N° 438

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2007-2008

Annexe au procès-verbal de la séance du 2 juillet 2008

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires économiques (1) sur la proposition de loi , ADOPTÉE AVEC MODIFICATIONS PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN DEUXIÈME LECTURE , visant à rendre obligatoire l' installation de détecteurs de fumée dans tous les lieux d' habitation ,

Par M. René BEAUMONT,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Paul Emorine , président ; MM. Jean-Marc Pastor, Gérard César, Bernard Piras, Gérard Cornu, Marcel Deneux, Pierre Hérisson , vice-présidents ; MM. Gérard Le Cam, François Fortassin, Dominique Braye, Bernard Dussaut, Jean Pépin, Bruno Sido, Daniel Soulage , secrétaires ; MM. Jean-Paul Alduy, Pierre André, Gérard Bailly, René Beaumont, Michel Bécot, Jean-Pierre Bel, Joël Billard, Michel Billout, Claude Biwer, Jean Bizet, Jean Boyer, Mme Yolande Boyer, MM. Jean-Pierre Caffet, Raymond Couderc, Roland Courteau, Jean-Claude Danglot, Philippe Darniche, Gérard Delfau, Jean Desessard, Mme Évelyne Didier, MM. Philippe Dominati, Michel Doublet, Daniel Dubois, Alain Fouché, Alain Gérard, François Gerbaud, Charles Ginésy, Adrien Giraud, Francis Grignon, Louis Grillot, Georges Gruillot, Mme Odette Herviaux, MM. Michel Houel, Benoît Huré, Charles Josselin, Mme Bariza Khiari, M. Yves Krattinger, Mme Élisabeth Lamure, MM. Gérard Larcher, Jean-François Le Grand, André Lejeune, Philippe Leroy, Claude Lise, Daniel Marsin, Jean-Claude Merceron, Dominique Mortemousque, Jacques Muller, Mme Jacqueline Panis, MM. Jackie Pierre, Rémy Pointereau, Ladislas Poniatowski, Daniel Raoul, Paul Raoult, Daniel Reiner, Thierry Repentin, Bruno Retailleau, Charles Revet, Henri Revol, Roland Ries, Claude Saunier, Mme Odette Terrade, MM. Michel Teston, Yannick Texier.

Voir le(s) numéro(s) :

Première lecture : 2535 , 2554 et T.A. 486

Deuxième lecture : 56 , 953 et T.A. 158

Première lecture : 22 (2005-2006), 116 et T.A. 59 (2006-2007)

Deuxième lecture : 399 (2007-2008)

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est saisi en deuxième lecture de la proposition de loi visant à rendre obligatoire l'installation de détecteurs de fumée dans tous les lieux d'habitation .

Comme c'est trop souvent le cas des textes d'initiative parlementaire, son cheminement a été un peu erratique, les trop longs délais observés entre les premières lectures dans chaque assemblée, puis entre la première lecture au Sénat et la deuxième lecture à l'Assemblée nationale contrastant avec la brièveté de celui prévu avant la deuxième lecture au Sénat.

Déposée à l'Assemblée nationale par deux députés, MM. Damien Meslot et Pierre Morange, au lendemain des tragiques incendies de l'été 2005, cette proposition de loi a pour objet, en s'inspirant de nombreux exemples étrangers, de réduire le nombre de décès et de dommages corporels graves causés par les incendies domestiques, notamment ceux qui se déclarent la nuit.

Comme le soulignait le rapport en première lecture de M. Damien Meslot au nom de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, elle propose « une mesure simple et réaliste, qui ne prétend pas résoudre tous les problèmes liés à l'insalubrité des logements, ni éliminer toutes les causes d'incendie, mais s'insère dans l'ensemble de la chaîne de prévention pour sensibiliser chacun et contribuer à la sécurité de tous ».

A l'issue de la première lecture, il est apparu qu'en dépit d'un accord de fond sur l'utilité et l'intérêt de cette « mesure simple », les positions de l'Assemblée nationale et du Sénat sur les conditions de sa mise en oeuvre divergeaient sur deux points :

- tandis que le texte adopté par l'Assemblée nationale comportait une définition précise du type de détecteur dont l'installation serait rendue obligatoire, le « détecteur avertisseur autonome de fumée », ou DAAF, le Sénat, s'il a tenu à préciser que seuls pourraient être installés des appareils normalisés, a renvoyé au pouvoir réglementaire le soin de fixer les caractéristiques des appareils qu'il conviendrait d'utiliser ;

- l'Assemblée nationale avait prévu que l'installation et la maintenance des détecteurs incomberaient aux occupants des logements. Le Sénat a estimé pour sa part qu'il serait plus logique et plus efficace de faire porter ces obligations sur leurs propriétaires.

Ces divergences subsistent dans le texte adopté en deuxième lecture par l'Assemblée nationale.

