EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le 9 février 2010, notre collègue Nicole Bricq et plusieurs membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés ont déposé une proposition de loi sur le recours collectif 1 ( * ) . A la demande du groupe socialiste, ce texte est inscrit à l'ordre du jour de la séance du 24 juin prochain, au titre du cinquième alinéa de l'article 48 de la Constitution.

Au début de la présente session ordinaire, votre commission des lois avait décidé, le 14 octobre 2009, de constituer en son sein un groupe de travail sur l'action de groupe, chargé d'étudier l'opportunité et les conditions de son introduction en droit français. Le 21 octobre 2009, votre rapporteur et notre collègue Richard Yung ont été tous deux désignés co-rapporteurs du groupe de travail.

Le groupe de travail a rendu ses conclusions devant votre commission le 26 mai dernier, formulant vingt-sept recommandations 2 ( * ) . Plusieurs membres de votre commission ont estimé à cette occasion que ces conclusions méritaient d'être transformées en une proposition de loi destinée à être inscrite à l'ordre du jour du Sénat.

Une telle proposition de loi s'inscrirait dans la démarche vertueuse selon laquelle les initiatives législatives parlementaires gagnent à trouver leur source et leur légitimité dans un travail d'information conduit de façon approfondie et ayant permis d'entendre toutes les opinions intéressées. Notre collègue Jean-Jacques Hyest, président de votre commission des lois, a déjà eu souvent l'occasion d'exprimer l'intérêt d'une telle démarche pour assurer la pertinence de l'initiative parlementaire et la qualité même de la loi.

Or, force est d'admettre que l'inscription à l'ordre du jour du Sénat de la proposition de loi sur le recours collectif, par nos collègues du groupe socialiste, s'affranchit significativement des travaux du groupe de travail. En effet, la proposition de loi est antérieure à l'essentiel des travaux du groupe de travail et ne coïncide pas, à l'évidence, avec leurs conclusions pourtant partagées, ce que déplore votre commission.

De plus, l'inscription à l'ordre du jour de la proposition de loi, seulement quatre semaines après la présentation des conclusions du groupe de travail, s'affranchit du délai nécessaire à la traduction en articles de loi des recommandations du groupe de travail. Ce délai de conception est d'autant plus indispensable que l'action de groupe suscite des avis tranchés et soulèvent des réticences fortes voire des oppositions. Ce contexte requiert un travail minutieux de rédaction qui ne peut pas exclure la discussion avec les différentes parties prenantes.

Votre commission des lois tient néanmoins à saluer la convergence politique qui s'opère sur le principe de l'introduction de l'action de groupe dans notre droit, convergence que traduisent tant les conclusions du groupe de travail que l'initiative de nos collègues socialistes. Il faut y voir un signe de la maturité du débat sur l'opportunité d'instituer l'action de groupe.

Cependant, parce qu'elle a approuvé les recommandations du groupe de travail tendant à introduire l'action de groupe dans notre droit, votre commission ne saurait souscrire à la proposition de loi sur le recours collectif de nos collègues socialistes, qui procède d'une logique trop différente.

Pour autant, soucieuse de respecter l'accord intervenu en 2009 au sein de la Conférence des présidents à propos des textes inscrits à l'ordre du jour des journées mensuelles réservées à l'initiative des groupes d'opposition et des groupes minoritaires, destiné à garantir leur discussion en séance publique dans leur état initial, votre commission des lois a décidé de ne pas adopter de texte. Ainsi, en application de l'article 42 de la Constitution, la proposition de loi de notre collègue Nicole Bricq sera susceptible d'être examinée intégralement, article par article, telle qu'elle a été déposée.

I. LA NÉCESSITÉ D'INTRODUIRE L'ACTION DE GROUPE DANS LE DROIT FRANÇAIS

En autorisant la publication du rapport d'information du groupe de travail sur l'action de groupe, votre commission des lois a ouvert la voie à l'introduction de l'action de groupe en droit français, assortie de quelque vingt-sept recommandations précises.

Le rapport d'information du groupe de travail sur l'action de groupe illustre bien les raisons qui justifient d'instituer une forme d'action de groupe dans notre système juridique et qui dissipent les inquiétudes.

En premier lieu, des préjudices matériels de faible montant subis par des consommateurs du fait d'un professionnel demeurent sans réparation, en raison de la disproportion entre le coût de l'action judiciaire individuelle et le montant de la réparation attendue. Cette disproportion dissuade toute action judiciaire individuelle lorsque les démarches amiables engagées auprès du professionnel sont restées infructueuses. Les dispositifs existants dans le code de la consommation ne permettent pas d'assurer une réponse satisfaisante : les actions dans l'intérêt collectif des consommateurs n'ont pas pour objet de réparer les préjudices individuels, tandis que l'action en représentation conjointe n'est guère praticable, en raison du principe du mandat sur lequel elle repose.

