Mme Christine Lazerges, présidente de la Commission nationale consultative des droits de l'homme

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M. Jean-Pierre Sueur , président . - Nous avons l'honneur d'entendre Mme Christine Lazerges, ancienne députée, ancienne vice-présidente de l'Assemblée nationale, et désormais présidente de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH). Parce qu'elle est une éminente juriste, nous faisons toujours le plus grand cas de ses avis.

Mme Christine Lazerges, présidente de la Commission nationale consultative des droits de l'homme . - Je vous remercie d'entendre notre Commission. Je me félicite que les sénateurs soient à son écoute.

J'ai rendu un avis très argumenté le 24 janvier dernier sur le projet de loi ouvrant le mariage aux couples homosexuels, que j'ai communiqué au président de la commission des lois ainsi qu'au président du Sénat. Nous avons regretté de ne pas être saisis directement par le Gouvernement sur ce texte, qui touche à de nombreux droits fondamentaux : non-discrimination, égalité, droit de l'enfant, droit à une vie privée et familiale.

Il n'est pas intellectuellement honnête d'aller chercher une réponse claire et précise sur le mariage homosexuel dans la jurisprudence internationale ou européenne. La charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, en son article 9, renvoie au législateur national. Dans cette situation, la France peut offrir de nouveaux droits.

Le texte marque clairement une avancée tant sur le mariage que sur la filiation adoptive. Voilà la conclusion de notre avis qui, je dois le dire par honnêteté, est assortie d'une opinion séparée de dix de nos membres.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - C'est très bien.

Mme Christine Lazerges. - Le mariage garantit la stabilité et la sécurité du couple, partant c'est bien une question d'égalité pour les couples homosexuels. Le Pacs, qui n'a été qu'une étape, ne garantit pas les mêmes droits, ainsi que l'a souligné le Défenseur des droits. Le texte met donc fin à des discriminations indirectes en matière de succession ou encore de devoir entre les époux. Une union civile, telle que certains ont pu l'imaginer n'aurait été qu'un mariage bis pour une catégorie de citoyens, reportant la question de l'égalité.

Le mariage est plus qu'un contrat, il institue une union dont il est le symbole, un symbole fort. Pour la première fois, ce n'est plus la procréation qui est mise en avant, mais bien l'union de deux personnes, en une institution plus forte qu'un simple contrat. Désormais détaché de la procréation, dont les religions faisaient le coeur, le mariage restera une institution publique, quand bien même il sera ouvert aux personnes de même sexe. Et ce d'autant plus qu'une loi de 2005 a aboli l'expression de « filiation naturelle » par opposition à la filiation légitime.

Il n'en demeure pas moins que ce texte impose une redéfinition du mariage. Nous avons tout à gagner à cette avancée des droits de l'homme. Nous garantissons plus de protection aux couples, aux familles et aux enfants. Ne les oublions pas.

Ce texte ouvre l'adoption simple et l'adoption plénière aux couples homosexuels. La première ne pose aucune difficulté, contrairement à la seconde. Cela dit, ces problèmes sont tout à fait surmontables. La question essentielle est celle de la remontée généalogique : peut-on prétendre que l'enfant est issu de deux parents du même sexe ? D'après nous, ce texte est l'occasion de revenir sur le mensonge légal institué, en 1966, par l'adoption plénière : faire des parents adoptifs les parents biologiques en droit. Les temps ont changé : adoptés et adoptants demandent la vérité biologique, ce qui n'enlève rien aux parents sociaux. Au vrai, une filiation sociale irait de pair avec l'accès à certains éléments des origines, déjà un peu ouvert par la loi de 2002 pour les enfants nés sous X. Il y a toute raison de revenir sur ce mensonge institutionnalisé lié à un modèle pseudo-procréatif du mariage qui ne peut plus continuer très longtemps. C'est une chance que le projet de mariage pour tous nous invite à revisiter les règles de l'adoption plénière. En résumé, la CNCDH recommande de ne pas occulter le fait biologique de l'engendrement.

