Audition de Bernard DEVY, secrétaire confédéral en charge du secteur Retraites, et Gérard RIVIÈRE, conseiller technique, de Force ouvrière (FO) (mercredi 15 septembre 2010)

Sous la présidence de Muguette Dini, présidente, la commission a procédé à l' audition de Bernard Devy, secrétaire confédéral en charge du secteur Retraites, et Gérard Rivière, conseiller technique, de Force ouvrière (FO), sur le projet de loi n° 713 (2009-2010) portant réforme des retraites dont Dominique Leclerc est le rapporteur .

Dominique Leclerc, rapporteur. - Nous vous avons déjà auditionné dans le cadre de la Mecss, monsieur Devy, nous connaissons la position générale de FO sur la réforme en cours. Aussi serions-nous plus intéressés d'entendre votre point de vue sur les dispositifs que nous pourrions améliorer dans le texte qui, vraisemblablement, sera voté ce soir par l'Assemblée nationale. Votre opinion nous intéresse d'autant plus que vous êtes aussi le gestionnaire d'un régime complémentaire obligatoire.

Bernard Devy, secrétaire confédéral en charge du secteur des retraites à FO. - Merci de votre invitation, c'est toujours un plaisir d'y répondre parce qu'au Sénat, vous savez prendre le temps nécessaire aux réformes, ce qui est particulièrement important pour des sujets qui, comme la retraite, touchent à la société tout entière.

A Force ouvrière, malgré notre image d'opposants systématiques à la réforme des retraites, nous sommes conscients de la nécessité d'une réforme permanente de notre système de retraite, en particulier pour l'adapter à l'allongement de la durée de la vie. Nous déplorons en fait le caractère anxiogène des réformes avancées par le Gouvernement, où les options sont présentées comme devant inéluctablement entraîner des changements de fond.

Sur la forme même de la concertation - je parle de la phase antérieure à l'examen parlementaire -, nous regrettons qu'après avoir démontré une certaine habileté, Eric Woerth ait suspendu les échanges depuis la mi-juillet. Nous avions du grain à moudre sur la pénibilité, les carrières longues et sur les polypensionnés, mais le Gouvernement a préféré agir par voie d'amendements, visiblement arbitrés à l'Elysée et que nous avons dû découvrir sur internet. Quitte à se concerter avec les partenaires sociaux, il fallait aller jusqu'au bout, ou bien le Gouvernement jette le doute sur l'ensemble du dialogue social dans notre pays.

Sur le fond, vous connaissez notre position. Le recul de l'âge légal à soixante deux ans et de l'âge du taux plein à soixante-sept ans sont injustes pour les salariés, sachant les difficultés rencontrées pour entrer dans la vie active et pour s'y maintenir passé un certain âge. Il faut savoir que six salariés sur dix liquident leur retraite alors qu'ils ne sont plus en activité, voilà la réalité.

Le financement, ensuite, n'est pas assuré. On nous caricature quand on dit que Force ouvrière propose seulement de faire payer les riches : nous proposons de mieux répartir les richesses et nous appelons à un effort de tous pour sauver notre système de répartition, y compris des salariés, ce qui peut passer par une augmentation des cotisations salariales et par une augmentation de la CSG, dont l'assiette aurait été élargie. Nous pensions ainsi qu'il était possible de financer davantage l'assurance maladie par la fiscalité tout en transférant des cotisations maladie vers l'assurance vieillesse. Le Gouvernement nous a répondu qu'il ne fallait pas pénaliser la compétitivité des entreprises et que le Président de la République s'était engagé à ne pas augmenter les prélèvements obligatoires, mais nous disons que les solutions retenues ne suffiront pas : il faut mobiliser les moyens de sauver notre retraite par répartition.

Autre point de mécontentement, la baisse continue du niveau des pensions, depuis la réforme Balladur de 1993. Aujourd'hui, un salarié du privé qui a cotisé vingt-cinq ans au plafond de la sécurité sociale, ne peut espérer davantage qu'un taux de remplacement de 43 %, ce sera à peine 40 % en 2020.

