Articles 34 et 35 (chapitre I du titre I du livre V du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile)
Intitulé-coordination

Le présent article tend à modifier l'intitulé du chapitre premier du titre I du livre V du CESEDA ainsi que celui dudit titre I.

Ce titre intitulé « La reconduite à la frontière » au sein du livre V relatif aux mesures d'éloignement serait désormais intitulé « L'obligation de quitter le territoire français et la reconduite à la frontière ». De la même façon, le chapitre premier dudit titre intitulé « Cas dans lesquels un étranger peut faire l'objet d'une mesure de reconduite à la frontière » serait renommé « Cas dans lesquels un étranger peut faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français ou d'une mesure de reconduite à la frontière ».

Ces changements d'intitulé sont des coordinations avec l'article 36 du projet de loi qui crée une nouvelle mesure d'éloignement, l'obligation de quitter le territoire français, distincte de l'arrêté de reconduite à la frontière ordinaire.

Votre commission des lois vous propose d'adopter les articles 34 et 35 sans modification.

Article 36 (art. L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile)
Création d'une obligation de quitter le territoire français délivrée à l'occasion d'une décision de refus de titre de séjour

Le présent article qui tend à modifier l'article L. 511-1 du CESEDA a pour objet de simplifier le contentieux devant le juge administratif après un refus de délivrance ou de renouvellement d'un titre de séjour.

1. Le droit en vigueur

• Refus de titre et arrêté de reconduite à la frontière

Tout étranger qui souhaite séjourner en France au-delà d'un délai de trois mois doit être muni d'une carte de séjour.

Lorsqu'un étranger se voit refuser la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour ou lorsque ce titre de séjour lui est retiré 110 ( * ) , il dispose généralement d'un délai d'un mois pour quitter volontairement le territoire français. Ce délai court à compter de la notification du refus ou du retrait.

La décision du préfet peut faire l'objet des recours habituels, notamment un recours hiérarchique devant le ministre de l'intérieur et un recours contentieux devant le tribunal administratif territorialement compétent dans les deux mois de la notification. Ces recours ne sont pas suspensifs.

La notification de la décision de refus de titre de séjour ou de retrait du titre indique la date à laquelle l'étranger devra avoir quitté le territoire français. C'est cette notification qui est également appelée invitation à quitter le territoire français (IQTF). En réalité, elle ne constitue pas une mesure distincte du refus de séjour. Elle est dépourvue de force exécutoire et ne fait donc pas grief.

A l'issue d'un mois, si l'administration constate que l'étranger n'a pas quitté le territoire français, il s'expose à des sanctions pénales ainsi qu'à une mesure d'éloignement forcé du territoire, en pratique un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière (APRF).

L'APRF est la mesure d'éloignement ordinaire utilisée à l'encontre des étrangers en situation irrégulière 111 ( * ) . L'article L. 511-1 du CESEDA détermine les différentes hypothèses dans lesquelles un étranger est susceptible d'être reconduit à la frontière. Les 3° et 6° de cet article prévoient expressément la faculté pour le préfet de prendre un APRF à l'encontre des étrangers s'étant vu retirer un titre de séjour ou refuser la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour.

Le régime de l'APRF est particulier.

L'APRF peut être pris à la suite d'une interpellation. Il est alors notifié « par voie administrative », c'est-à-dire en main propre. L'APRF peut également être notifié par voie postale, sous pli recommandé. Ce cas de figure est le plus fréquent. Les APRF sont le plus souvent notifiés par voie postale lorsqu'à l'issue du délai d'un mois après une décision de refus ou de retrait de titre, l'étranger n'a pas quitté le territoire français.

L'APRF comporte également la mention du pays de destination vers lequel l'administration envisage d'éloigner l'étranger. La fixation du pays de renvoi constitue une décision distincte (article L. 513-3 du CESEDA).

