C. LES DISPOSITIFS EXISTANTS EN MATIÈRE DE SOLIDARITÉ DANS LE DOMAINE DE L'EAU ET DE L'ASSAINISSEMENT DES PARTICULIERS

La proposition de loi examinée par votre commission vise avant tout à compléter des dispositifs existants dont l'efficacité à été mise en cause.

1. Le Fonds de Solidarité Logement (FSL) institué par la loi du 31 mai 1990

L'article 6 de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 sur la mise en oeuvre du droit au logement institue un fonds de solidarité pour le logement (FSL) dans chaque département.

En ce qui concerne les aides des FSL au paiement de la fourniture d'eau (et d'énergie), la loi indique que le FSL « accorde des aides financières (...) aux ménages et familles occupant régulièrement leur logement, qui se trouvent dans l'impossibilité d'assumer leurs obligations relatives au paiement des fournitures d'eau, d'énergie et de services téléphoniques ».

Cette définition inclut tous les types d'occupations : propriétaires, copropriétaires, locataires, sous-locataires. Les FSL ne s'adressent donc pas exclusivement aux locataires. En revanche, ils ne peuvent intervenir que pour des dépenses relatives à l'habitat.

L'expression « obligations relatives au paiement des fournitures d'eau » recouvre non seulement les impayés des abonnés vis à vis de leurs distributeurs d'eau ou d'énergie mais également la part des charges de copropriété concernant la fourniture d'eau ou d'énergie 11 ( * ) .

Par ailleurs, l'ensemble des charges locatives relève légalement, depuis leur institution en 1990, du champ des aides des FSL. Les charges d'énergie et d'eau comprises dans les charges locatives font donc bien partie du périmètre d'intervention des FSL.

Les FSL aident donc les ménages défavorisés, qu'ils soient propriétaires, copropriétaires ou locataires, pour le paiement de toutes les charges liées à l'eau et à l'énergie, dues à des fournisseurs, à des bailleurs ou à des copropriétés . Dans la pratique, peu de propriétaires sont aidés par le FSL parce qu'ils ignorent l'existence de ce mécanisme.

Les critères d'intervention des FSL doivent toutefois respecter les dispositions figurant à l'article 6-1 de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 qui visent à garantir un socle minimal de droit pour tous les ménages sur l'ensemble du territoire. Il est notamment précisé que les conditions d'éligibilité ne peuvent prendre en compte que le niveau de ressources (et non le type de ressources) et le décret n° 2005-212 du 2 mars 2005 relatif aux FSL indique d'ailleurs que toutes les ressources doivent être prises en compte dans ce calcul des ressources. Cela interdit donc de conditionner l'aide du FSL au bénéfice d'une prestation sociale particulière. Dès lors, les personnes ou familles ne bénéficiant pas d'une aide personnelle au logement ne sont pas exclues du bénéfice des aides des FSL.

Les critères d'intervention sont précisés par le règlement intérieur de chaque FSL , adopté par le conseil général après avis du comité responsable du plan départemental d'action pour le logement des personnes défavorisées 12 ( * ) (PDALPD), coprésidé par le préfet et le président du Conseil général.

Fin 2008, 74 FSL prévoyaient d'intervenir pour des impayés d'eau . Les conventions proposées par les délégataires pour organiser leurs abandons de créances ne font d'ailleurs pas référence au statut de propriétaire ou de locataire, mettant seulement en avant la reconnaissance par le FSL d'une situation de précarité en application de l'article L. 115-3 du code de l'action sociale et des familles.

2. Le dispositif « solidarité-eau » de la loi du 29 juillet 1998

L'article 136 de la loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 d'orientation relative à la lutte contre les exclusions a complété le dispositif d'aide aux familles en difficulté pour s'acquitter de leurs factures d'eau , d'énergie et de services téléphoniques.

L'article 136 a ainsi procédé à la modification de la loi n° 88-1088 du 1 er décembre 1988 relative au revenu minimum d'insertion en prévoyant, à l'article 43-5 de cette loi que « toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières du fait d'une situation de précarité a droit à une aide de la collectivité pour accéder ou pour préserver son accès à une fourniture d'eau, d'énergie et de services téléphoniques ».

