Audition de Geneviève ROY, vice-présidente chargée des affaires sociales, et Georges TISSIÉ, directeur des affaires sociales de la confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) (mardi 14 septembre 2010)

Sous la présidence de Muguette Dini, présidente, la commission a procédé à l' audition de Geneviève Roy, vice-présidente chargée des affaires sociales, et Georges Tissié, directeur des affaires sociales de la confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), sur le projet de loi n° 713 (2009-2010) portant réforme des retraites dont Dominique Leclerc est le rapporteur .

Dominique Leclerc, rapporteur. - Après le rappel de vos positions sur l'ensemble du projet de loi portant réforme des retraites, pourriez-vous préciser vos réflexions sur la prise en compte de la pénibilité au travail dans le texte ? Que pensez-vous de l'amendement de MM. Méhaignerie et Jacquat ? Toujours concernant la pénibilité, quel doit être le rôle de la médecine du travail ? Enfin, la retraite progressive vous paraît-elle une piste intéressante ? Celle-ci serait une manière d'allonger le temps travaillé « pensionné » si j'ose dire, d'une personne de plus de soixante ans ayant la totalité de ses annuités de cotisations...

Alain Vasselle, rapporteur général. - Ne faut-il pas inscrire dans la loi l'engagement d'une réflexion sur une réforme systémique des retraites ? Une troisième réforme paramétrique, si elle est nécessaire aujourd'hui, suffira-t-elle à assurer la pérennité de notre système de retraites par répartition ? En dépit du report de l'âge de départ à la retraite de soixante à soixante-deux ans, de l'allongement de la durée de cotisation et des mesures sur la pénibilité et l'emploi des seniors, il nous faut chercher des ressources nouvelles. Le président de la Cour des comptes a évoqué un coup de canif sur les 45 milliards d'allègements de charges. Qu'en pense la CGPME ? Etes-vous prêts à une réduction des niches sociales ? Quelles mesures prendre pour favoriser l'emploi des seniors, compte tenu du report à soixante-sept ans de l'âge d'annulation de la décote ? Ensuite, quel est votre sentiment sur le fait de s'attaquer aux 75 milliards de niches fiscales ? Enfin, quel est votre avis sur la taxation des stock-options, de l'intéressement, de la participation, des actions gratuites ou encore des retraites chapeaux et des bonus ?

Mme Geneviève Roy vice-présidente chargée des affaires sociales de la CGPME. - Dès le début de la concertation, la CGPME a défendu un allongement de la durée de cotisation, tout en se montrant circonspecte, mais ouverte, concernant le report de l'âge de départ à la retraite de soixante à soixante-deux ans - ce levier étant le plus rapidement efficace sur le plan budgétaire, mais comportant des effets négatifs. En revanche, pour nous, il ne fallait pas toucher à l'âge de soixante-cinq ans pour une retraite sans décote. Selon nous, retraite et pénibilité sont deux questions différentes, d'autant que la pénibilité est déjà traitée via le dispositif des carrières longues sur lequel nous souhaitions que l'on engage une réflexion. Attachés au système de retraite par répartition, nous avons proposé d'ajouter un troisième étage à la fusée du financement des pensions : en sus des régimes de base et complémentaire, prévoir un plan d'épargne, ciblé sur les retraites, abondé de manière volontaire par le salarié, à n'importe quel moment de sa carrière, et par l'entreprise, si elle le souhaite, le tout étant géré de manière paritaire au niveau national. L'idée a été retenue dans le projet de loi gouvernemental, nous nous en réjouissons. Avec une estimation de son niveau de pension dès quarante-cinq ans, et non cinquante-cinq ans, le salarié aura désormais les moyens d'améliorer sa retraite.

Attention à ne pas surcharger les entreprises, avons-nous répété lors de la préparation du texte. La concurrence internationale est extrêmement forte. Et les PME sont déjà les premières de la classe en matière de prélèvements obligatoires. Le projet de loi gouvernemental était donc, pour nous, dans l'ensemble positif.