Enfin, la notification de l'APRF ouvre la faculté pour l'administration de placer l'étranger en rétention. La décision de placement en rétention est encore une décision distincte.

L'intéressé peut alors déposer un recours en annulation contre l'APRF dans les quarante-huit heures suivant la notification par voie administrative ou dans les sept jours lorsque l'APRF est notifié par voie postale (article L. 512-2 du CESEDA). Pendant le délai de recours, l'APRF ne peut être exécuté (article L. 512-3 du CESEDA).

Le recours contre l'APRF est lui aussi suspensif. Si l'étranger souhaite attaquer la décision fixant le pays de renvoi, ce recours n'est suspensif que s'il est formé en même temps que le recours contre l'APRF.

Le caractère suspensif du recours n'empêche pas l'administration de placer l'étranger en rétention administrative (article L. 551-1 du CESEDA) 112 ( * ) .

Le président du tribunal administratif ou un magistrat délégué par lui statue dans un délai de soixante-douze heures à compter de sa saisine 113 ( * ) . L'audience se déroule sans conclusions du commissaire du gouvernement. L'APRF ne peut être exécuté avant que le juge n'ait statué. Ce jugement est susceptible d'appel dans un délai d'un mois, mais il n'est pas suspensif 114 ( * ) .

• Un contentieux de masse

Le contentieux des étrangers représente une part croissante de l'activité des juridictions administratives. Cette évolution est principalement le fait du contentieux de la reconduite à la frontière.

Lors de son audition par la commission d'enquête du Sénat sur l'immigration clandestine, M. Patrick Mindu, président du tribunal administratif de Paris, a relevé que la politique volontariste de lutte contre l'immigration clandestine mise en oeuvre à partir de la fin de l'année 2003 s'était traduite par une forte augmentation des arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière (APRF) et, mécaniquement, par une multiplication des recours devant les tribunaux administratifs. Il a ajouté que le contentieux des reconduites à la frontière avait désormais toutes les caractéristiques d'un contentieux de masse, auquel les juridictions du premier degré et les cours administratives d'appel sont toutefois très inégalement exposées.

En 2004, 16.952 requêtes ont été enregistrées devant les tribunaux métropolitains et 17.921 en 2005. Si les tribunaux administratifs de Bastia ou Limoges ont enregistré quelques dizaines de recours, ceux de Paris ou de Cergy-Pontoise ont été saisis respectivement de 6.000 et 1.975 requêtes en 2004, puis de 4.826 et 2.412 requêtes en 2005. Ces deux dernières juridictions totalisent à elles seules près de la moitié des affaires portées devant les juridictions métropolitaines en 2004 et 40 % en 2005.

Le contentieux des étrangers dans son ensemble (recours contre les APRF, les refus de séjour, les mesures d'expulsion, référé) représenterait désormais plus du quart des affaires enregistrées chaque année dans les tribunaux administratifs, trois tribunaux -Paris, Cergy-Pontoise et Marseille- totalisant à eux seuls la moitié des affaires jugées. Le tribunal administratif de Paris a enregistré 10.312 requêtes concernant les étrangers en 2005 soit, sur un volume global d'entrées d'à peine plus de 20.000 requêtes, 51 % des affaires nouvelles.

Ce contentieux est principalement nourri par les APRF, et plus particulièrement par les APRF notifiés par voie postale, qui en représentent la majorité. Le caractère suspensif du recours explique que le taux de recours contre ces décisions est particulièrement élevé : selon le Syndicat de la justice administrative entendu par votre rapporteur, ce taux avoisinerait 38 %.

Or, faute d'interpellations consécutives à la prise des APRF notifiés par voie postale, le taux d'exécution est inférieur à 3 %. En outre, la loi du 26 novembre 2003, prenant acte de la jurisprudence du Conseil d'Etat, a prévu qu'un étranger ne pouvait être placé en rétention sur la base d'un APRF édicté depuis plus d'un an. Les magistrats administratifs sont saisis de recours contre des décisions qui ne seront quasiment jamais appliquées, mais qu'ils doivent, en théorie, examiner dans un délai de soixante-douze heures.

