B. ... PROVOQUANT UNE IMPORTANTE INSÉCURITÉ JURIDIQUE EN MATIÈRE SOCIALE ET FISCALE

En dépit des mesures prises par les instances sportives pour organiser la pratique arbitrale, l'absence de cadre légal clair et précis entraîne deux incertitudes juridiques majeures relatives au caractère subordonné ou indépendant de l'arbitre vis-à-vis de sa fédération et subséquemment à la nature du régime social et fiscal qui lui est applicable.

1. Une gageure : déterminer le lien juridique unissant l'arbitre à sa fédération

Comme on vient de le voir, la pratique arbitrale est aujourd'hui dans notre pays organisée par les fédérations sportives dans le cadre de la mission de service public d'organisation des compétitions sportives qui leur est déléguée.

Pour apprécier l'existence ou l'absence d'un lien de subordination entre l'arbitre et sa fédération, il convient d'examiner les solutions jurisprudentielles et doctrinales se prononçant sur le statut de l'arbitre lui-même.

a) Des solutions jurisprudentielles contradictoires

La jurisprudence sociale s'est pour le moment majoritairement prononcée en faveur de l'absence de lien de subordination juridique entre les arbitres de football et les instances sportives qui font appel à leur service.

Bien que la chambre sociale de la Cour de cassation ne se soit jamais prononcée sur le sujet, le tribunal des affaires sociales de Melun, dans une décision du 17 janvier 1992 13 ( * ) , a retenu l'absence de subordination entre les arbitres concernés et le district au motif que ceux-ci n'étaient pas tenus de se rendre aux matchs pour lesquels ils avaient été désignés, qu'ils jouissaient dans l'exercice de leur mission d'une entière liberté, ne recevaient aucune instruction et n'étaient pas contrôlés.

La jurisprudence fiscale, qui s'est prononcée sur le sujet à l'occasion de contentieux relatif à l'assujettissement des arbitres à la TVA 14 ( * ) , est quant à elle plus contrastée.

Dans une décision datée du 2 mars 1999, le tribunal administratif d'Orléans 15 ( * ) a ainsi estimé qu'un arbitre de football exerçait son activité de manière indépendante et devait donc être assujetti à la TVA pour les indemnités perçues à cette occasion, en raison du fait qu'il prenait ses décisions d'arbitrage en tout indépendance.

Plus récemment et en sens contraire, le tribunal administratif de Dijon 16 ( * ) a retenu qu'un arbitre de football se trouve dans une situation de subordination à l'égard de la Fédération Française de Football dès lors qu'il ne dispose d'aucune liberté dans l'organisation de son travail, le choix des matchs, les horaires, les programmes de formation et de mise en condition et qu'il est soumis au contrôle et au règlement de la Fédération.

Ce rapide exposé du récent contentieux social et fiscal en la matière ne permet pas de se prononcer avec certitude sur le caractère subordonné ou indépendant de l'activité arbitrale puisqu'il existe peu de décisions et que celles-ci sont divergentes dans des affaires quasi similaires.

b) Des tendances doctrinales opposées

On constate malheureusement les mêmes oppositions en matière doctrinale. En effet, deux thèses s'affrontent en matière de qualification du lien entre l'arbitre et la fédération sportive.

La première, basée sur une étude classique du faisceau d'indices, tend à vouloir qualifier les rapports entre l'arbitre et la fédération de lien de subordination juridique considérant par conséquent les fédérations comme l'employeur des arbitres au sens du dernier alinéa de l'article L. 121-1 du code du travail.

La seconde prend en considération le contexte particulier ainsi que la nature de la fonction arbitrale et conclut à l'absence de lien de subordination juridique. Cette seconde appréciation se fonde sur le fait que l'organisation de l'arbitrage entre dans la mission de service public d'organisation de l'activité sportive confiée, en France, par l'Etat aux fédérations agréées.

Gardien des règles du jeu établies par la fédération, l'arbitre sanctionne la violation de ces règles par les sanctions qu'il juge appropriées. Ce faisant, l'arbitre assure une mission « de police de l'ordre sportif ». Il est « le contrôleur de la fédération sportive sur le terrain 17 ( * ) ». C'est pourquoi le pouvoir de sanction dont dispose la fédération à l'égard de l'arbitre ne pourrait en aucun cas, selon cette théorie, caractériser la puissance patronale, indice du lien de subordination.

c) L'ambiguïté juridique fondamentale de la fonction arbitrale

Si ni la jurisprudence ni la doctrine n'ont pour l'instant réussi à déterminer de manière consensuelle le lien juridique unissant l'arbitre à sa fédération c'est que l'activité arbitrale est foncièrement duale.

