E. DES MODALITÉS CONCRÈTES D'APPLICATION QUI CONFÈRENT À LA RÈGLE UNE CERTAINE SOUPLESSE
La règle fixée par le TSCG est d'autant moins contraignante que le traité prévoit une clause de « circonstances exceptionnelles », et que le mécanisme de correction « automatique » permet aux Etats de s'écarter temporairement de leur trajectoire de solde structurel.
Le graphique ci-après permet d'illustrer, dans un cas fictif, comment pourrait fonctionner ce double dispositif.
Schématiquement :
- la clause de « circonstances exceptionnelles » permet de retarder le retour à l'OMT (qui, dans le cas de la France, est l'équilibre structurel) ;
- le mécanisme de correction « automatique » permet de s'écarter temporairement de la trajectoire de solde structurel, mais oblige à la rejoindre.
Ces scénarios sont explicités dans les développements ci-après.
Les « dérapages » permis par le dispositif de correction automatique et la clause de circonstances exceptionnelles du TSCG : un exemple illustratif
(solde structurel, en points de PIB)
Précisions : Il s'agit d'un cas fictif, même si la programmation de solde structurel est proche de celle de la France. Dans le scénario de dérapage, on suppose que la programmation de solde structurel est à nouveau respectée après deux années de dérapage (le TSCG ne fixant pas de délai pour que la correction soit pleinement réalisée). Dans le scénario de circonstances exceptionnelles, on retient, là encore par convention, l'hypothèse d'un décalage de deux ans de l'OMT. Le rythme d'amélioration est alors supposé égal au minimum exigé par le volet « préventif » du pacte de stabilité, de 0,5 point de PIB par an (comme le propose la Commission européenne dans sa communication du 20 juin 2012).
Source : commission des finances
1. Des « circonstances exceptionnelles » potentiellement très larges
La clause de « circonstances exceptionnelles » résulte du c) de l'article 3 du TSCG, qui prévoit que « les parties contractantes ne peuvent s'écarter temporairement de leur objectif respectif à moyen terme ou de la trajectoire d'ajustement propre à permettre sa réalisation qu'en cas de circonstances exceptionnelles ».
a) Des « circonstances exceptionnelles » définies de manière potentiellement très large
Ces « circonstances exceptionnelles » sont définies de manière très vague, et donc large, comme le montre l'encadré ci-après.
Des « circonstances exceptionnelles » définies de manière très floue 1. Les « circonstances exceptionnelles » (« faits inhabituels » ou « grave récession économique ») Selon le b) du 3) de l'article 3 du TSCG, « les "circonstances exceptionnelles" font référence à des faits inhabituels indépendants de la volonté de la partie contractante concernée et ayant des effets sensibles sur la situation financière des administrations publiques ou à des périodes de grave récession économique telles que visées dans le pacte de stabilité et de croissance révisé, pour autant que l'écart temporaire de la partie contractante concernée ne mette pas en péril sa soutenabililité budgétaire à moyen terme. » De même, le règlement (CE) n° 1466/97 révisé (volet « préventif » du pacte de stabilité) prévoit, dans son article 2, que « le dépassement de la valeur de référence fixée pour le déficit public est considéré comme exceptionnel au sens de l'article 126, paragraphe 2, point a), deuxième tiret, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) s'il résulte d'une circonstance inhabituelle indépendante de la volonté de l'Etat membre concerné et ayant des effets sensibles sur la situation financière des administrations publiques, ou s'il est consécutif à une grave récession économique ». 2. La notion de « grave récession économique » La définition de la notion de grave récession économique figure dans le règlement (CE) n° 1467/97 révisé (volet « correctif » du pacte de stabilité), qui prévoit, dans son article 2, que « la Commission et le Conseil, lorsqu'ils évaluent et décident s'il y a ou non un déficit excessif, conformément à l'article 126, paragraphes 3 à 6, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, peuvent considérer qu'un dépassement de la valeur de référence consécutif à une grave récession économique est exceptionnel au sens de l'article 126, paragraphe 2, point a), lorsque le dépassement de la valeur de référence résulte d'un taux de croissance annuel négatif du PIB ou d'une baisse cumulative de la production pendant une période prolongée de croissance annuelle très faible du PIB par rapport au potentiel de croissance ». La notion de grave récession économique est précisée dans le code de conduite de janvier 2012, selon lequel, dans le cadre de la procédure pour déficit excessif, « la Commission et le Conseil peuvent considérer qu'un dépassement de la valeur de référence résultant d'une « grave récession économique » est une circonstance exceptionnelle au sens du second tiret de l'article 126(2)(a) du Traité si le dépassement de la valeur de référence résulte d'une croissance annuelle du PIB négative ou d'une perte cumulée de production pendant une période prolongée de croissance très faible du PIB en volume par rapport à son potentiel. L'indicateur pour évaluer la perte de production cumulée est l'écart de production, calculé conformément à la méthode validée par le Conseil le 12 juillet 2002. Le supplément par rapport à la valeur de référence sera considéré comme temporaire si les prévisions fournies par la Commission montrent que le déficit passera sous la valeur de référence après la fin de l'événement inhabituel ou de la grave récession économique » 50 ( * ) . |