A l'occasion de ce recours, le juge peut être amené à se prononcer par voie d'exception sur la légalité de la décision de refus ou de retrait du titre de séjour, à la condition que le délai de recours contre cette décision ne soit pas éteint ou qu'elle ait déjà fait l'objet d'un recours dans les délais.

Le juge administratif a le plus souvent à connaître de l'accessoire, l'APRF, avant le principal, le refus de séjour.

Face à cette situation absurde qui engorge de nombreux tribunaux, une réforme du contentieux administratif de l'éloignement des étrangers était nécessaire avec une triple exigence : diminuer le volume du contentieux, préserver l'efficacité des mesures d'éloignement et maintenir des garanties équivalentes pour les étrangers.

2. Le texte soumis au Sénat

Le présent article tend à rassembler les dispositions en vigueur de l'article L. 511-1 dans un paragraphe II et à créer un paragraphe I nouveau.

Ce paragraphe propose d'assortir les refus de titre de séjour, refus de renouvellement et retraits de titre de séjour d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF). L'invitation à quitter le territoire, qui n'a aucune valeur contraignante, serait remplacée par cette obligation laquelle ferait office d'APRF et fixerait le pays de renvoi.

L'autorité administrative n'aurait plus à prendre un APRF distinct un mois après la notification du refus ou du retrait du titre du séjour.

L'étranger disposerait d'un délai d'un mois pour satisfaire à l'OQTF. Rien ne changerait par rapport à la procédure actuelle qui ménage un délai d'un mois à l'étranger pour partir avant que le préfet ne prenne un APRF. L'OQTF serait une sorte d'APRF assorti d'un sursis à exécution d'un mois. Durant ce même délai, l'étranger ne pourrait faire l'objet d'un placement en rétention.

A l'initiative de M. Patrick Braouezec, l'Assemblée nationale a précisé que durant ce délai d'un mois, l'étranger a la possibilité de solliciter le dispositif d'aide au retour financé par l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations. Cela est déjà le cas pendant le mois qui suit le refus ou le retrait du titre de séjour.

Les requérants attaqueraient simultanément trois décisions (le refus de séjour, l'obligation de quitter le territoire et le choix du pays de renvoi).

Cette réforme devrait alléger les tâches administratives dévolues aux services des préfectures et devrait réduire le nombre des contentieux, dès lors que l'OQTF et le refus de séjour ne feront plus l'objet de contentieux distincts (voir le commentaire de l'article 41 du projet de loi qui définit les règles applicables au contentieux de l'OQTF).

Cette nouvelle procédure d'OQTF devrait se substituer aux APRF pris sur le fondement des 3° et 6° de l'article L. 511-1 du CESEDA en vigueur. Elle ne trouverait pas à s'appliquer à l'APRF pris à la suite d'un retrait ou d'un refus de titre de séjour prononcé en raison d'une menace à l'ordre public (cas visé par le 7° de l'article L. 511-1 du CESEDA en vigueur). En effet, en cas de menace à l'ordre public, l'éloignement doit être immédiat ; l'étranger ne dispose pas d'un mois pour quitter le territoire.

Par conséquent, par coordination, le présent article supprime les 3° et 6° de l'article L. 511-1 du CESEDA.

Enfin, le présent article précise que cette procédure serait applicable, le cas échéant, aux ressortissants de l'Union européenne ne justifiant d'aucun droit au séjour en application de l'article L. 121-1 du CESEDA (voir le commentaire de l'article 16 du projet de loi).

3. La position de votre commission des lois

Cette simplification des procédures est une bonne initiative. Dans son rapport, la commission d'enquête du Sénat sur l'immigration clandestine remarquait néanmoins que l'impact sur l'activité des juridictions ne serait peut-être pas aussi important qu'espéré.