Il est également prévu que: « le maintien de la fourniture d'énergie et d'eau est garanti en cas de non-paiement des factures jusqu'à l'intervention du dispositif prévu à l'article 43-6 », celui-ci faisant « l'objet de conventions nationales passées entre l'État, Électricité de France, Gaz de France et les distributeurs d'eau, définissant notamment le montant et les modalités de leurs concours financiers respectifs ».

Les distributeurs d'eau avaient donc la possibilité de participer au dispositif d'aide de deux manières : par l'abandon d'une partie de la dette qui leur revenait directement ou en abondant un fonds départemental « solidarité-eau », placé, à l'époque, sous la responsabilité du préfet. Plusieurs départements jugeaient d'ailleurs que la première de ces deux options était peu responsabilisante pour les usagers.

3. Le recentrage sur le Fonds de Solidarité Logement (FSL)

Des difficultés de mise en oeuvre du dispositif « solidarité-eau », résultant notamment de la multiplicité des partenaires concernés, ont amené à la modification du dispositif du FSL grâce à l'article 65 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales 13 ( * ) .

Le transfert, aux Fonds de solidarité logement (FSL) , de la compétence pour accorder des aides financières (sous forme de cautionnement, prêts, avances remboursables, garanties ou subventions) aux personnes ou familles éprouvant des difficultés à payer les dépenses relatives à leur logement, leurs factures d'eau, d'énergie ou de téléphone est confirmé.

Avec des modalités de gouvernance souples, les FSL sont placés sous la pleine et entière responsabilité des conseils généraux , qui en assurent pour une grande partie le financement 14 ( * ) .

Enfin la loi ouvre, pour les autres collectivités territoriales et les établissements publics de coopération intercommunale, la possibilité de participer au financement du FSL .

Les conditions d'octroi des aides et les modalités de gestion du fonds sont fixées par un règlement intérieur , élaboré et adopté par le conseil général. Les modalités de la participation financière des distributeurs d'eau , d'énergie et de téléphone au dispositif sont fixées par une convention avec le conseil général .

Depuis le recentrage du dispositif, les aides financières aux ménages au titre du FSL s'élèvent à environ 220 millions d'euros par an. 500 000 foyers ont été aidés financièrement par le FSL en 2006, sur lesquels 60 000 l'ont été au titre du volet « eau ». En 2009, le chiffre est resté stable, soit 65 000 familles aidées au titre de l'eau.

Pour les abonnés au service d'eau, le dispositif d'aide mis en place par les délégataires est fondé sur des abandons de créance 15 ( * ) . A ce jour, 74 départements ont signé une convention avec les délégataires pour la mise en place de ce dispositif et la couverture du territoire n'est toujours pas totale. A cet égard, il convient de distinguer :

- les personnes en immeubles collectifs d'habitation, sans abonnement individuel pour qui l'aide au paiement de l'eau est incluse dans les aides au paiement des charges attribuées par le FSL départemental. Ce mécanisme général qui concerne 43 % des logements en France a attribué des aides financières pour un montant de 225,6 millions d'euros en 2008 ;

- les personnes abonnées individuellement pour qui l'aide au paiement des factures d'eau relève du volet « eau » des FSL (environ 60.000 ménages aidés pour un montant de 8,5 millions d'euros en 2008).

a) Le caractère obligatoire de l'aide aux familles en difficulté dans le domaine de l'eau

La gestion du FSL et l'aide aux familles ayant des difficultés pour payer leur facture d'eau est obligatoire pour le département, à condition qu'il soit saisi . Le FSL peut donc être saisi directement par toute personne ou famille en difficulté. La demande d'intervention de ce fonds permet de suspendre les coupures d'eau, ces coupures étant interdites dans les douze mois suivant cette intervention 16 ( * ) .

Ainsi, le département ne peut conditionner la mise en oeuvre de l'aide à la signature préalable de conventions avec les délégataires du service public de l'eau, lui permettant d'obtenir des abandons de créances de la part de ceux-ci.

Dès lors, compte tenu de cette obligation, votre commission estime que la mise en place de tout dispositif d'aide doit prévoir une information voire une coordination avec les instances départementales, de façon à assurer la cohérence dans l'octroi des aides et éviter des éventuels doublons .

b) La possibilité de déléguer à la commune la gestion d'une partie du FSL

Si la gestion du FSL est bien une compétence départementale, l'article 65 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales a prévu, à l'initiative du conseil général, la possibilité d'une délégation du FSL à la commune au moyen d'une convention 17 ( * ) .

