EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Déposée le 11 mars 2011 par notre collègue Yvon Collin, président du groupe du Rassemblement démocratique et social européen, et les membres de son groupe, la proposition de loi (n° 355, 2010-2011) tendant à renforcer les moyens de contrôle et d'information des groupes politiques de l'Assemblée nationale et du Sénat 1 ( * ) vise, dans la continuité de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, à donner aux groupes politiques de nouvelles prérogatives, en matière d'information et de contrôle pour leur propre compte.

Lors de la Conférence des présidents du 6 avril, la proposition de loi a été inscrite à l'ordre du jour de la séance mensuelle réservée du groupe du Rassemblement démocratique et social européen, le 28 avril 2011.

A cet égard, votre rapporteur déplore les délais dans lesquels il a été amené à examiner ce texte, d'autant que, malgré son dépôt le 11 mars, il n'a été diffusé que le 25 mars, soit deux semaines plus tard, contournant ainsi, de facto , le délai de six semaines prévu par l'article 42 de la Constitution entre le dépôt d'un texte et son examen en séance publique et rendant impossible une analyse approfondie, faute de temps, alors que le sujet le méritait amplement.

Sur le fond, la proposition de loi pose de bonnes questions, dont votre rapporteur a pu s'entretenir de façon très constructive avec notre collègue le président Yvon Collin. Comment permettre, en effet, aux groupes politiques de mieux participer aux débats et aux travaux de notre assemblée et d'y prendre pleinement la place qui leur revient ? Pour autant, les réponses qu'elle y apporte semblent inadaptées et contraires à la Constitution.

En effet, selon votre rapporteur, en voulant attribuer aux groupes les prérogatives propres aux commissions en matière d'information, de contrôle et d'enquête, ce texte repose fondamentalement sur une erreur de conception du rôle des groupes par comparaison avec celui des commissions.

Alors que les groupes politiques rassemblent les parlementaires qui le souhaitent par affinités politiques, traduites dans une déclaration politique, en vue d'organiser collectivement leur travail et leur expression au sein de leur assemblée 2 ( * ) , les commissions sont des organes constitutionnels internes de chaque assemblée, qui en préparent le travail législatif et assurent son information. En d'autres termes, et contrairement aux groupes politiques, les commissions parlementaires, qu'elles soient permanentes ou temporaires, ne disposent pas de prérogatives pour elles-mêmes, mais en vue de l'information ou de la délibération de l'assemblée, afin de lui permettre d'accomplir les missions de législation et de contrôle qu'elle tient de la Constitution. C'est pourquoi les commissions sont désignées par l'assemblée, à la proportionnelle des groupes, ce qui n'est pas le cas des groupes par construction. Plus encore, les commissions d'enquête sont désignées par l'assemblée, sur un objet précis pour lequel elles sont mandatées par l'assemblée.

Dans son Traité de droit politique, électoral et parlementaire , Eugène Pierre rappelle ainsi la signification du droit d'enquête des assemblées :

« On appelle « enquête parlementaire » les investigations auxquelles une Assemblée procède elle-même par l'intermédiaire des membres qu'elle a désignés avec un mandat déterminé. (...) Le droit pour chaque Chambre d'y procéder librement (...) découle des pouvoirs généraux attribués aux représentants de la nation. »

Les groupes politiques ne sont pas les détenteurs du mandat de leurs membres, les représentants de la nation au sens où l'entend la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Seuls les parlementaires, individuellement et réunis en assemblée, le sont. Dès lors, les groupes ne sauraient s'arroger les prérogatives de la représentation nationale qui sont attribuées aux commissions d'enquête ou aux commissions permanentes en matière de contrôle 3 ( * ) . Ce ne sont pas les groupes politiques qui ont pour mission de contrôler l'action du Gouvernement, mais les assemblées.

Au demeurant, les groupes ne sont pas tenus de rendre compte de leur activité auprès de leur assemblée. Une telle obligation serait légitimement perçue comme une ingérence dans leur fonctionnement interne. Si les groupes bénéficiaient de compétences propres en matière de contrôle, comment serait assurée la publicité de leurs travaux ? Alors que les travaux de contrôle des commissions font l'objet d'une publicité, tant par les comptes rendus des réunions de commission que par la publication de rapports d'information, en vue d'informer l'assemblée 4 ( * ) , les travaux des groupes demeurent confidentiels. Comment considérer dès lors que les groupes pourraient participer à la mission de contrôle si leurs travaux ne sont pas, par principe, publics ? La publicité des débats et des travaux est un critère fondamental des travaux parlementaires.