Pourtant, dans la société de consommation, ces faibles préjudices peuvent se répéter à l'identique pour des milliers voire des millions de consommateurs du fait d'un même professionnel. Seule la mutualisation des coûts, que permet une action collective, rend pertinent d'engager une action destinée à obtenir la réparation des dommages à laquelle ont droit les consommateurs. Sans action de groupe, il n'existe pas d'accès effectif à la justice pour les consommateurs. Sans possibilité d'action, les comportements des entreprises à l'origine des préjudices perdurent, imposant à la charge des consommateurs des coûts illégitimes, portant atteinte au bon fonctionnement de l'économie, et altérant la confiance que les consommateurs peuvent avoir dans les entreprises, dans les relations commerciales et dans l'économie de marché. Le développement - nécessaire - de la médiation, prôné par les représentants des entreprises, ne permettrait pas d'apporter une réponse à toutes les situations, même si la médiation demeure préférable pour les consommateurs, lorsqu'elle est possible, à une procédure judiciaire pour des raisons de délai et de coût.

En deuxième lieu, le débat sur l'action de groupe est déjà ancien. De nombreux rapports officiels ou travaux d'experts en droit de la consommation ont préconisé d'introduire l'action de groupe depuis trente ans, tandis que, depuis une dizaine d'années, les initiatives politiques et législatives se sont multipliées en faveur de l'action de groupe : annonce de M. Jacques Chirac, Président de la République, en janvier 2005, journée d'auditions publiques organisée en février 2006 par votre commission des lois 3 ( * ) , propositions de loi issues de la plupart des groupes politiques des deux assemblées, projet de loi en faveur des consommateurs, déposé en novembre 2006, qui n'a pu être examiné avant le changement de législature... Toutes les associations de consommateurs se prononcent en faveur de l'action de groupe, de même que les organisations représentant les professionnels du droit, magistrats et avocats. En effet, dans les débats sur l'amélioration de la protection des consommateurs, l'action de groupe est devenue incontournable, au point que le Gouvernement ne l'écarte pas 4 ( * ) , même s'il la conçoit en solution de dernier recours, après la médiation, et conditionne son instauration à la réorganisation du mouvement consumériste, au développement de la médiation comme voie non contentieuse de résolution des petits litiges de consommation, à l'avancée des projets communautaires d'action collective ainsi qu'à la sortie de la crise économique.

En troisième lieu, les craintes légitimes exprimées, en particulier, par les représentants des entreprises françaises, peuvent être apaisées. Ils craignent le « chantage au procès », des coûts supplémentaires exorbitants et une atteinte à la compétitivité des entreprises, a fortiori dans le contexte de crise.

Cependant, les mécanismes d'action collective mis en place dans plusieurs législations européennes n'ont pas entraîné de faillites significatives ou d'effets notables sur la vie des affaires. En outre, les inquiétudes qui s'expriment résultent pour l'essentiel de l'observation des dérives du système américain de « class action ». Si l'on respecte les principes procéduraux du droit civil français et les règles déontologiques de la profession d'avocat, les abus que l'on constate aux États-Unis n'auront pas lieu de se produire et d'affecter abusivement la vie des entreprises françaises.

En dernier lieu, les évolutions tant européennes qu'internationales plaident en faveur de l'introduction de l'action de groupe en France. En effet, plusieurs initiatives sont en gestation au sein de la Commission européenne, dans le domaine des pratiques anticoncurrentielles et dans le domaine de la protection des consommateurs. Dès lors que ces initiatives doivent respecter les traditions juridiques nationales des États membres, il est souhaitable que la France se dote d'une action de groupe pour mieux peser dans les négociations. Par ailleurs, la concurrence croissante des systèmes juridiques nationaux, en premier lieu dans la vie des affaires, et le risque du « forum shopping » qui en est le corollaire, incite également à ce que la France se dote d'une action de groupe en vue d'éviter la délocalisation à l'étranger, en particulier devant les tribunaux américains, des contentieux concernant les entreprises françaises.

Le groupe de travail sur l'action de groupe a estimé que l'alternative posée ne se limitait pas à l'inaction ou à l'imitation du système américain et de ses dérives. Il existe une voie moyenne, respectueuse de la tradition juridique française comme de la compétitivité des entreprises françaises, susceptible de répondre à l'exigence de renforcement de la protection des consommateurs.

* 1 Proposition de loi sur le recours collectif, n° 277, 2009-2010, consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/leg/ppl09-277.html . Cette proposition de loi reprend, pour l'essentiel, une proposition de loi antérieure, n° 322, 2005-2006, également déposée par notre collègue Nicole Bricq et devenue caduque.

* 2 « L'action de groupe à la française : parachever la protection des consommateurs », rapport d'information de MM. Laurent Béteille et Richard Yung au nom du groupe de travail de la commission des lois sur l'action de groupe, n° 499, 2009-2010, consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/noticerap/2009/r09-499-notice.html .

* 3 Rapport d'information de M. Jean-Jacques Hyest au nom de la commission des lois sur les « class actions », n° 249, 2005-2006, consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/noticerap/2005/r05-249-notice.html .

* 4 Discours de clôture des assises de la consommation, 26 octobre 2009, par M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services et de la consommation.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page