En effet, à ce jour, le taux de recours contre les refus de séjour ou les retraits de titre de séjour n'est pas aussi élevé que le taux de recours contre les APRF, les étrangers choisissant plutôt d'attaquer l'APRF en raison du caractère suspensif du recours.

Comme l'ont également remarqué les syndicats de magistrats administratifs entendus par votre rapporteur, cette réforme pourrait inciter les requérants à attaquer plus systématiquement la décision de refus de séjour.

La commission d'enquête appelait donc à mener cette réforme utile à son terme en engageant une réflexion sur la pratique des APRF notifiés par voie postale que cette réforme ne supprime pas.

Selon la police aux frontières, ces arrêtés présentent malgré tout plusieurs avantages, notamment la possibilité d'inscrire l'étranger au fichier des personnes recherchées. Un autre argument parfois invoqué est qu'une partie des APRF notifiés par voie postale ne fait pas l'objet d'un recours pendant le délai de sept jours prévu par la loi. En cas d'interpellation de l'étranger et d'exécution forcée de l'arrêté, l'étranger ne peut le contester. Mais cet argument, outre le fait qu'il est moralement indéfendable, pèse peu puisque le taux d'exécution est très faible.

Une solution envisagée et préconisée par de nombreux juges administratifs était donc de supprimer les APRF notifiés par voie postale et de ne conserver que les APRF pris et notifiés après interpellation.

Si le projet de loi initial n'a pas retenu cette solution, un amendement du rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale prévoit, à l'article 42 du projet de loi, la suppression des APRF notifiés par voie postale.

Votre rapporteur se réjouit évidemment de cette modification qui complète judicieusement la création de l'OQTF.

Toutefois, pour que la réforme du contentieux de l'éloignement soit réellement efficace, il semble à votre rapporteur que les services de police et de gendarmerie devront se donner les moyens d'exécuter rapidement les OQTF. A défaut, ils risquent d'être exécutés aussi rarement que les APRF notifiés par voie postale.

Une expérience menée par la préfecture du Bas-Rhin devrait être étendue et appliquée aux OQTF. Les services de la police aux frontières y sont informés par la préfecture de l'adresse à laquelle la notification de l'APRF a été envoyée afin de permettre la mise en oeuvre des investigations appropriées. Sur 204 dossiers, 58 ont eu une suite favorable soit un taux d'exécution de 28,43 %.

Concernant l'aide au retour , votre commission vous soumet un amendement prévoyant que l'étranger faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français peut solliciter l'aide au retour au-delà du délai d'un mois, sauf s'il a été placé en rétention. Cet amendement s'inspire de la recommandation n° 39 de la commission d'enquête du Sénat sur l'immigration clandestine qui estimait que l'aide au retour devait pouvoir être proposée à tout moment aux étrangers en situation irrégulière, le coût d'une reconduite forcée étant bien supérieure à celui de l'aide au retour.

Votre commission des lois vous propose d'adopter l'article 36 ainsi modifié .

* 110 Il peut également s'agir d'un récépissé d'une demande de délivrance ou de renouvellement d'un titre de séjour ou d'une autorisation provisoire de séjour. Ces documents autorisent l'étranger à séjourner en France durant le temps de l'examen de la demande de titre de séjour.

* 111 L'APRF peut également être utilisé pour éloigner des étrangers en situation régulière qui séjournent en France pour une durée inférieure à trois mois - voir le commentaire de l'article 33 du projet de loi.

* 112 Toutefois, un étranger ne peut être placé en rétention si l'APRF dont il fait l'objet a été édicté plus d'un an auparavant.

* 113 En pratique, les magistrats mettent plus de temps pour juger les recours contre les APRF notifiés par voie postale.

* 114 Depuis le 1 er janvier 2005, cet appel est porté devant la cour administrative d'appel, et non plus devant le Conseil d'Etat.

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