Au-delà, la CNCDH distingue ce qui relève du droit civil et ce qui ressortit à l'éthique. L'élargissement de la PMA à des situations autres que médicales constituerait une aventure dans laquelle on ne saurait se lancer sans consulter le Comité national consultatif d'éthique. L'Assemblée nationale a eu la sagesse de ne pas ouvrir ce débat, non plus que celui de la GPA qui, parce qu'elle instrumentalise le ventre des femmes porte indubitablement atteinte aux droits fondamentaux : il y a des questions sous-jacentes d'esclavage.

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Je vous remercie de cet avis juridiquement très motivé. Nous travaillons les articles pour mieux préciser la filiation. Oui, l'adoption plénière doit être totalement revue. J'inviterai le gouvernement à s'y atteler indépendamment de la nébuleuse encore incertaine qu'est la loi famille. Il est temps de tenir compte des changements intervenus : les enfants à adopter sont parfois plus âgés, ils ont des frères et des soeurs ; certains ont des maladies remédiables en France - c'est ainsi que la présidente de l'Agence française de l'adoption nous a dit tout à l'heure, ce qui est encourageant, avoir réussi l'adoption d'enfants vietnamiens porteurs du VIH, pour lesquels des traitements adéquats devaient être possibles. Quand le droit ne correspond plus à la réalité, il faut le revoir. De même, le texte ne parlera pas de PMA, quelle qu'elle soit. Pour autant, il y a une réalité et je m'étonne que les adorateurs de la mondialisation, du libéralisme, du marché et de la société de consommation s'émeuvent de leurs conséquences. Bien sûr, il est affreux de choisir un donneur de sperme sur catalogue, affreux d'aller à l'étranger trouver, à coup de dollars, une mère porteuse. Tout cela existe pourtant, maintenant que ce modèle s'est imposé, et les enfants ne sont pas responsables de la façon dont ils ont été conçus. Je milite pour que nous abordions ces questions de manière pragmatique.

Mme Michelle Meunier , rapporteure pour avis . - Votre avis se fonde sur les valeurs de la République : liberté, égalité, fraternité. Le texte présente l'intérêt, c'est vrai, d'ouvrir le débat sur l'adoption. Tant de choses fausses circulent. Vous avez parlé de parents sociaux, mais les parents adoptifs se vivent comme des parents, ils établissent des liens pour la vie. Mensonge d'Etat, mensonge légal ? Désormais, les parents, quand 90 % des adoptions sont internationales, ne peuvent plus, ne veulent plus mentir. L'accès aux origines est divers et singulier. Il peut concerner un nom, ou un pays d'origine.

Bien sûr, ce texte évite des discriminations pour les adultes qui se marieront et offre plus de protection aux enfants, étant entendu que, dans la plupart des cas, on en passera par une adoption de l'enfant par le conjoint.

Mme Virginie Klès . - Malgré une couleur de peau différente, le mensonge peut perdurer... Il faut que l'enfant ait atteint une certaine maturité pour comprendre que cette différence interdit une filiation biologique.

M. Charles Revet . - Pour justifier l'ouverture du mariage aux couples homosexuels, vous avez beaucoup parlé d'égalité. Or, deux hommes ensemble ou deux femmes ensemble, ce n'est pas comme un homme et une femme ensemble. On ne peut pas fouler aux pieds la nature au nom de l'égalité : les homosexuels ne peuvent pas procréer. D'ailleurs, vous avez reconnu que ce texte obligeait à une redéfinition du mariage...

Ces auditions sont passionnantes. Des gays et des lesbiennes, que j'ai reçus, m'ont expliqué qu'ils voulaient surtout quelque chose de plus que le Pacs, qui n'était pas allé assez loin. Mme la ministre nous l'a affirmé, seuls 4 % de couples homosexuels ont eu recours au Pacs.

Mme Christine Lazerges. - C'est logique puisqu'il n'y a pas plus de 4 % de couples homosexuels en France.

