B. LE PROJET DE LOI PROROGEANT L'ETAT D'URGENCE ET LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES LOIS

1. Le projet de loi transmis au Sénat

Le projet de loi prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 comporte trois articles.

Conformément aux articles 2 et 3 de la loi du 3 avril 1955, la prorogation au delà de douze jours de l'état d'urgence ne peut être autorisée que par la loi qui fixe la durée définitive de l'état d'urgence. Le décret n° 2005-1386 du 8 novembre 2005 étant entré en vigueur le 9 novembre 2005, à zéro heure, ce délai de douze jours expire le 21 novembre 2005 à la même heure.

L'article premier du présent projet de loi tend à proroger pour une période trois mois à compter du 21 novembre l'état d'urgence déclaré sur le territoire métropolitain par le décret n° 2005-1386 du 8 novembre 2005.

L'état d'urgence devrait donc prendre fin au plus tard le 21 février 2006. Une durée de trois mois n'est pas excessive par rapport aux applications précédentes de l'état d'urgence qui ont prévu des durées plus longues, notamment en 1985 pour la Nouvelle-Calédonie 6 ( * ) .

Certes, l'accalmie constatée depuis quelques jours peut laisser espérer un retour prochain à une situation normalisée. Mais les raisons à l'origine de ces violences urbaines n'auront pas disparu ni même baissé en intensité. Le calme s'il revient rapidement peut néanmoins être considéré comme fragile.

Le maintien de l'état d'urgence pendant trois mois doit permettre aux forces de l'ordre de disposer en cas de nécessité des outils supplémentaires qu'il offre.

L'article 2 du présent projet de loi prévoit que l'article 11 (1°) de la loi du 3 avril 1955, qui permet de procéder à des perquisitions à domicile de jour et de nuit, s'appliquerait pendant ces trois mois.

Conformément à l'article 11 de cette loi, seule une disposition expresse du décret déclarant l'état d'urgence ou de la loi le prorogeant peut conférer aux autorités administratives ce pouvoir. L'article 2 du décret n° 2005-1386 du 8 novembre 2005 le prévoit déjà.

Le présent projet de loi ne fait donc que reprendre les termes de ce décret et s'y substituer. Il en prend le relais de telle sorte que l'ensemble des actes pris en application du décret précité continue à produire tous leurs effets juridiques, y compris le décret simple n° 2005-1387 du 8 novembre 2005.

Le Parlement autoriserait pendant ces trois mois les autorités administratives à prendre toutes les mesures d'application de l'état d'urgence qu'elles jugent nécessaires, dans les seules limites fixée par la loi prorogeant l'état d'urgence.

Cela signifie que l'état d'urgence ne saurait s'appliquer par exemple dans les départements d'outre-mer ou permettre un contrôle de la presse.

En revanche, le Parlement autorise le Gouvernement à modifier le décret n° 2005-1387 du 8 novembre 2005 qui détermine les zones dans lesquelles certaines mesures complémentaires peuvent être mises en oeuvre, notamment les perquisitions à domicile de jour et de nuit ou les assignations à résidence.

L'article 3 du présent projet de loi prévoit que le Gouvernement pourrait mettre fin à l'état d'urgence avant l'expiration du délai de trois mois par décret en Conseil des ministres.

Il en serait rendu compte au Parlement.

A cet égard, votre rapporteur souhaite interroger le gouvernement au cours du débat en séance publique sur la façon dont il rendrait compte au Parlement, le cas échéant, de la fin anticipée de l'état d'urgence.

Plus généralement, au cours des débats à l'Assemblée nationale, s'est exprimé le souhait que le Parlement soit informé régulièrement de la mise en oeuvre de l'état d'urgence. Cette information pourrait prendre diverses formes : un rapport périodique, l'audition du ministre tous les quinze jours par les commissions des lois de chaque assemblée, une réunion régulière des présidents des groupes politiques... Le ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire s'est déclaré ouvert à toutes les propositions.

Selon l'exposé des motifs du projet de loi, il s'agit « de limiter au strict nécessaire le recours aux mesures particulières qu'autorise l'état d'urgence ».

