B. ACCOMPAGNER LE PASSAGE VERS LA CROISSANCE VERTE

Les arguments économiques plaidant en faveur d'un engagement fort pour l'environnement sont nombreux, de sorte que le véritable enjeu n'est pas tant de se demander s'il vaut la peine de faire le Grenelle de l'environnement, mais de concevoir les outils d'un pilotage fin de la transition vers une économie sobre en carbone. Autrement dit, il s'agit certes de réaliser tous les efforts d'adaptation nécessaires, mais surtout de les réaliser de façon ordonnée, méthodique et efficiente, de manière à parvenir au résultat souhaité au moindre coût, sans imposer de sacrifices inutiles et disproportionnés aux acteurs économiques.

A cet égard, votre commission souhaite attirer l'attention sur plusieurs sujets de préoccupation.

1. Un dilemme entre vertu écologique et compétitivité ?

À moyen terme, l'impact du Grenelle de l'environnement sur la compétitivité de l'économie française pourrait être très positif, et ce pour plusieurs raisons :

- les énergies fossiles (96 % de notre gaz et 98 % de notre pétrole) et une grande partie des matières premières consommées par l'économie française sont importées ; une utilisation plus efficiente de ces intrants devrait donc permettre, toutes choses égales par ailleurs, une réduction de la facture énergétique ;

- l'élévation tendancielle forte du coût des matières premières sur les marchés mondiaux devrait avoir pour effet de donner un avantage-prix aux modes de production les plus économes en ressources naturelles : favoriser dès maintenant la spécialisation des entreprises françaises sur ce créneau, c'est donc construire leur compétitivité future ;

- comme on l'a souligné précédemment, le marché mondial des éco-industries est extrêmement dynamique et les pays qui le peuvent ont tout intérêt à y prendre des positions fortes dès maintenant.

Malgré ces raisons structurelles d'optimisme il existe pourtant, à court terme, en l'absence d'un pilotage adéquat de la transition, des risques de dilemme entre compétitivité et efforts en faveur de l'environnement.

a) Des risques de distorsion de la concurrence

Les acteurs économiques qui engagent un effort pour l'environnement supportent des coûts supplémentaires (frais de mise aux normes, poids des taxes écologiques, etc.), alors que les fruits de cet effort profitent, eux, à l'ensemble de la communauté mondiale. On se trouve donc là dans une situation caractéristique d'externalités positives où l'action individuelle (des personnes ou des Etats) permet de produire un bien collectif et où les risques de comportement opportunistes (théorie du passager clandestin) sont donc considérables.

Votre commission souhaite attirer l'attention sur le double risque d'échec qui pourrait en résulter .

En premier lieu, l'asymétrie des charges supportées par les acteurs crée, c'est évident, une distorsion de la concurrence. À cet égard, il ne faudrait pas qu'étant déjà victime d'un dumping social et fiscal, la France soit de surcroît victime d'un dumping environnemental.

En second lieu, les comportements opportunistes hypothèquent également les chances de réussite des politiques de préservation de l'environnement.

- D'une part en effet, les acteurs qui craignent d'être victimes d'une distorsion de concurrence et ceux qui espèrent en tirer profit sont désincités à réaliser les efforts d'adaptation nécessaires, ce qui conduit à un niveau d'investissements environnementaux sous-optimal.

- D'autre part, l'application de normes environnementales plus sévères dans les pays développés risque de transformer les pays en développement en lieux d'accueil des activités polluantes, ces derniers devenant des « havres de pollution » (« pollution havens »). D'ores et déjà, le quart des émissions de GES de la Chine est incorporé dans ses exportations nettes, ce qui signifie que la réduction des émissions observée dans les pays développés s'explique en partie dans le déplacement géographique des centres de production polluants vers la Chine.

En l'absence de mesures correctrices, il existe donc un risque que le Grenelle de l'environnement ne soit ni bon pour l'économie française, ni bon pour l'environnement.

IMPOSER DES CONTRAINTES SUPPORTABLES AUX ENTREPRISES NATIONALES

Une étude de l'Ademe sur l'impact d'une taxe carbone à 32 euros sur le taux de marge des entreprises montre que le taux de profit brut (Excédent Brut d'Exploitation sur Valeur Ajoutée, EBE/VA) des branches de l'industrie non soumises au système d'échanges de quotas serait dans l'ensemble peu affecté dans l'agroalimentaire, la sidérurgie, la fabrication de produits minéraux non métalliques, la construction mécanique, automobile, navale, aéronautique, le textile, le papier et le carton. En revanche, dans la métallurgie et la première transformation des métaux non ferreux, ce taux pourrait passer de 23 à 18 %. Dans les autres industries de la chimie minérale et la fabrication de matière plastique, de caoutchouc synthétique et autres élastomères, il baisserait même de 10 points de pourcentage (de 18 à 8 % pour la chimie minérale et de 30 % à 20 % pour les plastiques). Les autres secteurs de la chimie organique de base perdraient 5 points de marge (de 28 à 23 %). Enfin, le taux de profit deviendrait même négatif pour la production de produits azotés et d'engrais, ainsi que pour la fabrication de fibres artificielles ou synthétiques.

IMPACT D'UNE TAXE DE 32 EUROS PAR TONNE DE CO 2
SUR LE PROFIT DANS LA CHIMIE

Source : ADEME.

Ces résultats doivent conduire à appliquer une future contribution climat-énergie avec discernement, en la modulant selon les branches , voire même en exonérant au moins temporairement les branches produisant des biens qu'on ne sait pas produire sans consommer de fortes quantités d'énergie fossile et pour lesquels il n'existe pas de produits de substitution efficaces. À défaut, ces domaines d'activité se délocaliseront et leur production sera ensuite importée.

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