III. QUELS SCÉNARIOS POUR LA GRÈCE ?

A. LE SCÉNARIO D'UNE RÉDUCTION DU RATIO D'ENDETTEMENT PAR UN RETOUR RAPIDE À L'ÉQUILIBRE BUDGÉTAIRE SEMBLE S'ÉLOIGNER

Le scénario prévu par le programme d'ajustement de la Grèce de mai 2010, consistant à réduire le ratio d'endettement par un retour rapide à l'équilibre des comptes publics, paraît remis en cause par l'incapacité de la Grèce à réduire son déficit.

1. Un solde public équilibré permettrait de ramener la dette à 75 points de PIB dans un délai compris entre dix et vingt ans

Comme on l'a indiqué ci-avant, la Grèce doit ramener sa dette publique d'environ 150 points de PIB à un niveau de l'ordre de 75 points de PIB pour la rendre à nouveau soutenable.

On pourrait croire a priori que ceci implique une forme de défaut. Or, tel n'est pas nécessairement le cas. En effet, ce dont on parle, c'est de la dette exprimée en points de PIB, et non en milliards d'euros. La croissance du PIB peut suffire à réduire la dette publique en points de PIB, dès lors que le solde public est peu dégradé, voire est excédentaire.

On calcule qu'avec une croissance de 4 % en valeur - ce qui correspond à une hypothèse prudente, compte tenu du fort taux de croissance de la Grèce, de 4 % en volume jusqu'à la crise financière - et un solde public équilibré, il faut environ dix ans pour ramener la dette de 150 points de PIB à 100 points de PIB, et huit ans supplémentaires pour la ramener à 75 points de PIB. Avec une croissance en valeur de 6 % (qui pourrait provenir d'une croissance en volume plus élevée, mais aussi d'une inflation plus forte), ces objectifs seraient atteints au bout de « seulement » sept et douze ans.

La Grèce pourrait donc, si elle s'engageait sur une trajectoire crédible de réduction rapide de son déficit, convaincre les observateurs de sa capacité à ramener sa dette publique, exprimée en points de PIB, à un niveau soutenable, et à nouveau se financer sur les marchés à un taux raisonnable.

2. Des résultats décevants en 2010 et, sans mesures supplémentaires, en 2011

Malheureusement, malgré des objectifs officiellement inchangés à l'horizon 2014, la Grèce n'en prend pour l'instant pas le chemin, comme le montrent le graphique et le tableau ci-après.

Le solde public de la Grèce : prévision et exécution

(en points de PIB)

(1) Ces prévisions ne prennent pas en compte les mesures supplémentaires annoncées le 3 juin 2011.

Sources : cf. tableau ci-après

Le programme d'ajustement de la Grèce : comparaison des prévisions
à un an d'intervalle

(en points de PIB)

2009

2010

2011

2012

2013

2014

Présentation du programme d'ajustement par la Commission européenne en mai 2010 (1)

Scénario à politiques inchangées

Solde public

-10,5

-14,2

-15,6

-15,9

-15,6

Dépenses

49,6

53,3

54

54

52,9

Recettes

39,1

39,1

38,4

38

37,3

Programme de mai 2010

Croissance du PIB (en %)

-4

-2,6

1,1

2,1

2,1

Solde public

-13,6

-8,0

-7,6

-6,5

-4,9

-2,6

Dépenses

50,3

47,6

50,2

49,3

47,9

45,0

Recettes

36,8

39,6

42,6

42,8

43,0

42,4

Commission européenne, évaluation du programme d'ajustement de la Grèce, février 2011

Croissance du PIB (en %)

-2

-4,5

-3

1,1

2,1

2,1

Solde public à politiques inchangées

-8,3

-8,1

-8,6

-8,6

Solde public

-15,4

-9,6

-7,6

-6,5

-4,8

-2,6

Prévisions de la Commission européenne, 13 mai 2011 (2)

Croissance du PIB (en %)

-2

-4,5

-3,5

1,1

Solde public

-15,4

-10,5

-9,5

-9,3

Dépenses

52,7

49,6

49,7

49,5

Recettes

37,3

39,1

40,2

40,2

Pour mémoire : prévisions de croissance du consensus des conjoncturistes (mai 2011) (3)

Croissance du PIB (en %)

-2

-4,5

-3,6

0,2

(1) « The Economic Adjustment Programme for Greece », mai 2010.

