N° 411

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2011-2012

Enregistré à la Présidence du Sénat le 22 février 2012

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, autorisant l'approbation de la convention d' entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République libanaise ,

Par M. Jean-Paul FOURNIER,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Louis Carrère , président ; MM. Didier Boulaud, Christian Cambon, Jean-Pierre Chevènement, Robert del Picchia, Mme Josette Durrieu, MM. Jacques Gautier, Robert Hue, Xavier Pintat, Yves Pozzo di Borgo, Daniel Reiner , vice-présidents ; Mmes Leila Aïchi, Hélène Conway Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Gilbert Roger, André Trillard , secrétaires ; MM. Pierre André, Bertrand Auban, Jean-Michel Baylet, René Beaumont, Pierre Bernard-Reymond, Jacques Berthou, Jean Besson, Michel Billout, Jean-Marie Bockel, Michel Boutant, Jean-Pierre Cantegrit, Pierre Charon, Marcel-Pierre Cléach, Raymond Couderc, Jean-Pierre Demerliat, Mme Michelle Demessine, MM. André Dulait, Hubert Falco, Jean-Paul Fournier, Pierre Frogier, Jacques Gillot, Mme Nathalie Goulet, MM. Alain Gournac, Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Gérard Larcher, Robert Laufoaulu, Jeanny Lorgeoux, Rachel Mazuir, Christian Namy, Alain Néri, Jean-Marc Pastor, Philippe Paul, Jean-Claude Peyronnet, Bernard Piras, Christian Poncelet, Roland Povinelli, Jean-Pierre Raffarin, Jean-Claude Requier, Richard Tuheiava, André Vallini.

Voir le(s) numéro(s) :

Assemblée nationale ( 13 ème législ.) :

3315 , 4013 et T.A. 795

Sénat :

185 et 412 (2011-2012)

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est saisi du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord d'entraide judiciaire en matière pénale entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République libanaise, qui a été signé à Paris, le 21 janvier 2010.

Cet accord, qui vise à renforcer la coopération judiciaire pénale entre les deux pays, s'inscrit dans le cadre des relations traditionnelles d'amitié et de coopération entre la France et le « pays du cèdre ».

Avant de décrire le contenu de ce rapport, votre Rapporteur a donc estimé utile de revenir brièvement sur la situation politique et économique du Liban et ses relations avec la France.

I. LA FRANCE ET LE LIBAN : UNE RELATION PRIVILÉGIÉE

A. UNE HISTOIRE TRAGIQUE

Après la dislocation de l'Empire Ottoman, la France a obtenu un mandat de la Société des Nations sur les régions syriennes du Levant, divisées en cinq entités administratives dont l'une d'elles va former le Liban. Le 1er septembre 1920, le général Gouraud proclame la constitution de l'Etat du Grand Liban, soumis à l'autorité du haut-commissaire français.

La République libanaise naît en 1926, année de l'adoption d'une Constitution et le pays proclame son indépendance le 22 novembre 1943. La même année, le « pacte national » organise la répartition des principales fonctions publiques entre les communautés chrétienne (Président de la République maronite) et musulmane (Premier ministre sunnite). Après les accords de Taëf de 1989, cette répartition concernera également les chiites (Président de l'Assemblée Nationale).

Une fois son indépendance acquise, le Liban subit une situation géopolitique régionale tendue (arrivée massive de réfugiés palestiniens après les guerres israélo-arabe de 1948 et 1967, rivalités interarabes, guerre froide).

De 1975 à 1990, période de la guerre civile, une série de conflits où se mêlent des confrontations régionales et des luttes intérieures ensanglantent le pays. Les accords de Taëf de 1989 mettent fin aux principales hostilités. Le 22 mai 1991 est signé entre le Liban et la Syrie un accord de fraternité, de coopération et de coordination, qui prévoit notamment le maintien de la présence des troupes syriennes sur le territoire libanais. Cette présence militaire (30 000 hommes) a pris fin en avril 2005, dans le contexte de fortes pressions internes (« révolution du Cèdre » contre la présence syrienne après l'assassinat, le 14 février 2005, du Premier ministre Rafic Hariri) et externes (résolution 1559 du Conseil de sécurité des Nations Unies de septembre 2004).

En 2006, l'enlèvement de deux soldats israéliens par le Hezbollah provoque une guerre de 33 jours avec Israël (12 juillet-14 août) qui a causé la mort de 1300 civils et 35 militaires côté libanais, et 48 civils et 118 militaires israéliens.

La résolution 1701, adoptée le 11 août 2006, met un terme aux hostilités et permet le retour de l'armée libanaise au sud Liban, aux côtés d'une force internationale de maintien de la paix, la FINUL rénovée. Cette résolution prévoit en outre l'interdiction des armements illicites au Sud du Liban et s'accompagne d'un travail de démarcation de la ligne bleue qui sépare le Liban d'Israël.

