ANNEXE II

COMPTE-RENDU DE LA TABLE RONDE DU 27 AVRIL 2011 SUR LA VOLATILITÉ DES PRIX AGRICOLES

Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi , la commission organise, conjointement avec la commission des affaires européennes, une table ronde sur la volatilité des prix agricoles.

Participaient à cette table ronde, ouverte à la presse : M. David Hallam, directeur de la division du commerce et des marchés à la FAO (Food and agriculture organisation - Nations unies) ; M. Serge Guillon, contrôleur général, co-auteur avec Jean-Pierre Jouyet et Christian de Boissieu du rapport intitulé « Prévenir et gérer l'instabilité des marchés agricoles » - septembre 2010; MM. Frédéric Courleux, Direction des études, et Stéphane Le Moing, Chef de service des relations internationales au Ministère de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire (MAAPRAT) ; M. Patrick Ferrere, directeur général de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) ; M. Bernard Valluis, expert de l'Association nationale des industries agroalimentaires (ANIA).

M. Jean Bizet , président . - Le président Emorine et moi-même vous remercions d'avoir accepté notre invitation à cette table ronde sur la volatilité des prix agricoles. Cette réunion s'inscrit dans une continuité sur le fond et marque une innovation dans la forme.

Cette réunion, conjointe des deux commissions des affaires européennes et de l'économie, témoigne de notre intérêt commun pour les affaires agricoles. Il y a quelques mois, nous avons publié nos propositions sur la réforme de la PAC. En février dernier, sous l'impulsion du président Gérard Larcher, nos deux commissions ont organisé une rencontre avec nos homologues allemands, qui montrait que nous privilégions une stratégie d'alliance européenne. La présente réunion est une nouvelle confirmation de cet intérêt.

Pourquoi ce thème ? Pour trois raisons. La première, c'est l'inquiétude générale de nos concitoyens et même des citoyens du monde au sujet d'une hausse des prix qui pourrait mener à de nouvelles émeutes de la faim. La deuxième, c'est la difficulté qu'ont les agriculteurs à gérer cette volatilité et à faire des prévisions. Dans un grand journal du soir, le 1 er février 2010, M. Alain Faujas écrivait à propos du blé : « On voit mal comment le cours de notre céréale préférée pourrait remonter depuis les maigres 126 euros la tonne atteints jeudi 28 janvier. A des années-lumière des 295,50 euros touchés en mars 2008 »... Comment gérer une exploitation agricole lorsqu'on ignore les coûts de production et les prix de vente ? En outre, les aides européennes au revenu sont indépendantes des prix et le cumul d'aides budgétaires et de prix élevés fait naître chez nos concitoyens de légitimes interrogations sur la PAC elle- même, les agriculteurs étant à la fois vulnérables et accusés de profiter des hausses de prix.

Troisième raison : sous l'impulsion du président de la République, la France proposera au G20 la tenue d'une conférence sur ce thème de la volatilité des prix, pouvant déboucher sur la création d'un organisme agricole international. Le Conseil des ministres de l'Agriculture, fin juin à Paris, devra aussi apporter des propositions sur ce thème qui est donc à la fois social, économique et international.

La formule de la table ronde se prête mieux aux échanges que celle de l'audition. Nous avons renoncé aux exposés introductifs pour passer plus vite aux questions/réponses. La formule est d'autant plus adaptée que cette réunion est diffusée en direct sur le site du Sénat.

Cette table ronde rassemble quelques une des parties intéressées par le sujet : les observateurs, internationaux et nationaux, les acteurs de terrain, l'administration. Je précise que la Commission européenne a également été invitée.

Je vous demanderai de vous présenter brièvement à tour de rôle.

M. David Hallam (FAO) . - Je suis directeur de la division du commerce et des marchés à la FAO, qui est chargée, conjointement avec l'OCDE, de coordonner un rapport préparé avec neuf autres organisations internationales sur la volatilité des prix agricoles.

La volatilité des prix est normale sur les marchés agricoles mais, depuis 2006/2007, elle s'est accrue. Les prix ont considérablement augmenté et tout indique que cela continuera pendant encore quelques années. Cela menace la sécurité alimentaire des pays pauvres et justifie la mise en place de politiques d'autosuffisance alimentaire dans quelques États. Les liens entre marché agricoles, marchés de l'énergie et marchés financiers sont de plus en plus étroits. La demande mondiale augmente fortement, notamment du fait de la Chine, tandis que les stocks publics diminuent. Tout cela est dangereux. Les chocs sur l'offre viennent des aléas climatiques qui vont se perpétuer. Malheureusement, de mauvais choix politiques ont encore aggravé la situation : en 2008, plus de 20 pays ont instauré des restrictions sur les exportations et les ont maintenues.

Dans ces conditions que faire ? On peut tenter d'atténuer la volatilité des prix en régulant les marchés à terme, en utilisant les stockages ou en luttant contre les barrières de change. La solution la plus applicable serait d'améliorer la transparence sur les stocks, sur les marchés à terme et les marchés de gré à gré. On peut aussi tenter d'atténuer les conséquences de cette volatilité par le biais de filets de sécurité ou de stocks d'urgence ; ce sont des mesures à court terme ; et il faut voir que la vulnérabilité des plus pauvres résulte d'un manque d'investissement depuis des années....