(2) Ces prévisions ne prennent pas en compte les mesures supplémentaires annoncées le 3 juin 2011.

(3) Consensus Forecasts, mai 2011.

Source : documents indiqués

a) Des problèmes qui pourraient a priori s'expliquer par une situation plus dégradée que prévu en 2009

Les résultats décevants constatés jusqu'à présent pourraient a priori sembler devoir être relativisés.

En effet, comme le montre le graphique de la page précédente, le déficit de 2009 a été supérieur de près de 2 points de PIB aux prévisions de mai 2010.

On pourrait donc trouver « normal » que cette « base 2009 » moins favorable se retrouve dans le solde des années suivantes (même si les engagements de la Grèce n'étaient pas exprimés par rapport à cette base).

Dans le cas de l'année 2011, l'écart de près de 2 points de PIB entre le déficit prévu en mai 2010 (7,6 points de PIB) et le déficit actuellement prévu par la Commission européenne (9,5 points de PIB) serait rigoureusement égal à celui observé dans celui de l'année 2009.

b) De réelles inquiétudes sur la gouvernance de la Grèce

Il ne faut toutefois pas ignorer l'existence de réels facteurs d'inquiétude, qui tiennent aux problèmes de gouvernance de la Grèce.

En 2010 , le problème a concerné les dépenses. Le déficit a ainsi été supérieur aux prévisions initiales à cause de dépenses supérieures de 2 points de PIB à ce qui était prévu. Cela provient certes en partie du dérapage constaté en 2009, mais la Grèce ne s'en était pas moins engagée sur des montants absolus, et non en évolution, en 2010.

En 2011 , selon la Commission européenne le problème viendrait des recettes. En effet, le programme de mai 2010 prévoyait une augmentation des recettes de 3 points de PIB en 2011. Or, elles augmenteraient de moins d'1 point de PIB, du fait d'un dynamisme plus faible que prévu 18 ( * ) .

Ce « double raté » en 2010 et en 2011 est préoccupant.

La Commission européenne suppose certes que le dérapage des dépenses de 2010 sera résorbé dès 2011. Cela demeure toutefois à confirmer.

Le faible dynamisme des recettes paraît quant à lui provenir, au moins en partie, de problèmes propres à la Grèce. Dans un autre Etat de la zone euro, l'élasticité des recettes publiques au PIB étant sur le long terme égale à l'unité, on pourrait s'attendre à ce qu'une élasticité faible une année donnée soit compensée par une élasticité plus élevée une année suivante. Cependant dans le cas de la Grèce, la Commission européenne craint des problèmes de fraude fiscale et de mauvaise efficacité du système de collecte de l'impôt 19 ( * ) .

3. Un plan sujet à de forts aléas

Il n'est certes pas impossible que la Grèce, sous la pression de la « troïka » (Commission européenne, FMI, Banque centrale européenne), respecte sa trajectoire de solde public.

Si la Commission européenne prévoyait le 13 mai 2011 un déficit public de 9,5 points de PIB, c'était sans mesures supplémentaires.

Or, le versement de l'aide est subordonné au respect par la Grèce de ses engagements. Ainsi, les services des trois institutions sont parvenus le 3 juin 2011 à un accord « technique » 20 ( * ) avec la Grèce, au sujet du versement de la cinquième tranche du plan, de 12 milliards d'euros (sur 110 au total). Cet accord doit encore être confirmé par l'Eurogroupe (lors de sa réunion du 20 juin prochain, précédant la réunion du Conseil européen des 24 et 25 juin) et le conseil d'administration du FMI, pour permettre un versement début juillet.

Dans leur communiqué commun du 3 juin 2011, la Commission européenne, le FMI et la Banque centrale européenne soulignent que la Grèce « maintient ses objectifs budgétaires de 2011 et à moyen terme ». Cet objectif doit être atteint par des mesures supplémentaires sur les recettes et les dépenses.

