Article 2 (art. L. 311-7 [nouveau] et L. 313-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile)
Visa de long séjour obligatoire pour la délivrance de certains titres de séjour

Cet article tend à poser le principe selon lequel l'obtention d'un visa de long séjour 18 ( * ) est indispensable pour la délivrance d'une carte de séjour temporaire ou de la carte de séjour « compétences et talents ».

1. Le droit en vigueur

L'article L. 313-2 du CESEDA dispose que, sous réserve des obligations internationales de la France, l'octroi de la carte de séjour temporaire peut être subordonné à la production par l'étranger d'un visa de long séjour d'une durée supérieure à trois mois.

La partie législative du CESEDA ne précise pas dans quel cas le visa de long séjour est nécessaire. Seul l'article L. 313-7 laisse entendre implicitement que l'octroi de la carte de séjour temporaire portant la mention « étudiant » est subordonné à la délivrance d'un visa de long séjour puisqu'il dispose « en cas de nécessité liée au déroulement des études, et sous réserve d'une entrée régulière en France, l'autorité administrative peut accorder cette carte de séjour même en l'absence du visa de long séjour requis ».

En réalité, c'est le décret n° 46-1574 du 30 juin 1946 réglementant les conditions d'entrée et de séjour en France des étrangers qui définit quelles cartes de séjour temporaire sont délivrées sur présentation d'un visa de long séjour. L'article 7 de ce décret pose le principe selon lequel l'étranger qui sollicite la délivrance d'une carte de séjour temporaire présente à l'appui de sa demande un visa de long séjour. En ce sens, le décret interprète extensivement la loi qui semble plutôt poser le principe inverse.

Le décret prévoit néanmoins une série de dérogations. Il s'agit notamment des étrangers entrés en France munis de visas de court séjour d'une nature un peu particulière dans la mesure où ils peuvent permettre l'établissement durable en France : le visa portant la mention « étudiant-concours » 19 ( * ) ou le visa portant la mention « carte de séjour à solliciter dès l'arrivée en France » 20 ( * ) .

Surtout, il dispense de visa de long séjour les étrangers pouvant prétendre à la délivrance de plein droit d'une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » (art. L. 313-11 du CESEDA) 21 ( * ) , y compris notamment les bénéficiaires du regroupement familial ou les conjoints de ressortissants français.

En définitive, l'obtention préalable d'un visa de long séjour dans le pays de départ est exigée pour prétendre à l'octroi d'une carte de séjour temporaire portant mention « visiteur », « salarié », « commerçant », « étudiant », « scientifique » ou « profession artistique et culturelle ».

2. Le texte soumis au Sénat

Le présent article tend à abroger l'article L. 313-2 précité du CESEDA et à lui substituer un nouvel article L. 311-7. Celui-ci pose le principe selon lequel l'obtention d'un visa de long séjour est indispensable pour la délivrance d'une carte de séjour temporaire ou de la carte de séjour « compétences et talents ».

Ces dispositions ne seraient donc plus insérées dans le chapitre III du titre I du livre III du CESEDA consacré à la carte de séjour temporaire mais dans le chapitre premier de ce même titre 22 ( * ) qui réunit les dispositions applicables à plusieurs catégories de titres de séjour, en l'espèce la carte de séjour temporaire et la nouvelle carte de séjour « compétences et talents » créée par l'article 12 du projet de loi.

En posant ce principe, le projet de loi s'inspire des termes du décret du 30 juin 1946 précité. Son exposé des motifs fait valoir qu'ainsi, les étrangers admis à séjourner durablement sur le territoire feraient l'objet, en amont, d'un choix par l'autorité consulaire dans leur pays d'origine.

Le projet de loi prévoit néanmoins que ce principe vaut sous réserve des exceptions prévues par les dispositions législatives du présent code.

Il n'appartiendrait donc plus au règlement de définir ces exceptions, mais à la loi. Le projet de loi en prévoit d'ailleurs expressément plusieurs qui ne sont pas exactement les mêmes que celles définies par le décret du 30 juin 1946 précité.

