Article 146
(art. L. 652-1 à
L. 652-4 nouveaux du code de commerce)
Nouveau chapitre II du titre V
du livre VI du code de commerce instituant une obligation en paiement des
dettes sociales -
Procédure applicable
Le présent article, modifié par l'Assemblée nationale, a pour objet de créer une nouvelle action en responsabilité à l'encontre des dirigeants tendant à les soumettre à une obligation en paiement des dettes sociales appelée à se substituer à l'actuelle « extension-sanction » des procédures collectives aux dirigeants ayant commis des agissements particulièrement répréhensibles.
1. Le droit en vigueur
Actuellement , l'article L. 624-5 du code de commerce prévoit de sanctionner les dirigeants de droit ou de fait, rémunérés ou non, d'une personne morale soumise à une procédure collective lorsque ceux-ci ont commis certaines fautes graves en ouvrant une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire à leur encontre. Sont visées les hypothèses suivantes :
- abus de bien social ;
- exercice d'une activité commerciale dans un intérêt personnel sous le couvert de la personne morale ;
- usage des biens ou du crédit de la personne morale contraire à l'intérêt de celle-ci aux fins personnelles du dirigeant ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans lequel le dirigeant est intéressé directement ou indirectement ;
- poursuite abusive, dans un intérêt personnel, d'une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale ;
- tenue d'une comptabilité fictive, disparition de documents comptables de la personne morale ou défaut de tenue de toute comptabilité conforme aux règles légales ;
- détournement ou dissimulation de tout ou partie de l'actif de la personne morale ou augmentation frauduleuse de son passif ;
- tenue d'une comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions légales.
La mise en oeuvre de cette extension-sanction est réservée aux mêmes personnes que celles habilitées à saisir le tribunal pour intenter une action en comblement de l'insuffisance d'actif' 329 ( * ) . Le tribunal est libre de décider de prononcer cette sanction.
2. Les modifications proposées par le projet de loi
L'annexe du présent projet de loi ( tableau I ) propose d'abroger l'article L. 624-5 du code de commerce. Ce dispositif ne disparaît toutefois pas complètement puisque le présent article instaurerait une nouvelle sanction qui s'en inspire partiellement, dénommée « obligation en paiement des dettes sociales », plus adaptée à l'esprit de la présente réforme et dont les règles seraient regroupées sous un chapitre II du titre V du livre VI du code de commerce composé de cinq articles (articles L. 652-1 à L 652-5).
L'Assemblée nationale, sur la proposition de M. Xavier de Roux, rapporteur, avec l'avis favorable du Gouvernement, a adopté un amendement de pure forme compte tenu de la réécriture de l'annexe du projet de loi ( tableau II ).
? Le texte proposé pour l'article L. 652-1 - Nature juridique et cas d'ouverture de l'action en paiement des dettes sociales
Le texte proposé pour l'article L. 652-1 tend à ouvrir la faculté pour le tribunal de condamner l'un des dirigeants , de droit ou de fait, ayant commis une faute particulièrement grave au paiement de la totalité des dettes d'une personne morale.
Ce dispositif s'apparente à une action en comblement de passif aggravée puisque le tribunal n'aurait plus de pouvoir d'appréciation sur le montant de la sanction pécuniaire.
Cette procédure diffèrerait de l'action en comblement de passif sur deux points :
- les conditions dans lesquelles cette sanction pourrait être demandée seraient limitées à l'hypothèse d'une liquidation judiciaire ;
- la faute commise par le dirigeant devrait avoir contribué à la cessation des paiements 330 ( * ) .
Les cas d'ouverture de cette action reprendraient la plupart de ceux énoncés par l'article L. 624-5 abrogé. Deux hypothèses seraient supprimées :
- la tenue d'une comptabilité fictive ou la disparition de documents comptables de la personne morale,
- l'absence de tenue d'une comptabilité conforme aux règles légales.
Pour ces deux faits, les dirigeants demeureraient néanmoins passibles de la banqueroute (article L. 626-2 renuméroté article L 654-2) 331 ( * ) et de la faillite personnelle (article L. 653-5) 332 ( * ) .
A l'initiative de MM. Xavier de Roux, rapporteur au nom de la commission des lois et Philippe Houillon, le Gouvernement s'en étant remis à la sagesse, l'Assemblée nationale a préféré laisser au tribunal la possibilité de moduler le montant des sommes mises à la charge du dirigeant plutôt que d'imposer une obligation de paiement de la totalité de dettes. Cette initiative se justifie par le souci de donner au tribunal une marge de manoeuvre plus grande pour apprécier chaque situation particulière.
