II. PRÉVENIR LE « DUMPING ENVIRONNEMENTAL » PAR L'INSTAURATION D'UN MÉCANISME D'AJUSTEMENT AUX FRONTIÈRES DE L'EUROPE

A. LA NÉCESSITÉ DE SE PRÉMUNIR CONTRE LES RISQUES « DE FUITES DE CARBONE »

1. Nos entreprises ne doivent pas subir le « dumping écologique » des pays tiers

Si votre rapporteur ne conteste nullement l'impérieuse nécessité de diminuer les émissions de GES au niveau mondial, il observe toutefois que des risques de distorsions de concurrence existent si les entreprises européennes sont les seules à être soumises à des contraintes de réduction d'émission de GES . C'est d'ailleurs ce qu'affirmait le Président de la République dans une lettre adressée au Président de la Commission européenne : « si d'importantes économies mondiales ne s'engagent pas dans un effort contraignant de réduction des émissions, les contraintes européennes pousseront alors l'industrie à se relocaliser dans ces pays, sous un régime environnemental moins contraint : les émissions mondiales ne diminueront pas et les emplois correspondants disparaitront d'Europe. Le dispositif ne serait alors ni efficace, ni équitable, ni économiquement soutenable ».

Votre rapporteur estime donc nécessaire de ne pas pénaliser les entreprises européennes , notamment les plus consommatrices d'énergie, car les effets sur l'emploi industriel seraient catastrophiques au moment où la crise financière internationale pèse déjà très lourdement sur le niveau d'emploi global.

Or, revenir sur la gratuité des quotas d'émissions de gaz à effet de serre, avant même de conclure un accord international qui soumet nos concurrents étrangers à des contraintes similaires pour leurs industries, reviendrait en réalité, selon votre rapporteur, à encourager les « fuites de carbone 7 ( * ) » sans aucun gain global pour l'environnement . Celles-ci sont dommageables à un double titre : économique et social pour l'Union, écologique pour la planète.

LA DÉFINITION DES FUITES DE CARBONE DANS LE DROIT COMMUNAUTAIRE


Aux termes de l'article 10 bis , paragraphe 15, de la directive 2003/87/CE , un secteur ou sous-secteur est considéré comme exposé à un risque important de fuite de carbone si « la somme des coûts supplémentaires directs et indirects induits par la mise en oeuvre de ladite directive entraîne une augmentation significative des coûts de production, calculée en proportion de la valeur ajoutée brute, d'au moins 5 %; et que l'intensité des échanges avec des pays tiers, définie comme le rapport entre la valeur totale des exportations vers les pays tiers plus la valeur des importations en provenance de pays tiers et la taille totale du marché pour la Communauté (chiffre d'affaires annuel plus total des importations en provenance de pays tiers), est supérieure à 10 % ».


Conformément à l'article 10 bis , paragraphe 16, de la directive 2003/87/CE , un secteur ou sous-secteur est également considéré comme exposé à un risque important de fuite de carbone si « la somme des coûts supplémentaires directs et indirects induits par la mise en oeuvre de ladite directive entraîne une augmentation particulièrement forte des coûts de production, calculée en proportion de la valeur ajoutée brute, d'au moins 30 % ou que l'intensité des échanges avec des pays tiers, définie comme le rapport entre la valeur totale des exportations vers les pays tiers plus la valeur des importations en provenance de pays tiers et la taille totale du marché pour la Communauté (chiffre d'affaires annuel plus total des importations en provenance de pays tiers), est supérieure à 30 % ».

Votre rapporteur partage, de ce point de vue, l'analyse développée par le Président de la République lors de son discours prononcé le 5 mai 2009 à Nîmes dans lequel celui-ci déclarait que : « La France se battra aux côtés de ses 26 partenaires européens pour obtenir un accord mondial ambitieux pour lutter contre le changement climatique. Mais je le dis solennellement, il n'est pas question d'imposer à nos entreprises des règles très contraignantes en matière d'environnement et d'importer en Europe des produits de pays qui ne respectent pas ces règles. Face aux pays qui refuseraient de jouer le jeu, la France se battra pour l'instauration d'une taxe carbone qui permettra à l'Europe de faire face au dumping écologique ».

2. Le dispositif d'allocation gratuite des quotas se justifie tant qu'un accord international n'aura pas été conclu

C'est pourquoi, votre rapporteur est convaincu que, tant qu'un accord international n'aura pas été conclu, le dispositif d'allocation gratuite des quotas, actuellement en vigueur, est pleinement justifié pour les secteurs très exposés 8 ( * ) au risque de fuite de carbone, à l'image du raffinage, de la chimie et de la pétrochimie, du ciment ou encore de l'acier, qui subissent la concurrence internationale. La présente proposition de résolution reconnaît d'ailleurs explicitement que « néanmoins, la stratégie privilégiée jusqu'à présent pour lutter contre ce risque de délocalisation consiste à maintenir au delà du 1 er janvier 2013 l'allocation des quotas à titre gratuit dans les secteurs menacés ».

Á cet égard, votre rapporteur prend bonne note du projet de décision de la Commission européenne établissant, en date du 23 septembre 2009 , conformément à la directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil, la liste des secteurs et sous secteurs considérés comme exposés à un risque important de fuite de carbone . Cette liste, qui compte non moins de 164 secteurs, doit s'appliquer aux années 2013-2014, sous réserve des résultats des négociations internationales.