Seraient toujours dispensés :

- la majorité des étrangers pouvant prétendre à la délivrance de plein droit d'une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » (art. L. 313-11 du CESEDA) 23 ( * ) ;

- les bénéficiaires de la protection subsidiaire et les victimes de la traite des êtres humains 24 ( * ) ;

- les résidents de longue durée dans l'Union européenne et leurs membres de famille 25 ( * ) ;

- certains étudiants et stagiaires à titre dérogatoire 26 ( * ) .

Toutefois, ne seraient plus dispensés de visas de long séjour certaines catégories de demandeurs de carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » 27 ( * ) :

- les bénéficiaires du regroupement familial ;

- les conjoints de Français ;

- les conjoints de ressortissants étrangers titulaires d'une carte de séjour temporaire portant la mention « scientifique » 28 ( * ) .

Cette nouvelle obligation doit permettre aux autorités diplomatiques et consulaires de vérifier que les conditions légales sont bien réunies.

Concernant les bénéficiaires du regroupement familial, la portée de l'obligation de visa de long séjour doit être nuancée. En effet, l'article 14 du décret n° 2005-253 du 17 mars 2005 dispose déjà que, pour être admis sur le territoire français, les membres de la famille du ressortissant étranger doivent être munis du visa d'entrée délivré par l'autorité diplomatique et consulaire après réception de la décision du préfet acceptant le regroupement familial.

Concernant les conjoints de Français, plusieurs amendements présentés par M. Thierry Mariani, rapporteur de la commission des lois, et adoptés par l'Assemblée nationale sont venus adoucir les contraintes représentées par l'obligation de visa de long séjour. En effet, la délivrance du visa de long séjour pour l'octroi d'une carte de séjour obligerait un conjoint de Français dépourvu de titre de séjour à retourner dans son pays afin d'y obtenir un visa.

Un premier amendement prévoit que lorsque la demande de visa émane d'un conjoint de Français, les autorités diplomatiques et consulaires ne peuvent refuser de le délivrer sauf en cas de fraude, d'annulation du mariage ou de menace à l'ordre public.

Un second amendement dispose que lorsque la demande de visa émane d'un conjoint ou d'un enfant de Français, les autorités diplomatiques et consulaires délivrent un récépissé indiquant la date du dépôt de la demande. Ce récépissé permettrait de prouver le dépôt de la demande de visa et, en cas d'absence de réponse de la part du consulat dans un délai de deux mois, de déposer un recours contre la décision implicite de rejet de la demande.

A l'heure actuelle, les demandes de visa de long séjour ne donnent pas lieu à la délivrance d'un récépissé et rendraient donc impossible tout recours. Au cours de son audition par votre rapporteur, M. François Barry Delongchamps, directeur des Français de l'étranger et des étrangers en France au ministère des affaires étrangères, a toutefois indiqué qu'il était remis à chaque demandeur de visa un document attestant de l'acquittement des frais de dossier sur lequel était fait mention de la date du dépôt de la demande.

2. La position de votre commission des lois

Concernant l'obligation de visa de long séjour pour les conjoints de Français, plusieurs observations peuvent être faites.

La commission d'enquête du Sénat sur l'immigration clandestine a constaté que les mariages de complaisance ou forcés pouvaient constituer un moyen d'accès au territoire français, auquel les étrangers peuvent être tentés de recourir si les voies légales leur sont fermées.

Le conjoint étranger d'un ressortissant de nationalité française bénéficie de plein droit de la carte de séjour temporaire « vie privée et familiale », à condition que son entrée en France ait été régulière, que la communauté de vie n'ait pas cessé, que le conjoint ait conservé la nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, qu'il ait été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil français 29 ( * ) .

Chaque année, environ 270.000 mariages sont célébrés en France, dont 45.000 mariages mixtes, et 45.000 mariages célébrés à l'étranger -la quasi-totalité entre un ressortissant français et un ressortissant étranger- sont transcrits sur les registres de l'état civil français.

Encore convient-il de rappeler que tous les mariages mixtes célébrés à l'étranger ne font pas l'objet d'une demande de transcription sur les registres de l'état civil français.