Les circonstances exceptionnelles sont ainsi définies de la manière suivante :
- le TSCG considère que les circonstances exceptionnelles peuvent être de deux types : des « faits inhabituels (...) ayant des effets sensibles sur la situation financière des administrations publiques » ou des « périodes de grave récession économique », dont la définition est renvoyée au pacte de stabilité ;
- or, le pacte de stabilité ne définit pas précisément la notion de « grave récession économique ». Celle-ci l'est seulement par le volet « correctif » du pacte de stabilité, qui la définit comme une situation où un Etat a un déficit effectif supérieur à 3 points de PIB à cause d'une croissance annuelle négative ou d'une croissance durablement inférieure à son potentiel . Dès lors que, dans le cas du TSCG, la trajectoire de solde est définie en termes de solde structurel , qui dépend peu des fluctuations de l'activité économique 51 ( * ) , on ne voit pas très bien comment cette définition pourrait s'appliquer ici. En effet, comment déterminerait-on si le dérapage par rapport à la trajectoire de solde structurel provient de telles circonstances économiques ?
Interrogé à ce sujet par le rapporteur général, le Gouvernement a estimé qu'une situation économique impliquant un plan de relance dégradant temporairement le solde structurel (dans les circonstances économiques évoquées ci-avant) pourrait correspondre à de telles circonstances exceptionnelles. Il s'agit donc d'une notion fortement sujette à interprétation.
Les « circonstances exceptionnelles » au sens du TSCG, selon le Gouvernement « Les « circonstances exceptionnelles » telles que définies dans le Pacte de stabilité et de croissance sont un facteur pris en compte dans « l'évaluation globale » de la situation d'un État membre par le Conseil et la Commission. L'évaluation de l'existence des « circonstances exceptionnelles » se fait selon un examen au cas par cas en application de la définition [du pacte de stabilité], et peut être appliquée aussi bien au solde nominal qu'au solde structurel au sens où elle peut impliquer une politique budgétaire « exceptionnelle » : par exemple, elle permet non seulement de laisser jouer les stabilisateurs automatiques et conduire à un excès temporaire de déficit effectif, mais aussi de mener si besoin un plan de relance qui dégrade temporairement le solde structurel . Dans sa communication du 20 juin, la Commission prévoit que le comité budgétaire indépendant puisse rendre un avis public sur l'existence des circonstances exceptionnelles, mission qui est effectivement confiée au Haut conseil des finances publiques dans l'article 16 du projet de loi organique. L'article 16.I. renvoie à la définition européenne des circonstances exceptionnelles. » Source : réponse au questionnaire adressé par le rapporteur général |
Selon le Financial Times Deutschland du 12 janvier 2012, cette définition, floue et donc potentiellement large, de la notion de « circonstances exceptionnelles », aurait été critiquée par la BCE, dans une lettre de Jörg Asmussen, membre du directoire de la BCE.
Le projet de loi organique prévoit que c'est au futur Haut conseil des finances publiques (HCFP) qu'il reviendra de déterminer si la clause relative aux circonstances exceptionnelles s'applique.
Faute de définition claire des « circonstances exceptionnelles » dans le TSCG et dans les textes communautaires, le Haut conseil devra fixer ses propres critères.
* 50 « The Commission and the Council may consider an excess over the reference value resulting from a `severe economic downturn' as exceptional in the sense of the second indent of Article 126(2)(a) of the Treaty if the excess over the reference value results from a negative annual GDP volume growth rate or from an accumulated loss of output during a protracted period of very low annual GDP volume growth relative to its potential. The indicator for assessing accumulated loss of output is the output gap, as calculated according to the method agreed by the Council on 12 July 2002. The excess over the reference value shall be considered as temporary if the forecasts provided by the Commission indicate that the deficit will fall below the reference value following the end of the unusual event or the severe economic downturn » (traduction par la commission des finances).
* 51 Le seul impact « mécanique » de la croissance sur le solde structurel concerne les fluctuations de l'élasticité des recettes au PIB.