2. A moyen terme : poursuivre la réflexion sur une réforme globale des minima sociaux

Ainsi que la ministre l'a rappelé lors de son audition devant votre commission 2 ( * ) , le présent projet de loi n'est que la première étape d'une réforme plus profonde du dispositif français des minima sociaux. Son objet est en effet limité : il ne concerne que trois minima sur les neuf que compte notre système de protection sociale et il se limite à l'articulation entre revenu d'activité et minimum social, dans la perspective du retour à l'emploi.

Or, comme l'a montré le rapport d'information de votre commission sur les minima sociaux 3 ( * ) , une réforme beaucoup plus importante est nécessaire pour redonner cohérence, légitimité et efficacité au dispositif français des minima sociaux :

- il s'agit d'abord de mettre fin à des iniquités criantes à la fois entre bénéficiaires de différents minima sociaux dans une situation objective pourtant très proche et entre bénéficiaires de minima et travailleurs pauvres pour un même niveau de ressources ;

- il convient ensuite d'améliorer l'insertion des minima sociaux dans le dispositif plus large des prestations sociales, afin de lisser les effets de seuil qui apparaissent lors d'une reprise d'activité ;

- il importe enfin de mettre en place, pour les bénéficiaires de l'ensemble des minima sociaux, un accompagnement de qualité, puisqu'il apparaît que celui-ci est très souvent le gage d'une réinsertion professionnelle plus rapide et plus durable.

a) Rendre l'accès aux droits connexes plus équitable et moins pénalisant pour le retour à l'emploi

Limiter la question de la réduction des trappes à inactivité à la seule problématique de l'intéressement serait une erreur :

- d'abord parce que l'intéressement est temporaire et que la question du niveau comparé de ressources entre minima sociaux et activité professionnelle se pose à nouveau à l'issue de cette période ;

- ensuite parce que l'intéressement ne s'attache qu'au niveau relatif du minimum social et du revenu d'activité, oubliant que ces prestations ne constituent qu'un tiers des transferts sociaux dont bénéficient les ménages les plus pauvres et moins de 20 % de leur revenu disponible. Il est donc illusoire de penser résoudre la question des obstacles financiers au retour à l'emploi en s'attachant aux seuls minima sociaux.

Les « droits connexes », c'est-à-dire les prestations de toute nature liées au bénéfice d'un minimum social, jouent en effet un rôle primordial pour les bénéficiaires, soit parce qu'ils représentent une source de revenu complémentaire (allocations logement, prestations familiales), soit parce qu'ils offrent un avantage en nature source d'économies substantielles (couverture maladie universelle, tarification sociale énergie), soit enfin parce qu'ils correspondent à une économie directe (exonération et dégrèvement de la taxe d'habitation ou de la redevance audiovisuelle).

Or, ces droits connexes sont une grande source d'inégalité, à la fois entre bénéficiaires des différents minima sociaux et entre bénéficiaires de ces prestations et travailleurs pauvres. Ils peuvent également être un frein au retour à l'emploi, surtout lorsque leur bénéfice est lié à un statut (chômeur, allocataire de telle ou telle prestation).

L'importance de ces droits connexes, nombreux dans le cas du RMI, est d'ailleurs confirmée par le fait que de nombreuses personnes présentes dans le dispositif y sont maintenues par les travailleurs sociaux alors même que leurs revenus sont supérieurs au plafond d'attribution de la prestation et qu'elles ne reçoivent en conséquence aucune allocation. Une enquête auprès des services sociaux départementaux explique ce phénomène par la volonté de permettre à certaines personnes en cours de réinsertion professionnelle de continuer à bénéficier des droits connexes attachés au statut de RMIste, et notamment de la CMU. Ainsi, dans le département du Rhône, près de 5.000 bénéficiaires du RMI sur 32.000 recensés seraient dans ce cas.

Le rapport d'information précité de votre commission a recensé les incohérences des droits connexes liés aux différents minima sociaux. Le tableau ci-dessous rappelle ainsi les différents droits liés au statut de bénéficiaire d'un minimum social.

