VIII. TABLE RONDE « FIN DE VIE ET DROIT PÉNAL :
FAUT-IL LÉGIFÉRER ? »

MM. Philippe LAGAUCHE, directeur adjoint à la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice, Jean-François PASCAL, procureur de la République au Tribunal de grande instance d'Evry, Didier REBUT, professeur de droit pénal à l'Université Paris II, et Mme Geneviève SCHAMPS, professeur à la Faculté de droit de l'Université catholique de Louvain
(mercredi 9 mars 2005)

M. Nicolas About, président , a rappelé que l'ensemble des sénateurs a été convié à participer à la table ronde qui réunit aujourd'hui M. Philippe Lagauche, directeur adjoint à la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice, M. Jean François Pascal, procureur de la République au Tribunal de grande instance d'Evry, M. Didier Rebut, professeur de droit pénal à l'Université Paris II, et Mme Geneviève Schamps, professeur à la Faculté de droit de l'université catholique de Louvain.

M. Gérard Dériot, rapporteur, a voulu connaître l'opinion de M. Didier Rebut, en sa qualité de pénaliste, sur les dispositions de la proposition de loi. Il a souhaité savoir si ce texte permettrait de résoudre les difficultés d'articulation souvent évoquées entre le droit pénal et le code de déontologie médicale.

M. Didier Rebut a insisté sur l'ignorance du droit pénal actuel en matière de pratiques médicales et des risques de pénalisation entraînés par certaines de ces pratiques. Il a observé que la proposition de loi ne va pas jusqu'à une dépénalisation de l'euthanasie, mais il a reconnu qu'elle crée une permission de la loi ou un fait justificatif spécial qui empêchera, dans certains cas, l'application du droit pénal.

S'adressant à Mme Geneviève Schamps, M. Gérard Dériot, rapporteur, s'est enquis du contenu de la législation belge sur les droits des patients et l'euthanasie.

Mme Geneviève Schamps a expliqué que la législation belge repose principalement sur trois lois : celle du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie, celle du 14 juin 2002 relative aux soins palliatifs et celle du 22 août 2002 relative aux droits du patient.

Elle a d'abord énuméré les principales garanties apportées par la loi relative aux droits du patient : droit au libre choix du praticien, à l'information sur son état de santé, à un consentement libre et éclairé, à l'accès direct à son dossier médical, à la médiation et enfin droit à des prestations de qualité, ce qui intègre la notion de refus de l'acharnement thérapeutique déraisonnable.

Elle a ensuite insisté sur un aspect important de ce texte : le droit, pour un patient, de refuser ou de retirer son consentement à subir un traitement, même si cette décision peut avoir des conséquences négatives sur son état de santé ou sa survie. L'exercice de ce droit suppose que le médecin délivre une information claire et complète sur les conséquences possibles de ce refus ou de ce retrait du consentement, qui doit être écrit et consigné dans le dossier médical du malade.

Mme Geneviève Schamps a indiqué que la législation belge prévoit également un droit au refus anticipé d'une intervention déterminée, qui doit s'exercer toujours par écrit lorsque le patient est entièrement conscient. Elle a toutefois reconnu que la législation belge manque de précisions sur trois points : elle n'exige pas l'information préalable du patient sur les conséquences de ce refus anticipé, elle ne prévoit pas de délai de validité pour ces directives anticipées et elle est insuffisamment précise sur la notion « d'intervention déterminée ». Abordant la question des interventions en urgence, elle a indiqué qu'en cas d'incertitude sur la volonté du patient, la loi oblige le médecin à pratiquer tout acte médical nécessaire à la sauvegarde des intérêts du patient.

