C. DES COMPARAISONS INTERNATIONALES RICHES D'ENSEIGNEMENT

Les modalités d'association des partenaires sociaux à l'élaboration des réformes sociales varient considérablement d'un pays à l'autre. Chaque Etat est tributaire d'une tradition nationale, qui assigne une place et des prérogatives différentes au pouvoir politique et aux partenaires sociaux. Il serait faux, de ce point de vue, de considérer la France comme une « exception » dans un monde où un dialogue social harmonieux serait la règle. Le dialogue social, au sens où nous l'entendons en Europe continentale, est ainsi très peu présent en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. La pratique étendue de la négociation collective est surtout l'apanage des pays du nord de l'Europe : le modèle-type est ici celui de l'Allemagne qui reconnaît une autonomie aux partenaires sociaux pour fixer les règles dans certains domaines. L'Union européenne, pour sa part, a développé une procédure originale de renvoi à la négociation collective avant toute prise de décision politique.

1. L'Allemagne reconnaît aux partenaires sociaux une véritable autonomie dans certains domaines

La Loi fondamentale allemande, interprétée par le juge constitutionnel et complétée par une loi sur les accords collectifs adoptée en 1949, garantit aux partenaires sociaux une autonomie pour déterminer les règles relatives aux conditions de travail et aux rémunérations.

Les partenaires sociaux ont la possibilité de saisir le juge constitutionnel s'ils estiment que le législateur empiète sur leur domaine de compétence. Dans ce cas, la Cour constitutionnelle apprécie si les circonstances justifient une intervention du Parlement.

En pratique, les interventions législatives ont cependant été fréquentes, puisqu'il existe des lois fédérales sur les congés payés, la promotion et la protection de l'emploi, la protection contre le licenciement, le transfert des salariés en cas de changement d'employeur, etc. La proposition faite pendant la campagne électorale de 2005 d'instaurer par la loi un salaire minimum fédéral confirme la porosité croissante entre la sphère d'autonomie contractuelle reconnue aux partenaires sociaux et la sphère d'intervention du pouvoir politique.

2. Le droit communautaire réserve un temps à la négociation entre partenaires sociaux

Les articles 138 et 139 du traité instituant la Communauté européenne définissent la procédure applicable au niveau européen pour l'élaboration des textes en matière sociale.

L'article 138 impose à la commission de procéder à une double consultation des partenaires sociaux avant d'engager une réforme :

- elle doit d'abord, avant de présenter des propositions, consulter les partenaires sociaux sur l'orientation possible d'une action communautaire ;

- puis, si elle estime, après cette première consultation, qu'une action communautaire est souhaitable, elle consulte à nouveau les partenaires sociaux sur le contenu de la proposition envisagée. Les partenaires sociaux remettent à la commission un avis ou, le cas échéant, une recommandation.

A l'occasion de cette deuxième consultation, les partenaires sociaux peuvent informer la commission de leur volonté d'engager une négociation , dans les conditions prévues à l'article 139 CE. La durée de la négociation ne peut dépasser neuf mois, sauf prolongation décidée en commun par les partenaires sociaux concernés et la Commission.

L'article 139 fixe les modalités de mise en oeuvre des accords conclus au niveau communautaire : il peut y être procédé selon les procédures et pratiques propres aux partenaires sociaux et aux États membres ou, à la demande conjointe des parties signataires, par une décision du conseil sur proposition de la commission.

En pratique, la « décision » du conseil a toujours pris la forme d'une directive, ce qui laisse une marge de manoeuvre aux Etats membres pour préciser les règles applicables. Le traité n'indique pas si le conseil est tenu de respecter à la lettre l'accord négocié ou s'il peut le modifier. Dans le silence des textes, cette seconde interprétation paraît devoir être retenue ; en pratique, cependant, le conseil s'est toujours borné à traduire fidèlement dans ses décisions la volonté des partenaires sociaux 6 ( * ) .

A ce jour, cinq accords interprofessionnels ont été adoptés dans le cadre de la procédure de concertation communautaire : sur le congé parental en 1995, le travail à temps partiel en 1997, le travail à durée déterminée en 1999, le télétravail en 2002 et le stress en 2004.

D'autres négociations n'ont en revanche pas abouti, comme l'illustre l'échec des négociations sur le comité d'entreprise européen (en 1993), sur l'aménagement de la charge de la preuve en cas de discriminations fondées sur le sexe, sur la prévention du harcèlement sexuel au travail (en 1996), sur l'information et la consultation des travailleurs (en 1997), sur la protection des travailleurs en cas d'insolvabilité de l'employeur (en 2000), sur le travail intérimaire (en 2001).

En plus des accords interprofessionnels, les partenaires sociaux ont la possibilité de négocier des accords applicables à un ou plusieurs secteurs d'activité. On peut citer, à titre d'illustration, l'accord de 2006 relatif à la protection de la santé des travailleurs manipulant et utilisant de la silice cristalline, l'accord signé en 2000 sur le temps de travail dans le secteur du transport aérien ou encore l'accord-cadre conclu en 1997 sur l'emploi salarié agricole.

* 6 Ces développements s'appuient sur les analyses présentées par Bernard Teyssié dans son ouvrage Droit européen du travail, Litec, 2006.

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