La pénibilité au travail y était certes prise en compte, mais de façon très limitée, le processus étant individuel : le projet ouvrait la possibilité de partir à l'âge de soixante ans si la caisse régionale d'assurance maladie constatait une incapacité de 20 %. Toute proposition allant plus loin serait difficile à mettre en oeuvre par les entreprises. Pour moi, la prévention doit rester la préoccupation majeure des entreprises. Une prise en compte plus large de la pénibilité risquerait de dédouaner les chefs d'entreprise de leur responsabilité pénale, j'insiste, en matière de protection de la santé de leurs salariés. Nous regrettons donc la deuxième version du texte. De plus, n'importe quel salarié ne trouve-t-il pas son travail pénible ? Chacun pense avoir droit à une compensation. Pour les PME-TPE, il est intellectuellement compliqué d'affirmer que tout travail est pénible. Prévoir une commission qui tranchera pour les salariés ayant un taux d'incapacité de 10 % à 20 % élargit le public concerné. Le dispositif sera difficile à contrôler et, à terme, compromet l'équilibre budgétaire, but premier de la réforme. Autre coût supplémentaire, la taxation de 1 % de la masse salariale des entreprises qui ne mettent pas en place de plan de prévention des risques, sans compter que la même pénalité s'applique concernant l'égalité professionnelle et les seniors. Les chefs d'entreprise sont pourtant des gens responsables. Arrêtons de leur taper sur les doigts comme s'ils étaient des enfants. Laissons-les travailler. La nouvelle majoration des cotisations d'accident du travail, de même, est un mauvais coup porté aux entreprises. Les branches et les entreprises ont mis en place un certain nombre d'accords, les conditions de travail se sont améliorées, nous ne partons pas de rien. Augmenter la cotisation va déresponsabiliser les chefs d'entreprise, le risque étant désormais mutualisé.

Veillons à préserver l'équilibre de la réforme qui passe, nous y avons insisté, par la convergence entre les secteurs public et privé : au fil des manifestations, il est menacé. Les mesures annoncées concernant la prévention du risque professionnel en sont un bon exemple. Or, moi qui suis chef d'entreprise, je peux vous assurer que la protection de la santé de nos salariés nous mobilise tous. N'ouvrons pas la boîte de Pandore.

Les missions de la médecine du travail devaient être précisées. Nous nous réjouissons de l'amendement qui va en ce sens. En revanche, les chefs d'entreprise ne peuvent pas accepter une gestion paritaire de la médecine du travail, leur responsabilité pénale étant engagée en cas d'accident ou de maladie professionnelle.

Nous sommes prêts à travailler à l'amélioration de l'emploi des seniors via l'aménagement des fins de carrière, l'aménagement des postes, quand cela est possible, et le tutorat, qui nous rapprocherait d'un système de retraite progressive. Précisons d'emblée que les PME et les TPE, contrairement aux grands groupes, ne mettent pas leurs seniors à la porte. Nous, nous les voyons partir avec inquiétude car ce sont eux qui détiennent le savoir-faire, la connaissance commerciale et technique. A regarder de près les statistiques, le taux d'emploi des seniors en France est d'ailleurs inférieur à la moyenne européenne pour la seule catégorie des soixante-soixante-quatre ans, ce qui n'a rien d'étonnant puisque l'âge légal de départ à la retraite est de soixante ans. L'emploi des seniors n'est donc pas plus dégradé en France qu'ailleurs, à condition de comparer ce qui est comparable. Reste que l'amélioration du taux d'emploi des seniors passe par un changement global des mentalités et le report de l'âge légal de la retraite de soixante à soixante-deux ans est un signal fort dans ce sens : désormais, une personne âgée de cinquante-neuf ans n'hésitera plus à s'engager dans une formation.

