N° 396

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2008-2009

Annexe au procès-verbal de la séance du 12 mai 2009

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires culturelles (1) sur le projet de loi , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN NOUVELLE LECTURE , favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet ,

Par M. Michel THIOLLIÈRE,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jacques Legendre , président ; MM. Ambroise Dupont, Michel Thiollière, Serge Lagauche, David Assouline, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Ivan Renar, Mme Colette Mélot, M. Jean-Pierre Plancade , vice-présidents ; M. Pierre Martin, Mme Marie-Christine Blandin, MM. Christian Demuynck, Yannick Bodin, Mme Béatrice Descamps , secrétaires ; MM. Jean-Paul Amoudry, Jean-Pierre Bel, Claude Bérit-Débat, Mme Maryvonne Blondin, M. Pierre Bordier, Mmes Bernadette Bourzai, Marie-Thérèse Bruguière, M. Jean-Claude Carle, Mme Françoise Cartron, MM. Jean-Pierre Chauveau, Gérard Collomb, Yves Dauge, Claude Domeizel, Alain Dufaut, Mme Catherine Dumas, MM. Jean-Léonce Dupont, Louis Duvernois, Jean-Claude Etienne, Mme Françoise Férat, MM. Jean-Luc Fichet, Bernard Fournier, Mme Brigitte Gonthier-Maurin, MM. Jean-François Humbert, Soibahadine Ibrahim Ramadani, Mlle Sophie Joissains, M. Philippe Labeyrie, Mmes Françoise Laborde, Françoise Laurent-Perrigot, M. Jean-Pierre Leleux, Mme Claudine Lepage, MM. Alain Le Vern, Jean-Jacques Lozach, Mme Lucienne Malovry, MM. Jean Louis Masson, Michel Mercier, Philippe Nachbar, Mme Monique Papon, MM. Daniel Percheron, Jack Ralite, Philippe Richert, René-Pierre Signé, Jean-François Voguet.

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

Première lecture : 405 (2007-2008), 53 , 59 et T.A. 8 (2008-2009)

Deuxième lecture : 320 (2008-2009)

Commission mixte paritaire : 327 et T.A. 75 (2008-2009)

Nouvelle lecture : 395 et 397 (2008-2009)

Assemblée nationale ( 13 ème législ.) :

Première lecture : 1240 , 1481 , 1486 , 1504 et T.A. 249

Commission mixte paritaire : 1589 et T.A. 266

Nouvelle lecture : 1618, 1626 et T.A. 275

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

En premier lieu, le calendrier et le processus législatif suivis pour l'adoption du présent projet de loi, favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet, méritent d'être rappelés.

Ce texte a été déposé le 18 juin 2008 sur le Bureau du Sénat et renvoyé à la commission des affaires culturelles, la commission des affaires économiques s'en saisissant pour avis. Le Gouvernement a déclaré l'urgence sur ce projet de loi le 23 octobre 2008.

Le 30 octobre 2008, notre Haute assemblée a adopté ce texte en première lecture à la quasi unanimité, après un débat constructif et serein, chacun étant guidé par le souci de défendre la diversité de la création culturelle dans notre pays. Et l'on sait que celle-ci passe par le respect des droits des artistes, notamment le droit d'auteur et les droits voisins.

Puis, compte tenu d'un ordre du jour chargé, l'Assemblée nationale a adopté ce texte le 2 avril 2009.

La commission mixte paritaire, réunie le 7 avril, a trouvé un terrain d'entente sur les dispositions restant en discussion et nous nous sommes félicités des principales avancées obtenues par le Sénat en vue d'assurer l'efficacité et le caractère pédagogique de ce texte qui vise à encourager le développement de l'offre légale et à lutter contre le piratage des oeuvres culturelles. Les principales d'entre elles sont les suivantes :

- En cas de suspension de l'accès à Internet, l'internaute concerné continuera à payer la totalité de son abonnement à l'offre « triple play », ceci pour deux raisons : l'une pédagogique, l'autre juridique. En effet, en cas de suspension du paiement de l'abonnement à Internet, les fournisseurs d'accès auraient été fondés à se retourner vers l'Etat pour lui demander de compenser financièrement le manque à gagner d'une décision administrative sanctionnant le comportement de l'internaute concerné, alors qu'ils n'en n'auraient pas été responsables.