Nous disons aussi que la borne d'âge à soixante-sept ans pénalisera davantage les femmes. Elles prennent déjà leur retraite à soixante et un ans et demi en moyenne, au lieu de soixante ans et demi pour les hommes. Seules 44 % des femmes liquident une carrière complète, contre 86 % des hommes. Elles cumulent en moyenne trente-quatre années et demie de cotisation, contre trente-neuf années et un quart pour les hommes, et 30 % d'entre elles attendent soixante-cinq ans pour le faire : elles devront attendre soixante-sept ans demain. Les femmes représentent 57 % des allocataires du minimum vieillesse, 70 % des bénéficiaires du minimum contributif. On estime que leur niveau de pension sera encore de 30 % inférieur à celui des hommes en 2030 ou 2040, continuant le déséquilibre actuel où, en droits directs, les femmes touchent en moyenne 825 euros de retraite, et les hommes 1 426 euros. Les discriminations dans l'emploi entre les hommes et les femmes se reflètent dans les retraites, c'est pourquoi nous demandons de pénaliser, à l'occasion de cette réforme, les entreprises qui ne font pas suffisamment d'effort vers l'égalité salariale.

Autre point de mécontentement : en instituant le comité de pilotage des régimes de retraite, la réforme « flingue » littéralement le conseil d'orientation des retraites (Cor). Mieux vaudrait renforcer le Cor, en y faisant entrer les grands absents que sont les régimes : la Cnav, la CNRACL, les régimes de retraite complémentaire... Avec le nouveau comité de pilotage, on voit poindre l'unification des régimes. L'article 1er bis nous inquiète en disposant que : « Avant le 31 décembre 2014, le Gouvernement transmet au Parlement un rapport sur les redéploiements de ressources ou de charges entre régimes de protection sociale concourant à l'objectif d'équilibre des différents régimes de retraite. Le comité de pilotage des régimes de retraite est consulté sur ce rapport. »

De fait, quand, à l'horizon 2018, on aura accumulé un déficit de 60 milliards et que les politiques regarderont du côté du « pactole » des régimes complémentaires - ou tout au moins ce qu'il en restera puisque ces réserves diminuent chaque année, preuve que les déficits sont liés à la crise économique autant qu'à la démographie -, quelle sera encore la marge d'autonomie des régimes complémentaires qui se verront « siphonnés » pour venir en aide au régime général ? Les politiques ne seront-ils pas tentés par une fusion des régimes ? Dès lors, quel intérêt pour les partenaires sociaux de faire des réserves et de consentir à des efforts importants, patronat et salariés compris, si c'est pour voir ensuite ces réserves être fondues dans un ensemble plus vaste ? Comme gestionnaire d'un régime complémentaire, je suis particulièrement attentif à l'autonomie de gestion des partenaires sociaux.

Par ailleurs, nous ne sommes pas contre la mensualisation du versement des pensions, c'est une demande des retraités. Mais, par un amendement de Xavier Bertrand, l'Assemblée nationale a prévu un paiement au 1er du mois : nous n'y sommes pas défavorables, à condition que le recouvrement des cotisations employeurs intervienne à la même date, sauf à provoquer des décalages chaque mois, portant sur des sommes considérables.

Ensuite, pouvons-nous nous rassurer de voir le fonds de réserve des retraites (FRR) transféré à la Cades ? Nous comprenons les nécessités européennes de la comptabilité publique, mais comment garantir que les ressources et les actifs du FRR iront bien aux retraites, une fois mêlés à une caisse dont l'objet est de régler l'ensemble de la dette sociale ? Et comment s'assurer que le FRR ne prenne pas trop de risques sur le marché si volatil des produits financiers ?

Nous n'étions pas complètement opposés à la participation du FRR, à condition que le retour à l'équilibre soit prévu pour 2011, au lieu de quoi le Gouvernement choisit de laisser filer les déficits, sous couvert ici ou là de manipulations comptables comme celle consistant à présenter en recettes 15 milliards qui vont annuellement aux retraites de la fonction publique et qui sont d'abord une dette. D'une manière générale, nous n'oublions pas le caractère optimiste des études du Cor sur lesquelles cette réforme se fonde et nous ne serions pas étonnés de voir les politiques remettre l'ouvrage sur le métier, en 2018, avec de nouvelles mesures sur les retraites.

