2. Une mise en oeuvre des mesures présentant des insuffisances

La croissance exponentielle du nombre des mesures de protection des majeurs se double de difficultés dans leur mise en oeuvre quotidienne.

a) Des personnels judiciaires qui n'ont pas les moyens d'accomplir leurs tâches dans des conditions satisfaisantes

Face aux 700.000 mesures de protection en cours, l'Etat ne consacre que 80 juges des tutelles en équivalent temps plein travaillé. Ces seuls chiffres permettent de prendre conscience de l'ampleur de la tâche impartie à ces magistrats.

Sans doute la situation est-elle fortement contrastée selon les tribunaux d'instance. Dans certains, le juge des tutelles en poste n'a la responsabilité que de plusieurs dizaines de dossiers. Dans d'autres, au contraire, le nombre de dossiers par juge des tutelles -qui, en général, exerce parallèlement les autres compétences de juge d'instance- peut atteindre ou dépasser le millier de dossiers.

De telles conditions de travail sont évidemment directement liées à l'accroissement du nombre des majeurs protégés. Mais elles peuvent aussi apparaître comme l'un des facteurs de cette augmentation ou, tout du moins, de la pérennisation de nombreuses mesures de protection, le juge n'ayant pas toujours la disponibilité nécessaire pour procéder à un examen régulier des dossiers.

Les mêmes difficultés sont constatées dans les greffes des tribunaux d'instance. Elles ont pour conséquence première de ne pas permettre d'assurer un contrôle efficace des comptes remis par les personnes désignées par le juge pour exercer les mesures de protection .

Ce contrôle est assuré, depuis la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative par les greffiers en chef des tribunaux d'instance, le juge des tutelles redevenant compétent en cas de difficultés.

Cependant, bien souvent, la faiblesse des moyens humains - 90 greffiers en chef en équivalents temps plein travaillés - et matériels rend impossible un contrôle effectif qui, dans bien des tribunaux consiste au mieux à s'assurer que les comptes sont effectivement envoyés ou se limite à un contrôle formel de régularité apparente, si ce n'est pas par simple sondage.

Aussi le constat du caractère « très insuffisant » du contrôle des comptes des majeurs protégés, dressé dans le rapport précité des trois inspections, est-il unanimement partagé.

b) Une exécution des mesures de protection variable selon la personne en charge de la mesure

Les dispositions du code civil issues de la loi du 3 janvier 1968 posent le principe de la priorité familiale dans l'exercice des mesures de protection des majeurs ordonnées par le juge .

Pourtant, dans les faits, les mesures de protection sont le plus souvent exercées par des intervenants extérieurs à la famille de la personne protégée. Ces intervenants sont variés.

Il peut tout d'abord s'agir de personnes physiques -des gérants de tutelle - qui exercent soit à titre individuel, soit en qualité de préposés d'un établissement sanitaire, social ou médico-social.

Lorsqu'elles exercent cette fonction à titre individuel, ces personnes n'ont en principe pas à justifier de compétences ou de formation professionnelles particulières pour être inscrites par le procureur de la République sur la liste des personnes habilitées à exercer des mesures de tutelle ou de curatelle. Seul l'exercice d'une TPSA exige une qualification particulière définie par décret.

Selon une enquête menée par le ministère de la justice en mars 2005, 4.415 gérants de tutelle privés seraient actuellement inscrits sur ces listes. Certains peuvent assumer en pratique plus de 150 mesures, le cas échéant avec l'assistance de collaborateurs. Néanmoins, près de 3.000 gérants prennent en charge moins de dix mesures de protection.

Les préposés d'établissements hospitaliers ou d'établissements sociaux ou médico-sociaux gèrent quant à eux environ 92.100 mesures.