D'une part, l'existence d'un lien de subordination entre les fédérations et les arbitres semble se déduire de la désignation par la fédération des arbitres pour officier à l'occasion de telle ou telle compétition.

D'autre part, l'arbitrage nécessite une certaine autonomie, corollaire de l'impartialité nécessaire à l'exercice de sa fonction, qui paraît incompatible avec le lien de subordination.

Au total, même si des indices semblent caractériser un lien de subordination juridique, le contexte particulier dans lequel s'exerce l'arbitrage écarte ce lien, de telle sorte qu'aucune des deux qualifications ne paraît devoir s'appliquer à la situation des arbitres.

2. Le recours à la franchise : une solution pragmatique à la limite de la légalité

Théoriquement, le régime juridique social et fiscal des sommes versées aux arbitres au titre de l'exercice de leur mission devrait être déterminé par le degré de dépendance ou d'indépendance de l'arbitre dans le cadre de leur activité arbitrale.

En pratique, compte tenu de l'absence de textes précis en ce domaine et de la difficulté jurisprudentielle et doctrinale à déterminer la nature des liens unissant les fédérations aux arbitres, ceux-ci se sont tournés en matière sociale de manière « intempestive » 18 ( * ) vers le système de la franchise défini par la circulaire interministérielle du 28 juillet 1994.

a) Le système de la franchise

Comme votre rapporteur l'a déjà indiqué, la circulaire interministérielle du 28 juillet 1994 19 ( * ) prévoit un système d'exonération de charges sociales des sommes versées au titre de l'arbitrage, dans les limites d'une valeur égale à 70 % du plafond journalier de la sécurité sociale et de cinq manifestations arbitrées par mois.

En 2005, l'application pratique de ce dispositif se traduisait par une exonération de 81,2 euros par manifestation 20 ( * ) , soit une exonération à hauteur de 4 872 euros par an. Le recours systématique des arbitres à ce mécanisme les place toutefois dans une situation d'insécurité juridique importante.


• Une force contraignante relative

Dans la mesure où aucun texte légal ou réglementaire ne fait référence à ce mécanisme, sa valeur juridique et sa force obligatoire doivent par conséquent être nuancées : créé par une simple circulaire administrative, il n'est en effet pas opposable aux administrés.


• Un système inadapté au rythme de la saison sportive

En posant le principe de l'exonération des cotisations sociales pour les 5 premières manifestations mensuelles auxquelles participe chaque arbitre, le système de la franchise se révèle foncièrement inadapté aux caractéristiques de la saison sportive.

D'une part, le plafond autorisé est vite dépassé dans la mesure où une compétition prenant la forme d'un tournoi sur plusieurs jours (comme au tennis par exemple) est considérée non pas comme une seule et même manifestation mais comme une manifestation par jour de tournoi.

D'autre part, le calendrier des compétitions varie très fortement d'un mois à l'autre. Ainsi, il arrive qu'il n'y ait aucune compétition certains mois et, qu'au cours d'autres mois, les rencontres soient très nombreuses.


• Une application théoriquement limitée aux arbitres salariés

Le système de la franchise ne concerne que les cotisations dues au titre du régime général de la sécurité sociale. En effet, les circulaires de 1994 excluent de leur champ d'application les sportifs et autres personnes gravitant autour des activités sportives assujetties au régime des travailleurs non salariés non agricoles.

De plus, ces textes comportent une rubrique intitulée « sportifs exerçant une autre activité salariée ».

Ces précisions permettent de conclure que le dispositif de la franchise vise exclusivement des personnes qui sont en situation de salariat. Or, comme l'indique le rapport rédigé par Mme Huet et Leclerc, « les arbitres franchisés sont tous inscrits comme travailleurs indépendants au titre de leur activité arbitrale. »


• Un mécanisme qui ne présage pas du statut fiscal des sommes versées aux arbitres

Si la franchise permet d'exonérer de charges sociales les sommes versées au titre de l'arbitrage, elle ne permet pas pour autant de déterminer le régime fiscal applicable aux indemnités perçues dans la limite de la franchise mais dépassant les remboursements de frais (réels ou forfaitaires) 21 ( * ) .