Georges Tissié, directeur des affaires sociales de la CGPME. - La question de l'emploi des seniors doit être examinée avec précision. Le taux d'emploi des cinquante-cinquante-neuf ans est de 56,3 % - ce qui n'est pas aussi mauvais qu'on le dit - et celui des soixante-soixante-quatre ans de 16,3 % en France, ce qui reste bas malgré une augmentation de 3 % ces dernières années. Attention aux effets pervers. L'amendement de MM. Méhaignerie et Jacquat, adopté à l'Assemblée nationale, est pétri de bonnes intentions, mais un système de fonds dédiés par branche professionnelle incitera les grandes entreprises à organiser un nouveau dégraissage de leur masse salariale et un nouveau reformatage de leur pyramide des âges, qui seront financés par les PME de la branche, au détriment de l'emploi... Ensuite, il existe déjà des mesures favorisant le tutorat qui découlent de l'accord sur la formation professionnelle. Enfin, on parle beaucoup du maintien de l'emploi des seniors, mais quid de leur embauche ? Ce sont les PME qui les recruteront. D'où notre combat pour obtenir des réductions de charge pour l'embauche des plus de cinquante-cinq ans dans ce texte. Cette mesure aurait des effets positifs à condition d'un maintien de la conjoncture.

Geneviève Roy. - Une réforme systémique ? Nous sommes opposés à un passage complet à la retraite par capitalisation. Il faut maintenir le lien intergénérationnel et un certain niveau des pensions afin d'assurer la cohésion sociale. D'où la difficulté d'équilibrer les comptes pour ne pas faire porter à nos enfants la charge de nos retraites...

Alain Vasselle, rapporteur général. - Que pensez-vous du modèle suédois ?

Geneviève Roy. - Chef d'entreprise, je suis sensible aux comptes d'exploitation et, donc, au modèle suédois, mais je ne suis pas certaine que nos concitoyens acceptent une baisse de leur pension, une fois la pension liquidée. D'où la nécessité d'allonger les cotisations et de reculer l'âge de la retraite.

Alain Vasselle, rapporteur général. - Nos concitoyens n'adhèrent pas non plus à cette solution ! Seriez-vous prêts à contribuer davantage ?

Geneviève Roy. - Je ne suis pas là pour tenir un discours politiquement correct. Nos concitoyens ont des attentes contradictoires. Ils veulent une retraite par répartition tout en s'étonnant de ne pas toucher la somme correspondant à leurs cotisations. Mais cela, c'est la retraite par capitalisation. Aujourd'hui, une retraite sur dix n'est pas financée. Devant ces chiffres têtus, chacun comprend la nécessité de la réforme, mais à condition que la réforme ne touche que les autres. La CGPME, quant à elle, tient au système de retraite par répartition.

Georges Tissié. - Sans compter que le système suédois est un régime unique. Il n'y existe pas de régimes complémentaires.

Geneviève Roy. - Je poursuis dans le politiquement incorrect : parler d'un déficit de 43 milliards, c'est faire un amalgame. Le régime privé de base est responsable de 10 milliards de déficit, les autres de 33 milliards...

Toucher aux allègements de charge dits « Fillon » ? Le président Roubaud a dit l'hostilité de la confédération à toute hausse des prélèvements obligatoires pesant sur les entreprises. Or, modifier le mode de calcul de ces allègements produira un coût supplémentaire de plus de 2 milliards. Sans compter que ces allègements ne constituent pas une « niche », mot qui évoque la dissimulation. Ils sont la contrepartie de l'augmentation du coût du travail à la suite des trente-cinq heures et de l'harmonisation des Smic par le haut après leur atomisation par salarié dans la loi Aubry. Leur remise en cause détruirait l'emploi. La CGPME propose plutôt de sortir les 300 premiers euros de l'assiette des cotisations patronales, quel que soit le niveau de salaire. Cette solution présenterait l'avantage de supprimer la trappe à Smic, puisqu'elle bénéficierait à tous les salaires. Bref, nous redoutons le coup de canif.