Si la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la V e République a reconnu le rôle des groupes politiques, en permettant aux règlements des assemblées de leur accorder des droits spécifiques, en complément des droits individuels des parlementaires, elle n'en a pas pour autant fait des organes comparables aux commissions.

Pour ces raisons de principe et de conception même de la nature du mandat parlementaire, même si elle partage pleinement l'objectif consistant à « restaurer la démocratie parlementaire », pour reprendre les mots mêmes du président Yvon Collin lors de son audition, votre commission ne peut pas approuver la proposition de loi présentée par nos collègues du groupe du Rassemblement démocratique et social européen.

I. LE DÉVELOPPEMENT DES DROITS DES GROUPES POLITIQUES DEPUIS LA RÉVISION CONSTITUTIONNELLE DE 2008

Historiquement, le droit parlementaire français reconnaît des droits individuels aux membres des assemblées, représentants de la nation. Ce sont des droits attachés au mandat parlementaire lui-même. Il s'agit, en matière législative, du droit d'initiative qui comprend le droit de présenter des propositions de loi et son corollaire le droit d'amendement et, en matière de contrôle, du droit de poser des questions écrites ou orales et, plus récemment, du droit de présenter des propositions de résolution européenne. Inhérents au régime parlementaire, ces droits sont reconnus par la Constitution de 1958, au premier alinéa de l'article 39 pour le droit général d'initiative, au premier alinéa de l'article 44 pour le droit d'amendement, au dernier alinéa de l'article 48 pour le droit de questionnement et au deuxième alinéa de l'article 88-4 pour le droit de résolution européenne.

Outre le rétablissement du droit général de résolution, à l'article 34-1 de la Constitution, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a reconnu, à côté de ces droits individuels, des droits collectifs pour les groupes politiques.

A. LA RÉVISION CONSTITUTIONNELLE DU 23 JUILLET 2008

La revalorisation des droits du Parlement faisait partie des principales justifications avancées pour le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la V e République, adopté par le Congrès le 21 juillet 2008 après deux lectures dans chaque assemblée.

Elle s'est traduite, outre une réforme de la procédure législative et de l'ordre du jour des assemblées, par un accroissement significatif des droits des membres du Parlement ainsi que des groupes politiques eux-mêmes, dont l'existence elle-même a été consacrée dans la Constitution.

Ainsi, instituant un véritable « droit de tirage » des groupes politiques sur l'ordre du jour, le cinquième alinéa de l'article 48 de la Constitution dispose qu'un jour de séance par mois est réservé à un ordre du jour arrêté à l'initiative des groupes d'opposition et des groupes minoritaires. Cet ordre du jour propre aux groupes permet d'inscrire des débats, des propositions de loi ou encore des propositions de résolution.

En outre, le nouvel article 51-1 prévoit que le règlement de chaque assemblée détermine les droits des groupes politiques et reconnaît des droits spécifiques aux groupes minoritaires et d'opposition.

A cet égard, votre commission relève dans l'exposé des motifs de la proposition de loi une confusion entre la notion de groupe parlementaire et celle de parti politique. Si la Constitution reconnaît depuis 1958 que les partis et groupements politiques contribuent à l'expression du suffrage, elle n'opère aucun rapprochement avec les groupes politiques au sein des assemblées. Par groupement politique, il ne faut pas entendre groupe politique au sens parlementaire. Au demeurant, les groupes ne coïncident pas nécessairement avec les partis politiques constitués, comme l'illustrent parfaitement nos collègues du groupe du Rassemblement démocratique et social européen.

Votre rapporteur insiste aussi sur le fait que reconnaître des droits aux groupes ne signifie pas que la mission constitutionnelle du Parlement de contrôle de l'action du Gouvernement et d'évaluation des politiques publiques leur incombe également.


* 1 Le texte de la proposition de loi est consultable à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl10-355.html

* 2 Il convient d'ailleurs d'observer que, si les membres des assemblées parlementaires ont toujours l'habitude de se réunir par affinités depuis la Révolution, les groupes parlementaires au sens moderne ont une existence relativement récente dans l'histoire parlementaire française, depuis le début du XX ème siècle.

* 3 L'article 22 du règlement du Sénat dispose ainsi que « les commissions permanentes assurent l'information du Sénat et mettent en oeuvre, dans leur domaine de compétence, le contrôle de l'action du Gouvernement, l'évaluation des politiques publiques et le suivi de l'application des lois ».

* 4 Les travaux d'information et de contrôle des commissions permanentes, commissions d'enquête et missions communes d'information peuvent d'ailleurs faire l'objet de débats en séance.

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