La FAO a un rôle à jouer dans une gouvernance mondiale de la gestion des prix alimentaires. Pour améliorer la transparence des marchés, il faut mettre en place un système d'alerte annonciateur des crises : il est évident que nous avons besoin d'indicateurs plus fiables sur la situation alimentaire. Enfin une coordination des politiques est nécessaire : en 2007 et 2008, la plupart des pays pauvres n'ont rien fait ou ont mené des politiques qui ont aggravé la situation. A l'avenir, il faut éviter un tel manque de coordination.

Pour cela, nul besoin d'une nouvelle institution : il faut simplement améliorer le travail de la FAO en lui fournissant des informations sur les stocks, les prévisions de récoltes. Elle a aussi besoin de nouveaux indicateurs. Il lui faut également coopérer avec la Banque mondiale, l'OCDE, le Programme alimentaire mondial et, pour cela, nous proposons un Secrétariat. Pour gérer celui-ci, on peut envisager de créer un Comité composé des membres du G20, d'autres grands pays exportateurs ou importateurs de produits agricoles, et des organisations internationales. Ce Comité recevrait l'information et les indicateurs du Secrétariat et pourrait lancer les éventuelles alertes. Il lui faudrait, pour prévenir les crises, se réunir régulièrement, deux fois par an.

M. Serge Guillon . - Je suis contrôleur général économique et financier au ministère des finances. J'ai notamment été secrétaire général adjoint des affaires européennes, et coordonateur de la présidence française de l'Union européenne. Dans le cadre d'une mission confiée par Bruno Le Maire, je suis co-auteur avec Jean-Pierre Jouyet et Christian de Boissieu du rapport intitulé « Prévenir et gérer l'instabilité des marchés agricoles ». C'est à ce titre que je participe à cette table ronde où je suis le seul à parler à titre strictement personnel ; je n'engage ici aucune structure ni même mes co-auteurs.

M. Patrick Ferrere (FNSEA) . - Je suis directeur général de la FNSEA, qui consacre au problème de la volatilité des prix beaucoup de réflexions et de propositions.

M. Bernard Valluis (ANIA) . - Je suis président délégué de l'Association nationale de la meunerie française, expert de l'Association nationale des industries agroalimentaires (ANIA) pour les problèmes de matières premières. J'ai participé à tous les travaux préparatoires au G20 pour le compte des professionnels et j'ai suivi de près l'élaboration de textes européens, dont le nouveau règlement sur les produits dérivés. A ce titre je suis président de la task force de la Conférence des industries agricoles et alimentaires au niveau européen.

M. Stéphane Le Moing (MAAPRAT) . - Je suis le chef du service des relations internationales au Ministère de l'agriculture. A ce titre je suis chargé de suivre les négociations de la PAC ou de l'OMC ; en même temps je suis coordonnateur en charge de la présidence française du G20 pour la partie agricole.

M. Frédéric Courleux (MAAPRAT) . - Je suis chef du bureau de l'évaluation et de l'analyse économique au Centre d'études et de prospective du ministère et, en liaison avec Stéphane Le Moing, nous travaillons à la préparation du G20 agricole, notamment sur le problème de la régulation financière.

M. Jean-Paul Emorine , président . - Y a-t-il un lien entre la volatilité des prix des matières premières agricoles et celle de l'ensemble des matières premières ?

M. Bernard Valluis . - Oui, depuis une période relativement récente. Depuis 2004, le marché des matières premières a évolué du fait des liens créés par des placements constitués de paniers de matières premières - comportant métaux non ferreux, pétrole, gaz et matières premières agricoles. Tentant de diversifier leurs risques, des investisseurs se sont portés sur des produits qui associent l'ensemble des matières premières. La financiarisation de l'économie et ce genre d'investissement font que les prix des différentes matières premières ont tendance à être corrélés.

La volatilité est une notion qui mérite d'être définie. Ce n'est pas l'augmentation des prix. Ce sont des variations importantes de prix dans une période de temps. Et il y a deux sortes de volatilité : celle, suivie par la FAO, qui concerne les prix des produits agricoles, d'une campagne sur l'autre ; et celle que les spécialistes des marchés financiers définissent de façon mathématique : la volatilité implicite des options, la volatilité instantanée sur les produits dérivés. C'est cette volatilité-là qui a considérablement augmenté et qui est très déroutante pour les opérateurs des marchés physiques. Car vous pouvez passer d'un prix de 100 à un prix de 200 euros par une ligne droite, ou bien par une ligne brisée qui ne permet plus aux opérateurs de se repérer et de savoir, à chaque instant, si le prix va augmenter ou baisser.

M. Jean Bizet , président . - Et c'est récent ?

M. Bernard Valluis . - Ce qui est nouveau par rapport au phénomène d'augmentation du prix du blé du fait des achats massifs par l'URSS il y a trente ans, c'est que, maintenant, à chaque minute, la volatilité instantanée a considérablement augmenté. Donc il y a volatilité mais elle n'est pas semblable à celle du passé.

M. Jean Bizet , président . - Et à quoi est-ce dû ? A l'évolution des technologies informatiques ?

M. Bernard Valluis . - C'est dû, notamment, au « high frequency trading » et à ses automates qui permettent de réagir très rapidement. Et beaucoup d'opérateurs financiers ne travaillent plus sur l'évolution des cours - ce sont les investisseurs à long terme qui le font - mais sur la volatilité, c'est-à-dire qu'ils achètent et qu'ils vendent de la volatilité. D'où la rupture constatés dans l'ensemble des courbes depuis 2004.