Cependant, compte tenu de la teneur des débats en séance publique, et du dialogue très fructueux qu'il a pu nouer avec le rapporteur de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, votre rapporteur estime qu'il devrait être possible de les surmonter et de progresser vers une position commune des deux assemblées.

Votre commission vous fera des propositions en ce sens et elle souhaite que le Gouvernement leur apporte son soutien.

*

* *

I. LES POSITIONS PRISES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN DEUXIÈME LECTURE

A l'issue de la première lecture de la proposition de loi, seuls deux de ses cinq articles avaient été adoptés dans les mêmes termes par les deux assemblées : l'article 3 , relatif à la possibilité d'une minoration des primes d'assurance incendie des assurés ayant satisfait à l'obligation d'installation de détecteurs de fumée et l'article 3 bis , qui prévoit la nullité des déchéances de garantie sanctionnant le non-respect de cette obligation.

La situation n'a pas évolué après la deuxième lecture à l'Assemblée nationale, qui a en particulier maintenu les positions qu'elle avait prises en première lecture sur la définition des détecteurs de fumée et sur la mise à la charge des occupants des logements de l'installation et de la maintenance de ces équipements.

Cependant, le débat en séance publique a aussi mis en évidence la profonde communauté de vues des deux assemblées et du Gouvernement sur le caractère global de la politique de prévention des incendies domestiques et de leurs conséquences humaines, ainsi que sur les conditions à remplir pour que la mesure proposée soit pleinement efficace.

Convergence avec le Sénat sur les objectifs poursuivis à travers l'adoption de la proposition de loi, divergences sur le dispositif à retenir : ainsi peut-on résumer les positions prises par l'Assemblée nationale.

1. L'accord avec le Sénat sur la nécessité de faire prévaloir une « culture de la prévention »

En première lecture, votre commission avait souhaité mettre l'accent sur le retard de la France en matière de prévention des risques d'incendie domestique et elle avait estimé que, pour que la démarche tendant à imposer l'installation de détecteurs de fumée prenne tout son sens, il fallait impérativement qu'elle soit précédée et accompagnée d'un effort important d'information du public sur la prévention des risques d'incendie et sur la conduite à tenir en cas de sinistre.

Comme l'ont montré en effet de tragiques exemples, l'installation de détecteurs peut être plus dangereuse qu'utile si elle crée un sentiment de fausse sécurité, ou si le déclenchement d'une alarme risque de provoquer des réactions de panique susceptibles d'avoir des conséquences dramatiques.

Le Sénat avait partagé ces préoccupations et adopté un amendement tendant à imposer que le délai de cinq ans prévu avant l'entrée en vigueur de la loi soit mis à profit pour mener des actions d'information du public.

Votre commission se félicite que l'Assemblée nationale ait retenu cet amendement. Elle a également noté que l'ensemble des intervenants dans le débat ont, comme les sénateurs en première lecture, insisté sur le fait que l'efficacité de la mesure proposée dépendrait de l'information du public et abordé tous les aspects de la prévention des risques d'incendie, y compris l'effort indispensable, et que permettent d'amplifier d'importantes mesures législatives intervenues depuis 2003, pour lutter contre l'habitat indigne et faciliter la sécurisation des bâtiments.

2. Les divergences sur le dispositif de la proposition de loi

a) La définition technique des détecteurs de fumée

L'Assemblée nationale a rétabli les dispositions qu'elle avait adoptées en première lecture pour imposer l'installation d'une catégorie unique de détecteurs de fumée, le DAAF, c'est-à-dire un appareil fonctionnant sur pile et comportant une alarme intégrée.

Le rapporteur de la commission des affaires économiques a justifié ce rétablissement en faisant valoir qu'il était important, « pour une plus grande sécurité », que les détecteurs soient autonomes, et non raccordés au secteur.

Au premier abord, cet argument peut sembler logique.

L'expérience des pays étrangers montre cependant qu'il n'est en réalité pas fondé et qu'au contraire les détecteurs sur secteur, qui disposent d'ailleurs généralement d'une alimentation de secours (pile ou batterie), sont beaucoup plus fiables que les détecteurs fonctionnant sur piles.

Les statistiques des services d'incendie britanniques font ainsi apparaître qu'en cas d'incendie, le taux de non-déclenchement des détecteurs à pile, bien qu'il tende à diminuer au fil des ans, reste considérablement plus élevé que celui des détecteurs sur secteur : il était en 2006 de 36 % , soit près de trois fois supérieur à celui des détecteurs reliés au réseau électrique (13 %).

Le code de bonnes pratiques britannique sur lequel se fondent les règlements applicables en Angleterre, au pays de Galles, en Ecosse et en Irlande du Nord classe d'ailleurs en troisième et dernière position (classe F) les détecteurs fonctionnant sur pile, après les détecteurs sur secteur comportant une alimentation de secours (classe D) et les détecteurs sur secteur sans alimentation de secours (classe E). Il considère en conséquence que ces détecteurs ne constituent une solution acceptable que pour des catégories limitées d'habitations existantes 1 ( * ) , et à condition que l'on soit « raisonnablement assuré » que la pile sera remplacée quand elle doit l'être.

