EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

En 2011, à l'issue du prochain renouvellement de son conseil général, Mayotte se réveillera collectivité de l'article 73 de la Constitution et les lois et règlements de la République y seront applicables de plein droit. Ce principe d'identité législative qui régira Mayotte signifie l'application du droit commun de la République.

Après cinquante ans d'attente, l'année 2011 verra ainsi l'achèvement d'une longue évolution, la fin d'une attente de plusieurs décennies, la fin d'un combat mené par deux générations de Mahorais : Mayotte sera département de l'article 73 de la Constitution. Mayotte sera aussi région de l'article 73, et ainsi première collectivité unique de l'article 73, devançant la Guyane et la Martinique.

Cinquante ans après, votre commission salue la mémoire oubliée de Georges Nahouda, issu d'une famille créole entre Europe et Madagascar, personnalité éminente qui sut convaincre, le premier, les notables mahorais de revendiquer la départementalisation, lors de ce qui est resté dans les mémoires comme le congrès des notables de Tsoundzou, le 2 novembre 1958.

Cinquante ans après, votre commission se souvient aussi de ces quatre élus de Mayotte à l'assemblée territoriale des Comores qui, le 11 décembre 1958, quelques semaines à peine après le référendum du 28 septembre 1958 ayant approuvé la nouvelle Constitution, osèrent présenter devant leurs collègues une motion tendant à la transformation du territoire en département français.

Il y a cinquante ans, premières pierres de ce long chemin, jalonné de plusieurs consultations à l'occasion desquelles la population mahoraise a pu rappeler, répéter et marteler que, pour être libre, elle voulait être française... Les raisons qui ont conduit Mayotte à demander la protection de la France il y a 170 ans n'ont pas cessé d'exister. La volonté mahoraise de ne pas se soumettre aux exigences des autres îles mais de choisir son avenir librement est intacte.

Pourtant, par-delà les difficultés quotidiennes et le contentieux qui perdure avec Moroni, c'est bien résolument vers l'avenir qu'il faut regarder.

L'année 2011 sera aussi, en effet, celle d'un nouveau départ, pour le futur Département de Mayotte et pour la population mahoraise, d'un nouveau défi à relever, celui de l'application du droit commun, progressive, adaptée aux caractéristiques et contraintes particulières de Mayotte, dans tous les domaines de la législation. Progressive et adaptée, c'est ainsi que le conseil général de Mayotte a qualifié la départementalisation qu'il appelle de ses voeux dans son avis du 19 juillet sur les deux projets de loi organique et ordinaire relatifs au Département de Mayotte.

Ni grand soir ni calendes grecques, la départementalisation est là, pour demain, à l'issue du renouvellement du conseil général en mars 2011. La départementalisation, ce sera aussi, pour vingt ou trente ans, l'extension et l'adaptation du droit commun, pour un jour ne plus parler que de Département de Mayotte et plus de départementalisation de Mayotte.

Île au lagon, île aux parfums ou encore île hippocampe, Mayotte poursuit son chemin à l'intérieur de la République française. Souhaitons que cette départementalisation tant espérée et enfin acquise donne l'occasion à nombre de nos compatriotes de pouvoir découvrir cette composante de la richesse ultramarine de la France, richesse naturelle, richesse humaine et, demain, richesse économique pour offrir aux familles mahoraises et à leurs enfants une plus grande égalité sociale, plus de perspectives d'avenir, tout en conservant ce qui fait son identité dans la République.

Souhaitons enfin que la désillusion ne s'invite pas demain, souhaitons que les Mahorais apprécient avec sagesse et raison le temps nécessaire pour avancer sur le chemin qu'il leur reste à parcourir. C'est avec sagesse et raison qu'ils ont, jusqu'à ce jour, accepté les évolutions nécessaires du statut civil de droit local pour le rendre compatible avec les droits et libertés garantis par la Constitution, sans ignorer l'histoire et l'attachement qu'il représente.

Les projets de loi organique et ordinaire relatifs au Département de Mayotte, au-delà des rédactions juridiques, au-delà des textes, apportent enfin, avec réalisme mais confiance, ce que la France a promis à Mayotte.

Saisi en premier lieu de ces projets de loi, conformément à la règle de priorité fixée par l'article 39 de la Constitution en matière d'organisation des collectivités territoriales, le Sénat s'honorera en approuvant ces deux textes fondateurs pour l'avenir de Mayotte. Votre commission vous y invite, avec réalisme bien sûr, mais aussi enthousiasme, reconnaissance et sentiment du devoir accompli.