M. Jean Bizet , président . - Doit-on parler de volatilité ? D'instabilité ? Ou d'instabilité excessive ?

M. Serge Guillon . - Je suis d'accord avec l'analyse de Bernard Valluis sur les termes. Celui de « volatilité » est plutôt employé sur les marchés financiers. Beaucoup de nos partenaires étrangers considèrent la volatilité comme un phénomène normal et ne comprennent donc pas qu'on lutte contre elle. Dans notre rapport, plutôt que « volatilité », nous avons employé les termes d'« instabilité des marchés » ou de « fluctuations », mieux compris par nos partenaires. La fluctuation des marchés agricoles est un phénomène structurel, dû à des données physiques ; c'est la loi de Gregory King de 1696... Cette fluctuation, éternelle source d'émeutes, a toujours préoccupé les gouvernements. Mais ce qui a changé c'est la mondialisation et la financiarisation de ces marchés. La mondialisation est cause d'un paradoxe apparent. Les échanges internationaux de céréales sont peu importants par rapport à la production mondiale, ils n'en représentent en moyenne que 11 à 12 %. Or, une production diminue de 1 %, et qu'on en n'échange que 10 %, cette baisse sera répercutée sur la partie échangée et donc sur 10 % des échanges internationaux. Il y a là un effet multiplicateur alors que la modification de production est faible.

L'interconnexion des différents marchés de matières premières s'explique aussi par le fait qu'une partie des opérateurs sont les mêmes sur les différents marchés d'actifs et qu'ils peuvent donc faire des arbitrages entre ces différents marchés.

Sur les marchés physiques, on a une situation structurelle où l'offre est instable et soumise aux aléas climatiques, tandis que la demande est rigide. Mais, sur le long terme, la demande est tirée par trois éléments : la demande humaine, le besoin de nourriture animale, l'utilisation de céréales pour des besoins non alimentaires. La demande ne fera probablement qu'augmenter, contrairement à l'offre, ce qui sera source de tensions dans l'avenir.

En outre certains freins s'opposent à l'ajustement entre l'offre et la demande mondiales : les restrictions d'exportation par exemple. Ainsi le Brésil exporte du maïs génériquement modifié soumis aux restrictions sanitaires de certains pays importateurs. Le fret maritime s'oppose aussi à cet ajustement dans la mesure où, préempté à 70 % par les échanges avec la Chine, il est lui aussi soumis à des tensions périodiques. Il faut aussi noter l'opacité croissante des données : les données de production de la Chine, par exemple, ne sont pas transparentes, si bien que la volatilité des prix a été importante sur les marchés physiques du riz, sans que les marchés financiers en soient la cause. Et entre aussi en jeu la spéculation sur les marchés financiers.

M. Pierre Bernard-Reymond . - Je renonce à poser ma question à M. Valluis parce que M. Guillon vient d'y répondre très complètement. Je pensais qu'on accordait trop d'importance à la financiarisation au détriment des facteurs physiques et notamment de la montée de la demande des pays émergents.

M. Rémy Pointereau . - La volatilité est inquiétante tant pour les producteurs que pour les consommateurs, pour lesquels les répercussions de toute augmentation de prix sont disproportionnées. Lorsque la tonne de blé est à 110 euros, la farine entre pour 7 centimes dans le prix de la baguette ; quand le prix du blé double, la baguette pouvait être à 3 ou 4 centimes de plus.

La volatilité est due à une demande mondiale en constante augmentation, aux aléas climatiques ainsi qu'à la spéculation financière : des fonds de pension spéculeraient sur les produits alimentaires. On parle de volatilité lorsque les prix montent mais il y a aussi volatilité lorsqu'ils sont à la baisse. En 2007, les cours étaient de 250 à 280 euros la tonne de blé, ils étaient de 110 euros en 2009 et ils sont de 250 maintenant. En 1981 on vendait 200 euros une tonne de blé dont le prix de revient était de 120 euros. En 2009, on la vend à 110 euros alors que son prix de revient est de 150 euros ! Avec M. Volot, la commission de l'économie s'est préoccupée ce matin des ventes à perte, qui ne sont pas admissibles. Ici, on vend à perte ! Il faudrait des outils de régulation des marchés. Je souligne également le problème du stockage : on ne dispose que de deux mois de stock au niveau mondial. Enfin, nous n'avons plus le prix d'intervention, qui constituait un filet de sécurité contre la baisse des cours. Pour réguler, il faudrait aussi prendre en considération la contractualisation en faveur de productions de qualité.

M. Gérard Le Cam . - Le sujet est passionnant et, Monsieur le président de la commission, il serait souhaitable de débattre de la volatilité en séance publique  avant le G20. Volatilité ou pas, la majorité des prix agricoles sont trop bas. La gestion des stocks est un élément clé du problème, cela peut être le meilleur outil contre une spéculation assassine - la famine de 2008 a atteint 150 millions de personnes supplémentaires - qu'on doit combattre par tous les moyens ! La gestion des stocks doit être faite par tous les pays dans le cadre d'une politique de souveraineté alimentaire réactivée, certains d'entre eux ayant laissé de côté leur agriculture. Les pays peuvent acheter et stocker des céréales - comme tous les produits secs qui se transportent et se conservent bien - de façon à décourager la spéculation. L'État doit s'en occuper de façon à garantir un prix stable et une marge bénéficiaire correcte pour les producteurs. Il faut une gestion intelligente des stocks - maintenus à un niveau supérieur à ce qu'il est actuellement - pour limiter les effets d'une spéculation assassine.

