CHAPITRE II
DISPOSITIONS RELATIVES À LA
SAUVEGARDE
Le chapitre II constitue l'innovation majeure du présent projet de loi dans la mesure où il tend à instituer une nouvelle procédure judiciaire de traitement des difficultés des entreprises, appelée « procédure de sauvegarde ». Celle-ci, permettrait à un débiteur de bénéficier, à sa seule initiative, d'un traitement judiciaire de ses difficultés avant que n'intervienne sa cessation des paiements.
L'architecture de cette nouvelle procédure emprunterait néanmoins très largement au régime actuellement défini pour la procédure de redressement judiciaire, sous réserve de certaines caractéristiques propres :
- le débiteur resterait « aux commandes » de son entreprise, l'administrateur désigné ne pouvant pas exercer de mission d'administration ;
- les licenciements éventuels des salariés de l'entreprise obéiraient au droit commun, le régime dérogatoire actuellement prévu dans le cadre du redressement judiciaire étant inapplicable ;
- les personnes physiques coobligées ou ayant souscrit un engagement de caution personnelle ou une garantie autonome pourraient se prévaloir des stipulations du plan de sauvegarde arrêté par le tribunal ;
- l'organisation de comités de créanciers, inspirés des dispositions du « chapter 11 » du titre 11 du code fédéral américain, marquerait en outre l'originalité de cette procédure qui tente de faire renaître, avec une fortune qu'on peut espérer meilleure, la pratique des concordats qui avait été abandonnée lors de la réforme opérée par la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaire des entreprises ;
- le tribunal ne pourrait pas prononcer de mesures de faillite personnelle ou d'interdiction de gérer à l'encontre des dirigeants ayant sollicité l'ouverture de la procédure.
La procédure de sauvegarde serait organisée par les dispositions du titre II du livre VI du code de commerce, entièrement réécrites par le présent chapitre.
Article 12
(art. L. 620-1 du code
de commerce)
Conditions d'ouverture et objet de la procédure de
sauvegarde
Cet article, modifié à la marge par l'Assemblée nationale, a pour objet de définir les conditions d'ouverture et l'objet de la nouvelle procédure de sauvegarde instituée par le présent projet de loi.
Son premier paragraphe (I) , qui avait pour objet de créer, au sein du livre VI du code de commerce, un titre II intitulé : « De la sauvegarde », a été supprimé par l'Assemblée nationale par coordination avec l'insertion du tableau II dans l'annexe du projet de loi.
Son second paragraphe (II) , maintenu par l'Assemblée nationale, réécrirait entièrement l'article L. 620-1 du code de commerce,
1. Les conditions d'ouverture de la procédure
Aux termes de la première phrase du premier alinéa du texte proposé pour rédiger l'article L. 620-1 du code de commerce, deux innovations majeures marqueraient la nouvelle procédure.
- En premier lieu, la procédure de sauvegarde ne pourrait être ouverte qu'à l'initiative du débiteur .
Il s'agit, pour le débiteur, de choisir lui-même de bénéficier d'un traitement judiciaire de ses difficultés. De ce point de vue, la procédure de sauvegarde se rapprocherait, dans son esprit, d'une mesure de prévention en ce sens que, tout comme les procédures de mandat ad hoc et de conciliation instituées par les articles L. 611-3 et L. 611-4 du code de commerce dans leur rédaction issue du présent projet de loi, nul autre que le débiteur lui-même n'en pourrait solliciter l'ouverture.
En revanche, cette nouvelle procédure se démarquerait des procédures de redressement et de liquidation judiciaires régies respectivement par les articles L. 631-1 et suivants ainsi que L. 640-1 et suivants du code de commerce, dans leur rédaction issue du présent projet de loi. En effet, ces dernières pourraient, tout comme à l'heure actuelle, également être ouvertes, à la diligence d'un créancier, du ministère public ou, le cas échéant, d'office par le tribunal.
- En second lieu, la procédure de sauvegarde pourrait être ouverte en présence de « difficultés susceptibles de conduire [le débiteur] à la cessation des paiements ». Ainsi, pour la première fois en droit français, une procédure judiciaire de traitement des difficultés des entreprises pourrait intervenir avant la cessation des paiements.
