EXAMEN EN COMMISSION - MERCREDI 13 AVRIL 2011

_______

M. René Garrec , rapporteur . - J'observe que, en pratique, l'on prend quelque liberté, dans la fixation de l'ordre du jour, avec l'article 42 de la Constitution, qui dispose que « la discussion en séance, en première lecture, d'un projet ou d'une proposition de loi ne peut intervenir, devant la première assemblée saisie, qu'à l'expiration d'un délai de six semaines après son dépôt »...

Si les auteurs de cette proposition de loi posent une question légitime, ils n'ont pas choisi, à mon sens, le bon vecteur. Je m'en suis ouvert à M. Collin, lui faisant valoir que cette question était bien plutôt du ressort du président du Sénat en concertation avec les présidents de groupe et de commission : il serait préférable de remettre sur le métier la réflexion déjà engagée par le groupe de travail conduit par MM. Hyest et Frimat en vue de proposer des améliorations à notre règlement.

Sur quoi repose cette proposition de loi ? Sur l'idée que les groupes politiques doivent fonctionner comme des commissions. Par quoi elle est inconstitutionnelle. Notre règlement reconnaît déjà des droits spécifiques aux groupes politiques, auxquels une séance mensuelle est réservée dans l'ordre du jour. Mais les auteurs de ce texte veulent aller plus loin, en leur reconnaissant en matière de contrôle des prérogatives qui appartiennent aux commissions et à elles seules. Ils posent également la question des moyens financiers des groupes. Je rappelle, en tant que questeur, que ces moyens ont déjà augmenté de 30 %. Peut-être faut-il aller au-delà ?

L'article premier de cette proposition de loi est sans portée normative ; son article 2 reconnaît aux groupes politiques un droit d'accès à toutes informations nécessaires, ainsi que le droit de se faire assister par tout organisme, de se voir transmettre tout document, de procéder à toute audition, selon une procédure calquée sur celle des commissions d'enquête ; son article 3 leur permet de saisir une vingtaine d'autorités administratives, depuis l'Autorité de la concurrence jusqu'au Contrôleur des lieux privatifs de liberté, en passant par l'Autorité de sûreté nucléaire.

C'est confondre, en matière de contrôle, les prérogatives des groupes avec celles des commissions, au risque d'une triple inconstitutionnalité. Au regard de l'article 51-1 de la Constitution, tout d'abord, qui renvoie au règlement des assemblées et non à la loi le soin de déterminer les droits des groupes politiques. A celui de son article 20, ensuite, qui veut que le Gouvernement « dispose de l'administration », en vertu du principe de séparation des pouvoirs. Au reste, les parlementaires disposent déjà, en matière de contrôle, de la faculté d'interroger le Gouvernement par voie de questions écrites et orales.

M. Jean-Pierre Sueur . - Avec le succès que nous leur connaissons. Et j'emploie le terme de « succès » au sens du Grand siècle : l'issue, le résultat ...

M. René Garrec . - Quant aux rapports au Parlement visés à l'article 2, ils sont disponibles au bureau de la distribution.

Inconstitutionnalité, enfin, au regard de l'article 24 de la Constitution, qui confie au Parlement la mission de contrôler l'action du Gouvernement et d'évaluer les politiques publiques. C'est-à-dire à ses commissions, permanentes ou d'enquête, ses missions d'information et ses délégations. La jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, encore confirmée par la décision du 25 juin 2009, reconnaît strictement le rôle d'information des commissions pour l'exercice des pouvoirs de contrôle en vue d'informer leur assemblée, ce qui justifie leurs prérogatives en matière d'auditions par exemple. Quant aux commissions d'enquête, leur durée est limitée, leur objet circonscrit et leurs travaux publics. Tel n'est pas le cas de ceux des groupes politiques, qui ne rendent pas compte de leurs travaux à l'assemblée et dont le rôle d'information se limite donc à leurs membres.

Pour toutes ces raisons, je vous propose de soulever, sur ce texte, l'exception d'irrecevabilité.

Hommage soit néanmoins rendu à ses auteurs, qui soulèvent une question pertinente.

M. Jean-Pierre Sueur . - Un enterrement, mais avec les honneurs...

M. René Garrec , rapporteur . - Comment faire pour que les groupes politiques prennent toute leur part aux travaux du Sénat ? Vous me donnerez acte, monsieur Sueur, que le reconnaître n'est pas fleurer l'Ancien régime.

Pour moi, le bon vecteur est celui de la Conférence des présidents. S'il est utile de formuler des propositions complémentaires de modification de notre règlement, qu'un groupe de travail, qui fera suite à celui dont eurent la charge MM. Hyest et Frimat, remette l'ouvrage sur le métier.

Au demeurant, j'ai la conviction que les membres du groupe RDSE, qui compte de fins constitutionnalistes, savent fort bien que ce texte contrevient à notre loi fondamentale : ils ne souhaitent pas autre chose que porter la question en séance.

M. Pierre-Yves Collombat . - C'est un abus de langage que de parler de séparation des pouvoirs dans le régime qui est désormais le nôtre : l'exécutif exerce les trois quarts du pouvoir législatif, il fixe notre ordre du jour, il dispose de tous les moyens pour faire voter ce qui lui convient, il peut dissoudre le Parlement, et j'en passe ! Aux États-Unis, la chambre peut forcer le gouvernement à des accommodements. Voyez ce qui s'est passé avec le budget 2011. On n'en est pas là en France.

Vous renvoyez la solution au règlement ? Mais il ne peut pas tout autoriser ; la saisine, notamment, d'autorités administratives indépendantes, comme prévu à l'article 3 de cette proposition. Je comprends que l'on trouve contestables les dispositions relatives aux auditions, mais pourquoi priver les groupes de la capacité de saisir des instances susceptibles d'éclairer leur réflexion ? Pour les y autoriser, il y faut un support législatif, et vous le savez bien : la fin de non-recevoir que vous opposez à ce texte est toute de circonstance.

M. René Garrec , rapporteur . - Les fonctionnaires de l'État sont à la disposition du Gouvernement. Un groupe politique ne peut pas leur demander de venir s'expliquer devant lui : ce serait contraire au principe de séparation des pouvoirs qui, considérât-on que le pouvoir législatif est réduit à peu de chose, n'en reste pas moins inscrit dans la Constitution. Il s'agit ici de s'en tenir au strict cadre constitutionnel.

M. Pierre-Yves Collombat . - Les autorités administratives indépendantes sont-elles à la disposition du Gouvernement ?

M. René Garrec , rapporteur . - Elles sont des démembrements de l'exécutif. Je préfèrerais qu'elles ne soient pas indépendantes, mais c'est un autre débat.

La commission adopte l'exception d'irrecevabilité proposée par le rapporteur.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page