Les aides liées au statut de bénéficiaire d'un minimum social

Minimum social

Droits connexes liés au statut

RMI

Allocation logement à taux plein automatique, suspension des dettes fiscales, exonération automatique de taxe d'habitation, exonération de redevance audiovisuelle, exonération de cotisation CMU, accès automatique et gratuit à la CMUC, tarification sociale téléphone, prime de Noël

AAH

Majoration pour vie autonome, exonération de redevance audiovisuelle, tarification sociale téléphone

ASS

Prime de Noël, tarification sociale téléphone

API

Allocation logement à taux plein automatique, suspension des dettes fiscales

Allocation d'insertion

Prime de Noël

Minimum vieillesse

Exonération de redevance audiovisuelle

Minimum invalidité

Exonération de redevance audiovisuelle

AER

Prime de Noël

Allocation veuvage

-

Source : rapport d'information Sénat n° 334 (2004-2005) précité.

Votre commission ne reviendra ici que sur les inégalités les plus criantes mises en lumière par ce rapport :

- en matière fiscale , il convient d'abord de mentionner l'exonération automatique de taxe d'habitation réservée aux seuls bénéficiaires du RMI : certes, depuis la loi de finances pour 2000, un nouveau barème permet en pratique d'exonérer certains bénéficiaires d'autres minima, ce qui corrige une partie des inégalités liées à cet avantage statutaire. Mais l'exonération sur la base du statut continue d'être plus avantageuse puisqu'il suffit de justifier d'un seul trimestre de perception du RMI durant les deux dernières années pour y avoir droit, et ce même si la situation financière de la personne s'est depuis rétablie ;

- l'exonération automatique de redevance audiovisuelle ne concerne également qu'une partie des bénéficiaires de minima sociaux, à savoir les allocataires du RMI, de l'AAH, du minimum vieillesse et du minimum invalidité. S'agissant des bénéficiaires d'autres prestations, notamment de l'API et l'ASS, l'exonération suppose la reconnaissance de leur indigence par la commission communale des impôts directs ;

- en ce qui concerne la couverture maladie universelle de base et complémentaire, seuls les bénéficiaires du RMI y ont accès de façon automatique du fait de leur statut. Pour les autres, cet accès est soumis à une condition de ressources particulièrement sévère, de telle sorte que les titulaires de certains minima sociaux en sont d'office exclus : tel est le cas des allocataires de l'AAH, du minimum vieillesse et du minimum invalidité.

Il convient également de mentionner l'existence de nombreuses aides locales extralégales souvent attribuées en fonction du statut, généralement parce que ce mode de gestion est plus simple pour les collectivités concernées. Comme les prestations légales nationales liées au statut, ces aides ont de multiples effets pervers mais leur impact sur le revenu des bénéficiaires de minima sociaux reste encore trop mal connu.

L'existence de ces aides liées au statut pose un problème spécifique dans le cadre de l'intéressement : alors que pendant la période d'intéressement, les personnes conservent leur statut d'allocataire et, par conséquent, les droits connexes liés à ce statut, la fin de cette période entraîne à la fois la disparition des primes forfaitaires et celle des droits connexes, ce qui vient alors amplifier la perte de revenu liée à la fin de l'intéressement.

Votre commission estime donc qu'une harmonisation des droits connexes est de bien plus grande importance qu'une quelconque fusion des différents minima. Elle considère en effet qu'il s'agit d'une piste de travail prometteuse à la fois pour réduire les inégalités et pour progresser dans la question du retour à l'emploi.

Il conviendrait de passer à un système d'ouverture des droits connexes en fonction des ressources par personne au foyer et de prévoir, à chaque fois que possible, une aide dégressive en fonction des revenus, afin que la reprise d'activité ne se traduise pas immédiatement par la perte de toute solidarité de la collectivité. C'est d'ailleurs une des pistes de travail retenue par le groupe de travail mis en place au sein de votre commission, présidé par Valérie Létard, qui doit rendre ses conclusions à la fin du mois de février 2006, dans la perspective d'une proposition de loi d'ensemble sur le sujet des minima sociaux.

b) Généraliser l'accompagnement des bénéficiaires de minima sociaux vers et dans l'emploi

Les travaux de votre commission, de même que le rapport remis au Premier ministre le 15 décembre dernier par Michel Mercier et Henri de Raincourt 4 ( * ) , ont également mis en lumière l'importance de l'accompagnement des bénéficiaires de minima sociaux pour l'efficacité des politiques d'insertion.

Ces travaux démontrent en effet que l'accompagnement individualisé, mis en place dans le cadre du RMI et accentué depuis la décentralisation de cette prestation en 2004, joue un rôle majeur en matière d'information des intéressés sur leurs droits, de mobilisation des aides de toute nature susceptibles de venir améliorer leur situation, de prévention du surendettement et de préparation des personnes au retour à l'emploi.