Le décret n° 2005-212 du 2 mars 2005 relatif aux fonds de solidarité pour le logement prévoit que les communes et établissements publics de coopération intercommunale rendent alors compte chaque année au conseil général de l'activité des fonds locaux qu'ils gèrent .

Dans ce cadre, les communes peuvent, de leur côté, conclure un accord avec leur délégataire de distribution d'eau pour prévoir l'abandon de certaines créances, si ce dernier n'a pas déjà signé de convention avec le département.

4. Les interventions de la commune indépendamment du FSL

Si la loi confie aux FSL l'aide aux personnes ayant des difficultés à payer leur facture d'eau, d'autres textes législatifs autorisent les autres échelons de collectivités à agir.

Ainsi, comme il a été indiqué plus haut, votre commission souligne, qu'en l'état actuel du droit 18 ( * ) , rien n'empêche les collectivités municipales à intervenir pour venir en aide aux ménages en difficulté en matière de fourniture d'eau, notamment à travers l'instauration d'une tarification progressive par exemple.

5. Les imperfections des dispositifs actuels de solidarité en matière de fourniture d'eau

Certes, la LEMA ouvre, comme voie d'action sociale, la possibilité de développer une tarification progressive, en proposant un prix diminué, et donc plus abordable, pour les premiers mètres cubes facturés allégeant en cela la charge financière des plus démunis.

Le caractère social de cette approche est, dans les faits, assez contestable. En effet, d'une part, cette solution récompense en réalité les ménages économes sans s'adresser en particulier aux plus démunis, et, d'autre part, elle est inopérante pour les ménages en habitat collectif qui paient l'eau dans leurs charges locatives et sont in fine pénalisés par une tarification progressive.

S'agissant des sommes allouées dans le cadre du volet « Eau » des FSL, elles sont aujourd'hui insuffisantes pour aider les personnes qui connaissent des difficultés financières. En effet, seules les personnes qui sont abonnées directement à un service de distribution d'eau peuvent présenter leurs demandes de prise en charge de la facture d'eau par le FSL « eau ».

Ainsi, pour les personnes qui ne sont pas abonnées directement à un service de distribution d'eau, notamment celles qui habitent des logements collectifs, soit 43 % des logements en France selon l'INSEE, et qui paient l'eau dans leurs charges, la demande d'aide aux impayés relève du Fonds de solidarité pour le logement (FSL), alors que les services d'eau 19 ( * ) ne peuvent abonder que le volet « Eau » des FSL .

Au total, de nombreux élus plaident pour que soient complétés les moyens ouverts aux services publics de l'eau et de l'assainissement par le législateur pour développer une action sociale sur la facture d'eau en faveur de nos concitoyens les plus démunis.

6. L'absence de mécanismes « préventifs » facilitant l'accès au service public de l'eau

Aujourd'hui l'aide aux foyers les plus modestes en matière de solidarité dans le domaine de l'accès à l'eau repose essentiellement sur un dispositif « curatif » qui permet de faciliter l'aide au paiement des factures d'eau des personnes en situation d'impayés, en application de l'article L. 115-3 du code de l'action sociale et de la famille relatif aux foyers en situation d'impayés et la présente proposition de loi entend compléter ce dispositif dit « curatif ».

Toutefois, votre commission a pris bonne note qu'une proposition de loi, fondée sur les travaux de l'Observatoire des usagers de l'assainissement d'Île-de-France (l'Obusass), a été déposée par notre collègue Evelyne Didier, les élus communistes, républicains, citoyens et les sénateurs du parti de gauche 20 ( * ) . Cette proposition a pour objectif l'établissement d'un dispositif « préventif » cette fois, qui facilite l'accès des plus démunis au service public de l'eau par le versement d'une allocation aux personnes dont les charges d'eau représentent plus de 3 % du revenu.

Votre commission ne rejette nullement l'établissement d'un tel dispositif préventif repris d'ailleurs à travers plusieurs amendements de notre collègue Evelyne Didier déposés sur la présente proposition de loi. Ainsi, dans les secteurs de l'électricité, du gaz et du téléphone, coexistent des aides « préventives 21 ( * ) », permettant l'accès au service à un prix abordable pour les personnes à faibles revenus (personnes démunies) et des aides « curatives 22 ( * ) », permettant la prise en charge des impayés et le maintien de l'accès au service pour les personnes en grandes difficultés financières (foyers en situation d'impayés).