M. Daniel Soulage . - Peut-on éviter une politique de stockage ? Pour qu'elle soit efficace, quelles quantités doit-on stocker ? Et à quel coût ?

M. Jean Bizet , président . - Y a-t-il des filières ou des zones plus affectées que d'autres par la volatilité des prix ?

M. David Hallam . - A la grande différence de 2008, le marché du riz est maintenant assez stable. Les prix domestiques en Afrique ont baissé grâce à de bonnes récoltes.

M. Bernard Valluis. - Sur les produits stockables, café, cacao, sucre, céréales, oléagineux, produits transformés, on regarde toujours le rapport entre le stock et la consommation locale ou mondiale : c'est un indicateur d'alerte. A trois semaines de stock, on entre dans une zone de difficultés. A deux semaines, il y a déjà rupture d'approvisionnement dans certains pays. Il est donc vital de maintenir des stocks. Les principaux pays exportateurs avaient des stocks mais le démantèlement des politiques agricoles - sous l'effet d'une libéralisation des échanges et d'une théorie économique laissant au marché le soin d'être efficace ou vertueux - a détruit ces stocks, lesquels étaient constitués à partir des prix garantis aux producteurs : en Europe, dès lors que le prix atteignait le prix d'intervention, on stockait ! Il y avait donc des stocks publics, mais on a considéré qu'ils étaient extrêmement coûteux et on les a démantelés.

M. Jean Bizet , président . - Sous-entendez-vous que la réforme de la PAC et sa libéralisation sous-jacente ont encouragé la volatilité des prix agricoles ?

M. Bernard Valluis . - Je ne sous-entends pas, je dis clairement que les travaux de l'OCDE ont conduit, dans le cadre de l'OMC, à la libéralisation des échanges et au découplage des aides, et au démantèlement des systèmes de stocks publics, lesquels avaient un effet régulateur qu'on a voulu ignorer. Aujourd'hui nous souffrons d'un déficit de stocks publics et, en plus, au G20, il y a une sorte de front du refus contre la proposition française de constituer des stocks.

M. Jean Bizet , président . - Le protocole d'accord passé entre le Sénat, l'Assemblée nationale et le Bundestag a buté sur ce problème. Il nous fallu deux heures de négociation pour nous entendre sur la simple possibilité d'un cadre de régulation pour la future PAC. En effet, ce n'est plus dans l'air du temps malgré les conséquences négatives du manque de régulation.

M. Stéphane Le Moing . - En matière de stocks , il faut distinguer les niveaux européen et international. Ces vingt dernières années, les États européens ont évolué vers un consensus - auquel la France s'est toujours opposée - en faveur d'une moindre envergure des mesures de gestion des marchés et toute l'histoire de la PAC, depuis la grande réforme de 1992, est faite d'une succession de réformes allant vers des aides au revenu stables et, depuis 2003, découplées de la production. Mais les instruments de marché n'ont pas tous été démantelés, dans les secteurs du blé ou du lait par exemple.

En Europe, il y a une paix armée entre tenants et adversaires de la gestion de marché : la France voudrait renforcer les instruments de marché, l'Allemagne préfèrerait en rester là. Au niveau international, la situation est différente. Malgré la volonté affichée des grandes organisations internationales de limiter les interventions des États, les grandes puissances agricoles ne se privent pas d'intervenir sur les marchés : ouvertement, comme la Chine ou l'Inde, ou de manière plus ambiguë, comme les États-Unis et l'Europe et même le Brésil, qui se dit pourtant libéral.

L'opportunité de constituer des stocks régulateurs internationaux fait débat. Les économistes n'y sont guère favorables, et les pays du G20 l'ont refusé. En revanche, tous les États ont une politique de stock, pour des raisons de sécurité nationale. Enfin, il y a la question plus large des subventions considérées comme distorsives par l'OMC. En règle générale, les États préfèrent gérer eux-mêmes leurs stocks : c'est une question de souveraineté.

M. Jean Bizet , président . - La baisse des stocks laisse libre cours à la spéculation. Des fonds de pension, des opérateurs agricoles se livrent-ils à des manoeuvres pour faire monter les prix ?

M. Patrick Ferrere . - Les stocks se trouvent aujourd'hui dans les pays producteurs. Avec l'instabilité des prix, les pays structurellement importateurs, comme l'Égypte ou la Tunisie, achètent deux fois plus cher cette année que l'année dernière ! Ne faudrait-il pas plutôt les aider à constituer des outils de stockage ?

M. Jean Bizet , président . - L'économie agricole rejoint la géopolitique...

M. Serge Guillon . - La notion de stock est imprécise. Il ne faut pas confondre les stocks d'urgence, de sécurité alimentaire, et ceux qui sont destinés à la régulation. Les stocks peuvent être privés, publics, gérés de façon nationale ou internationale. Cette problématique est au coeur de tous les accords internationaux sur le blé depuis 1934, tous avortés... Enfin, il faut distinguer un stock de blé dans un silo sécurisé du sud-ouest, du riz stocké en vrac sous une bâche, au milieu des rats, dans un pays en développement ! C'est pourquoi il faut tout d'abord s'entendre sur la définition d'un stock au niveau international. Notre rapport préconise également le financement de lieux de stockage dans les pays en développement, qui pourrait être une priorité de la Banque mondiale.