Dans le cas contraire, on aurait donc abouti au paradoxe suivant : l'Etat, et donc les contribuables, auraient payé pour les internautes contrevenants ! Certains s'interrogent d'ailleurs sur la constitutionnalité qu'aurait revêtue une telle disposition.

Nous nous étions, par conséquent, étonnés de l'interprétation donnée de cette mesure par les médias. Certains ont parlé, de façon inappropriée, de soi-disant « double peine » alors qu'il s'agit simplement de respecter les relations contractuelles entre l'internaute et son fournisseur d'accès. Lorsqu'un abonné - que ce soit à Internet ou à EDF d'ailleurs - ne respecte pas ses obligations, il est normal qu'il continue à payer son abonnement. Pour les sénateurs, c'est une question de bon sens et d'efficacité pédagogique !

- La commission mixte paritaire a exclu toute amnistie des contraventions dressées et condamnations prononcées à l'encontre des pirates sanctionnés en vertu du délit de contrefaçon de droits voisins. En effet, les personnes concernées sont de véritables trafiquants, et non de simples particuliers poursuivis pour téléchargement illégal. Il n'y avait donc pas lieu de revenir sur cette application de la loi sur les droits d'auteur et les droits voisins dans la société de l'information du 1er août 2006 (dite loi DADVSI), sauf à envoyer un message, là aussi paradoxal, aux « pirates » en laissant supposer que les « gros » échapperont aux mailles du filet.

- La commission mixte paritaire a rétabli l'élection du président du collège de la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (HADOPI) par ses membres, en remplacement de la nomination par décret, après avis des commissions parlementaires compétentes, prévue dans le texte adopté en première lecture par l'Assemblée nationale. Le Sénat avait adopté ce mode de désignation à l'initiative de notre collègue Catherine Morin-Desailly, afin de garantir l'impartialité de cette autorité publique indépendante.

- Enfin, elle a confirmé les dispositions introduites par l'Assemblée nationale, à l'initiative du Gouvernement et du député Christian Kert, en faveur du secteur de la presse.

Le jeudi 9 avril dernier, alors que le Sénat avait adopté les conclusions de la commission mixte paritaire, l'Assemblée nationale les a rejetées.

Cette situation, très rare dans l'histoire de notre cinquième République, a entraîné la poursuite de la « navette parlementaire ». L'Assemblée nationale a , par conséquent, examiné le présent projet de loi à l'occasion d'une nouvelle lecture et adopté ce texte par un vote solennel le mardi 12 mai.

Elle a, à cette occasion, adopté un texte extrêmement proche de celui résultant des travaux de la commission mixte paritaire ; elle a seulement apporté trois modifications mineures mais ayant le mérite de conforter le caractère contradictoire de la procédure.

C'est pourquoi votre commission des affaires culturelles l'a adopté sans modification et vous demande d'adopter en nouvelle lecture le projet de loi tel que modifié par l'Assemblée nationale.

En second lieu, les débats que suscite l'adoption par les députés européens, le mercredi 6 mai dernier, d'un amendement à ce qu'il est convenu d'appeler le « Paquet Télécoms », nécessitent quelques éclaircissements.

Rappelons que le « Paquet Télécoms » regroupe un ensemble de textes relatifs à la réglementation des réseaux de communications électroniques. Il doit être adopté par le Parlement européen et le Conseil (composé des représentants des Gouvernements des 27 États membres) suivant la procédure dite de « codécision », procédure qui s'inspire du modèle classique de la navette parlementaire, étant précisé qu'il n'existe pas cependant de « dernier mot » entre ces deux institutions. En effet, après deux lectures infructueuses dans chacune d'entre elles (nous nous trouvons aujourd'hui au stade de la deuxième lecture par le Parlement), cette procédure est clôturée par l'intervention d'un « comité de conciliation », paritaire, qui tente de dégager un texte commun. En cas d'échec de la conciliation, ni le Parlement ni le Conseil ne disposent du dernier mot et le texte n'est donc pas adopté.

Il faut également rappeler que, le 24 septembre 2008 , le Parlement européen avait adopté, en première lecture, un amendement du député européen socialiste Guy Bono sur la directive-cadre relative aux communications électroniques, l'un des six textes de ce « Paquet Télécoms ». Il prévoyait qu'aucune atteinte ne pouvait être imposée aux « libertés et droits fondamentaux » des « utilisateurs finaux » d'Internet sans « décision préalable des autorités judiciaires », dans l'objectif d'empêcher la coupure d'un abonnement Internet sans décision de justice préalable et de peser dans le débat français sur le présent projet de loi.

