IX. AUDITION DE M. PHILIPPE DOUSTE-BLAZY, MINISTRE DES SOLIDARITÉS, DE LA SANTÉ ET DE LA FAMILLE (MARDI 29 MARS 2005)

Réunie le mardi 29 mars 2005 , sous la présidence de M. Nicolas About, président, la commission a procédé à l'audition de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des solidarités, de la santé et de la famille , sur la proposition de loi n° 90 (2004-2005), adoptée par l'Assemblée nationale, relative aux droits des malades et à la fin de vie dont M. Gérard Dériot est le rapporteur .

En préambule, M. Philippe Douste-Blazy, ministre des solidarités, de la santé et de la famille, s'est déclaré heureux de défendre devant le Sénat une proposition de loi relative aux droits des malades et à la fin de vie, adoptée à l'unanimité, en première lecture, par l'Assemblée nationale, le 3  novembre 2004. Fruit du travail d'une mission d'information, cette proposition s'appuie sur le rapport de Mme Marie de Hennezel réalisé à la demande du ministère de la santé et qui poursuit désormais sa mission aux côtés du Gouvernement.

Il a ensuite constaté qu'aujourd'hui, des milliers de personnes confrontées à leur vie finissante souhaitent vivre leurs derniers moments le plus dignement et le plus humainement possible. Chacun veut mourir sans douleur, sans angoisse excessive, sans acharnement thérapeutique, recevoir des soins de vie adaptés et ne pas être seul au moment de sa mort.

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des solidarités, de la santé et de la famille , a observé que le cadre légal donné par les lois du 9 juin 1999 et du 4 mars 2002 permet de répondre largement à ces préoccupations, puisque tout médecin se doit de prendre en compte la douleur et de la traiter, d'accompagner le malade, de lui assurer une vie digne jusqu'à la mort, d'éviter toute obstination déraisonnable. Pourtant, malgré ces avancées législatives et les progrès faits ces dernières années par le traitement de la douleur et les soins d'accompagnement, la peur de souffrir, d'être seul ou abandonné continue d'émouvoir le corps social.

Il a constaté que des confusions persistent dans le grand public, comme chez les professionnels de santé, autour des termes d'« euthanasie » ou d'« aide à mourir », tendant à faire accroire que la seule manière humaine et digne de mourir consiste à demander « le geste qui tue ». Il a déploré que ces confusions sémantiques soient utilisées par les sondages, estimant qu'il va de soi que chacun récuse à la fois l'idée d'une mort dans des souffrances extrêmes et la perspective d'un maintien en vie artificielle lorsque tout espoir de guérison est abandonné. Il a estimé que, si chacun veut légitimement être aidé au moment de sa mort, cela ne signifie pas pour autant que la majorité de la population soit favorable à l'euthanasie.

Pour toutes ces raisons, une clarification des textes est nécessaire, car les progrès de la médecine ont rendu la fin de vie plus complexe, en permettant qu'elle soit prolongée par toutes sortes de moyens, dans des conditions que les malades et les familles jugent parfois indignes. Désormais, on pourra corriger ces excès en autorisant les médecins à arrêter ou à limiter les traitements devenus pénibles ou inutiles, quand le patient le demandera. En théorie, les textes juridiques existants - code de déontologie médicale, loi sur les soins palliatifs et sur les droits des malades - interdisent déjà aux médecins l'obstination déraisonnable, mais les dispositions du code pénal sur la non-assistance à personne en danger peuvent être opposées à un praticien qui déciderait d'interrompre un traitement : la proposition de loi vise à corriger cette dysharmonie, en prévoyant qu'on puisse « laisser mourir », démarche différente de celle consistant à « donner la mort ».

On pourrait certes objecter que le résultat est le même et qu'il serait hypocrite de distinguer entre le fait de donner la mort et celui de ne pas l'empêcher. M. Philippe Douste-Blazy, ministre des solidarités, de la santé et de la famille, s'est opposé à cette analyse, comme le fait, d'ailleurs, la majorité des professionnels de santé. La différence est éthique : elle réside dans l'intention qui préside à l'acte. Permettre la mort consiste à s'incliner devant une réalité inéluctable et si le geste d'arrêter un traitement, et donc souvent d'administrer des antalgiques ou des sédatifs, a cet effet, l'intention poursuivie est de restituer à la mort son caractère naturel, de soulager, et non pas de tuer. Il a insisté sur l'importance de cette distinction pour les soignants dont le rôle n'est pas de donner la mort, ainsi que pour la confiance qui les lie à leurs patients.