Dominique Leclerc, rapporteur. - Vous êtes un fin connaisseur de ce vaste dossier, vous avez participé à bien des travaux, y compris au sein du Cor et c'est pourquoi, comme je vous le disais en introduction, nous sommes intéressés par votre opinion sur les points que nous pouvons encore améliorer dans la réforme, étant entendu que nous ne saurions changer le texte de fond en comble. Quelles sont vos propositions, en particulier sur la pénibilité, les carrières longues et les polypensionnés ?

Sur l'analyse, je partage avec vous ce constat du climat anxiogène de la réforme et je préfèrerais parler d'évolution du système : la crise a rapproché une échéance que nous connaissions, il nous faut maintenant prendre les mesures nécessaires pour faire face aux déficits.

Sur l'article 1er bis, je crois aussi qu'il ne faut pas perdre de vue l'intérêt de la répartition provisionnée, c'est-à-dire la prise en compte de la situation à venir en fonction des évolutions démographiques : on peut s'interroger sur cet article, apparu à l'Assemblée nationale.

La mensualisation, quant à elle, ne doit pas nuire à la bonne marche des organismes, et j'entends votre demande de voir le versement des cotisations être coordonné avec celui des pensions.

Alain Vasselle, rapporteur général. - Je répondrai d'abord à votre inquiétude sur l'adossement du FRR à la Cades : nous avons voté deux amendements à la loi organique, pour garantir que les ressources du FRR iront bien aux retraites, jusqu'en 2018. Chaque loi de financement y veillera, le système est verrouillé.

J'aimerais connaître votre position, ensuite, sur la possibilité plus lointaine d'une réforme systémique de nos retraites, dès lors que le système actuel par répartition s'avérerait insuffisant pour maintenir un pouvoir d'achat satisfaisant aux retraités. La question ne se poserait pas si nous connaissions de nouveau une période longue de croissance, mais nous risquons de connaître plutôt de nouvelles crises économiques.

Sur l'emploi des seniors, ensuite, les dispositions de la réforme vous paraissent-elles satisfaisantes ? Quelles seraient vos propositions en la matière ? Le Medef assure que le mouvement général, en Europe, est à l'allongement de la durée d'activité, donc à l'éloignement de l'âge du départ à la retraite. Mais avec les difficultés que rencontrent les seniors à retrouver un emploi, ne risque-t-on pas, si les entreprises ne jouent pas le jeu, de voir de plus en plus de salariés sexagénaires exclus du marchés du travail et sans pension ? La perspective du basculement de cotisations de l'Unedic vers la branche vieillesse n'est-elle pas illusoire ?

Que penseriez-vous d'un aménagement de l'âge du taux plein pour les femmes nées avant 1964 ? Les calculs démontrent que si, avec une borne à soixante-sept ans, les femmes nées après cette date connaîtront des situations équivalentes ou même meilleures que celle des hommes, les femmes nées avant 1964 subiraient un préjudice, compte tenu de leurs carrières incomplètes : avez-vous des idées pour le prendre en compte ?

La Cour des comptes, enfin, vient de mettre l'accent sur les niches sociales, et d'abord les allègements de charges sociales patronales, qui pèsent près de 45 milliards : pensez-vous utile de les réduire, pour financer notre sécurité sociale ?

Guy Fischer. - Je partage l'analyse de Force ouvrière sur les objectifs fixés au pacte de stabilité et de croissance de servir les marchés financiers. Dans les fonctions publiques, le taux de cotisation salariale va passer en dix ans de 7,85 % à 10,55 %, soit une augmentation de 35 % : avez-vous connaissance d'une hausse d'une telle ampleur dans une autre période ?

Sur les régimes complémentaires, je partage votre crainte de les voir littéralement « siphonnés » par le régime général. Ne pressentez-vous pas que vous allez devoir accepter une réforme des régimes complémentaires en catimini ?