En vertu de la résolution 1701, le Secrétaire général des Nations Unies a également demandé à un cartographe de travailler sur la définition précise de la zone des fermes de Chebaa (occupées par Israël) et proposé de travailler sur l'option d'une mise sous tutelle temporaire des Nations Unies.

Seul le Liban a approuvé les travaux du cartographe et les Nations Unies restent en attente d'une réponse israélienne et syrienne. De plus, les propositions de l'ONU pour trouver une solution au problème du village de Ghajar, dont la partie située au nord de la ligne bleue reste occupée par Israël, se sont heurtées à des réserves des Israéliens. Les autorités israéliennes ont toutefois annoncé le 17 novembre 2010 avoir pris la décision de retirer leurs forces militaires de la partie nord du village de Ghajar. Cette décision n'a pas encore été mise en oeuvre.

Après la guerre, le pays a connu de fortes tensions politiques internes : démission du Gouvernement des ministres chiites en novembre 2006 suivie par des mois d'affrontements politiques entre la majorité et l'opposition qui paralysent les institutions pendant plusieurs mois (suspension des réunions de l'Assemblée nationale, à partir de 2007 et blocage des institutions à l'expiration du mandat du Président Lahoud en novembre 2007 et en l'absence d'accord de la classe politique sur son successeur).

La France s'est impliquée pour aider une résolution de la crise en organisant la réunion des représentants de l'ensemble des forces politiques libanaises, dont le Hezbollah, ainsi que des membres de la société civile à La Celle-Saint-Cloud, en juillet 2007. La crise toutefois durera jusqu'en mai 2008.

Elle est émaillée de violences. Une vague d'attentats politiques touche des personnalités anti-syriennes ou jugées telles : de l'assassinat de Rafic Hariri, en février 2005, à celui de Wissam Eid, en janvier 2008, 9 assassinats politiques tuent près de 60 personnes. Ils visent des journalistes (Samir Kassir, Gubran Tuéni), politiques (Rafic Hariri, Georges Haoui, Pierre Gemayel, Walid Eido, Antoine Ghanem), militaire (général François el Hajj) et policier (Wissam Eid).

La crise atteindra son paroxysme en mai 2008. A la suite de la décision de Fouad Siniora, alors Premier ministre, de démettre de ses fonctions le responsable de la sécurité de l'aéroport de Beyrouth, proche du Hezbollah, et de démanteler le réseau de télécommunication du Hezbollah, des partisans armés du Hezbollah et d'Amal investissent Beyrouth le 7 mai et pendant plusieurs jours : ils bloquent certaines routes conduisant à la capitale, dont celle de l'aéroport, prennent position dans Beyrouth-Ouest, s'emparent de nombreuses positions de personnalités pro-gouvernementales et attaquent les organes de presse proches de Saad Hariri et encerclent les bâtiments officiels. Des combats ont également lieu dans la ville de Tripoli et dans les zones druzes, dans le Chouf et à l'est de Beyrouth (région d'Aley) contre les partisans de Walid Joumblatt. Les combats cessent au bout de quelques jours et, le 15 mai, un accord se dégage entre la majorité et l'opposition qui sera finalisé à Doha. Au cours des combats, près de 80 personnes sont tuées.

Signé le 21 mai 2008 entre les représentants de la majorité et de l'opposition, grâce à la médiation du Qatar, l'accord de Doha est fondé largement sur les idées que la France avait développées depuis l'automne 2007. Malgré les concessions qu'il demande à la majorité (reconnaissance d'une minorité de blocage à l'opposition), il permet d'éviter un dérapage vers la guerre civile et met fin aux blocages politiques et institutionnels que subissait le Liban depuis l'automne 2006.

Conformément à l'accord, un nouveau Président de la République, Michel Sleimane, est élu le 25 mai 2008, avant la formation d'un nouveau gouvernement d'union nationale, sous l'autorité de Fouad Siniora, le 11 juillet 2008. Une nouvelle loi électorale a été votée en septembre 2008 en vue des élections législatives. L'accord de Doha prévoit aussi la relance du Dialogue national auquel participent, sous l'autorité du Président Sleimane, les chefs des blocs politiques représentés au Parlement. Les sessions du Dialogue national, consacrées notamment à la « stratégie de défense nationale », n'ont pas permis de dégager d'accord sur la question de l'armement du Hezbollah. La mise en oeuvre de l'accord de Doha a également permis la tenue d'élections législatives, le 7 juin 2009, remportées par la coalition du « 14 mars ». Celle-ci a conservé la majorité au parlement (71 sièges sur 128) face à l'opposition conduite par le Hezbollah et les aounistes (57 sièges).

