3. Un droit encore limité

Certaines des garanties reconnues aux personnes détenues méritent d'être complétées car elles sont en deçà des références admises en Europe. Tel est le cas, en particulier, du placement en cellule disciplinaire dont la durée peut atteindre 45 jours alors qu'elle dépasse rarement 20 jours dans les pays voisins.

Surtout, l'exercice de ces droits rencontre de nombreuses limites. La plupart d'entre eux sont assortis de restrictions inspirées par le maintien de l'ordre et la sécurité dans les établissements. Justifiées dans leur principe, ces limitations donnent en fait aux chefs d'établissement et aux personnels de surveillance une large capacité d'appréciation. Comme votre rapporteur a pu le constater à l'occasion de ses visites dans les prisons, les pratiques peuvent fortement varier d'un établissement à l'autre, d'autant plus qu'il n'existe pas de règlement-type commun qui permettrait de mieux harmoniser les usages.

Dans deux domaines en particulier, les visites et les fouilles , le pouvoir d'appréciation discrétionnaire laissé à l'administration donne lieu parfois à un sentiment d'arbitraire. Si les visites se déroulent en principe dans un parloir sans dispositif de séparation, celui-ci peut être institué s'il existe des « raisons sérieuses de redouter un incident » (art. D. 405 du code de procédure pénale).

En outre, dans l'exercice du droit de visite, le surveillant peut mettre un terme à l'entretien « s'il y a lieu ». Quant aux fouilles, leur caractère systématique et leurs modalités -fouille intégrale impliquant que le détenu se dénude entièrement- peuvent apparaître hors de proportion avec les exigences de sécurité. Dans l'arrêt précité condamnant la France (Frérot c/ France, 12 septembre 2007), la Cour européenne des droits de l'homme note qu'elle a été frappée « par le fait que d'un lieu de détention à un autre, les modalités les plus intrusives dans l'intimité corporelle ont été appliquées de manière variable » au requérant.

La faculté donnée au détenu de saisir le juge administratif constitue une garantie indispensable car celui-ci procède au contrôle de la nécessité de la mesure administrative, de son adaptation à l'objectif poursuivi et de la proportionnalité des moyens utilisés. La jurisprudence du Conseil d'Etat admet désormais que toute mesure durcissant les conditions de détention peut faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir 7 ( * ) . La limitation du champ des mesures d'ordre intérieur insusceptibles de recours a été sans doute l'une des expressions les plus notables du progrès de l'état de droit en prison. Cependant, la procédure contentieuse est souvent longue et complexe. Il est donc souhaitable que les principes de nécessité et de proportionnalité soient intégrés dans la norme juridique et guident constamment l'administration pénitentiaire.

Certains droits dont le principe est parfaitement admis peuvent être limités du fait du manque de moyens . Ainsi, l'insuffisance du nombre d'aumôniers musulmans complique, en pratique, l'exercice de ce culte en détention.


L'exercice du culte musulman

L'exercice des cultes ne semble pas soulever aujourd'hui de difficultés au sein des établissements pénitentiaires à l'exception du culte musulman dont l'émergence dans la société française n'a été prise en compte que tardivement par l'administration pénitentiaire.

Lors de ses échanges avec votre rapporteur, M. Moulay el Hassan El Alaoui Talibi, aumônier national musulman des prisons, a relevé trois difficultés dans la pratique habituelle de ce culte : l'impossibilité de procéder aux grandes ablutions parfois nécessaires avant la prière dans des établissements où le nombre de douches autorisées par semaine est limité ; une gestion très différente selon les établissements de la fourniture de repas Hallal ; la reconnaissance encore insuffisante des rituels annuels (par exemple, le jeûne du mois de Ramadan -et l'obligation pour le musulman de se lever avant l'aube pour se nourrir- ou encore la célébration des fêtes religieuses comme l'Aïd el Fitr qui clôt le mois de Ramadan ou l'Aïd el Kebir -la grande fête).

Dans une note en date du 13 juillet 2007, l'administration pénitentiaire a cherché à fixer des références communes à tous les établissements : respect du temps de prière dans la cellule (le personnel étant invité à différer son intervention sauf en cas d'urgence ou lorsque le détenu, par une prière excessivement longue cherche par ce moyen à faire obstacle à la mission de contrôle) ; autorisation du port de certains vêtements cultuels à certaines conditions (la djellaba pour les hommes, une tenue couvrant la tête et le corps pour les femmes, autorisées en cellule et lors des activités cultuelles -mais transportées lors des trajets de la salle de culte à la cellule).

Néanmoins, la principale difficulté reste l'insuffisance du nombre d'aumôniers et auxiliaires musulmans -117 contre 568 catholiques, 294 protestants et 66 israélites.

Il apparaît indispensable de renforcer cette présence qui, comme de nombreux directeurs d'établissements pénitentiaires l'ont souligné lors des visites de votre rapporteur, constituent un facteur d'apaisement en détention et aussi un instrument de prévention du prosélytisme radical 8 ( * ) .

Cependant, le recrutement des aumôniers musulmans est compliqué par deux facteurs : une organisation institutionnelle récente -le Conseil français du culte musulman- partagée entre des courants divers et beaucoup moins structurée que ne le sont par exemple les cultes catholique et protestant ; l'insuffisance de moyens financiers.

Un soutien financier aux cultes est possible dans le cadre posé par la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat de 1905 dont l'article 2 (deuxième alinéa) dispose : « Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d'aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons ». Malgré la progression des dépenses cultuelles au cours des dernières années (2,1 millions d'euros en 2008 contre 1,4 million d'euros en 2005) 9 ( * ) , la rémunération annuelle des aumôniers à plein temps (10.000 euros pour un aumônier régional et 12.000 euros pour un aumônier national) demeure encore insuffisante.

Pour votre rapporteur, l'administration pénitentiaire doit consacrer un effort financier particulier au recrutement des aumôniers musulmans ainsi qu'à leur formation.

Enfin et surtout, le phénomène de surpopulation conduit à restreindre certaines garanties essentielles comme le droit à l'encellulement individuel.

* 7 Voir l'avis de votre rapporteur sur le projet de loi de finances pour 2009, p. 27 et 28.

* 8 Selon M. Martin Parkouda, responsable de la sous direction de l'état major de sécurité de l'administration pénitentiaire, il convient de distinguer les détenus condamnés pour des faits de terrorisme islamiste (73), les prosélytes actifs (une centaine) et les détenus en voie de radicalisation (estimés à 213).

* 9 Le Sénat, par un amendement adopté à la loi de finances pour 2008, à l'initiative de M. Roland du Luart, avait abondé cette dotation de 150.000 euros

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