Ronan Kerdraon. - Le Gouvernement a décidé que la réforme avait un noyau dur auquel on ne pouvait pas toucher, et il a laissé la porte ouverte notamment sur la pénibilité. L'Assemblée nationale, cependant, n'a pas inclus dans la pénibilité l'exposition à des produits dangereux ni le travail de nuit. Des études démontrent que les cancers professionnels liés aux produits dangereux, ou encore les effets irréversibles et incapacitants liés au travail de nuit, apparaissent majoritairement après soixante-cinq ans. Ces maladies ne seront pas diagnostiquées par la médecine du travail : avez-vous des propositions pour les faire prendre en compte ?

Jean-Marie Vanlerenberghe. - J'entends les discours contre la réforme, mais pas de propositions chiffrées des syndicats sur la pénibilité et sur les carrières longues, alors que chacun sait que l'obstacle est financier : quelles sont vos propositions pour lever cet obstacle ? Le Gouvernement annonce que le recul de l'âge du taux plein à soixante-sept ans ferait économiser 6 milliards. Mes calculs sont différents ; quels sont les vôtres ?

Jacky Le Menn. - Quel est votre sentiment sur le rôle que les fonds de retraites - type Prefon - sont appelés à jouer dans les années à venir ? Leurs représentants nous affirment qu'ils seront indispensables, à l'horizon 2030, pour maintenir le pouvoir d'achat des retraités : qu'en pensez-vous ?

Annie David. - Je déplore avec vous, outre le fond, la méthode suivie par le Gouvernement et j'y ajoute comme exemple celui de la médecine du travail. Tout changement du code du travail, nous dit-on depuis quelques années, doit être précédé d'un accord interprofessionnel : ce n'est pas le cas pour la médecine du travail où, si des négociations avaient été engagées entre partenaires sociaux, c'est un amendement gouvernemental qui tient lieu de réforme, qui plus est pour mettre à mal encore davantage la médecine du travail.

Sur la pénibilité, nous sommes choqués du dispositif, même si le seuil de prise en compte a été ramené de 20 % à 10 % d'incapacité professionnelle, cette réduction étant accompagnée de la création d'une commission pluridisciplinaire. Même chose sur l'inversion de la charge de la preuve, qui met en cause la présomption d'imputabilité : le salarié devra démontrer que le travail est à l'origine de son incapacité, qu'en pensez-vous ?

Annie Jarraud-Vergnolle. - Dès lors que pas plus de 38 % des cinquante-cinq-soixante-quatre ans sont en activité, ne risque-t-on pas, en repoussant l'âge de la retraite à taux plein à soixante-sept ans, de transférer une charge des caisses de retraites aux caisses de solidarité ? Avez-vous négocié avec le Gouvernement sur l'emploi des seniors ?

Selon un récent sondage, 91 % de nos compatriotes estiment que la réforme va léser les femmes : avez-vous pu en discuter avec le Gouvernement et avez-vous des propositions correctrices ?

Comment mieux prendre en compte, enfin, la situation des salariés qui, passant d'un emploi précaire à un autre emploi précaire, n'ont pas pu cotiser suffisamment ?

René Teulade. - Je partage aussi bien des points de votre analyse, mais je ne peux m'empêcher de constater que les syndicats contribuent au climat anxiogène de la réforme, en la présentant comme la source d'un conflit entre générations : un peu plus d'optimisme est-il hors de propos ?

La fin d'activité professionnelle ne signifie pas la fin de l'activité économique et sociale. Le troisième âge a changé, il est devenu la clé de voûte d'une société où l'on compte dans les familles quatre, voire cinq, générations, et où celui qui prend sa retraite doit s'occuper encore des plus âgés et des plus jeunes que lui : arrêtons de dire que le troisième âge est une charge pour la société.

Ne vous paraît-il pas possible, ensuite, de prendre en compte le temps passé au bénévolat ? La solution technique est certainement difficile, mais en a-t-on au moins parlé ?

Alain Milon. - Une loi devait venir renforcer la médecine du travail, le Gouvernement procède par amendement : que pensez-vous de la méthode et du fond ? Ensuite, s'agissant des augmentations de cotisations dans la fonction publique, je rappellerai celles que nous avons subies à la CNRACL entre 2002 et 2005, sans aucun dialogue social.