Par ailleurs, la dette publique grecque doit être directement réduite par des privatisations, d'un montant total de 50 milliards d'euros (soit 20 points de PIB) d'ici 2015.

Ce scénario favorable paraît cependant difficilement tenable jusqu'en 2014.

4. Un déficit qui pourrait être d'encore 6 points de PIB en 2014
a) La programmation de 2012 à 2014 : une réduction du déficit provenant d'une diminution des dépenses de plus de 1,5 % par an en volume

Schématiquement, le programme de mai 2010 suppose une diminution des dépenses d'environ 1 % en valeur chaque année de 2012 à 2014 21 ( * ) . Avec une inflation de l'ordre de 1 % par an, cela correspondrait à une diminution d'environ 2 % en volume. Compte tenu de l'hypothèse de croissance (environ 1,5 % en volume en moyenne), cela réduirait le déficit d'environ 1,75 point de PIB par an. Ainsi, le ratio dépenses/PIB diminuerait de plus de 5 points de PIB entre 2011 et 2014.

En revanche, les recettes demeureraient à peu près stables en points de PIB sur la période 2012-2014, du fait de la faible élasticité des recettes au PIB résultant de la faible croissance, et du montant modeste des mesures nouvelles sur les recettes : si celles-ci seraient supérieures à 3 points de PIB sur l'ensemble de la période, de 2012 à 2014 elles seraient peu significatives, comme le montre le tableau ci-après.

Les mesures nouvelles sur les recettes prévues
par le programmed'ajustement de mai 2010

(en points de PIB)

Mesures nouvelles

2010

0,5

2011

2,2

2012

0,7

2013

-0,3

2014

NC

Total

3,1

Source : d'après Commission européenne, « The Economic Adjustment Programme for Greece », mai 2010

b) Les inquiétudes de la Commission européenne

Officiellement, le scénario de mai 2010 n'est pas remis en cause.

La Commission européenne présente toutefois dans sa troisième revue du programme d'ajustement de la Grèce, publiée en février 2011, trois scénarios, dont le premier est préoccupant :

- un scénario défavorable (le scénario 1), où la croissance du PIB en valeur serait de seulement 2 % par an, et où le solde primaire (de - 4,9 points de PIB en 2010) serait « seulement » ramené à + 3,2 points de PIB à partir de 2013 ;

- un scénario favorable (le scénario 2), où la croissance en valeur serait plus « normale » (3,5 % par an), et où le solde primaire serait porté à + 5,5 points de PIB à partir de 2014 ;

- un scénario favorable avec privatisations (le scénario 3), correspondant au scénario 2, avec en outre des privatisations pour 50 milliards d'euros en 2011-2014 (confirmées par la Grèce le 3 juin dernier).

Compte tenu du niveau attendu de la charge d'intérêt en 2014 22 ( * ) , le scénario 1 correspond à un déficit effectif de l'ordre de 5 points de PIB en 2014. Comme le montre le tableau de la page 24 du présent rapport, avec un tel niveau de déficit une croissance du PIB de 2 % en valeur ne permet pas la stabilisation de la dette avant 250 points de PIB, ce qui explique qu'elle continue d'augmenter. Ce scénario est d'autant plus préoccupant que le supplément de déficit primaire attendu en fin de période parait entièrement imputable à la moindre croissance.

Le scénario 2 correspond à un excédent primaire de 5,5 points de PIB à partir de 2014, et donc, une fois prise en compte la charge d'intérêt, à un déficit total analogue à celui, de 2,6 points de PIB, retenu par le programme d'ajustement. Comme le montre le tableau de la page 24 du présent rapport, avec une hypothèse de croissance du PIB de 3,5 % en valeur, ce déficit tend à ramener progressivement la dette vers 70 points de PIB, ce qui explique la diminution observée.

Le scénario 3 correspond, par construction, aux montants de dette du scénario 2, réduits de 50 milliards d'euros par an à compter de 2014, soit (le PIB de la Grèce étant de l'ordre de 250 milliards d'euros) environ 20 points de PIB.