Il a ensuite souligné avec force que la proposition de loi ne propose pas de légiférer sur l'euthanasie : elle ne modifie pas le code pénal et maintient l'interdit de tuer. Il a, à cet égard, noté que le comité national consultatif d'éthique, l'Eglise de France et d'autres organes de réflexion religieuse ou éthique ont approuvé sans réserve le texte voté par l'Assemblée nationale.

En conclusion, il a déclaré que si le Sénat adoptait ce texte, la France serait dotée d'une législation équilibrée et intelligente en la matière, qui constituerait une vision de la société et de son évolution éthique et morale. Il a insisté sur le signal fort que constituerait, pour l'ensemble des Français, son vote dans les mêmes termes que l'Assemblée nationale : celui d'une représentation nationale rassemblée autour des grands enjeux de société, des conditions de la vie et de la mort.

M. Gérard Dériot, rapporteur , a souhaité savoir si, au regard de l'évolution des droits des malades au cours des cinq dernières années, les dispositions figurant dans la proposition de loi sont véritablement nécessaires et ne risquent pas, au contraire, d'amoindrir la relation de confiance entre le malade et le médecin.

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des solidarités, de la santé et de la famille , a estimé que la proposition de loi complète les textes existants et confirme la position française, originale et ouverte, du refus de l'obstination déraisonnable et de l'euthanasie. Il a insisté sur les réalités de la médecine moderne : la société de l'information a une influence grandissante dans les relations entre les patients et les médecins, la toute-puissance des professeurs de médecine de l'après-guerre s'effaçant désormais pour laisser la place à des professionnels qui partagent et expliquent davantage. Dès lors, la loi doit intégrer cette évolution, comme l'a fait précédemment la loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades. Il a insisté sur le fait que la proposition de loi en discussion aborde, avec intelligence, l'un des sujets sociétaux les plus difficiles que constitue le rapport à la mort.

Il a enfin observé qu'afin d'éviter une juridiciarisation excessive, au travers de procédures et de conflits qui ne sont que le résultat du silence de la loi, des précisions doivent être apportées et un cadre fixé. En conséquence, il a estimé que la proposition de loi, loin de créer le doute, contribuera à restaurer la confiance par l'ouverture du dialogue.

M. Gérard Dériot, rapporteur , s'est interrogé sur les conséquences de la réforme de la tarification hospitalière sur le financement de la prise en charge des soins palliatifs.

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des solidarités, de la santé et de la famille , a précisé que les moyens nouveaux consacrés aux soins palliatifs sont à mettre au crédit de la volonté gouvernementale, notamment dans le cadre du Plan cancer, d'améliorer l'accès de tous à ces soins. Il a indiqué, par ailleurs, que la nouvelle tarification hospitalière fixe trois tarifs de groupes homogènes de séjour pour les soins palliatifs : un tarif standard et deux tarifs différents selon que le patient se trouve ou non en unité spécialisée au sein d'un service. Ce dispositif témoigne du fait que les souhaits des professionnels en la matière ont été entendus et que les spécificités de chaque situation ont été prises en compte.

M. Gérard Dériot, rapporteur , s'est interrogé sur l'opportunité de faire figurer les directives anticipées au sein du dossier médical personnel.

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des solidarités, de la santé et de la famille , a observé, en premier lieu, que les directives anticipées appartiennent à la personne, et à elle seule, et devront être accessibles aux médecins à un moment précis. Il a rappelé que ces directives, pour être valables, devront avoir été rédigées moins de trois ans avant l'état d'inconscience du malade et demeurer révocables à tout moment.

Mme Bernadette Dupont a fait valoir qu'il serait pertinent de changer les termes de l'intitulé de la proposition de loi pour remplacer son titre « droits des malades et fin de vie » par celui de « droits des malades en fin de vie ». Elle s'est en outre inquiétée que les dispositions de l'article 5, consacrées à l'arrêt de traitement, puissent s'appliquer à une personne handicapée n'étant pas, médicalement parlant, en fin de vie.

M. Jean-Pierre Michel a considéré que les dispositions de la proposition de loi permettent des avancées certaines, mais il s'est interrogé sur les raisons ayant conduit à se limiter au cas des malades en fin de vie. Il a déploré que ce texte n'ait pas constitué l'occasion de répondre à une demande émanant de personnes qui ne sont ni malades, ni en fin de vie.

M. Guy Fischer a fait observer que l'unanimité du vote du texte par l'Assemblée nationale suscite une réflexion légitime sur l'opportunité d'amender la proposition de loi. Il a reconnu la grande qualité de la réflexion menée sur « le droit au laisser mourir », mais a considéré que cette proposition ne satisfait pas les partisans d'une aide active à la mort. Il a en conséquence demandé au ministre si le texte peut à son sens être encore amélioré ou si l'on doit considérer que l'essentiel du travail législatif a été accompli par l'Assemblée nationale.