Cette possibilité modifierait donc l'architecture retenue par le législateur lors de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 qui avait fait de l'état de cessation des paiements du débiteur le critère unique de distinction entre, d'une part, la prévention des difficultés des entreprises, soumise à un régime d'essence contractuelle même si l'intervention du juge pouvait être demandée et, d'autre part, le traitement des difficultés de l'entreprise qui ne pouvait intervenir que dans le cadre d'une procédure ouverte, contrôlée et close par le juge.
Bien qu'il s'agisse également d'une procédure destinée à anticiper la cessation des paiements, le critère proposé pour l'ouverture de la procédure de sauvegarde différerait de celui-ci retenu par l'article 5 du présent projet de loi à l'égard de la procédure de conciliation. En effet, aux termes du texte proposé par cet article pour rédiger l'article L. 611-4 du code de commerce, la conciliation pourrait être ouverte à la demande du débiteur qui éprouve « une difficulté juridique, économique ou financière, avérée ou prévisible ».
La nature des difficultés pouvant conduire à la cessation des paiements du débiteur ne serait pas précisée. Toutefois, comme dans le cadre de la procédure de conciliation, il faut convenir qu'elle pourrait être tant juridique, que financière ou économique. Cependant, il importe que les difficultés rencontrées aient des répercussions comptables et financières pour l'entreprise dans la mesure où celles-ci doivent être susceptibles de conduire le débiteur à la cessation des paiements.
La notion de cessation des paiements n'est pas définie par le texte proposé pour rédiger l'article L. 620-1 du code de commerce car l'article L. 631-1 du code de commerce, dans la rédaction proposée par l'article 99 du présent projet de loi, continuerait de la définir comme l'impossibilité pour le débiteur « de faire face à son passif exigible avec son actif disponible ». Cette notion emblématique du droit des procédures collectives resterait donc une notion comptable, caractérisée par une panne de trésorerie du débiteur .
La différence majeure par rapport au critère d'ouverture de la procédure de conciliation serait que les difficultés rencontrées par le débiteur devraient être avérées - et non pas seulement prévisibles. C'est ce qu'implique l'obligation faite au débiteur de « justifier », vis à vis du juge, de l'existence de difficultés susceptibles de le conduire à la cessation des paiements. Aussi peut-on constater que la procédure de sauvegarde ne devrait pouvoir être déclenchée qu'en cas d'une situation aggravée du débiteur par rapport au premier critère d'ouverture de la procédure de conciliation.
En définitive, l'architecture des procédures retenue par le projet de loi donnerait au débiteur une liberté de choix, en présence de difficultés similaires, entre :
- d'une part, une procédure d'essence contractuelle -la conciliation- dans laquelle il négociera, hors de toute procédure réellement contraignante, un accord amiable avec ses créanciers dont les effets seront, s'il le souhaite, renforcés grâce à une « constatation » du président du tribunal ou à une homologation du tribunal ;
- d'autre part, une procédure d'essence judiciaire -la sauvegarde-, dans laquelle, à l'instar de la procédure de redressement judiciaire actuelle, un plan serait arrêté en dernier lieu par le tribunal, le cas échéant avec l'accord de certains de ses créanciers réunis en comités.
L'imprécision du critère des « difficultés susceptibles de conduire à la cessation des paiements » suscite cependant une certaine perplexité . Il donne en effet au débiteur une très grande latitude pour décider de solliciter l'ouverture de la procédure . Cette latitude apparaît d'ailleurs d'autant plus grande que le contrôle du juge sur le respect de ce critère par le débiteur, s'il est implicite -puisqu'il revient au seul juge de décider de l'ouverture de la procédure selon des modalités qui sont définies à l'article 15 du projet de loi-, ne pourra que très difficilement s'opérer en pratique.
Votre commission juge nécessaire, pour limiter les effets d'aubaine qui pourraient survenir, de préciser que la procédure de sauvegarde ne pourrait être sollicitée que si les difficultés rencontrées par le débiteur sont « de nature à le conduire », à la cessation des paiements.