Il relève avec satisfaction que cette la liste peut être complétée à l'issue d'une évaluation qualitative 9 ( * ) . En effet, les autres secteurs et sous-secteurs qui, compte tenu des délais impartis, n'ont pu être totalement analysés à cette occasion ou pour lesquels les données disponibles étaient limitées ou de qualité insuffisante (cas de la fabrication de briques et de tuiles, par exemple 10 ( * ) ), seront réévalués dès que possible conformément à l'article 10 bis , paragraphe 13, de la directive et éventuellement ajoutés à la liste, en fonction des résultats de l'analyse. La Commission européenne peut donc, de sa propre initiative ou sur requête d'un État membre, ajouter un secteur ou un sous-secteur à la liste si des éléments le justifient.

Votre rapporteur espère enfin que, dès la fin du sommet de Copenhague, la Commission européenne annoncera les mesures qu'elle compte mettre en oeuvre pour soutenir les industries fortement consommatrices d'énergie, potentiellement concernées par les « fuites de carbone » . Dans le cadre de la directive du 29 avril 2009 améliorant et étendant le système communautaire d'échange de quotas d'émission de GES, il était en effet prévu que « au plus tard en juin 2011, à la lumière des résultats des négociations internationales et de l'ampleur des réductions des émissions de gaz à effet de serre qui en découlent, et après avoir consulté tous les partenaires sociaux concernés, la Commission présente au Parlement européen et au Conseil un rapport d'analyse dans lequel elle évalue si certains secteurs ou sous-secteurs industriels à forte intensité d'énergie sont exposés à un risque important de fuite de carbone 11 ( * ) ».

3. Sans accord international ou si la totalité des quotas est mise aux enchères, la France devra soutenir la « taxe carbone aux frontières » de l'Union européenne

Votre rapporteur considère qu'il serait difficilement compréhensible que seuls les sites industriels européens soient soumis aux exigences en matière de réduction des émissions de GES . Dans l'hypothèse, en effet, où la totalité des quotas d'émission de GES serait mise aux enchères, il convient de prévoir un mécanisme d'ajustement aux frontières de l'Union européenne. La présente proposition de résolution dispose ainsi que « la mise en oeuvre de ce mécanisme devrait aller de pair avec une réduction sensible du nombre de secteurs pouvant bénéficier, par exception au principe des enchères de quotas gratuits à compter du 1 er janvier 2013 12 ( * ) ».

En l'absence d'un tel mécanisme, la démarche entreprise par l'Union européenne dans le cadre des directives constituant le « paquet énergie-climat » n'aurait qu'un caractère exemplaire, mais ne permettrait pas d'apporter une réponse satisfaisante aux défis du changement climatique puisque le volume des émissions de dioxyde de carbone au niveau mondial resterait inchangé.

C'est pourquoi, dans l'intérêt des entreprises et de l'emploi, mais aussi dans un souci de préservation écologique de la planète, votre rapporteur juge indispensable la mise en place d'un mécanisme d'inclusion carbone aux frontières à l'égard des importations provenant de pays qui refuseraient un effort contraignant . La France doit pouvoir soutenir auprès de ses partenaires européens un tel mécanisme qui pourrait se décliner sous la forme d'une « taxe extérieure carbone », ou d'obligation d'achat de quotas par les importateurs, afin d'inciter ces pays à souscrire à des efforts comparables à ceux des États membres de l'Union européenne.

En ce sens, votre rapporteur approuve pleinement les termes de la présente proposition de résolution , qui dispose que « ce mécanisme consisterait à intégrer dans le système communautaire de quotas les importateurs de produits de secteurs sous quotas afin de mettre sur un pied d'égalité écologique les productions européennes et celles de leurs concurrents mondiaux ».

Il observe que cette formulation est tout à fait conforme à l'esprit de la directive du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2009 améliorant et étendant le système communautaire d'échange de quotas d'émission de GES qui dispose que « le rapport de la Commission sur les secteurs exposés à un risque important de fuite de carbone est accompagné de propositions appropriées telles que : intégrer dans le système communautaire les importateurs de produits fabriqués par les secteurs ou sous secteurs déterminés conformément à l'article 10 bis 13 ( * ) » .

* 7 Par « fuites de carbone », il faut comprendre le risque de délocalisations d'activités à fort taux d'émission de GES de l'Union européenne vers des pays tiers.

* 8 Conformément à la directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 2003 établissant un système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre, c'est la Commission européenne qui arrête la liste des secteurs et sous secteurs considérés comme exposés à un risque important de fuite de carbone. Elle dispose jusqu'au 31 décembre 2009 pour le faire, selon une procédure de comitologie après échange de vue au sein du Conseil européen.

* 9 Selon les termes de la directive « en tenant compte de la mesure dans laquelle les installations du secteur ou sous-secteur concerné ont la possibilité de réduire leurs niveaux d'émission ou leur consommation d'électricité, y compris, le cas échéant, l'augmentation des coûts de production que l'investissement peut entraîner, par exemple en recourant aux technologies les plus performantes ; des caractéristiques actuelles et projetées du marché, y compris lorsque les risques des échanges ou les taux d'augmentation des coûts directs et indirects sont proches d'un des seuils ; et des marges bénéficiaires en tant qu'indicateurs potentiels concernant les investissements à long terme ou les décisions de délocalisation ».

* 10 Le Sénat a adopté le 19 novembre 2009 une résolution en ce sens demandant au Gouvernement « d'obtenir, à défaut d'une inscription immédiate sur la liste, un délai précis pour que la Commission analyse le secteur des tuiles et briques et l'ajoute, en fonction des résultats, sur la liste des bénéficiaires de quotas gratuits ».

* 11 Article 10 ter.

* 12 Il s'agit du 30 ème alinéa.

* 13 Article 10 ter.

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