M. Frédéric Courleux . - Même des pays réputés libéraux ont des stocks publics : début 2011, le gouvernement brésilien a relâché ses stocks publics de maïs pour aider ses éleveurs.

Le problème n'est pas seulement la hausse des prix mais aussi leur baisse. Or les marchés ne fonctionnent pas correctement dans les deux sens. On a assisté entre 2000 et 2007 à une dégringolade des stocks de fin de campagne au niveau mondial, de 200 millions de tonnes de blé à 115, sans que cela ait de conséquence sur les prix de marché. On peut donc s'interroger sur l'hypothèse d'efficience des marchés, c'est-à-dire sur la qualité du signal-prix. Avant la crise, il était inimaginable de critiquer le niveau des prix !

Actuellement, le niveau des stocks de fin de campagne reste non négligeable : il représente 28 % de la consommation annuelle ! Or, une révision à la baisse de 3 % des prévisions de production entraîne une hausse des prix de 70 %. Les politiques agricoles ont été analysés par Mordecai Ezekiel, économiste de Roosevelt, et plus récemment par Jean-Marc Boussin, qui avait prévu la séquence hausse-baisse-hausse en 2007-2008 et mis en avant l'effet de la baisse des stocks communautaires.

Contrairement à 2007-2008, le riz est paradoxalement épargné par la hausse actuelle. Les relations diplomatiques entre pays du sud-est asiatique autour de l'ASEAN-Plus Trois ne sont sans doute pas étrangères à la bonne coordination entre stocks. Il faudrait comparer les coûts du stockage à ceux de l'instabilité des marchés agricoles.

M. Jean Bizet , président . - Comment mesurer l'impact de la spéculation financière sur les marchés agricoles ?

M. Bernard Valluis . - Nous sommes dans un marché global. Les matières premières agricoles constituent un sous-jacent : c'est la partie physique. L'arbitrage se fait par des opérations sur des marchés à terme, réglementés. Aux États-Unis, cela représente trente fois la production ; en Europe, la moitié de la production ! Cotations internes et options représentent un pourcentage qui est en général un multiple du volume des sous-jacents.

N'oublions pas en outre les marchés de gré à gré, qui représentent des multiples très supérieurs aux marchés physiques et réglementés réunis. Les matières premières représentent 3 % de l'ensemble... L'opacité y est totale : impossible de savoir dans quelle mesure les opérateurs jouent sur les marchés et prennent des positions de contrôle. Les recommandations du G20 de Pittsburgh de septembre 2009 ont d'ores et déjà été traduites aux États-Unis dans la loi Dodd Frank ; des directives et règlements sont en préparation au niveau communautaire mais nous avons pris du retard.

Les mesures prises pour connaître l'identité et les positions des opérateurs et instaurer une police sur ces marchés vont être contrecarrées par les opérateurs financiers, qui ont déjà perdu la mémoire de la crise. Le travail de la Commission européenne est louable, mais le Congrès américain coupe aujourd'hui les vivres aux organismes régulateurs... Pour les matières premières, la régulation financière n'est pas la solution. Il faut une solution adaptée à la gestion de stocks régulateurs. Bref, il faut mettre en oeuvre une politique économique de stocks régulateurs de matières premières, dans un compromis entre consommateurs et producteurs.

M. Marcel Deneux . - Le problème, c'est la volatilité excessive, c'est-à-dire des variations de prix brusques et de forte amplitude. Les marchés de matières premières, guidés par un sous-jacent, deviennent dérivés. Quels sont les outils, les contrats, les opérateurs sur les marchés ? Il y les commerciaux, les « traders » habituels, et les swappers , parasites dont il faut limiter les actions et les outils, swaps et options. Peut-on imposer un enregistrement par catégorie d'opérateur, afficher leurs transactions en toute transparence, pour envoyer un message aux acteurs du marché physique ?

M. Jean Bizet , président . - Le problème a été en partie résolu par le FSTC (Financial Services Technology Consortium) aux États-Unis.

M. Serge Guillon . - Les marchés à terme se nourrissent de la volatilité des prix. Ces marchés secondaires, qui organisent des transactions sur une base virtuelle et des contrats anonymes, ont besoin des liquidités apportées par les spéculateurs. La spéculation est donc inhérente au fonctionnement du marché. La notion de spéculation « excessive » a été introduite par le Sénat américain : il n'y a aucun instrument de mesure, mais des présomptions, des indices, comme la déconnexion du réel et du financier, la part des opérateurs non commerciaux, etc. La commission d'enquête du Sénat américain a mis en cause la CFTC (Commodity Futures Trading Commission) dans le marché du blé de Chicago ; M. Michael Masters, auditionné par le Sénat le 20 mai 2008, a expliqué comment son fonds spéculatif avait participé à cette spéculation. Il y a donc bien eu spéculation « excessive », mais on ne peut la mesurer.

M. Marcel Deneux . - On assimile au fonctionnement des marchés physiques des instruments de marchés financiers. Il ne devrait pas y avoir de swap sur les marchés physiques ! C'est une dégénérescence du système.