M. Alain Gournac a tout d'abord jugé nécessaire de préserver les médecins des poursuites abusives dont ils pourraient être victimes. Il a jugé que la proposition de loi organise une situation d'équilibre et a souhaité que celle-ci ne soit pas remise en cause.

M. Bernard Seillier s'est inquiété de la potentielle dissymétrie permise par le texte entre l'arrêt de soins, dont il est abondamment traité, et l'insuffisance de soins, à son sens insuffisamment prise en compte. Il s'est en outre interrogé sur l'opportunité de faire une distinction entre l'alimentation artificielle et les autres traitements.

Mme Sylvie Desmarescaux s'est montrée préoccupée par le fait d'accorder aux directives anticipées une valeur supérieure à celle du témoignage apporté par la personne de confiance, considérant que le changement de situation vécu par le malade peut le conduire à modifier le contenu des directives exprimées lorsqu'il était en bonne santé.

Mme Marie-Thérèse Hermange a souscrit aux propos de M. Bernard Sellier sur le fait que l'insuffisance des soins est faiblement traitée par la proposition de loi. Elle a observé, en outre, que la lecture du code de la santé publique laisse apparaître que plusieurs dispositions de la proposition de loi seraient redondantes avec le droit déjà en vigueur. En conséquence, elle a demandé si une solution alternative pertinente n'aurait pas consisté à modifier le code de déontologie.

M. Jean-Pierre Cantegrit s'est félicité du fait qu'il n'existe pas d'endroits spécifiquement réservés à la dispense des soins palliatifs. Il a souhaité que la formation des praticiens à ces soins dans les services généraux soit améliorée.

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des solidarités, de la santé et de la famille, a tout d'abord observé que la proposition de loi s'inscrit dans une volonté délibérée de s'adresser aux malades en fin de vie et de ne pas remettre en cause l'interdit de tuer. La loi ayant pour objet de fixer des bornes strictes aux comportements des patients et des médecins, il n'aurait pas été justifié d'étendre aux personnes handicapées, qui ne sont pas en fin de vie, les dispositions du texte, sauf dans des cas très particuliers. Il a estimé que la proposition de loi refuse tout à la fois le statu quo et l'euthanasie et propose de fixer un nouvel équilibre, en améliorant les droits des patients au refus d'un traitement et en limitant les prérogatives des médecins par l'instauration d'une collégialité.

Il a ensuite fait valoir que l'objectif implicite de la proposition de loi est d'organiser un temps du dialogue entre famille, médecin et patient. Si le malade doit toujours conserver le dernier mot sur les soins qui lui sont dispensés, l'acharnement thérapeutique doit, lorsqu'il est inconscient, être évité dans le consensus et non dans l'affrontement.

Puis il a observé que les dispositions du code pénal alimentent toujours aujourd'hui la crainte des réanimateurs et que le texte en discussion propose, dans le souci de résoudre un conflit de droit, une harmonisation des différents codes existants. Il a enfin insisté sur la nécessité de développer la formation des praticiens aux soins palliatifs et la diffusion de ces soins dans certaines régions encore mal pourvues.

Mme Marie-Thérèse Hermange a fait valoir que les soins palliatifs s'adressent également au patient résidant à son domicile et s'est interrogée sur les dispositions existantes pour aider les familles dans cet accompagnement.

M. André Vézinhet a rappelé les actions menées de longue date à Montpellier pour la reconnaissance des soins palliatifs. Il s'est interrogé sur le financement du développement de ceux-ci.

M. Nicolas About, président , a observé qu'un grand malade est d'abord une personne qui pense qu'elle va guérir, de même qu'un mourant est d'abord un vivant. Il a souhaité que puisse être instauré « un temps de l'homme », aux côtés du « temps des soins ». Il a appelé à la reconnaissance universitaire des soins palliatifs, à travers la création d'une chaire consacrée à la formation des praticiens. Il a estimé que l'important n'est pas seulement de mourir dans de bonnes conditions médicales, mais surtout de ne pas mourir dans la solitude et l'abandon. Dans cet objectif, il est impératif de redonner une place aux familles, ce que ne permettent que les trop rares hôpitaux qui accordent aujourd'hui un droit de visite permanent aux parents.

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des solidarités, de la santé et de la famille , a également déploré que la technicité de la médecine soit parfois telle que l'enjeu humain passe au second plan. Il a admis la nécessité d'une reconnaissance des soins palliatifs dans les cursus universitaires et a indiqué qu'il saisirait M. François Fillon, ministre de l'éducation nationale, de cette importante question.

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