesquelles l'Assemblée nationale a adopté cette proposition de loi tient à la nécessité de mettre fin au scandale des euthanasies non voulues, qui existent encore notamment en cancérologie ou en gériatrie. Concernant les directives anticipées, il a insisté sur le fait que le médecin prend, en dernier ressort, la décision et endosse donc la responsabilité du choix. Il a ensuite fait observer que, lors d'une longue maladie, l'équipe soignante, comme la famille, peuvent être confrontées, avant le malade lui-même, à une situation d'épuisement moral. En instaurant la collégialité, la proposition de loi vise à éviter les pratiques clandestines actuelles, qui sont indéfendables. Il s'est enfin déclaré vivement opposé à ce que des considérations économiques interviennent dans la prise de décision d'arrêter un traitement.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page