Selon les statistiques établies par l'Insee, sur les 42.900 mariages mixtes célébrés en France en 2004, la moitié concernait des ressortissants d'Algérie, du Maroc ou d'un pays d'Afrique subsaharienne. Comme l'a observé M. Jean-Michel Charpin, directeur général de cet institut, lors de son audition par la commission d'enquête : « Cette évolution traduit en partie la diversification dans l'origine des migrants. Mais l'importance relative de chaque origine ne se reflète pas toujours dans les mariages mixtes. Ainsi, en 1999, les Turcs étaient trois fois plus nombreux que les Tunisiens parmi les étrangers âgés de 18 à 29 ans, mais le nombre de mariages entre Français et Turcs n'était, à la même date, que la moitié du nombre des mariages entre Français et Tunisiens . »

En définitive, près d'un mariage sur trois, du moins pour ceux qui sont enregistrés en France, est un mariage mixte et la moitié des titres de séjour est délivrée à des ressortissants étrangers de conjoints français. 36.000 acquisitions de la nationalité française ont été prononcées au titre du mariage en 2005, 95 % des demandes étant couronnées de succès. Entre 1999 et 2004, la progression de leur nombre a été de 34 %.

Bien que le doute systématique ne doive pas non plus être jeté sur l'ensemble des mariages mixtes, sous peine de remettre en cause les valeurs de la République et de compromettre l'intégration des étrangers en situation régulière, il importe de s'assurer de la réalité de l'intention matrimoniale des futurs époux.

L'obligation de visa de long séjour pour les conjoints de Français dépourvus de titre de séjour devrait notamment permettre de s'assurer de l'absence de fraude, notamment à l'état civil.

Toutefois, afin de mieux garantir les droits des demandeurs de visa de long séjour, votre commission vous propose un amendement généralisant l'obligation de délivrance d'un récépissé de demande de visa de long séjour à l'ensemble des demandeurs de visa de long séjour, quel que soit le motif. Cette obligation ne devrait pas alourdir la charge de travail des autorités consulaires et améliorer les conditions du droit de recours. Cet amendement tend également à faire figurer ces dispositions dans la partie du CESEDA relatif à l'entrée sur le territoire français.

Votre commission des lois vous propose d'adopter l'article 2 ainsi modifi é.

* 18 Le visas de long séjour est parfois exigé pour les étrangers qui veulent séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois. Son obtention est une des conditions nécessaires à la délivrance d'un titre de séjour en France. Toutefois, le visa de long séjour n'autorise pas par lui-même à séjourner plus de trois mois en France. Il ne doit pas être confondu avec le visa portant la mention « vaut autorisation temporaire de séjour », d'une durée comprise entre trois et six mois, qui permet à son titulaire de résider en France pour une durée supérieure à trois mois sans avoir à solliciter un titre de séjour.

* 19 D'une durée inférieure à trois mois, il permet à l'étudiant dont l'inscription définitive dans un établissement d'enseignement supérieur est liée à la réussite d'un examen d'entrée, de passer cet examen en France, et en cas de réussite, d'obtenir une carte de séjour temporaire « étudiant ».

* 20 D'une durée inférieure à trois mois, il est notamment délivré aux membres de famille des ressortissants français ou communautaires. Ce visa leur permet de voyager dans l'espace Schengen pendant l'examen de leur demande de carte de séjour.

* 21 Le Conseil d'Etat estime que l'étranger qui bénéficie de plein droit d'une carte de séjour n'a pas à produire un visa de long séjour (CE, 28 mai 1999, Eramil).

* 22 Elles s'inséreraient dans la section première intitulée « Dispositions relatives aux documents de séjour » de ce chapitre premier et créée par l'article premier du projet de loi.

* 23 Voir l'article 24 du projet de loi.

* 24 Voir respectivement les articles 25 et 29 du projet de loi. Ces étrangers ont droit à une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale ».

* 25 Voir les articles 17 et 18 du projet de loi.

* 26 Voir l'article 7 du projet de loi.

* 27 Voir l'article 24 du projet de loi.

* 28 Rappelons que les demandeurs d'une carte de séjour temporaire « scientifique » doivent obtenir un visa de long séjour.

* 29 Article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

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