M. Yannick Botrel . - Comme l'a rappelé M. Courleux, les stocks mondiaux ont régulièrement baissé sans que l'on ne s'en inquiète, et le réveil a été brutal. On a fait état du rôle de la spéculation dans la formation des prix mondiaux. La part des céréales sur les marchés mondiaux représente 11 % de la production mondiale : les prix se forment donc à partir de ces 11 %. Un État qui voudrait se protéger contre un risque de pénurie ne peut-il contribuer à la volatilité des prix ? La Chine, par exemple, peut-elle contribuer à la variation des cours en intervenant sur le marché mondial ?

M. Patrick Ferrere . - Réchauffement climatique, aléas : les phénomènes se cumulent. En 2009, les conditions climatiques ont été satisfaisantes dans presque toutes les zones de production, d'où les prix bas. La demande des pays émergents s'accélère : la Chine achète tout ce qui se présente sur le marché. On ne sait si c'est pour sa consommation ou pour constituer des stocks. Il y a des pistes à creuser pour limiter ces comportements.

M. Serge Guillon . - Les marchés à terme sur les matières premières agricoles se sont développés en Chine. Les volumes de transaction y ont plus que quadruplé, qu'il s'agisse du soja, du maïs ou du blé.

M. Jean Bizet , président . - Venons-en à l'impact de la volatilité sur le monde agricole. Comment les exploitants s'en accommodent-ils ? N'y a-t-il pas des tensions entre céréaliers et éleveurs ? Le président de la FNSEA a lancé l'idée d'une contractualisation entre ces deux secteurs. Peut-on y parvenir ?

M. Patrick Ferrere . - Les agriculteurs doivent prendre conscience que la politique agricole européenne n'est plus celle en cours ces cinquante dernières années. L'instabilité des prix a toujours existé, mais les producteurs européens étaient à l'abri des tempêtes. Or le message est mal passé. Il faut apporter aux agriculteurs les outils pour faire face à la nouvelle donne. Parmi les outils fiscaux figure la déduction pour aléas. Les producteurs européens vont devoir épargner pendant les années fastes pour préparer les années de vaches maigres.

M. Jean Bizet , président . - C'est un changement de culture.

M. Patrick Ferrere . - C'est difficile en pratique : on constate un parallélisme entre l'achat de matériels et la hausse des revenus. Il y a aussi des solutions collectives : la France est pionnière en la matière. Pourquoi ne pas créer des caisses de compensation au niveau des interprofessions pour limiter l'effet des fluctuations, à l'instar de ce qui a été fait dans la filière porcine ?

Les fluctuations rendent incompréhensibles les nouveaux soutiens à l'agriculture, à commencer par la regrettable réforme de 2003 instaurant le droit à paiement unique (DPU) à l'hectare.

M. Jean Bizet , président . - Le Sénat avait été un peu provocateur en imaginant que les DPU pouvaient être cycliques, donc maximalisés en période de turbulence. M. Dacian Ciolos, commissaire à l'agriculture, n'y était pas hostile, mais la proposition n'a guère suscité d'engouement... Une telle mesure aurait pourtant été intéressante pour les agriculteurs.

M. Patrick Ferrere . - Le DPU à l'hectare va de pair avec le découplage. Pour agir de manière contra-cyclique, il faudrait que les exploitations soient relativement spécialisées, or en France, elles sont diversifiées. Et il est strictement interdit de recoupler les aides ! La position de la Commission européenne est claire : le DPU n'est pas une aide au revenu, à la hausse ou à la baisse des prix, mais la compensation des contraintes environnementales et sanitaires que s'impose l'Europe. Bref, on rêve d'un Doha finalisé, ce qui est loin d'être le cas !

M. Jean Bizet , président . - Et ne parlons pas du principe de réciprocité...

M. Jean-Paul Emorine , président . - L'opinion publique ne comprendrait pas que l'on parle de DPU sans remettre en cause les références historiques. J'ai participé au bilan de santé de la PAC : les pays européens sont tous préoccupés par l'occupation de l'espace.

M. Patrick Ferrere . - Les références historiques disparaîtront progressivement.

M. Jean Bizet , président . - Que pensez-vous d'une contractualisation entre céréaliers et éleveurs ?

M. Patrick Ferrere . - L'interprofession fera des propositions au ministre fin juin, visant à permettre à l'alimentation animale de bénéficier de contrats plus transparents et de prix plus modérés : le prix moyen plutôt que le spot.

M. Jean Bizet , président . - Il s'agirait d'un contrat à trois ?

M. Patrick Ferrere . - Non, le contrat serait passé soit avec le fabriquant d'aliments, soit avec l'éleveur qui fabrique ses propres aliments. On envisage un marché à terme de tourteaux de colza sur la place de Paris. Il s'agit également de réduire les coûts d'intermédiation en la matière.

M. Marcel Deneux . - On s'oriente vers une contractualisation au niveau national, mais attention aux effets de frontière.

L'élevage bovin est très vulnérable : l'alimentation bovine n'est plus à base d'herbe, et une vache laitière consomme deux tonnes d'aliments du bétail. Et l'on consomme toujours moins de viande rouge... La consommation de céréales n'est certes pas la même selon les types d'animaux d'élevage. Mais force est de constater que la France n'a pas de politique de l'aliment du bétail ; il faut créer une filière.