Elle a ensuite évoqué la question de la représentation des patients mineurs, ceux sous tutelle ou, plus généralement, ceux dans l'impossibilité d'exercer leurs droits. Pour les majeurs incapables de s'exprimer, la loi prévoit la possibilité de désigner un mandataire chargé d'exercer, en leur nom, l'ensemble de leurs droits. Ce mandataire ne doit pas être confondu avec la personne de confiance, également instituée par la législation belge, dont le rôle se limite à assister le patient dans ses relations avec le corps médical. Elle a observé qu'en l'absence de mandataire désigné, la loi établit une liste hiérarchisée des proches habilités à exercer les droits du patient. Elle a enfin indiqué que le médecin est autorisé à déroger à la décision du représentant lorsque celui-ci ne respecte manifestement pas les intérêts du patient.

S'agissant des patients mineurs, elle a souligné que la législation belge distingue deux cas, en fonction de la capacité de l'enfant ou de l'adolescent à apprécier, raisonnablement ou non, ses intérêts. Lorsque le mineur n'est pas en mesure de le faire, ses droits sont exercés par ses parents ou son tuteur, en associant l'enfant suivant son âge et sa maturité. Elle a précisé qu'à l'inverse, les mineurs aptes à apprécier leurs intérêts peuvent exercer de façon autonome les droits du patient énumérés par la loi.

M. Nicolas About, président, a demandé à connaître l'expérience de M. Jean François Pascal, en sa qualité de procureur de la République, sur la pratique du droit pénal en matière de fin de vie.

M. Jean-François Pascal a évoqué l'affaire de la clinique de la Martinière, qui s'est soldée par un non-lieu, insistant sur le fait que cette procédure avait obligé les magistrats à sortir du cadre habituel d'exercice du droit pénal et avait posé un cas de conscience à de nombreux professionnels.

Il a rappelé que cet établissement avait pour vocation d'accueillir des personnes âgées lourdement dépendantes, nécessitant des soins médicaux et paramédicaux constants incluant la pratique des soins palliatifs. Indiquant que les faits incriminés remontaient aux années 1996 à 1999, il a expliqué que ceux-ci étaient par conséquent antérieurs aux textes récents encadrant la pratique des soins palliatifs. Il a également souligné que cette affaire avait débuté par un conflit du travail et que l'instruction avait dû largement clarifier le dossier afin d'en dégager le point-clé, à savoir la question de la pratique des soins palliatifs.

Il a indiqué que, sur quarante dossiers initialement suspects, le Parquet en avait retenu neuf, pour lesquels il avait demandé une expertise approfondie sur la question du dosage des cocktails de médicaments administrés aux patients. Il a reconnu qu'un doute avait subsisté pour trois dossiers mais que les experts avaient conclu à l'absence de surdosage volontaire et donc à l'absence d'intention criminelle.

Revenant sur le non-lieu prononcé dans cette affaire, il a expliqué que ce jugement reposait sur des justifications différentes pour le Parquet et pour le juge d'instruction : le Parquet s'était fondé sur les résultats des expertises, alors que le juge d'instruction s'était appuyé sur les textes législatifs plus récents concernant les soins palliatifs et la question du double effet de certaines thérapeutiques.

M. Nicolas About, président, s'est étonné du nombre limité de contentieux judicaires relatifs aux droits des malades et à la fin de vie, même au niveau du Conseil d'État et de la Cour de cassation.

M. Gérard Dériot, rapporteur, a souhaité savoir s'il existe des données chiffrées à ce sujet, la justice ne semblant effectivement saisie, à l'initiative des familles, que dans un tout petit nombre d'affaires.

Bien qu'il n'existe pas, dans les statistiques judiciaires, de qualification juridique permettant d'identifier spécifiquement ce type de contentieux, M. Philippe Lagauche a confirmé la faiblesse numérique des jugements qui s'y rapportent au regard d'un nombre de décès potentiellement concerné que l'on peut évaluer à 100.000 par an. Il a indiqué que l'importance accordée par les médias à quelques affaires emblématiques tend à occulter cette tendance générale et que la chancellerie s'était même interrogée, lors des travaux préparatoires de la présente proposition de loi, sur l'utilité de prévoir un nouveau dispositif législatif. Il a estimé qu'il convient de concilier au mieux plusieurs principes fondamentaux qui, pour être généralement complémentaires, se révèlent parfois contradictoires : le maintien de la pénalisation des homicides volontaires, le devoir pour les médecins de soulager les souffrances de leurs malades et l'impératif de fournir un cadre juridique approprié au corps médical. Sur ce dernier point, il a reconnu l'importance de l'aspiration des médecins à une plus grande sécurité juridique, tout en précisant qu'elle trouvait naturellement sa limite dans la nécessité de se prémunir contre un risque éventuel de déresponsabilisation des praticiens qui pourrait résulter de la définition de lignes de conduite trop précises.