L'égalité salariale entre hommes et femmes, qui a déjà fait l'objet d'accords signés par les entreprises et les branches, nécessite une réflexion sociétale. Pourquoi les femmes, à salaire égal aux hommes en début de carrière, rencontrent-elles tôt ou tard le fameux plafond de verre ? C'est une question d'organisation. J'évite, par exemple, d'organiser des réunions à dix-huit heures à la confédération, où les femmes sont nombreuses. Mais, en définitive, n'est-ce pas aussi aux femmes de se battre pour obtenir des augmentations de salaire, de mieux se former et de postuler à des postes de responsabilité ? Trop souvent, elles n'osent pas. Bref, sanctionner les entreprises à raison de 1 % de la masse salariale n'apportera aucun progrès.

Georges Tissié. - J'attire votre attention sur l'effet « anti-emploi » du seuil de cinquante salariés. Pas moins de trente-quatre obligations sont liées à ce seuil, ce qui dissuade de nombreux entrepreneurs d'embaucher... Les mesures prévues par ce projet de loi vont encore renforcer cette situation.

Geneviève Roy. - D'où le manque, dans notre pays, d'entreprises de taille intermédiaire que nous envions à l'Allemagne.

Georges Tissié. - Ces mesures ont beau s'appliquer à un nombre réduit d'entreprises, elles ont un impact négatif sur tout le secteur. A se demander qui rédige cette sorte d'amendements...

Sylvie Desmarescaux. - Tout le monde s'accorde à dire la réforme nécessaire. En revanche, les avis divergent sur les solutions à trouver : vous vous opposez à la réduction des allègements de charge, d'autres ne veulent pas d'une taxation des retraites chapeaux et des bonus. Il faut pourtant bien apporter des réponses à la situation actuelle. Faut il allonger la durée de cotisation, augmenter les cotisations ?

Geneviève Roy. - La situation est difficile parce qu'il existe d'autres dettes et besoins de financement que ceux liés aux retraites. La CGPME avait proposé d'aligner la CSG des retraités payant des impôts sur celle des actifs. On nous a répondu que ce point de CSG devait servir à financer la dépendance...

Si l'on recherche des recettes nouvelles, sans vouloir stigmatiser qui que ce soit, dix ans pour aligner le taux de cotisations de la fonction publique me semble très long.

Guy Fischer. - Mais l'augmentation du taux de cotisation salariale sera de 35 % en dix ans. Avez-vous déjà connu une baisse de cotisations de cette ampleur ? Vous veillez toujours scrupuleusement à ce que le relèvement de votre taux demeure très limité..

Geneviève Roy. - Soit, mais se pose aussi la question des primes. Certains corps en bénéficient, d'autres non. Le dossier doit être étudié de près, cadre par cadre. Quoi qu'il en soit, la convergence entre le public et le privé est un sujet important pour beaucoup de salariés.

Guy Fischer. - Tout à fait d'accord. Mais une hausse de 35 %, c'est du jamais vu. Le président et le directeur de la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales nous l'ont confirmé en audition. On pousse tout de même le bouchon un peu loin...

Georges Tissié. - Mais le taux de 10,55 % utilisé pour l'alignement est une plaisanterie. Plusieurs millions de salariés qui ont le statut de cadres payent bien plus. Ce taux représente le taux des cotisations des salariés en dessous du plafond de la sécurité sociale.

Geneviève Roy. - La situation est compliquée. Néanmoins, les retraites doivent être sauvées. Peut-être aurait-on évité tous ces problèmes si l'on avait conservé l'âge légal de départ à soixante-cinq ans en 1983 au lieu de le ramener à soixante ans. Mais nul ne peut refaire l'histoire.

Georges Tissié. - Permettez-moi d'insister sur le projet de fonds dédiés aux aménagements fins de carrière par branche professionnelle. Une nouvelle fois, ces fonds seront alimentés très largement par les PME et utilisés uniquement par les grandes entreprises. Le maintien de l'amendement voté à l'Assemblée nationale provoquerait un tollé chez les PME : elles ne veulent pas financer, une fois de plus, la restructuration des grands groupes. En définitive, cette mesure détruirait de l'emploi.

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