EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

La présente proposition de loi traite d'un phénomène qui constitue à la fois un problème de société et un problème d'ordre public : les effets de la consommation excessive d'alcool lors de certains rassemblements étudiants, qu'il s'agisse de soirées, de week-ends d'intégration, ou de fêtes organisées par des associations lors de divers événements de la vie étudiante.

Cette consommation excessive prend parfois la forme de ce que l'on a pu qualifier en anglais de « binge drinking », c'est-à-dire le fait de chercher à obtenir l'ivresse dans le plus court délai possible. Elle peut alors avoir pour conséquence extrême des accidents graves, des comas éthyliques, des violences, voire des suicides.

En outre, alors qu'une grande partie des soirées étudiantes se tenaient auparavant au sein même des établissements, où elles avaient lieu sous la responsabilité du chef d'établissement et, souvent, après qu'un dialogue ait eu lieu avec celui-ci, ces événements se déroulent désormais de plus en plus fréquemment en dehors des écoles et des universités, dans des lieux prêtés ou loués aux associations étudiantes.

Dès lors, bien que des opérations de sensibilisation soient menées par les pouvoirs publics et par certaines associations et que des actions de prévention soient parfois prévues par les organisateurs, une grande partie de ces fêtes sont organisées sans prendre suffisamment en compte les risques pour la santé et la sécurité des participants.

La présente proposition de loi vise ainsi à obliger les organisateurs des soirées étudiantes ayant lieu en dehors des établissements à déclarer ces événements au chef d'établissement et au préfet, afin d'instaurer un dialogue qui devra aboutir à un renforcement des mesures de sécurité prévues.

Votre commission a constaté que cette proposition de loi traitait d'un problème complexe par ses causes et par ses manifestations. Il convient en outre de prendre garde à ne pas porter une atteinte manifestement excessive à la liberté de réunion et au droit à la vie privée. Votre commission a donc estimé qu'il convenait de prendre le temps de la réflexion afin de proposer un texte équilibré et qui apporte une réelle contribution au problème posé. C'est pourquoi elle a décidé de soumettre à votre haute assemblée une motion tendant au renvoi en commission de la présente proposition de loi .

*

A. LES DÉRIVES LIÉES À LA CONSOMMATION D'ALCOOL LORS DE « SOIRÉES ÉTUDIANTES » : UN PHÉNOMÈNE PRÉOCCUPANT

1. Le champ des manifestations concernées par la proposition de loi

Les rassemblements que les auteurs de la proposition de loi souhaitent encadrer présentent une grande diversité : soirées d'intégration de grande école au début de l'année scolaire, soirée réservée aux étudiants d'une filière, galas ayant lieu en cours d'année, week-ends d'intégration, etc. Ces événements sont organisés par des associations présentes en très grand nombre dans les établissements d'enseignement supérieur (à titre d'exemple, elles seraient au nombre de 94 à l'Essec) : bureau des élèves, associations culturelles ou sportives, « corporations ». Ils peuvent rassembler de quelques dizaines d'étudiants à près de 2000 (le CRIT qui rassemble les étudiants en pharmacie) voire plus de 5000 (grandes fêtes regroupant des étudiants de plusieurs filières de santé) et peuvent avoir lieu dans une salle polyvalente louée pour la circonstance, une boîte de nuit, un bar, un terrain privé, voire un village de vacances ou une station de ski. L'entrée est payante dans la grande majorité des cas.

Dans la mesure où il existe environ 4000 établissements d'enseignement supérieur en France (universités, grandes écoles, classes préparatoires, BTS, etc.), au sein desquels les étudiants peuvent effectuer de 3 à 8 années d'études et où chaque promotion participe à au moins deux événements festifs par mois, une évaluation très sommaire permet d'estimer que le nombre de rassemblements étudiants de quelque importance varie entre 10 000 et 20 000 par an. Ce nombre élevé résulte en partie du besoin de financement des associations étudiantes : une part prépondérante de leur budget est souvent constituée par le produit de ces événements festifs.

2. Une consommation parfois excessive d'alcool lors des soirées étudiantes

La consommation d'alcool tient une place importante dans la quasi-totalité de ces rassemblements festifs . Dans certains cas, les étudiants dépassent les seuils de consommation d'alcool au-delà desquels certains effets délétères peuvent se manifester. Il s'agit soit d'effets immédiats (coma éthylique, accidents, violences, agressions sexuelles), soit d'effets à plus long terme sur la santé, tels que des lésions cérébrales qui auraient été observées après des épisodes de consommations massives d'alcool, ou encore l'installation d'une dépendance. Par ailleurs, si la loi du 17 juin 1998 a interdit le bizutage, plusieurs personnes entendues par votre rapporteur ont indiqué que cette pratique perdurait de façon plus discrète lors des week-ends d'intégration, où elle peut prendre la forme, dans un contexte de forte consommation d'alcool, de « défis » de caractère sportif mais aussi parfois de jeux à caractère sexuel ou d'humiliations diverses.

La consommation massive et rapide d'alcool, qui est parfois qualifiée de « binge drinking », serait un comportement en forte progression, dont l'émergence suscite l'inquiétude des pouvoirs publics.