Une disposition de ce type a déjà été utilisée à deux reprises dans le passé. Ainsi, la loi n° 55-1080 du 7 août 1955 relative à la prolongation de l'état d'urgence en Algérie prévoyait que le Gouvernement pourrait réduire ce délai si la situation le permettait. En outre, l'ordonnance n° 62-797 du 13 juillet 1962 7 ( * ) disposait que l'état d'urgence institué par le décret n° 61-395 du 22 avril 1961 et prorogé à deux reprises dans le cadre des pouvoirs de l'article 16 de la Constitution demeurerait en vigueur jusqu'à une date qui serait fixée par décret en Conseil des ministres et au plus tard jusqu'au 31 mai 1963.

Ces précédents doivent toutefois être replacés dans leur contexte juridique et politique.

La possibilité de mettre fin à l'état d'urgence par un décret en Conseil des ministres pose la question de la nature de l'autorisation accordée par le Parlement.

Les articles 2 et 3 de la loi du 3 avril 1955 disposent que la prorogation au-delà de douze jours ne peut être autorisée que par une loi fixant la durée définitive de l'état d'urgence.

Comme on l'a vu précédemment, le Parlement en autorisant la prorogation de l'état d'urgence ne fait que donner la faculté aux autorités administratives d'utiliser ou non les pouvoirs exceptionnels dont ils disposent. En eux-mêmes, la loi et la prorogation de l'état d'urgence n'impliquent pas la mise en oeuvre des mesures prévues par la loi du 3 avril 1955.

L'autorisation du Parlement peut être interprétée comme une application de l'article 34 de la Constitution qui dispose que le Parlement fixe les règles concernant « les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques », « la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables » et « la procédure pénale ».

En fixant la durée de l'état d'urgence, le Parlement fixe en réalité la durée maximale de l'état d'urgence, eu égard à la nécessaire protection des libertés publiques. Ce faisant, il assume sa compétence.

En revanche, en permettant de mettre fin à l'état d'urgence par décret en Conseil des ministres, le Parlement laisserait une marge d'appréciation à l'exécutif. Conformément aux articles 5 et 20 de la Constitution, le président de la République et le gouvernement sont en effet plus aptes que le Parlement à juger en temps réel et selon l'évolution opérationnelle de la situation de l'opportunité du maintien ou non de l'état d'urgence.

En prévoyant la possibilité d'anticiper la fin de l'état d'urgence, le Parlement autoriserait le gouvernement à renoncer aux pouvoirs exceptionnels qui lui ont été temporairement accordés mais dont il n'est pas obligé d'user.

Cette solution, originale malgré les précédents de 1955 et 1962, est prévue au seul bénéfice de la protection des libertés publiques en permettant un retour le plus rapide possible au droit commun.

L'Assemblée nationale a adopté ce projet de loi sans modifications.

2. La position de votre commission des Lois

Votre commission approuve le texte du projet de loi dans la rédaction issue de l'Assemblée nationale.

En effet, les pouvoirs accordés aux autorités administratives ne méconnaissent pas le principe de proportionnalité eu égard à la gravité et à l'extension à un grand nombre de zones urbaines de ces violences dirigées contre les personnes et les biens.

Votre rapporteur tient également à rappeler que chaque décision d'une autorité administrative prise en application de l'état d'urgence est soumise au contrôle du juge administratif qui apprécie, compte tenu des circonstances de chaque espèce, sa légalité. Il y a toujours matière à examen concret. La mise en oeuvre du couvre-feu dans des zones qui seraient épargnées par les violences serait par exemple susceptible d'être annulée par le juge.

Toujours dans le même sens, le juge des référés du Conseil d'Etat saisi le 9 novembre 2005 de deux requêtes tendant à la suspension de l'exécution des deux décrets du 8 novembre 2005 8 ( * ) considère que les perquisitions autorisées par le 1° de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 ne sont pas soustraites au contrôle de l'autorité judiciaire. Le garde des Sceaux, M. Pascal Clément, a d'ailleurs confirmé que les perquisitions judiciaires ne se feraient qu'avec l'accord du procureur de la République.

Votre commission vous propose donc, compte tenu de l'ensemble de ces garanties et de la situation exceptionnelle qui continue de prévaloir, d'adopter le projet de loi sans modifications.

Compte tenu de l'ensemble de ces observations, votre commission vous propose d'adopter le projet de loi sans modifications.

* 6 Près de six mois.

* 7 Ordonnance n° 62-797 du 13 juillet 1962 prorogeant les dispositions des décisions des 24 et 27 avril 1961 et modifiant l'ordonnance n° 58-1309 du 23 décembre 1958.

* 8 Ordonnance n° 286835 du juge des référés du Conseil d'Etat.

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