B. LES ENJEUX DE LA NÉGOCIATION ENTRE LES PARTENAIRES SOCIAUX

En 2004, le Parlement a souhaité inciter les partenaires sociaux à négocier une réforme de la branche AT-MP. L'article 54 de la loi n° 2004-810 du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie dispose en effet que « les organisations professionnelles d'employeurs et les organisations syndicales de salariés représentatives au plan national sont invitées, dans un délai d'un an après la publication de la présente loi, à soumettre au Gouvernement et au Parlement des propositions de réforme de la gouvernance de la branche accidents du travail et maladies professionnelles ainsi que, le cas échéant, d'évolution des conditions de prévention, de réparation et de tarification des accidents du travail et des maladies professionnelles ».

Le délai d'un an prévu dans la loi n'a pas été respecté puisque les négociations entre les partenaires sociaux n'ont pas encore été ouvertes. Elles devraient toutefois l'être très prochainement : selon Jean-René Buisson, président de la commission Protection sociale du Mouvement des entreprises de France (Medef), une première rencontre avec les syndicats devrait être organisée d'ici quelques semaines. Par ailleurs, le Gouvernement a mis à la disposition des partenaires sociaux une mission d'appui de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), présidée par Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, afin de faciliter le déroulement des négociations.

Il est bien sûr difficile d'anticiper ce que seront les résultats de la négociation. Mais il peut être utile de souligner ce qu'en seront vraisemblablement les principaux enjeux.

? La réforme de la gouvernance de la branche AT-MP devrait faire l'objet de débats. Il n'existe pas en effet aujourd'hui de véritable conseil d'administration de la branche AT-MP, mais une simple commission qui dépend de la CNAM.

? Un deuxième thème de réflexion devrait porter sur la tarification des cotisations d'accidents du travail et de maladies professionnelles . Le système de tarification a aujourd'hui atteint un très haut degré de complexité - il n'existe pas moins de trois cents taux différents de cotisation - qui lui a fait perdre en lisibilité. Une simplification du dispositif, autour d'un nombre de taux plus réduit, apparaîtrait donc bienvenue.

Le système de tarification est aussi critiqué pour son caractère insuffisamment incitatif à la prévention des risques professionnels. En principe, la tarification évolue en fonction du taux de sinistralité observé dans une entreprise, de sorte que les cotisations sont plus lourdes pour les entreprises peu performantes en matière de santé et de sécurité au travail.

Une mission de l'Igas a cependant estimé, en s'appuyant sur des simulations, que « la contribution du dispositif actuel de tarification à la réduction des risques ne peut être que limitée. En effet, même pour les entreprises de plus de 200 salariés tarifées individuellement, le système ne produit, pour les accidents courants, que des écarts de taux limités même dans le cas de situations de sinistralité très contrastées. Le dispositif ne différencie vraiment les taux que pour les accidents graves, alors même que ceux-ci sont, heureusement, relativement rares et ne peuvent donc de ce fait servir de support à une politique générale d'incitation. Bien évidemment, ce constat est amplifié dès lors que la tarification comporte une dimension collective ; or la tarification collective a une part prédominante dans le système actuel. La mission constate également que les performances en matière de prévention ne se répercutent pleinement qu'après un long délai dans les taux pratiqués » 6 ( * ) .

La mission ajoute qu' « il est probable que l'entreprise qui privilégie la prévention est aujourd'hui défavorisée au plan économique par rapport à celle qui la néglige » . Elle considère également que « le dispositif de tarification n'est [...] pas piloté comme une composante d'une politique générale de prévention » .

Face à ce constat, l'Igas trace deux perspectives de réforme qui pourraient inspirer les partenaires sociaux :

- elle suggère, en premier lieu, d'accroître significativement la part de la tarification individualisée, afin de responsabiliser davantage les entreprises, sans que cette mesure affecte cependant les entreprises de moins de cinquante salariés, seuil en deçà duquel les événements ne sont pas statistiquement significatifs ;

- elle propose, en second lieu, de fonder la tarification non plus sur les coûts d'indemnisation mais sur un indice de sinistralité : les coûts ne seraient pas une base pertinente dans la mesure où ils survalorisent des événements exceptionnels (accidents ou maladies graves) et minorent les événements courants, qui sont pourtant plus révélateurs d'un éventuel défaut de sécurité dans l'entreprise.

Il pourrait également être envisagé de différencier la tarification selon les secteurs d'activité, compte tenu des disparités qui existent en matière de risque professionnels entre les grandes entreprises industrielles, des secteurs de la chimie et de la sidérurgie par exemple, et les entreprises de services.

La commission AT-MP de la CNAM réfléchit quant à elle à un mécanisme de bonus/malus qui permettrait de moduler les cotisations en fonction du nombre de sinistres et qui pourrait exercer la même incitation à la prévention.

? Un dernier thème, qui a fait l'objet d'importantes réflexions depuis quelques années, est celui du niveau de la réparation accordée aux victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles .

La réparation est actuellement versée sur une base forfaitaire et couvre donc rarement l'intégralité du préjudice subi, ce qui est peu conforme aux principes généraux du droit de la responsabilité civile, qui visent à replacer la victime dans la situation qui aurait été la sienne si le dommage n'avait pas eu lieu. En outre, la création du Fiva, qui a précisément pour mission d'assurer une réparation intégrale du préjudice subi par les victimes de l'amiante, a créé une inégalité de traitement entre ces malades et ceux qui souffrent d'autres pathologies et qui restent régis, de ce fait, par les règles de droit commun.

La généralisation de la réparation intégrale des risques professionnels aurait cependant un coût élevé, proche de 3 milliards d'euros pour le seul régime général, selon l'estimation figurant dans le rapport Laroque de mars 2004 7 ( * ) . Il est peu probable que les représentants patronaux, qui souhaiteraient que la réforme se fasse à enveloppe budgétaire constante, donnent leur accord à une telle évolution.

* 6 « Tarification des accidents du travail et des maladies professionnelles », rapport n° 2004-17 de Pierre-Louis Bras et Valérie Delahaye-Guillocheau, novembre 2004.

* 7 « La rénovation de la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles », rapport du comité de pilotage de la réforme des accidents du travail, présidé par Michel Laroque, mars 2004.

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