Les trois scénarios de la Commission européenne pour la dette publique grecque
(février 2011)

(en points de PIB)

Hypothèses communes : le graphique représente trois paires de scénarios de dette. Pour chaque paire, on distingue deux hypothèses de taux d'intérêt (4,5 % et 5,5 %).

Scénario 1 : croissance en valeur de 2 % ; excédent primaire stable à 3,2 points de PIB à partir de 2013 ; pas de privatisations.

Scénario 2 : croissance en valeur de 3,5 % ; excédent primaire stable à 5,5 points de PIB à partir de 2014 ; pas de privatisations.

Scénario 3 : croissance en valeur de 3,5 % ; excédent primaire stable à 5,5 points de PIB à partir de 2014 ; privatisations de 50 milliards d'euros en 2011-2015.

Source : Commission européenne, « The Economic Adjustment Programme for Greece Third Review - Winter 2011 », février 2011

c) Un déficit stabilisé à 6 points de PIB ne permettrait pas de réduire le taux d'endettement public

Si l'on synthétise les différents aléas sur la période 2012-2014, la situation est préoccupante.

Le différentiel de croissance entre le PIB et les dépenses risque d'être bien plus faible que prévu. Le programme d'ajustement suppose une diminution des dépenses et une croissance du PIB de l'ordre de respectivement 2 % et 1,5 % par an en volume, dont l'effet global serait d'améliorer le solde de 1,75 point de PIB par an. Mais si ces deux taux étaient de 1 %, l'amélioration du solde ne serait plus que d'1 point de PIB par an, ce qui, avec un déficit de 10 points de PIB en 2010, conduirait à un déficit d'encore 6 points de PIB en 2014, légèrement supérieur à celui prévu par la Commission européenne dans son scénario 1 de février 2010 (de l'ordre de 5 points de PIB).

Il est vrai que ce déficit serait réduit si les 2 points de PIB de recettes qui devraient manquer en 2011 étaient finalement perçus. Cependant les difficultés de la Grèce à collecter l'impôt incitent à la prudence à cet égard.

Par ailleurs, les prévisions de déficit de la Commission européenne pour 2011, de 9,5 points de PIB, supposent que le dérapage des dépenses de 2 points de PIB constaté en 2010 soit compensé, ce qui reste à confirmer.

Avec un déficit de 6 points de PIB en 2014, même avec une croissance de 4 % en valeur, la dette se stabiliserait autour de 150 points de PIB. La Grèce serait donc tout aussi insolvable qu'aujourd'hui.


* 18 En février 2011 la Commission européenne écrivait : « Les projections révisées, basées sur les tendances actuelles, indiquent que le plafond de déficit budgétaire de 2011 serait dépassé de 0,75 point de PIB, si aucune action correctrice n'était menée. Cet écart provient essentiellement d'anticipations moins favorables en ce qui concerne les bases fiscales (demande intérieure plus faible), de révisions à la baisse du rendement des mesures budgétaires du budget de l'Etat, et de l'effet base de l'exécution plus défavorable que prévu en 2010 pour plusieurs catégories de recettes » (traduction par la commission des finances).

* 19 Dans son rapport de février 2011, la Commission européenne écrit : « L'atteinte des cibles budgétaires de 2011 est conditionnée à une augmentation des recettes fiscales totales de plus de 1,5 milliard d'euros, soit 0,75 point de PIB, par rapport à 2010. 1,6 milliard d'euros de recettes ont été spécifiquement projetées dans le budget pour 2011, correspondant à la lutte contre la fraude fiscale, à une augmentation de l'efficience du système de collecte de l'impôt et à d'autres mesures devant accélérer les contentieux fiscaux. La mission a encouragé le ministère des finances à accélérer et à renforcer les actions contre la fraude fiscale, ainsi que contre l'inertie et des intérêts particuliers à l'intérieur de l'administration fiscale » (traduction par la commission des finances).

* 20 « Staff-level agreement ».

* 21 Réparti entre une stabilisation en valeur en 2012 et en 2013 et une diminution de 3 % en valeur en 2014.

* 22 8,5 points de PIB dans le programme de mai 2010.

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