Compte tenu du faible développement de ce type de contentieux dans notre pays et de l'apport fourni tant par le code de déontologie médicale que par les dispositions de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, M. Philippe Lagauche a considéré que le droit français applicable en matière de fin de vie n'est pas caractérisé par un phénomène de vide réglementaire, mais que fait néanmoins défaut une prise en compte des traitements palliatifs « à double usage », destinés à soulager la douleur tout en ayant pour effet d'accélérer la fin des personnes mourantes. Il a indiqué que le ministère de la justice avait initialement défendu une approche minimaliste, qui aurait simplement consisté à intégrer cette notion dans le code de déontologie médicale, car il est possible, par ce biais, d'ôter par voie législative le caractère répréhensible d'une infraction pénale.

Après avoir souligné que la présente proposition de loi remplira parfaitement cet objet, il a ensuite fait part de plusieurs observations sur le périmètre des dispositions qui ont été votées en première lecture. Il a estimé souhaitable que les articles prévoyant l'expression de la volonté des malades en phase terminale d'une affection incurable comportent une référence au pronostic vital du patient en fin de vie. S'agissant plus particulièrement de l'article premier, il s'est interrogé sur le choix consistant à placer, parmi les dispositions générales du code de la santé publique, la suspension ou l'interruption d'un acte médical apparaissant inutile, disproportionné ou n'ayant d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie. Il s'est également demandé si l'on ne peut pas juger trop large une consécration, dans la loi, du droit au refus de tout traitement d'une part, et des dispositions relatives aux personnes en état végétatif, lesquelles ne sont pas nécessairement en fin de vie, d'autre part. Il a considéré, en définitive, que si le principe même de la proposition de loi n'appelle pas d'objection particulière, les modalités choisies pour mettre en oeuvre les principes qu'elle expose vont peut-être un peu trop loin.

Après avoir demandé si les affaires judiciaires récentes ont donné lieu à des divergences d'approche entre le ministère public et les juges d'instruction, M. Jean Jacques Hyest, président de la commission des lois , a souhaité savoir si l'assouplissement du droit d'interrompre certains traitements, permettant le cas échéant aux médecins d'abréger les souffrances de leurs malades, était de nature à éviter d'éventuelles analyses contradictoires.

M. Jean-François Pascal a estimé que le texte crée effectivement, pour les praticiens, les conditions plus larges d'un arrêt des soins aux malades, et ce, suivant des modalités dignes et honorables, admissibles par tous. Il a ajouté qu'au-delà d'un meilleur encadrement juridique des pratiques médicales, la problématique de la fin de vie relèvera toujours d'une appréciation au cas par cas.

Après avoir fait part de son intérêt pour l'appréciation formulée par le ministère de la sur l'article premier de la proposition de loi, M. Jean-Pierre Michel a souhaité savoir si ce dispositif est de nature à résoudre les affaires en cours. Il a considéré que deux interprétations sont concevables : la première tendant à limiter strictement la portée du texte aux seuls malades en fin de vie, la seconde lui donnant un sens plus large allant jusqu'à inclure, par exemple, l'affaire Vincent Humbert.

M. Philippe Lagauche a indiqué que l'intégration des dispositions de l'article premier au sein de l'article L. 1110-5 du code de la santé publique a pour conséquence de ne pas limiter aux seules personnes en fin de vie le champ d'application de l'interdiction de poursuivre des soins médicaux par obstination déraisonnable. Il a par ailleurs observé que la rédaction retenue ici va beaucoup plus loin que celle figurant actuellement dans le code de déontologie médicale, en dépassant la notion de bilan coût/avantage du traitement des patients et en étant même susceptible de s'appliquer à des malades sans leur consentement.