Désigné comme Premier ministre le 26 juin 2009, Saad Hariri, chef de la majorité parlementaire, a formé le 9 novembre 2009 un gouvernement d'union nationale, après cinq mois de discussions avec l'opposition. Le 10 décembre 2009, le Premier ministre a obtenu le vote de confiance du Parlement sur un discours de politique générale. Le gouvernement d'union nationale de Saad Hariri, démissionnaire depuis le 12 janvier 2011 à la suite du retrait des ministres issus de l'opposition qui représentaient un tiers du gouvernement, n'a duré qu'une année. La polarisation politique entre les camps du 8 et du 14 mars, et qui s'est matérialisée dès le début dans la longue période de formation du gouvernement a rapidement bloqué sa capacité d'action. Des avancées ont été enregistrées sur certains dossiers (tenue des élections municipales en mai 2010, adoption d'un plan de réforme de l'électricité, renforcement des droits des réfugiés palestiniens, adoption d'une législation sur les hydrocarbures). Mais l'action du gouvernement s'est heurtée notamment aux contraintes de l'union nationale qui, en donnant un droit de veto à l'opposition, a empêché tout progrès sur de nombreux dossiers (nominations administratives, vote du budget par le parlement, réforme des télécommunications, réformes économiques, gestion de la dette, adoption d'un budget après plusieurs années sans loi de finances, modernisation de l'Etat et de l'administration, décentralisation, poursuite de la réforme électorale).

Le gouvernement d'union nationale a également dû gérer plusieurs crises sécuritaires entre l'automne 2009 et l'été 2010 (incidents sporadiques à la frontière du Sud Liban, tirs mortels sur la ligne bleue le 3 août 2010, heurts intercommunautaires dans les camps palestiniens, dans la région de Tripoli et dans la banlieue sud de Beyrouth).

La poursuite de la mise en oeuvre de la résolution 1701 reste un enjeu important. La résolution 1937, adoptée le 31 août 2010, qui a renouvelé pour un an le mandat de la FINUL, a rappelé les principaux points sur lesquels des évolutions sont attendues de la part des parties : le respect de la libre circulation de la FINUL ; le renforcement de la présence de l'armée libanaise au Sud-Liban ; le retrait israélien de la partie nord du village de Ghajar ; le strict respect de la Ligne bleue par les parties et l'appel à une accélération de son marquage sur le terrain ; le respect de l'embargo sur les armes au Sud Liban.

Les attentats qui ont visé les contingents italien (mai 2011) et français (juillet 2011) ont donné lieu à la publication d'une lettre du Président de la République Nicolas Sarkozy aux autorités libanaises, qui se sont engagées à sécuriser davantage la Force, dont le mandat vient d'être renouvelé pour une année.

C'est toutefois au sujet du Tribunal spécial pour le Liban (TSL) que l'ancienne opposition a provoqué la démission du gouvernement Hariri. Dans la déclaration ministérielle adoptée le 10 décembre, le gouvernement d'union nationale avait donné son soutien aux travaux du TSL (institué par la résolution 1757 de mai 2007), principalement chargé de faire la lumière sur l'attentat commis contre l'ancien Premier ministre Rafic Hariri, le 14 février 2005. Le procureur, Daniel Bellemarre a transmis au juge de la mise en état un premier acte d'accusation le 17 janvier 2011. Dans les mois qui ont précédé, les rumeurs n'ont cessé de se multiplier dans la presse à ce sujet. Le Hezbollah estime qu'il sera visé par ces actes d'accusation et appelle, depuis l'été, à une interruption de la coopération entre le Liban et le TSL qu'il présente comme un complot contre lui. Le refus de la majorité de céder aux demandes de l'opposition a provoqué, depuis l'automne 2010, le blocage du Conseil des ministres. Cette crise politique s'est précipitée mi-janvier 2011. Après l'annonce, le 11 janvier, de la fin de la médiation syro-saoudienne qui était chargée, à la suite de la visite conjointe à Beyrouth, le 30 juillet, des chefs d'Etat saoudien et syrien, d'aider les parties à trouver un accord, les ministres de l'opposition ont provoqué le 12 janvier la chute du gouvernement d'union nationale.

Dans un climat de crainte d'un retour aux violences et de fortes pressions, les consultations parlementaires ont abouti à la désignation le 25 janvier de Nagib Mikati comme nouveau Premier ministre avec les voix du camp du 8 mars pro-syrien auxquelles se sont ajoutées une partie des voix du groupe de Walid Joumblatt et celles du Bloc tripolitain soit un total de 68 voix) qui s'est présenté contre Saad Hariri (60 voix).

Le 13 juin 2011, Nagib Mikati a annoncé la formation d'un nouveau gouvernement formé de 30 ministres :

- les deux tiers sont issus des partis qui forment l'alliance pro-syrienne du 8 mars (Courant patriotique libre du général Aoun, Marada chrétiens de Sleimane Frangie, Tachnag arménien, Hezbollah, Amal, PSNS notamment) ;

- un tiers des ministres réunit des partisans du Premier ministre Nagib Mikati, du chef druze du PSP Walid Joumblatt et des ministres proches du Président de la République Michel Sleimane.

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