Nombre et mode de gestion des mesures de protection
(1990-2004)

Mode de gestion des tutelles
et curatelles ouvertes

1990

2002

2003

2004

Variation
1990-2004
(%)

Nombre

%

Nombre

%

Nombre

%

Nombre

%

Placement sous tutelle

27.739

66,5

29.798

50,4

30.928

50,3

32.408

49,5

16,8

Conseil de famille

737

1,8

121

0,2

113

0,2

104

0,2

- 85,8

Administration légale

12.631

30,3

16.331

27,6

16.894

27,5

18.055

27,6

42,9

Sous-total « tutelle familiale »

13.368

32,0

16.452

27,8

17.007

27,6

18.160

27,8

35,8

Gérance

11.098

26,6

7.336

12,4

7.349

11,9

7.135

10,9

- 35,7

Tutelle d'Etat

3.273

7,8

6.011

10,2

6.571

10,7

7.113

10,9

117,3

Curatelle

13.975

33,5

29.300

49,6

30.614

49,7

33.009

50,5

136,2

Curatelle

10.898

26,1

17.321

29,3

17.378

28,2

18.293

28,0

67,9

Curatelle d'Etat

3.078

7,4

11.979

20,3

13.236

21,5

14.717

22,5

378,2

Etat total

6.351

15,2

17.990

30,4

19.807

32,2

21.830

33,4

243,8

Autres modes de gestion

35.363

84,8

41.108

69,6

41.734

67,8

43.588

66,6

23,3

TOTAL

41.714

100,0

59.098

100,0

61.541

100.0

65.418

100,0

56,8

Source : Ministère de la justice

Les mesures de protection peuvent également être confiées à des personnes morales . Ce sont alors le plus souvent des associations qui délèguent alors l'un de leurs salariés dans l'exercice d'un nombre déterminé de mesures.

Ces associations, le plus souvent locales, sont plus ou moins spécialisées : elles peuvent exercer une mission tutélaire parmi d'autres missions, comme le font notamment les unions départementales des associations familiales (UDAF), particulièrement présentes sur l'ensemble du territoire ; elles peuvent n'avoir que cette mission unique, le cas échéant orientée vers un public majeur spécifique (handicap mental ou handicap psychique). Le nombre des mesures confiées à des délégués à la tutelle varie fortement selon les personnes morales concernées ; en moyenne il se situe entre 50 et 60 mesures.

L'absence d'un statut uniforme pour l'ensemble des personnes exerçant des mesures est regrettable, et ce d'autant plus que, dans le système juridique du code civil comme dans celui du code de la sécurité sociale, la personne qui assume la charge tutélaire assure, selon des degrés divers en fonction de la nature de la mesure, la gestion des biens du majeur et la protection de ses droits personnels. Ces lourdes responsabilités, exercées en lieu et place de personnes par nature vulnérables, ne doivent donc pas pouvoir conduire à des abus.

Or, la position même de ces mandataires leur donne la possibilité, pour les moins scrupuleux, d'assurer leur enrichissement personnel grâce à la gestion des biens du majeur qui leur est confié. Les médias se font ainsi parfois l'écho de patrimoines détournés. La pratique des « comptes pivots », qui consiste à verser dans un compte commun ouvert au nom du mandataire l'ensemble des revenus des différentes personnes protégées dont il a la charge, a ainsi pu faire le bonheur de certaines personnes physiques ou morales.

Si, comme l'a souligné la Cour des comptes en 2006, ces abus ne sont pas généralisés, ils ne sont pas rares non plus. Comme le notait le rapport des trois inspections, ils sont « avant tout le fruit des carences des mécanismes de contrôle ».

Il est vrai que le contrôle est notoirement insuffisant. Exercé pour l'essentiel par les directions départementales de l'action sanitaire et sociales (DDASS), il demeure lacunaire : il ne touche en effet qu'environ 360 services tutélaires, essentiellement du secteur associatif, pour environ 230.000 majeurs protégés. Et encore ce contrôle n'est-il exercé de façon effective que pour certaines mesures : il est réel pour les TPSA mais plus formel pour les curatelles et tutelles.

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