Un certain nombre d'Etats membres de l'UE, dont la France, y étaient très opposés. C'est pourquoi le Conseil de l'UE avait rejeté cet amendement en première lecture, à l'unanimité, et avait élaboré un amendement de compromis, en liaison avec le Conseil, en vue de la deuxième lecture devant le Parlement européen, le 6 mai 2009 . Cet amendement de compromis n'a toutefois pas été examiné par les députés européens, la version initiale de l'amendement Bono, redéposée entre-temps, ayant été appelée au vote avant lui et adoptée.

Il appartient donc à présent au Conseil d'examiner cet amendement en deuxième lecture, le 12 juin prochain . En cas de rejet par le Conseil, et donc de confirmation de sa position, c'est l'ensemble de la directive en cause qui serait renvoyée devant le comité de conciliation, à l'automne 2009 .

Les termes de cet amendement sont interprétés par son auteur et par les opposants français à la « réponse graduée » comme faisant obstacle au présent projet de loi, ce dernier ne prévoyant l'intervention du juge judiciaire qu'au stade des voies de recours à l'encontre des décisions prises par la HADOPI, autorité administrative indépendante.

Dans son rapport présenté, en première lecture, au nom de la commission des affaires culturelles, votre rapporteur a dénoncé les failles juridiques de l'interprétation ainsi donnée par les défenseurs de cet amendement.

Il en rappellera ici les principaux arguments :

- l'accès à Internet n'a le statut de « droit fondamental » ni en droit français ni en droit européen ;

- la Commission européenne - à qui le projet de loi avait été notifié le 24 juillet 2008 - ne s'est pas opposée à la poursuite du processus législatif français avant le 24 octobre 2008, comme elle aurait pu le faire si elle avait considéré que le texte s'avérait en contrariété avec le droit communautaire existant ou en cours d'élaboration ;

- néanmoins, si l'amendement Bono était adopté, outre le fait qu'il est sans rapport avec l'objet du « Paquet Télécoms » et s'apparente davantage à une manoeuvre de politique interne, on pourrait considérer d'une part, qu'il se heurterait au principe de subsidiarité prévu par l'article 5 du traité instituant la Communauté européenne et, d'autre part, qu'il remettrait en cause la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes relative à la nécessaire conciliation entre les différents droits et libertés ;

- dans ce cas, on pourrait aussi considérer la HADOPI, compte tenu de sa composition et des nombreuses garanties procédurales prévues avant et après toute sanction, comme un « tribunal indépendant et impartial » au sens de l'article 6§1 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui définit les règles dites du « procès équitable », la nature (judiciaire ou administrative) de l'organe chargé de prendre les sanctions étant indifférente.

Toutefois, même si l'on peut donc penser que l'éventuelle adoption de cet amendement serait sans effet sur l'application de la loi, elle poserait des problèmes au regard du droit communautaire puisque seuls les traités constitutifs de l'Union européenne peuvent édicter de nouveaux droits et libertés fondamentaux.

Compte tenu de toutes ces difficultés, votre commission souhaite que le Gouvernement français demande au Conseil de maintenir sa position initiale, c'est-à-dire ne pas accepter cet amendement.

Enfin, ainsi que l'expriment nombre d'artistes, le temps passé à « ergoter sur les possibilités techniques d'une régulation des usages sur Internet » est perdu pour tout le monde, et en premier lieu pour les acteurs de la culture.

Les auteurs, les artistes et l'ensemble des professionnels des filières de la culture méritent mieux. Faisons confiance aux vertus pédagogiques de la démarche, au-delà même des aléas liés aux évolutions technologiques.

Le Sénat ne prolongera pas davantage cette période trop longue qui a séparé les Accords de l'Elysée du vote final du projet de loi par le Parlement.

Votre commission estime que ce long et chaotique processus législatif aura néanmoins eu pour mérite d'améliorer considérablement le texte proposé par le Gouvernement, sans en dénaturer l'esprit. Il est maintenant urgent qu'il soit mis en application dans les meilleurs délais.

N'oublions pas, au-delà des débats passionnés qui ont animé cette période, nos objectifs communs : permettre l'accès à cet espace de liberté qu'est Internet tout en défendant la création culturelle ; permettre le respect de droits parfois antagonistes (liberté de communication et droit de propriété), au travers d'une légitime régulation.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page