En effet, contrairement au droit américain qui n'exige, pour l'ouverture d'une procédure de réorganisation, que l'existence de dettes du débiteur sans que leur nature ou leur volume ait à être caractérisé, il semble indispensable que le débiteur soit, à tout le moins, dans une situation suffisamment difficile pour que, si aucune mesure de protection judiciaire n'était prise, il se trouve rapidement face à une panne de trésorerie qui caractérise la cessation des paiements. Il convient en effet d'éviter que des débiteurs pouvant manifestement faire face à leurs difficultés sans craindre réellement la cessation des paiements limitent indûment les droits légitimes de leurs créanciers et bénéficient au surplus d'une intervention de l'Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS).
Votre commission vous propose, en conséquence, un amendement en ce sens.
2. L'objet de la procédure
L'objet de la procédure de sauvegarde serait défini par la seconde phrase du premier alinéa du texte proposé pour l'article L. 620-1 du code de commerce. Elle serait destinée à « faciliter la réorganisation » -terme qui dénote l'influence de la législation américaine, qui institue également une procédure de « reorganization »- de l'entreprise dans le but d'atteindre trois objectifs :
- la poursuite de l'activité de l'entreprise ;
- le maintien de l'emploi ;
- et l' apurement du passif.
Simultanément, la procédure aurait donc à concilier des objectifs qui, à première vue, peuvent sembler contradictoires et rejoignent ceux de l'actuelle procédure de redressement judiciaire qui, aux termes de l'article L. 620-1 du code de commerce dans sa rédaction actuelle, est destinée à permettre le maintien de l'activité et de l'emploi ainsi que l'apurement du passif. En ce sens, la procédure de sauvegarde ne s'inscrirait aucunement en rupture par rapport à la législation actuelle.
Dans ces conditions, la hiérarchie qui s'est imposée dans la pratique judiciaire entre les différents objectifs devrait être préservée. Le maintien de l'activité économique serait conservé comme priorité, le maintien de l'emploi devant être assuré dans la mesure du possible, et l'apurement du passif intervenant dans un dernier temps.
La procédure de sauvegarde partagerait d'ailleurs les objectifs susvisés avec la nouvelle procédure de redressement judiciaire qui serait définie par l'article L. 631-1 du code de commerce dans sa rédaction issue de l'article 99 du présent projet de loi. En revanche, deux différences majeures distingueraient les deux procédures :
- le critère d'ouverture de la procédure : de simples difficultés de nature à conduire à la cessation des paiements pour la procédure de sauvegarde ; un état de cessation des paiements avéré pour la procédure de redressement judiciaire ;
- les personnes habilitées à solliciter l'ouverture de la procédure : le seul débiteur, dans le cadre de la procédure de sauvegarde ; le débiteur, tout créancier, le ministère public ou le tribunal lui-même, s'agissant de la procédure de redressement.
3. Le déroulement de la procédure
La procédure de sauvegarde serait une procédure judiciaire , à la différence de la procédure de conciliation. Ouverte par jugement, elle donnerait lieu, comme le prévoirait le second alinéa du texte proposé pour l'article L. 620-1, à l'élaboration d'un plan , lui-même arrêté par le tribunal, à l'issue d'une période d'observation .
Le schéma retenu par cette nouvelle disposition serait, pour l'essentiel, calqué sur l'actuelle procédure de redressement judiciaire, prévue par l'article L. 620-1 dans sa rédaction actuelle. Il serait d'ailleurs repris dans les dispositions nouvelles relatives au redressement judiciaire, figurant à l'article 99 du projet de loi. En revanche, la possibilité pour le plan de prévoir la sauvegarde de l'entreprise par voie de cession globale ne serait pas prévue, ce qui se justifie par la nature même de la procédure qui tend à éviter de déposséder le débiteur et ses dirigeants de la propriété et de la conduite de l'entreprise.
Pour marquer l'une des nouveautés majeures de cette procédure -nouveauté qui s'appliquerait également à la procédure de redressement résultant du présent projet de loi- l'Assemblée nationale a, à l'initiative de sa commission des lois et avec l'accord du Gouvernement, tenu à préciser qu'elle pouvait donner lieu, le cas échéant, à la constitution de deux comités de créanciers, en application des articles L. 626-26 et L. 626-27 du code de commerce dans leur rédaction issue de l'article 92 du présent projet de loi.
Votre commission vous propose d'adopter l'article 12 ainsi modifié.