M. Patrick Ferrere . - Des engagements devraient être signés en présence du ministre la semaine prochaine. Le secteur de la production animale est le plus touché par la hausse de ses coûts de production, or il n'y a pas de lien de proportionnalité entre le cours du porc et le cours des céréales... Dans un souci de transparence, il faudrait des indicateurs tenant compte du prix de l'aliment du bétail : si le rapport entre le prix de l'aliment et le prix du produit à la consommation dépasse une marge acceptable, les prix devraient être renégociés.

M. Jean Bizet , président . - Comment éviter la volatilité des prix ?

M. Jean-Paul Emorine , président . - M. Jean-Pierre Jouyet a proposé la création d'une agence européenne chargée de suivre l'évolution des données physiques et financières des matières premières agricoles. Qu'en pensez-vous ? Est-ce le rôle de la Commission, ou du Parlement ?

M. Serge Guillon . - Le problème est celui de la cohérence des politiques mondiales, d'où l'intérêt de passer par le G20. Un cadre européen est sans doute nécessaire mais pas suffisant. Quel serait le rôle d'une telle structure : réguler uniquement les marchés financiers, ou intervenir sur les sous-jacents ? Est-il pertinent de créer une nouvelle structure alors que la Commission a déjà un rôle en la matière ?

M. Pierre Bernard-Reymond . - Quelles sont les relations entre les grands organismes de gouvernance mondiale, ONU, OMC, FAO, G20, etc. ? Avez-vous perçu un décloisonnement, une volonté de travailler ensemble ? Avez-vous des préconisations à faire en la matière ?

M. Jean Bizet , président . - Pouvons-nous attendre des propositions intéressantes du G20 ?

M. Stéphane Le Moing . -  Nous avons été frappés par la réactivité des États à l'inscription, par la présidence française, de la volatilité des prix des matières premières agricoles à l'ordre du jour du G20. Il y a un consensus, partagé par les organisations internationales associées, sur la pertinence du sujet, la nécessité de travailler ensemble et d'améliorer notre connaissance du fonctionnement de ces marchés. Cette meilleure connaissance est le préalable à un début de coordination internationale visant à prévenir les crises et à y répondre.

Le rapport conjoint des organisations internationales, qui doit être remis en juin, est une étape importante. L'idée est d'oeuvrer en commun pour assurer un suivi plus précis des données physiques et financières des matières premières agricoles.

Faut-il une agence européenne, comme le propose M. Jean-Pierre Jouyet ? Mieux vaut, me semble-t-il, inciter la Commission européenne à mieux utiliser les outils dont elle dispose, et à améliorer déjà sa propre connaissance des échanges.

M. Bernard Valluis . - Concernant l'impact de la volatilité excessive, l'industrie est souvent montrée du doigt, mais il faut tenir compte du contexte économique et législatif français. L'incertitude se traduit par un coût réel : celui de l'option, qui peut atteindre 20 euros par tonne pour un produit évalué à 250 euros ! Voici la mesure d'une volatilité excessive. Dans un marché libre, les industriels achètent à différents moments, donc à des prix différents : les obliger à répercuter les hausses ou baisses de prix, via une indexation, serait contraire à l'exigence de libre concurrence.

Malgré la loi de modernisation de l'économie (LME), la distribution, nostalgique de l'économie administrée d'autrefois, refuse de négocier les prix de cession des produits. C'est toute la filière qui doit s'adapter à un mode contractuel différent. Pour l'heure, nous sommes dans l'impasse.

Les accords de produits ne regroupent pas tous les pays, mais fournissent les données les plus régulières et les plus proches des chiffres définitifs, avec le département de l'agriculture américain. Confier à la FAO le pilotage d'un organisme recueillant des données statistiques serait un progrès considérable. Je regrette que le mandat de l'Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) ne comprenne pas un tel suivi, que préconise M. Jean-Pierre Jouyet. Mme Christine Lagarde avait proposé de créer un équivalent européen de la CFTC. J'attendais que l'ESMA soit dotée de telles missions.

M. Jean Bizet , président . - La grande distribution trouve toujours des moyens de contourner la législation... À nous de chercher à corriger les imperfections de la LME.

L'Europe devrait se doter d'un outil comme la CFTC. Les États-Unis ont pris de l'avance, et apportent des réponses souvent pertinentes.

M. Frédéric Courleux . - Il faudrait en effet s'inspirer du pragmatisme américain. La CFTC a été créée dans les années 1920, elle est devenue régulateur en 1974.

La procédure de révision des directives européennes en matière financière est en route. L'ESMA aurait pu aller plus loin que la simple coordination entre régulateurs nationaux, mais c'est déjà une avancée, à mettre au crédit du commissaire Barnier. En matière de transparence des marchés financiers, l'Europe n'est pas encore au niveau des États-Unis d'avant la crise de 2007 ; il faut rattraper notre retard. On sait qu'aux États-Unis, 80 à 90 % des positions à l'achat sont détenues par des non commerciaux ; nous ne disposons pas de ces informations pour les places européennes. Il en va de même en matière de répertoires de transaction, qui pourraient être hébergés par une organisation internationale.

Le régime des sanctions n'est pas non plus adapté. Le trader qui a réalisé un corner sur le cacao en juillet dernier n'encourait aucune sanction en Europe ; aux États-Unis, une telle manoeuvre est passible d'une dizaine d'années de prison !

M. Jean Bizet , président . - Il y a en effet une carence au niveau communautaire. Nous sommes preneurs de toute note complémentaire sur le sujet.