MAYOTTE EN QUELQUES CHIFFRES 1 ( * )

Située entre l'est de l'Afrique et Madagascar dans l'océan Indien, à plus de 8 000 km de la métropole, Mayotte fait géographiquement partie de l'archipel des Comores, qui comprend en outre les îles de la Grande-Comore, d'Anjouan et de Mohéli, regroupées depuis 1975 au sein de la République fédérale des Comores.

Mayotte se trouve à 1 700 km de La Réunion, à 300 km de Madagascar et à 70 km d'Anjouan.

Enserrée dans un lagon de 1 000 km 2 , sa superficie totale est de 374 km 2 , les îles principales de Grande-Terre et Petite-Terre faisant respectivement 363 et 11 km².

Population : 186 729 habitants en 2007 (160 506 en 2002)

Taux de croissance démographique annuel moyen : 3,1 % entre 2002 et 2007

Densité : 499 habitants par km 2

Population âgée de moins de 30 ans : 71 %

PIB par habitant en 2001 : 3 960 euros soit 10 fois supérieur à celui de ses voisins immédiats (PIB par habitant en métropole à la même date : 24 253 euros)

Revenu annuel moyen par ménage en 2005 : 9 337 euros (29 696 euros en métropole)

Nombre de demandeurs d'emploi au 31 décembre 2005 : 11 318 (soit un taux de chômage de 25,4 % de la population active)

Selon une étude de l'INSEE publiée en février 2007, entre 1995 et 2005, le niveau de vie annuel moyen de la population mahoraise a augmenté de 87 % en euros constants de 2005. Les disparités de richesse se sont estompées, un cinquième de la population vivant sous le seuil de pauvreté, contre presque un quart en 1995. En outre, la hausse générale des niveaux de vie a entraîné une augmentation du seuil de pauvreté - fixé à 50 % de la valeur médiane - de 70 % entre 1995 et 2005. Ce seuil est ainsi passé de 710 euros par unité de consommation à 1 209 euros (euros constants de 2005).

I. LA DÉPARTEMENTALISATION DE MAYOTTE ENFIN RÉALISÉE

Tirant les conséquences de la consultation de la population mahoraise organisée en mars 2009, le Parlement a adopté en juillet 2009 le principe de la départementalisation de Mayotte en 2011 , passage du statut de collectivité de l'article 74 de la Constitution à celui de collectivité unique de l'article 73 exerçant les compétences des départements et régions d'outre-mer.

A. L'ACHÈVEMENT DU PROCESSUS DE DÉPARTEMENTALISATION

Revendiquée pour la première fois dès la fin des années 1950, la départementalisation de Mayotte répond à une aspiration forte de la population mahoraise et traduit l'attachement de cette dernière à la France, considérée comme la garante de la liberté et de la démocratie sur l'île.

1. Un objectif poursuivi depuis plus de cinquante ans

Rattachée à la France dès 1841 - soit dix-neuf ans avant Nice et la Savoie, devenues françaises en 1860 -, Mayotte a depuis lors constamment manifesté la volonté de voir ses liens avec la République consacrés, confortés et renforcés . Comme le rappelait le rapport d'information établi par votre commission des lois après un déplacement à Mayotte en septembre 2008 2 ( * ) , l'abolition de l'esclavage sur l'île dès 1846, soit deux ans avant les autres colonies françaises, a rapidement fondé un rapport particulier entre les Mahorais et la France, cette dernière étant perçue à la fois comme un « synonyme de liberté » et comme un facteur d'émancipation et de sécurité.

Ceci fonde la spécificité de l'île dans le paysage ultramarin : alors que, dans la période récente, la grande majorité des collectivités d'outre-mer s'orientent vers un surcroît d'autonomie 3 ( * ) , tant les départements d'outre-mer imaginant un régime plus original adapté aux réalités locales, dans le cadre de l'article 73, ainsi que l'illustrent les consultations de janvier 2010 en Guyane et en Martinique, que les collectivités relevant déjà de l'article 74, les anciens territoires d'outre-mer, Mayotte aspire à l'inverse, avec une grande constance, à un alignement de plus en plus complet sur le droit commun métropolitain, perçu comme gage d'un rattachement plus complet et définitif à la France, dans un contexte où le contentieux territorial franco-comorien au sujet de Mayotte resurgit régulièrement 4 ( * ) .

Après l'extension progressive du protectorat français sur les autres îles comoriennes 5 ( * ) , l'archipel des Comores - devenu la colonie de « Mayotte et dépendances » - accède au statut de territoire d'outre-mer (TOM) en 1946 . Le conseil général qui y est alors institué. Chaque île y est représentée en fonction de sa population et dispose de larges compétences. L'autonomie du territoire est, en outre, continûment renforcée jusqu'en 1974.