Bernard Devy. - Je veux d'abord assurer à M. Teulade que je ne verse pas dans la « sinistrose » : l'histoire nous montre que nous avons toujours résolu les plus grandes difficultés qui se présentaient, sans casse sociale, même si je n'oublie pas les trop petites pensions de retraite. Notre régime de protection sociale a joué un rôle d'amortisseur et il a garanti l'indépendance financière des retraités, qui ont pu continuer à consommer. Cependant, nous avons sous-estimé l'impact du vieillissement de la population, sur les retraites comme sur les autres questions sociales que sont la santé ou le logement, et c'est un défi pour les prochaines décennies. Pour le relever, si je n'étais pas optimiste, je ne serais pas un syndicaliste.

Monsieur Vasselle, en examinant, au sein du Cor, la situation des pays qui ont fait des réformes systémiques, en y introduisant en particulier des comptes notionnels, nous avons constaté que la retraite est toujours le reflet de la vie professionnelle : il y a toujours une part contributive, qui devient importante en cas de crise. C'est l'exemple de la Suède, où les pensions ont fortement baissé. Quant à l'avantage de la simplicité, il faut regarder du côté des Pays-Bas, avec leurs quelque six cents fonds de pensions régis par des règles particulières, pour voir que notre système avec une trentaine de régimes n'est pas si complexe qu'on le dit.

Nous sommes donc favorables à l'examen des solutions alternatives, mais pas au détriment du niveau des pensions et pas non plus pour des systèmes dont l'objectif principal serait de dissimuler la charge que représentent les retraites. En fait, quel que soit le système retenu, nous n'échapperons pas à la nécessité de ressources nouvelles. C'est bien pourquoi nous ne demandons pas que l'Etat nous donne les clés de la boutique : la solution est politique, elle passe par le Parlement. Vous êtes en charge de l'intérêt général, alors que nous défendons l'intérêt particulier des salariés que nous représentons. Avant de lancer une réforme systémique, il faut donc bien mesurer ses avantages pour l'ensemble.

J'avoue mon scepticisme sur la fusion des régimes entre le public et le privé. Du reste, les retraites représentent 13 % du Pib : le Gouvernement ne pourra jamais s'en désintéresser complètement.

L'emploi des seniors n'est pas un thème nouveau, des mesures ont été prises depuis quelques années, notamment quand Gérard Larcher était au ministère, avec l'avantage de fin de carrière, le tutorat. Mais on constate qu'il y a toute une culture à modifier, qu'il faut changer de braquet, pour qu'à quarante-cinq ans, le salarié accède encore à la formation, au développement de carrière, et il faudrait faire des efforts très sérieux pour accompagner ceux qui perdent leur emploi après cinquante ans pour qu'ils en retrouvent un autre : voilà la vraie difficulté.

L'hypothèse d'un transfert de cotisations de l'Unedic vers la branche vieillesse me paraît tout à fait illusoire.

Sur l'adaptation du relèvement de l'âge du taux plein pour les femmes, nous y avons également réfléchi, mais une telle mesure se heurterait au principe d'égalité entre les citoyens. Nous pensons plutôt à améliorer les conditions de travail des femmes, à renforcer les services de garde d'enfants, à mieux rémunérer le congé parental, et à augmenter les cotisations sur le travail à temps partiel, car la précarité des femmes dans le travail tient beaucoup au temps partiel subi.

Gérard Rivière, conseiller technique de FO. - Nous pouvons vous communiquer quelques chiffres intéressants sur les augmentations des cotisations. Depuis 1980 dans le privé, la part salariale a augmenté de 2,05 points, sans évoluer dans les dix-neuf dernières années, à comparer au 2,7 points qui seront demandés aux fonctionnaires en dix ans. Dans le même temps, la part patronale n'a augmenté que de 1,7 point, et les cotisations sociales patronales sont exonérées à hauteur de 22 %.

Bernard Devy. - Nous attendons que la loi soit votée pour ouvrir les négociations sur les retraites complémentaires. L'association pour la gestion du fonds de financement (AGFF) a été créée pour couvrir le coût occasionné par l'abaissement de soixante-cinq à soixante ans de l'âge de la retraite, et il faudra sans doute en prolonger l'existence au moins jusqu'au 1er avril. Nous ferons en sorte que les salariés ne soient pas pénalisés : il est inadmissible que le rendement des régimes complémentaires diminue à l'occasion de chaque réforme, même s'il est pour l'instant supérieur à celui des fonds de capitalisation : 6,8 % au lieu de 4,5 %.