Toutefois, votre commission relève qu'un travail associant le Comité national de l'eau et le ministère de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer est actuellement en cours sur cette question , le comité ayant adopté à l'unanimité une résolution 23 ( * ) demandant l'examen des dispositifs d'aide au paiement des factures d'eau pour les foyers les plus modestes.

C'est pourquoi elle suggère d'attendre les résultats de la concertation en cours avant d'engager toute modification législative afin de respecter le travail des instances spécialisées . D'ailleurs, selon les informations transmises par le Gouvernement à votre rapporteur, en cas d'accord entre les différents acteurs de l'eau, un amendement gouvernemental pourrait être déposé dans le cadre de l'examen du projet de loi portant engagement national pour l'environnement transmis à l'Assemblée nationale.

* 11 En effet, le décret n° 2008-780 du 13 août 2008 relatif à la procédure applicable en cas d'impayés des factures d'électricité, de gaz, de chaleur et d'eau, se réfère explicitement dans son article 9 relatif aux copropriétés, au 2 ème alinéa de l'article 6 de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 et confirme ainsi la lecture selon laquelle les FSL sont habilités à aider, pour les parties « eau et énergie » des charges de copropriétés, tout copropriétaire occupant, quelque soit la copropriété qu'il occupe.

* 12 Dans chaque département, un plan départemental d'action pour le logement des personnes défavorisées (PDALPD) définit les mesures destinées à permettre aux personnes ou aux familles en situation de précarité d'accéder à un logement, ou de s'y maintenir et de disposer de la fourniture d'eau, d'énergie et de services téléphoniques.

* 13 L'article 65 modifie notamment les articles 6 à 6-4 de la loi n°90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en oeuvre du droit au logement.

* 14 Lors de la décentralisation de la gestion du fonds solidarité logement (FSL) en 2004, la compensation versée par l'Etat aux départements a été fixée à 93 millions d'euros, la répartition étant faite sur la base du nombre de RMI.

* 15 Les délégataires (qui desservent près de 75 % de la population) indiquent avoir traité 30 000 dossiers et consenti 2 millions d'euros par an en abandon de créance concernant les seuls abonnés individuels en 2009.

* 16 En application de la loi 2006-872 portant engagement national pour le logement et de la loi 2007-290 du 5 mars 2007 relative au droit au logement opposable (DALO), le décret 2008-780 du 13 août 2008 interdit les coupures d'eau en cas de saisine du FSL ou lorsque le FSL a aidé le foyer au cours des douze derniers mois, indépendamment de la nature de cette aide (aide au paiement de l'eau ou aide au paiement d'une énergie, d'un impayé de loyer, aide à l'accès au logement locatif ...).

* 17 L'article 65 prévoit que « le conseil général peut créer des fonds locaux pour l'octroi de tout ou partie des aides du fonds de solidarité pour le logement et en confier la gestion, par convention, aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale qui en font la demande ».

* 18 L'article 54 de la LEMA, codifié à l'article L. 2224-7-1 du CGCT, dispose bien que « les communes sont compétentes en matière de distribution d'eau potable ». Se référer au c) du 2) du A) du I) du présent rapport.

* 19 Les délégataires ne sont pas concernés puisque ceux-ci concèdent déjà à des abandons de créances.

* 20 Proposition de loi n°109 (2009-2010) visant à mettre en oeuvre le droit à l'eau.

* 21 Toutes les aides « préventives » sont définies par des dispositions prises au plan national et financées par la solidarité entre les usagers du service : tarif de première nécessité pour l'électricité ; tarif spécial de solidarité pour le gaz ; réduction sociale téléphonique pour le téléphone.

* 22 Les aides curatives sont de la compétence du département qui gère le fonds solidarité logement (FSL) en application de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales. Le département peut confier par convention la gestion du FSL aux centres communaux ou intercommunaux d'action sociale (CCAS ou CIAS).

* 23 A l'issue de la réunion du 15 décembre 2009 de la commission sur le suivi du prix et de la qualité des services d'eau et d'assainissement constituée au sein du comité national de l'eau.

Page mise à jour le

Partager cette page