Toutes les personnes entendues par votre rapporteur ont souligné que la première expression de la volonté des Mahorais de voir Mayotte devenir un département français datait justement de cette période de transition, et plus précisément de 1958. En effet, en réaction aux consultations menées par le Général de Gaulle, qui avait proposé aux populations d'outre-mer de se prononcer sur l'indépendance de leur territoire dans le cadre du référendum sur la Constitution, les quatre conseillers représentant Mayotte à l'assemblée territoriale des Comores avaient alors déposé une motion tendant à ériger l'archipel en département français . Débattue le 11 décembre 1958, cette motion sera rejetée par 25 voix contre 4, singularisant encore plus Mayotte par rapport aux autres îles de l'archipel.

La première consultation d'autodétermination des populations des Comores ne sera ainsi organisée que près de vingt ans plus tard, par la loi du 23 novembre 1974 organisant un vote des populations des Comores sur le devenir de l'archipel. Lors du scrutin du 22 décembre 1974, organisé non globalement pour tout l'archipel mais à l'échelle de chaque île 6 ( * ) , la population de Mayotte se prononcera à 63,82 % contre l'indépendance 7 ( * ) .

À l'occasion de deux nouvelles consultations, organisées le 8 février et le 11 avril 1976, les Mahorais optent successivement pour le maintien de Mayotte au sein de la République française, et pour l'abandon du statut de territoire d'outre-mer. Dans les deux cas, ce choix est fait à la quasi-unanimité des suffrages exprimés 8 ( * ) . En outre, lors du deuxième scrutin, près de 80 % des votants déposent dans l'urne un bulletin « sauvage » (et donc nul) en faveur de la départementalisation de Mayotte.

La loi n° 76-1212 du 24 décembre 1976 relative à l'organisation de Mayotte, adoptée consécutivement à cette consultation, posait déjà, dans son article 1 er , l' horizon de la départementalisation :

« Au terme d'un délai d'au moins trois ans à compter de la promulgation de la présente loi, la population de Mayotte sera consultée, si le conseil général en fait la demande à la majorité des deux tiers, sur le maintien du statut défini aux articles ci-après ou sur la transformation de Mayotte en département ou, éventuellement, sur l'adoption d'un statut différent. »

De 1976 à 2001, Mayotte est ainsi soumise à un statut sui generis provisoire, à la frontière entre le régime des départements d'outre-mer et celui de territoire d'outre-mer, relevant néanmoins de l'article 74 de la Constitution, et à l'écart du mouvement de décentralisation initié en 1982 en métropole 9 ( * ) .

Il fallut attendre 2000 pour qu'intervînt une nouvelle consultation.


* 1 Source : Rapport d'information n° 115 (2008-2009), « Départementalisation de Mayotte : sortir de l'ambiguïté, faire face aux responsabilités », établi par le président Jean-Jacques Hyest, Mme Michèle André et MM. Christian Cointat et Yves Détraigne.

* 2 Rapport d'information n° 115 (2008-2009), « Départementalisation de Mayotte : sortir de l'ambiguïté, faire face aux responsabilités », établi par le président Jean-Jacques Hyest, Mme Michèle André et MM. Christian Cointat et Yves Détraigne.

* 3 Dans son discours de Madiana, à Schoelcher, en Martinique, le 11 mars 2000, l'ancien Président de la République Jacques Chirac ouvrait publiquement cette perspective nouvelle pour les départements d'outre-mer, affirmant ainsi : « Ma conviction est que les statuts uniformes ont vécu et que chaque collectivité d'outre-mer doit pouvoir désormais, si elle le souhaite, évoluer vers un statut différencié, en quelque sorte, un statut sur mesure. »

* 4 Ce contentieux territorial franco-comorien recouvre un contentieux historique très ancien entre Mayotte et les autres îles de l'archipel des Comores, qui a motivé en 1841 la demande de protection adressée à la France pour contrer les razzias provenant des autres îles.

* 5 Mohéli devient un protectorat français en 1886, Anjouan et la Grande-Comore en 1892.

* 6 Cette modalité de consultation est la base du contentieux international sur le rattachement de Mayotte aux Comores, au motif qu'elle n'aurait pas respecté le principe de droit international de l'intangibilité des frontières issues de la colonisation pour apprécier l'exercice du principe de libre autodétermination.

* 7 Les îles de la Grande-Comore, d'Anjouan et de Mohéli choisiront à l'inverse l'indépendance à la quasi-unanimité (94,56 %). L'indépendance des Comores sera déclarée unilatéralement le 6 juillet 1975.

* 8 99,4 % des suffrages le 8 février, et 97,47 % le 11 avril.

* 9 Mayotte n'est, en effet, pas soumise à l'organisation décentralisée issue de la loi du 2 mars 1982 : le préfet y exerce donc le pouvoir exécutif.

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