La pratique des marchés à terme est-elle adaptée à toutes les matières premières agricoles ? Comment concilier la PAC, à laquelle nous sommes très attachés, et une agriculture européenne tournée vers la bourse, notamment aux yeux de l'opinion publique ?

M. Serge Guillon . - Les organisations internationales souffrent toujours de leur cloisonnement : les problèmes sont transversaux, les organisations sectorielles. Je ne crois pas à une organisation mondiale de l'agriculture. Mieux vaut un organe informel d'impulsion et de coordination politique, rattaché au G20 et s'appuyant sur les organisations existantes. Il faut améliorer notre connaissance de la situation, mettre en place un système d'alerte, avec des indicateurs physiques et financiers, ainsi qu'un système de prévention des réactions inadéquates des États...

La régulation des marchés financiers est plus aboutie aux États-Unis car leurs marchés sont plus anciens. N'oublions pas toutefois que le modèle américain a eu des défaillances... La régulation des marchés à terme est compliquée : c'est un univers complexe et opaque, sans compter la part des marchés de gré à gré, partie immergée de l'iceberg. Les marchés sont connectés, l'espace est mondialisé ; en face, on a des réactions nationales, même si elles sont coordonnées. Clearnet, la chambre de compensation d'Euronext, a entre neuf et treize régulateurs : c'est l'organisme régulé qui coordonne ses régulateurs, et prépare les instructions du régulateur ! Jean-Paul Gauzès, député européen, a dénoncé l'insuffisance des textes adoptés par le Conseil et les conséquences de certaines nominations au niveau européen. Les solutions techniques sont généralement contournables...

Pour développer les marchés à terme, il faut un produit homogène et divisible : c'est le cas des céréales, mais pas des fruits et légumes. Il faut une organisation de filière. Cela prendra du temps, dans un contexte de compétition entre les marchés : les opérateurs français qui exportent trouvent plus facilement à se couvrir sur le marché de Chicago que sur Euronext !

M. David Hallam . - Comment améliorer la transparence des marchés ? À un problème global, il faut une solution globale. Il faut non seulement obtenir l'information, mais mettre en place un système d'alerte et de coordination des politiques. Les organisations internationales ont montré qu'elles étaient prêtes à coopérer. Cela augure bien de l'avenir.

M. Jean Bizet , président . - Merci de nous avoir appris beaucoup ; cela nous sera utile pour la communication que nous devons produire pour la fin mai, avant le G20 agricole de juin à Paris. Cette communication sera totalement dans l'esprit de celle que nous avons sortie il y a quelques mois sur la PAC. Sur la future PAC soufflera et sévira encore un peu plus l'esprit du libéralisme. Or, on ne peut laisser les agriculteurs sans régulation ! Je suis sûr que nous avons des réponses à apporter au G20. La France a des idées précises sur le sujet et il faut saluer ceux qui y réfléchissent, notamment le ministre Bruno Le Maire, car nous sommes arrivés à un point crucial, où il faut éviter qu'un ultralibéralisme malvenu ne conduise toute une filière dans le mur.

M. Jean-Paul Emorine , président . - Merci à tous d'être venus discuter d'un enjeu important : nourrir la planète dans des conditions économiques acceptables tant pour les producteurs que pour les consommateurs. Notre rencontre permet de mieux quantifier et cerner les problèmes.

Pour nous, la réponse politique à leur apporter se situe à trois niveaux. Au niveau national d'abord via la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche (LMAP), avec la contractualisation, l'encouragement aux assurances contre les aléas climatiques et sanitaires et les provisions pour lesdits aléas et aussi pour les investissements. Cette loi favorise aussi l'organisation de filières pour l'agriculture et l'agro-alimentaire, afin qu'elles entretiennent des relations stables sur le long terme.

La réponse est internationale ensuite : la lutte contre la volatilité des prix agricoles est à l'agenda du G20. C'est historique. Les marchés agricoles sont maintenant totalement interconnectés. Le prix du lait breton se fait souvent, malheureusement, en Nouvelle-Zélande et celui du blé vendu au Caire et à Moscou. La réunion des ministres de l'agriculture, fin juin, devra décider des outils de lutte contre la volatilité ; mais nous sommes là loin d'un consensus, même si les tenants d'une absence totale de régulation sont un peu en perte de vitesse.

Au niveau européen, enfin : la proposition de M. Jean-Pierre Jouyet peut être retenue et la réforme de la PAC de 2013 devra la prendre en compte. Depuis plusieurs années, on s'oriente de plus en plus vers les marchés en disposant de moins en moins d'outils d'intervention. La PAC contribue à la volatilité. Nous voudrions qu'elle soit à nouveau un outil d'amortissement de cette volatilité, même s'il ne s'agit pas d'en revenir à une PAC totalement administrée et déconnectée des marchés ; personne ne la défendrait car son budget serait insoutenable.

Le groupe de travail que nous avons mis en place avec le président Jean Bizet défend l'idée de redonner du sens à la PAC et de ne pas renoncer à son ambition d'une régulation. Nous en avons convaincu nos partenaires allemands et sommes parvenus à une déclaration commune des Parlements de nos deux États. Soyez sûrs que nos deux commissions de l'Économie et des Affaires européennes resteront attentives à l'enjeu de la volatilité des prix agricoles et que nous tenterons de faire valoir la vision d'une agriculture mondiale capable de nourrir sans soubresauts neuf milliards d'humains à l'horizon 2050.

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