Malgré le principe d'autonomie des législations, le recours au système de la franchise devrait nous apporter des indications concernant le traitement fiscal devant être réservé aux montants concernés.

Ainsi, en toute cohérence, au regard du critère d'assujettissement au régime général (lien de subordination), le traitement fiscal des sommes auxquelles on applique le système de la franchise devrait être celui des traitements et salaires. Reste que l'incertitude relative au lien unissant l'arbitre à sa fédération ne permet pas de l'affirmer.

b) Le traitement des sommes perçues au-delà de la franchise

Au-delà des limites définies par la circulaire, le régime de droit commun devrait théoriquement reprendre ses droits et le régime social et fiscal applicable aux sommes perçues au-delà de la franchise dépendre de la relation juridique existant entre l'arbitre et sa fédération.

Au plan social, si les sommes perçues au-delà de la franchise sont des salaires, les fédérations seront tenues de payer des charges sociales sur ces montants, alors que si les sommes perçues au-delà de la franchise ne sont pas qualifiées de salaires, ce sont les arbitres qui seront redevables des cotisations sociales.

Au plan fiscal, si les sommes perçues au-delà de la franchise sont des salaires, le contribuable sera imposé en matière d'impôt sur le revenu au régime des traitements et salaires et si ces sommes sont des honoraires versés en contrepartie d'une prestation de service, elles seront assujetties au régime des bénéfices non commerciaux 22 ( * ) . Dans ce dernier cas, les montants perçus seront également soumis à la T.V.A. et à la taxe professionnelle.

Là encore cependant, l'incertitude relative au lien unissant l'arbitre à sa fédération ne permet pas de trancher.

* 13 TASS Melun, n° 87 087, 17 janvier 1992, District Sud contre URSSAF de Seine-et-Marne.

* 14 Pour déterminer le bien fondé de cet assujettissement, le juge doit se prononcer sur les conditions d'activité de l'arbitre et notamment son indépendance. Aux termes de l'article 256 A du code général des impôts : « Sont assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée les personnes qui effectuent de manière indépendante une des activités économiques mentionnées au cinquième alinéa, quels que soient le statut juridique de ces personnes, leur situation au regard des autres impôts et la forme ou la nature de leur intervention. »

* 15 TA Orléans, 2 mars 1999, n° 96-469.

* 16 TA Dijon, 14 janvier 2003, n° 020011.

* 17 Puissance sportive et ordre juridique étatique, G. Simon, R.J.E.S., 2001, p. 142.

* 18 Selon l'expression employée par le rapport réalisé par Mme Huet et Leclerc.

* 19 Circulaire DSS/AAF/A1/94/60 du 28 juillet 1994 relative à la situation des sportifs au regard de la sécurité sociale et du droit du travail

* 20 116 euros (plafond journalier de la sécurité sociale pour 2005) x 70 % = 81,2 euros.

* 21 Précisons que les dispositions légales posant des exonérations fiscales ne visent pas les arbitres Il en a été jugé ainsi en ce qui concerne la taxe professionnelle. Les juges ont refusé d'accorder à l'arbitre en cause le bénéfice des exonérations prévues par les articles 1449 et 1460 du Code général des impôts (CAA Nancy, 13 février 1990, n° 89NC00573, Testard). Notons qu'une fois encore ne s'est pas posée devant le juge la question du caractère indépendant ou subordonné de l'activité arbitrale.

* 22 La position de l'administration fiscale sur ce plan est la suivante : « si les conditions d'exercice de leur activité placent les intéressés dans une situation de subordination vis-à-vis d'un club, d'une association ou d'une instance sportive, le revenu ainsi perçu relève de la catégorie des traitements et salaires ; si l'existence d'un tel lien de subordination n'est pas avérée, ce revenu est imposable dans la catégorie des bénéfices non commerciaux. Il s'agit d'une question de fait qui doit être appréciée en fonction de chaque situation particulière » (réponse ministérielle n° 40273, JOAN Q, 16 septembre 1996, p. 4920).

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