II. LE PROTOCOLE FACULTATIF DE 2002

A. UN PROCESSUS D'ADOPTION DIFFICILE

Le protocole est l'aboutissement de négociations longues et difficiles. Le projet a été soumis en 1991 par le Costa Rica à la commission des droits de l'homme des Nations Unies. Celle-ci avait mis en place un groupe de travail chargé d'élaborer un projet de Protocole. Ce groupe de travail était ouvert à tous les Etats, membres ou non de la Commission, ainsi qu'aux organisations intergouvernementales et non gouvernementales. Amnesty international et d'autres ONG internationales ont participé à ces travaux et ont fait campagne en faveur de l'adoption d'un instrument supplémentaire.

Reconnaissant l'importance du Protocole, la Conférence mondiale sur les droits de l'homme qui s'est tenue en 1993 s'est efforcée de faire porter les efforts tendant à éliminer la torture sur la prévention grâce à un système préventif de visites régulières sur les lieux de détention.

Néanmoins, les négociations ont été difficiles et il a fallu dix ans au groupe de travail pour négocier un texte. Parmi les points prêtant à controverse, figuraient les préoccupations relatives aux invitations permanentes destinées à donner aux experts le droit d'effectuer des visites dans un pays à tout moment et sans restriction. Certains Etats craignaient en effet que ces experts n'abusent de leurs pouvoirs pour visiter dans leur totalité les lieux de détention et émettent des critiques fondées sur des considérations politiques.

B. UN CONTENU TOURNÉ VERS LA PRÉVENTION

Le Protocole met en place un type de mécanisme international qui diffère de ceux existant dans le système des Nations Unies, à savoir le rapporteur spécial sur la torture, le Comité contre la torture et le Comité des droits de l'homme, car il s'efforce d'empêcher le recours à la torture plutôt que de réagir à des cas de torture signalés. Ces trois organismes, bien qu'ils émettent des recommandations aux États pour prévenir le recours à la torture, n'ont en effet pas le droit de se rendre régulièrement dans un pays pour inspecter les lieux de détention et le comportement des personnes directement responsables de la détention de prisonniers et de suspects.

Il s'agit là d'un système à deux piliers, avec d'une part des mécanismes nationaux et d'autre part un « sous-comité de la prévention », qui constitue une innovation importante et traduit lui aussi l'accent mis sur l'aspect préventif du phénomène.

1. La création du sous-comité de la prévention

Le sous-comité de la prévention se compose de dix membres élus par les Etats parties pour une durée de quatre ans, et passera à 25 membres lorsque le Protocole aura été ratifié par 50 Etats, aucun Etat ne pouvant avoir plus d'un ressortissant au sein de ce sous-comité. Sa mission est triple.

En premier lieu, il a la possibilité d'effectuer des visites en tout lieu où se trouvent ou pourraient se trouver des personnes privées de liberté sur l'ordre d'une autorité publique ou à son instigation, ou avec son consentement exprès ou tacite.

En second lieu, le sous-comité coopère avec les Etats parties en vue de l'offrir aide et assistance dans la mise en place des mécanismes nationaux de prévention. Il peut, notamment, formuler des recommandations et observations.

Enfin, le sous-comité coopère avec les organes des Nations Unies, ainsi qu'avec les organisations ou organismes internationaux régionaux et nationaux qui oeuvrent en faveur du renforcement de la protection de toutes les personnes.

Afin de mener à bien leur mission, les membres du Sous-Comité de la prévention, comme ceux appartenant aux mécanismes nationaux, jouissent des privilèges et immunités nécessaires pour exercer leurs fonctions en toute indépendance.

2. La création de mécanismes nationaux

Dans son article 17, le Protocole met à la charge des Etats parties l'obligation de mettre en place, un an au plus tard après l'entrée en vigueur du Protocole, un ou plusieurs mécanismes nationaux indépendants de prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Ces mécanismes doivent essentiellement permettre d'examiner régulièrement la situation des personnes privées de liberté, au moyen de visites. Ces visites doivent pouvoir être effectuées dans des conditions particulières d'indépendance et de liberté d'accès.

Il existe aujourd'hui en France des organismes ou autorités pouvant effectuer des visites de lieux de privation de liberté. C'est le cas, notamment, des parlementaires, des procureurs de la République, de la Commission de déontologie de la sécurité (CNDS) ou de la Commission nationale de contrôle des zones d'attente.

Ces organes ne remplissent pas, en l'état, toutes les conditions définies par le Protocole, à savoir l'indépendance de l'organe et de ses membres, la liberté de choisir les lieux à visiter, la possibilité de s'entretenir sans témoins avec les personnes privées de liberté ainsi que l'accès à tous les renseignements relatifs au traitement de ces personnes et à leurs conditions de détention.

Le Gouvernement a donc décidé de créer, par voie législative, un mécanisme ad hoc, « le contrôleur général des lieux de privation de liberté », par anticipation de la ratification du Protocole. C'est ce qui a donné lieu à la loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007 instituant un « contrôleur général des lieux de privation de liberté » 2 ( * ) .

Cette loi a permis de satisfaire aux exigences du Protocole, et notamment de ses articles 17 et 18 qui prescrivent la nécessité d'assurer un mécanisme de prévention « indépendant », aussi bien dans l'exercice de ses missions que dans le statut de son personnel.

En revanche, il a été plus difficile d'intégrer en droit français l'article 15 du Protocole qui dispose qu'«aucune autorité publique ni aucun fonctionnaire n'ordonnera, n'appliquera, n'autorisera ou ne tolérera de sanction à l'encontre d'une personne ou d'une organisation qui aura communiqué des renseignements, vrais ou faux , au sous-comité de la prévention ou à ses membres, et la dite personne ou organisation ne subira de préjudice d'aucune autre manière». L'article 21 contient des dispositions identiques concernant les mécanismes nationaux.

Ces dispositions reviennent, in fine pour l'Etat partie, à s'engager à ne pas poursuivre pénalement en cas de dénonciation calomnieuse. Bien que le Protocole interdise les réserves (art.30), le Gouvernement français a déposé une déclaration interprétative lors de la ratification du Protocole afin d'atténuer la portée de ces deux articles et demeurer en conformité avec ses propres dispositions pénales.

Il s'agit en l'occurrence de limiter la notion de renseignements « vrais ou faux » aux renseignements communiqués de bonne foi, seuls par conséquent, à bénéficier de l'immunité prévue pour les déclarations faites aux membres du mécanisme, à l'exclusion du faux intentionnel.

* 2 V. notamment rapport de M. Jean-Jacques Hyest, au nom de la Commission des lois, n° 414 (2006-2007)

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