Au cours de leur audition devant votre rapporteur, les principales organisations représentant la profession d'avocat ont fait valoir que cette modification tendait à atténuer la distinction entre l'action en comblement de passif et la nouvelle obligation aux dettes sociales, ce qui militait en faveur d'une fusion de ces deux sanctions.
Sensible à cet argument, votre commission tient cependant à souligner que le dispositif initial -trop rigide- risquait d'être très pénalisant pour le débiteur. Telle est la raison pour laquelle il paraît plus raisonnable de laisser au tribunal une liberté d'appréciation suffisamment grande pour prononcer une sanction réaliste et adaptée à la situation du débiteur.
Afin de permettre une bonne articulation entre l'action en comblement de passif et l'action en paiement des dettes sociales, votre commission vous propose de compléter ce dispositif par une précision. Actuellement, les règles de cumul des sanctions patrimoniales résultent de la jurisprudence. En effet, la Cour de cassation a interdit à une juridiction de condamner cumulativement un dirigeant au comblement de passif et d'ouvrir à son encontre une procédure collective à titre de sanction 333 ( * ) . Elle a cependant autorisé que le tribunal puisse être saisi de ces deux actions 334 ( * ) .
A la lumière de cette jurisprudence et en vue d'éviter des difficultés de mise en oeuvre du présent article, votre commission vous propose de compléter le présent article par un amendement pour prévoir l'impossibilité d'introduire une demande en comblement de l'insuffisance d'actif dans les cas visés au présent article . Cet ajout paraît particulièrement nécessaire compte tenu des modifications adoptées par les députés.
? Le texte proposé pour l'article L. 652-2 - Modalités en cas de pluralité des dirigeants
Le texte proposé pour l'article L. 652-2 définit les modalités de l'action en paiement des dettes sociales lorsque plusieurs dirigeants sont fautifs. Il prévoit ainsi la possibilité pour le tribunal de condamner chaque dirigeant fautif en fonction de la faute de chacun. Une exception serait posée à ce principe de proportionnalité de la condamnation, le tribunal, par décision motivée, pouvant déclarer les dirigeants responsables in solidum .
L'Assemblée nationale a approuvé ce dispositif auquel elle n'a apporté qu'une modification marginale, sur la proposition de sa commission des lois avec l'avis favorable du Gouvernement, pour remplacer le terme « in solidum » par l'expression « solidairement ». Elle a fait valoir que le régime juridique de l'obligation solidaire comportait moins d'incertitude que celui applicable à l'obligation in solidum défini uniquement par la jurisprudence et ne produisant pas tous les effets de la solidarité, notamment en matière de prescription.
? Le texte proposé pour l'article L. 652-3 - Répartition des sommes versées
Le texte proposé pour l'article L. 652-3 définit les modalités d'affectation du produit de l'action en paiement des dettes sociales. Les sommes recouvrées seraient affectées au désintéressement des créanciers selon l'ordre des sûretés. Le texte proposé pour l'article L. 652-4 prévoit une durée de prescription fixée à trois ans identique à celle de l'action en comblement de passif. De même, le délai à compter duquel cette prescription commencerait à courir serait fixé à la date du jugement qui prononce la liquidation judiciaire.
? Le texte proposé pour l'article L. 652-5 - Mise en oeuvre de l'action, pouvoir d'investigation du tribunal et mesures conservatoires
Le texte proposé pour l'article L. 652-3 définit les modalités de saisine du tribunal, le pouvoir d'investigation du tribunal et les mesures conservatoires à l'égard des biens des dirigeants par un renvoi aux règles prévues pour l'action en comblement de passif (articles L. 651-3 et L. 651-4).
Votre commission vous propose d'adopter l'article 146 ainsi modifié .
* 329 L'administrateur, le représentant des créanciers, le commissaire à l'exécution du plan, le liquidateur ou le procureur de la République (article L. 624-6 du code de commerce).
* 330 Et non à l'insuffisance d'actif.
* 331 Voir infra, le commentaire de l'article 160 du projet de loi.
* 332 Voir supra, le commentaire de l'article 152 du projet de loi.
* 333 Ch. commerciale, 17 novembre 1992 et ch. commerciale, 5 février 2002.
* 334 Ch. commerciale, 14 octobre 1997.