Les comportements de « binge drinking » ou « intoxication alcoolique aiguë » ont d'abord été constatés en Europe du Nord (Royaume-Uni, Irlande, Danemark), puis progressivement dans le reste du continent. S'il n'existe pas de définition officielle et précise de ce phénomène, il est généralement décrit comme une consommation de grandes quantités d'alcool pendant une brève période de temps, de manière ponctuelle ou répétée, afin d'obtenir rapidement un état d'ivresse. L'OMS recommande une consommation ponctuelle maximale de quatre « verres standards » comme étant une « consommation de moindre risque » : le binge drinking commencerait donc lorsque cette limite est franchie.

Selon l'adjoint au sous-directeur de la promotion de la santé et de la prévention des maladies chroniques de la direction générale de la santé, entendu par votre rapporteur, ce phénomène aurait connu une progression importante au cours des dernières années dans notre pays.

Selon un rapport de 2007 de l'Académie nationale de médecine 1 ( * ) , qui se fonde sur l'enquête 2005 sur la santé et les comportements lors de l'appel de préparation à la défense (ESCAPAD), 46 % des jeunes de 17 ans déclaraient en 2005 avoir consommé en au moins une occasion au cours du dernier mois davantage que la recommandation de l'OMS ; 2,2% des jeunes de 17 ans déclaraient avoir consommé ponctuellement cinq verres ou plus au moins trois fois au cours des trente derniers jours.

La seconde étude ESCAPAD, réalisée en 2008, montre une diminution globale de la consommation de substances psycho-actives chez les jeunes de 17 ans depuis l'étude de 2005. Elle révèle cependant également une hausse modérée des épisodes de consommation ponctuelle sévère d'alcool : la répétition d'au moins trois épisodes dans le mois progresse de 8 %, passant de 2,2 % à 2,4 %. Dès lors, la conclusion de l'enquête est la suivante : « Cet exercice d'ESCAPAD confirme certaines tendances (...) : reculs importants de la diffusion et des usages du tabac et du cannabis, stabilité voire diminution des ivresses alcooliques. ESCAPAD objective également une diminution des usages réguliers d'alcool. Elle laisse néanmoins apparaître une modeste augmentation des fréquences de consommation d'au moins cinq verres en une occasion. » Les boissons les plus consommées étaient, au moment de la publication du rapport de l'académie de médecine, la bière, les alcools forts et les « prémix » (mélanges sodas-alcools forts), le vin n'arrivant qu'en sixième position. Par ailleurs, on pouvait constater une importante « polyconsommation », associant à l'alcool, pour 35% des personnes interrogées, du cannabis, et pour 10% des médicaments.

Des comportements préoccupants mais stables ou en légère augmentation sur cinq ans : telles sont donc les données fournies par les enquêtes ESCAPAD.

Il convient toutefois de souligner que ces données concernent des jeunes mineurs et non les étudiants, en général majeurs, qui font l'objet de la proposition de loi ; si, selon l'ANPAA , ces données constituent une bonne indication des comportements adoptés par ces mêmes jeunes une fois dans l'enseignement supérieur, elles ne peuvent se substituer à une étude plus directe de ceux-ci.

Dans ce contexte, les données fournies par une étude récente du CREDOC , réalisée en 2010 à la demande des associations Prévention Routière (APR) et Assureurs Prévention (AP) auprès de 267 associations étudiantes, et intitulée « L'organisation des soirées étudiantes et la prévention des risques routiers. Le comportement des organisateurs de soirées étudiantes », s'avèrent précieuses.

Les conclusions de cette étude, centrée sur les actions de prévention menées par les étudiants, sont nuancées. Si le CREDOC ne nie pas que la consommation d'alcool est parfois très importante lors de ces événements 2 ( * ) , il souligne certaines exagérations : « Il y a quelque temps déjà, les soirées étudiantes défrayaient la chronique. Une vague d'indignation médiatique puis politique pointait du doigt les pratiques de quelques grandes écoles : soirées décrites comme d'immenses beuveries, où l'alcool gratuit coulait à flot. Ces soirées existent encore, malgré la loi de 2006 interdisant les open bars, mais elles sont marginales. Ce que nous disent les organisateurs de soirées étudiantes dans cette enquête s'écarte sensiblement de la caricature. Certes leurs pratiques mériteraient une meilleure régulation, mais à l'heure où se développent, loin du spectre des alcooliers d'ailleurs, de nouvelles formes difficilement contrôlables d'incitations à la consommation d'alcool (apéros géants, groupes facebook, challenges sur youtube), les associations étudiantes constitueraient plutôt un rempart contre la déresponsabilisation totale ».

Toutefois, l'étude souligne également un important déficit d'actions de prévention de la part des organisateurs de soirées étudiantes .


* 1 Evolution des conduites d'alcoolisation des jeunes : motifs d'inquiétude et propositions d'action, 5 juin 2007.

* 2 « Lorsque les étudiants connaissent les quantités commandées, les comportements sont là encore diversifiés : la moitié des associations compte au plus trois consommations d'alcool fort par personne, la moitié également au plus 3 consommations d'autres alcools. Une autre moitié compte de 4 à 5 consommations d'alcool fort par personne, 3% en compte plus de 5... Lorsque l'on somme les commandes d'alcool forts et d'autres alcools, le total par personne est souvent élevé : 30% des 77 organisateurs gérant les commandes, proposant des alcools forts et non forts et sachant quelle quantité est commandée, prévoient au total, au moins 8 consommations par personne ».

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