L'importance de l'accompagnement est également révélée par certaines dispositions du présent projet de loi, dont la mise en oeuvre et l'efficacité sont subordonnées à l'existence d'un accompagnement adapté et de qualité : votre commission a ainsi souligné la nécessité d'un accompagnement pendant et au terme de la période d'intéressement. De la même façon, la mobilisation des travailleurs sociaux qui suivent le bénéficiaire est sans doute la meilleure garantie de trouver une solution concrète de garde d'enfant, plus efficacement qu'un dispositif de priorité d'accès ou de places garanties.

Or, aujourd'hui, seuls les titulaires du RMI bénéficient d'un accompagnement individualisé, formalisé et obligatoire. Ce devrait également être le cas à l'avenir des personnes handicapées titulaires de l'AAH, dans le cadre des plans personnalisés de compensation. S'agissant des autres minima sociaux d'insertion, le seul accompagnement qui leur est accessible est le suivi de droit commun par le service public de l'emploi qui reste largement insuffisant pour des personnes dont les difficultés d'accès à l'emploi ne sont pas uniquement professionnelles, mais aussi sociales.

C'est la raison pour laquelle progresse désormais l'idée de généraliser l'accompagnement à tous les bénéficiaires de minima sociaux d'insertion.


Assurer l'accompagnement des bénéficiaires de minima sociaux


Améliorer la qualité des contrats d'insertion : il est nécessaire que les contrats s'attachent à apprécier la situation de l'intéressé dans tous ses aspects, aussi bien professionnels que sociaux et familiaux, qu'ils définissent un parcours d'insertion balisé par des étapes, dont le bilan doit être réalisé régulièrement et qu'ils fixent un calendrier de suivi par le référent.


Poursuivre l'accompagnement après la reprise d'activité : il est important de ne pas laisser les bénéficiaires de minima sociaux livrés à eux mêmes lorsqu'ils reprennent une activité. Il est donc nécessaire de prévoir la poursuite de l'accompagnement après le retour à l'emploi. Cela doit se traduire par une adaptation du contrat d'insertion à cette nouvelle situation. Celui-ci pourra prévoir des actions spécifiques en matière de consolidation de la situation professionnelle, d'assainissement de la situation financière du foyer ou encore de prévention du surendettement.


Étendre l'accompagnement formalisé et obligatoire à l'ASS et à l'API, sous la responsabilité des départements : un accompagnement par les seules Caf, pour les bénéficiaires de l'API, ou par la seule ANPE, pour ceux de l'ASS, ne permettrait pas d'avoir une vision globale de la situation professionnelle et sociale des intéressés. En revanche, Caf et ANPE pourraient être inclus dans le dispositif départemental d'insertion et le département pourrait, en tant que de besoin, passer convention avec ces institutions pour qu'elles participent au dispositif des référents.

Source : Propositions du rapport précité présenté par Michel Mercier et Henri de Raincourt.

Une telle généralisation aurait naturellement un coût, estimé à 360 millions d'euros, sur la base du coût moyen d'accompagnement d'un bénéficiaire du RMI constaté par les départements et du nombre actuel de titulaires de l'ASS et de l'API.

Votre commission considère que les propositions faites par Michel Mercier et Henri de Raincourt constituent des pistes de travail intéressantes. Elles devraient d'ailleurs être traduites en une proposition de loi dont le dépôt sur le bureau du Sénat est attendu pour la fin du mois de février 2006. Votre commission se félicite de la concordance des calendriers entre ce dépôt et la conclusion des travaux du groupe de travail sur les minima sociaux constitué en son sein. Elle devrait permettre un examen conjoint de l'ensemble de ces propositions, afin d'aboutir à une réforme globale de notre dispositif de minima sociaux.

* 2 Audition de Catherine Vautrin, ministre déléguée à la parité et à la cohésion sociale, le 20 décembre 2005. cf. p. 97

* 3 « Minima sociaux : concilier équité et reprise d'activité », rapport d'information n° 334 (2004-2005) de Valérie Létard, fait au nom de la commission des Affaires sociales, déposé le 11 mai 2005.

* 4 « Plus de droits et plus de devoirs pour les bénéficiaires de minima sociaux », rapport présenté au Premier ministre par Michel Mercier et Henri de Raincourt, sénateurs, décembre 2005.

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