II. UNE RÉFORME URGENTE

A. UN TEXTE EN PRÉPARATION DEPUIS LONGTEMPS

Dès 2008, le ministre du travail a saisi les partenaires sociaux d'un document d'orientation, sur la base duquel des négociations se sont déroulées jusqu'en septembre 2009, date à laquelle un protocole d'accord a été établi, mais n'a pu recueillir l'assentiment des organisations syndicales.

A la suite de cet échec, mais dans la continuité du travail engagé par les partenaires sociaux, Xavier Darcos, alors ministre du travail, a présenté les principaux axes de la réforme de la santé au travail au conseil d'orientation sur les conditions de travail (Coct) le 4 décembre 2009. Ces orientations ont été confirmées et précisées par Eric Woerth, devenu ministre du travail, lors de la réunion du Coct du 11 mai 2010.

Lors de son audition le 2 juin 2010 par la mission d'information sur le mal-être au travail de la commission des affaires sociales 8 ( * ) , le ministre a indiqué aux sénateurs les principales orientations de la réforme :

- généraliser les équipes pluridisciplinaires , coordonnées par le médecin du travail, associant des spécialistes et des techniciens ;

- mieux couvrir tous les salariés , notamment les intérimaires ;

- tenir compte de la démographie médicale , 75 % des médecins du travail ayant plus de cinquante ans ;

- mieux prévenir la désinsertion professionnelle en cas d'inaptitude ; les salariés déclarés inaptes à leur poste de travail doivent pouvoir se reconvertir, par exemple grâce à un tutorat.

Dès cette audition, le ministre avait jugé souhaitable que la réforme renforce l'indépendance des médecins du travail.

Introduite par un amendement du Gouvernement au projet de loi portant réforme des retraites lors de son examen par l'Assemblée nationale, la réforme a été complétée et modifiée par des amendements d'origine parlementaire, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat.

Elle a donné lieu à des débats approfondis, le Sénat y consacrant en particulier près de deux journées de débat.

Cependant, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 9 novembre 2010, a annulé les articles consacrés à la médecine du travail en considérant qu'ils n'avaient pas de lien, même indirect, avec le projet de loi.

B. LA PROPOSITION DE LOI SOUMISE AU SÉNAT

La proposition de loi soumise à l'examen du Sénat reprend intégralement le contenu des articles annulés par le Conseil constitutionnel.

La réforme engagée tend à adapter et à moderniser les dispositions relatives à la santé au travail, en prenant en compte les négociations entre les partenaires sociaux qui se sont déroulées en 2009 ainsi que les différents rapports établis sur ce sujet, sans remettre en cause les principes fondamentaux sur lesquels elle repose.

Dans son article premier , la proposition énonce pour la première fois les missions confiées aux services de santé au travail . Jusqu'à présent, le code du travail ne confie de missions qu'aux seuls médecins du travail.

De manière cohérente avec la mission confiée par la loi du 11 octobre 1946, la proposition de loi prévoit que « les services de santé au travail ont pour mission exclusive d'éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail ». A cette fin, ces services sont chargés de :

- conduire des actions en vue de la préservation de la santé physique et mentale des travailleurs ;

- fournir des conseils pour éviter ou diminuer les risques professionnels, améliorer les conditions de travail, prévenir ou réduire la pénibilité et contribuer au maintien dans l'emploi ;

- surveiller l'état de santé des travailleurs ;

- contribuer à la traçabilité des expositions professionnelles et à la veille sanitaire.

Par ailleurs, la proposition de loi conforte la pluridisciplinarité dans les services de santé au travail interentreprises en prévoyant explicitement que, dans ces services, les missions sont assurées par une équipe pluridisciplinaire comprenant des médecins du travail, des intervenants en prévention des risques professionnels (IPRP) et des infirmiers, auxquels viennent éventuellement s'ajouter des assistants et des professionnels recrutés après avis des médecins du travail. Le texte précise que les médecins du travail « animent l'équipe pluridisciplinaire ».

Par ailleurs, les services de santé au travail interentreprises devront, selon les termes de l' article 4 de la proposition de loi, élaborer, au sein d'une commission de projet, un projet de service pluriannuel qui définira les priorités d'action.

L' article 2 marque une évolution importante dans la prise en compte des observations formulées par le médecin du travail . Actuellement, le code du travail habilite le médecin du travail à proposer des mesures individuelles justifiées par des considérations relatives à l'âge, à la résistance physique ou à l'état de santé physique ou mentale des travailleurs. L'employeur est tenu de prendre en considération ces propositions et, en cas de refus, de faire connaître les motifs qui s'opposent à ce qu'il y soit donné suite.

Plusieurs rapports ont souligné les limites de ces dispositions qui n'obligent l'employeur à répondre que sur les mesures individuelles proposées par les médecins du travail.

Désormais, lorsque le médecin du travail constatera la présence d'un risque pour la santé des travailleurs, il proposera par un écrit motivé et circonstancié des mesures visant à la préserver. L'employeur devra prendre ces propositions en considération et, en cas de refus, faire connaître par écrit les motifs qui s'opposent à ce qu'il y soit donné suite . Cet échange sera tenu, à leur demande, à la disposition de l'inspection du travail et des caisses de sécurité sociale.

L' article 3 modifie substantiellement les règles relatives à la gouvernance des services de santé au travail interentreprises. Actuellement, la partie réglementaire du code du travail prévoit que des membres représentants des salariés des entreprises adhérentes composent le tiers du conseil d'administration des services interentreprises.

Désormais, le conseil d'administration sera composé à parts égales de représentants des employeurs et des salariés . Les représentants des employeurs seront désignés par les entreprises adhérentes, tandis que les représentants des salariés le seront par les organisations syndicales représentatives.

Le président du conseil sera élu parmi les représentants des employeurs et aura une voix prépondérante en cas de partage. Le vice-président du conseil sera élu parmi les représentants des salariés.

Par ailleurs, le directeur du service de santé au travail interentreprises sera chargé de mettre en oeuvre, en lien avec l'équipe pluridisciplinaire et sous l'autorité du président, les actions approuvées par le conseil d'administration dans le cadre du projet pluriannuel ( article 9 ).

Afin d'apporter une réponse à la crise démographique que traverse actuellement la médecine du travail, l' article 8 de la proposition de loi permet aux services de santé au travail de recruter à titre temporaire des internes en voie de spécialisation en médecine du travail.

Les autres dispositions de la proposition de loi ont pour objet de :

- prévoir la possibilité de dérogations par accord collectif de banche étendu en matière d'organisation et de suivi de la santé au travail pour quatre professions peu couvertes par le système actuel de santé au travail en raison de leurs spécificités : les artistes et techniciens intermittents du spectacle, les mannequins, les salariés du particulier employeur et les voyageurs, représentants et placiers ( article 6 ) ;

- prévoir la possibilité de dérogations par voie réglementaire aux modalités d'organisation et de suivi de la santé au travail pour plusieurs professions ne disposant pas de représentation spécifique au niveau des branches : salariés temporaires, stagiaires de la formation professionnelle, travailleurs saisonniers... ( article 10 ) ;

- adapter la gouvernance des services de santé au travail dans le secteur agricole ( articles 11 et 13 ).


* 8 Rapport d'information n° 642 (2009-2010) de Gérard Dériot, fait au nom de la mission d'information sur le mal-être au travail et de la commission des affaires sociales, 7 juillet 2010.

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