On remarquera également que lorsqu'une réglementation définit limitativement les catégories d'appareils qu'il convient d'installer ou en recommande certaines (comme dans certains Etats américains et australiens, en Belgique dans la région de Bruxelles Capitale 2 ( * ) ou dans les différentes composantes du Royaume-Uni), la catégorie des détecteurs fonctionnant sur une pile ordinaire qu'il faut changer tous les ans est immanquablement celle qui est exclue, ou dont l'emploi n'est pas recommandé.

Imposer l'installation de détecteurs « autonomes » ne semble donc pas, bien au contraire, correspondre à une garantie de sécurité.

b) La mise à la charge des occupants des logements de l'installation et de la maintenance des détecteurs de fumée

L'Assemblée nationale a modifié en deuxième lecture le texte adopté par le Sénat pour faire porter, comme elle l'avait déjà prévu en première lecture, les obligations d'installation et de maintenance des détecteurs de fumée sur les occupants des habitations, sauf dans des cas limités qui seront définis par décret, tel celui des locations saisonnières.

Elle estime en effet, le gouvernement semblant partager ce sentiment, que faire peser toutes les obligations sur les occupants est nécessaire pour les « responsabiliser » et que les occupants de logements qui n'auraient pas installé les détecteurs ne pourraient pas en maîtriser le fonctionnement.

Ce choix et ses motivations appellent de la part de votre rapporteur un certain nombre d'observations, fondées notamment sur les comparaisons internationales qu'il a pu faire 3 ( * ) .

- Il n'a ainsi trouvé aucun exemple de réglementation mettant à la charge des locataires l'équipement en détecteurs de fumée du logement qu'ils occupent, même si l'on doit mentionner que certains Etats américains dispensent les propriétaires d'équiper les logements individuels en location, ou ceux inclus dans un bâtiment ne comprenant pas plus de trois logements.

En règle générale, c'est donc toujours le propriétaire qui est tenu d'installer les détecteurs de fumée, de les remplacer quand ils doivent l'être et de les réparer quand ils ne fonctionnent pas.

Il doit également donner aux occupants d'un logement toutes informations sur les détecteurs de fumée qui y sont installés : il est souvent prévu, à cette fin, qu'il leur communique la notice d'utilisation des appareils.

- En matière d'entretien des détecteurs , diverses solutions peuvent être rencontrées mais le cas le plus fréquent est celui où le locataire est tenu de veiller au bon fonctionnement de l'appareil en le testant régulièrement, de remplacer la pile des détecteurs alimentés par une pile ordinaire et d'avertir le propriétaire en cas de dysfonctionnement. Des conventions-type peuvent, comme par exemple au Royaume-Uni et en Wallonie, être proposées pour formaliser cette répartition des rôles entre propriétaires et locataires.

Au Canada, l'Ontario semble cependant offrir un exemple de cas où la totalité des responsabilités est à la charge du propriétaire, y compris celle du remplacement des piles.

On peut aussi citer, en Australie, la réglementation applicable depuis le 1 er mai 2006 dans l'Etat de Nouvelles Galles du Sud, qui n'impose au locataire que le remplacement des piles : encore ce dernier peut-il exiger que le propriétaire s'en charge s'il en est physiquement incapable.

- Enfin, on observera qu'à l'occasion de l'avis qu'elle a rendu en mars 2008 à la suite de saisines de l'Union fédérale des consommateurs et de l'Institut national de la consommation, la Commission de la sécurité des consommateurs , considérant que « la sécurité des logements suppose l'implication de tous », a recommandé aux pouvoirs publics d'assurer une prompte adoption de la proposition de loi qui nous est soumise, mais aussi de préciser dans ce texte que « l'installation des détecteurs avertisseurs de fumée est à la charge du propriétaire et qu'il revient à l'occupant de réaliser les opérations d'entretien et de maintenance ».

* 1 On rappellera que le « Smoke detectors Act » adopté en 1991 n'impose l'installation de détecteurs de fumée que dans les bâtiments construits ou rénovés depuis 1992. Le taux d'équipement des foyers britanniques est cependant de 80 %.

* 2 Où l'installation de détecteurs n'est obligatoire que dans les logements locatifs, les propriétaires occupants étant libres de s'équiper ou non.

* 3 Comparaisons rendues difficiles par le fait que dans les Etats fédéraux (Etats-Unis, Canada, Australie), mais aussi dans nombre d'autres pays les réglementations en matière d'installation de détecteurs de fumée ou celles applicables aux relations entre propriétaires et locataires, ne sont pas définies au niveau national, ou sont susceptibles d'adaptations locales.

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