Les carrières longues sont un problème voué à s'estomper : les jeunes entrent désormais sur le marché du travail à vingt-deux ans en moyenne. Mais il faut veiller à ne pas pénaliser ceux qui ont commencé à travailler tôt, et pourraient avoir à acquitter jusqu'à quarante-quatre années de cotisations.

Débattre de la pénibilité dans le cadre d'une réforme des retraites est un non-sens. Il faut se préoccuper de la prévention, de l'amélioration des conditions de travail et de l'aménagement du temps de travail en même temps que des départs anticipés. La cessation d'activité de salariés âgés (Casa) et la cessation d'activité de certains travailleurs salariés (Cats) concernaient naguère des travailleurs de l'industrie ayant travaillé dans des conditions pénibles. Dans les transports, deux mille salariés justifiant de trente ans de conduite bénéficient chaque année d'un départ anticipé grâce à un financement tripartite, la contribution de l'Etat s'élevant à 100 millions d'euros. Nous avions proposé de débattre de la pénibilité sous tous ses aspects dans le cadre des branches professionnelles et d'accorder, selon des critères qui ont déjà été largement définis lors des négociations interprofessionnelles, des réparations financées grâce à une cotisation mutualisée. La proposition qui nous est faite aujourd'hui ne nous satisfait pas. Le Gouvernement retient le critère de l'invalidité ; mais les effets du travail pénible ne se font pas nécessairement sentir dès soixante ans ; ils se font parfois sentir plus tard et parfois même jamais, sans qu'une réparation cesse d'être légitime.

Il faut prévenir les risques. Pas moins de 18 % de salariés travaillent la nuit, parfois sans nécessité, comme dans les grands magasins des Champs-Elysées. Le Gouvernement a abaissé de 20 % à 10 % le taux minimal d'invalidité requis pour bénéficier d'un départ anticipé mais l'évaluation pourra être révisée par une commission pluridisciplinaire, ce qui occasionnera des contentieux. Les employeurs, qui financent le régime AT-MP, n'accepteront pas que les dépenses augmentent. Tous les salariés ne seront pas logés à la même enseigne, puisque les différentes commissions ne rendront pas les mêmes décisions : cela me rappelle les écarts entre départements lorsqu'existait l'ancienne prestation spécifique dépendance (PSD).

Quant à la médecine du travail, il nous semble très cavalier de la réformer par voie d'amendements au projet de loi sur les retraites : le sujet aurait mérité un texte spécifique. Le Gouvernement veut mettre la médecine du travail sous la coupe des employeurs alors qu'il s'était engagé à la rendre plus indépendante et à introduire la médecine de ville dans les services de santé au travail : c'est une pente dangereuse. Les partenaires sociaux avaient pourtant entamé leur réflexion.

Nous ne nous désintéressons pas des fonds de capitalisation, même si nous défendons prioritairement les petites retraites. Il serait souhaitable que le législateur cesse de modifier constamment les règles de l'épargne retraite et favorise la rente plutôt que la sortie en capital.

Vous avez évoqué les niches sociales. Nous plaidons pour une réforme fiscale de grande ampleur, qui mette tous les revenus à contribution, y compris - et je vais peut-être vous surprendre - les minima sociaux, à un très faible taux : car la solidarité est l'affaire de tous.

M. Vanlerenberghe m'a interrogé sur le coût du maintien de l'âge du taux plein à soixante-cinq ans, mais il est difficile de l'évaluer. Les chiffres du Gouvernement se fondent sur des hypothèses macroéconomiques excessivement optimistes : l'an dernier, la masse salariale s'est effondrée. La question des retraites ne peut être dissociée de celle de l'emploi. Les retraites doivent être financées par une part contributive et une part non contributive, mais tout ne peut pas reposer sur l'impôt, sauf à définir un régime égalitaire où tout le monde toucherait la même pension et où chacun serait libre d'épargner au surplus dans des fonds de capitalisation. Le déficit accumulé entre 2011 et 2018 est estimé à 60 milliards d'euros, mais tout dépendra de la croissance.

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