M. Nicolas About, président, a souligné que l'article premier de la proposition de loi fait expressément référence aux personnes mourantes, c'est-à-dire celles qui continuent à faire partie des vivants, mais dont le pronostic vital est engagé. Les autres situations relèvent de cas de figures différents.

Mme Isabelle Debré s'est interrogée sur les contours de la définition de la fin de vie.

M. Philippe Lagauche a indiqué que la notion de fin de vie repose sur l'existence d'un pronostic vital défavorable à court terme, ce qui exclut donc le cas des personnes souffrant de la maladie d'Alzheimer ou des malades atteints du Sida.

Mme Bernadette Dupont a mis en avant la difficulté de déterminer le stade de la fin de vie et le risque de voir euthanasiée une personne se trouvant dans un état végétatif.

M. Jean-Pierre Michel a souhaité savoir si la chancellerie ou le parquet général avaient formulé des observations dans l'affaire Vincent Humbert.

M. Jean-François Pascal a répondu qu'il n'y avait rien eu de tel et que, de toute façon, le traitement de ce type d'affaire plaçait nécessairement chaque juge devant sa conscience. Soulignant que la question de l'euthanasie se pose naturellement en permanence, il a mis en avant l'extrême difficulté du travail des magistrats, en relevant l'exemple de l'appréciation des dosages des cocktails médicamenteux de soins palliatifs.

S'adressant à Mme Geneviève Schamps, M. Nicolas About, président, est revenu sur le droit belge accordant aux malades l'accès à des prestations de qualité. Evoquant l'exemple vécu d'une personne décédée dans une maison de convalescence faute de soins quotidiens suffisamment attentifs, il s'est inquiété du sort de ceux qui, fatigués et âgés, souffrent dans des structures comparables d'une absence générale d'attention pouvant les conduire rapidement à se trouver en situation de fin de vie, sans réel motif médical. Il a considéré qu'au-delà des seules modalités de soins palliatifs, la problématique de la fin de vie demande que la société réfléchisse à la question de l'accompagnement des personnes âgées et des mourants.

Mme Geneviève Schamps a indiqué que la politique suivie en Belgique repose sur un ensemble très large d'actions d'accompagnement du patient, dans le domaine tant psychologique que médical, ainsi que dans celui de la formation des personnels soignants. Après avoir observé que l'objectif recherché doit être précisément de tout faire pour éviter que n'apparaissent de telles situations de détresse, elle a précisé qu'au développement des structures de soins palliatifs s'ajoute la mise en oeuvre de service à domicile.

Revenant sur le faible nombre de plaintes judiciaires déposées, M. Didier Rebut a indiqué qu'il s'était lui-même tout d'abord interrogé sur la nécessité d'adopter un texte législatif sur la fin de vie, avant d'en être convaincu pour trois raisons : la prise en compte de la judiciarisation toujours croissante des rapports sociaux, qui renforce les attentes des citoyens à l'égard du juge pénal ; l'évolution des données médicales ; la plus grande efficacité d'une disposition législative par rapport à une construction jurisprudentielle dont le processus de constitution apparaît nécessairement plus lent.

M. Nicolas About, président, a fait valoir qu'un malade a des droits et n'est pas un simple objet de soins. Après avoir mis en avant la réalité de nombreux cas de patients en fin de vie qui se voient administrer des cocktails lithiques d'une façon prématurée, il a jugé légitime de définir avec précision l'étendue de la responsabilité des membres du corps médical.

Mme Geneviève Schamps a indiqué qu'elle partage le sentiment qu'il convient, à côté du renforcement du cadre juridique de la fin de vie, de développer également l'écoute des personnels soignants et le contact avec les familles. Elle a jugé par ailleurs nécessaire de recueillir à temps, auprès des malades, leurs directives anticipées concernant les conditions de la limitation ou de l'arrêt d'un traitement.

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