M. Charles Revet . - Il avait d'abord été conçu pour eux. Pourquoi pas une union civile qui répondrait aux attentes légitimes des personnes concernées au premier chef ? Il y a des mots signifiants, nous a dit un psychanalyste : le mariage en fait partie. Ne pourrait-on éviter de remettre en cause une civilisation ?

M. Jean-René Lecerf . - Ce qui me gêne dans ces débats qui vont ouvrir sur d'autres, c'est le sentiment de l'inéluctable. Il faudrait légiférer pour tenir compte des situations existantes, s'aligner sur la position des autres pays. Parce que le texte rendra la PMA possible pour les couples de femmes, il sera difficile de ne pas légaliser la GPA pour les couples d'hommes. La garde des sceaux nous assurait hier qu'un tel développement serait contraire à l'ordre public français. Pouvez-vous nous rassurer ?

M. Jean-Pierre Leleux . - Pour promouvoir ce projet de loi, on évoque les valeurs de la République, l'égalité, la sécurité, la protection, la lutte contre les discriminations. Or, au nom de ces mêmes valeurs, on peut militer contre ce texte. Un enfant dans une famille homosexuelle ne souffrira-t-il pas de discrimination par rapport aux autres enfants ? Mon collègue Revet l'a rappelé, un enfant naît d'un homme et d'une femme. Cela me gênerait que l'on aille contre la nature. Le mensonge, c'est de tricher contre la filiation en laissant entendre que les parents homosexuels seraient les créateurs de l'enfant. Depuis des millénaires, le mariage se définit comme l'union d'un homme et d'une femme en vue de créer un foyer et d'élever des enfants. Dans le métabolisme intellectuel de nos concitoyens, ce mot a un sens fort qui transcende les générations. Vous avez renoncé à l'union civile parce que vous souhaitez changer le sens du mot.

La filiation est l'essentiel du projet. Que ces couples s'aiment, et parfois plus que des couples hétérosexuels, je le reconnais. Qu'ils puissent élever un enfant avec amour, je le reconnais. S'il y avait un mensonge légal quand on laissait croire à l'enfant qu'il avait été engendré par ses parents adoptifs, du moins avait-il été conçu par un homme et une femme. Lui laisser croire qu'il est le fruit d'un couple homosexuel est plus grave. Mieux aurait valu réformer la filiation avant d'en venir à ce projet de loi. Enfin, j'eusse aimé que vous nous fissiez connaître l'avis divergent des dix membres de votre commission.

Mme Christiane Kammermann . - J'applaudis des deux mains.

- Présidence de M. Jean-Pierre Michel, vice-président -

Mme Christine Lazerges . -  J'en conviens volontiers, la couleur de la peau n'est pas une information suffisante sur les origines. Nous pouvions très bien prévoir l'accès à d'autres informations en lien avec les pays d'origine des enfants adoptés.

Le texte ne fait pas tomber le symbole du mariage. Il y a toutes sortes de familles : monoparentales, recomposées, homoparentales... Le modèle unique du mariage a disparu et plus de 50 % des enfants naissent hors mariage, il faut en prendre acte. Il ne se borne plus à autoriser la procréation. Le texte enrichit le mariage en l'offrant à des personnes qui en étaient exclues. Au demeurant, la CNCDH, qui lutte depuis la fin de la deuxième guerre mondiale contre les discriminations, estime que nous devons aux personnes homosexuelles la reconnaissance sociale et la justice. Savez-vous combien il reste difficile de dire à ses parents son homosexualité ? Dans l'Hérault, beaucoup d'enfants sont issus de parents français et maghrébins. Quand ils découvrent leur homosexualité, ils sont souvent jetés à la rue. L'association « Le Refuge » s'efforce de les prendre en charge.

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . -  Nous les entendrons bientôt.

Mme Christine Lazerges . -  Il s'agit ici d'égalité recherchée dans la reconnaissance sociale. Le code civil dit que le mariage unit l'homme et la femme, l'on est bien obligé de le redéfinir. Il n'en demeure pas moins l'engagement public dans lequel on se déclare des droits et devoirs réciproques, dans la maison commune, porte ouverte.

Que n'avons-nous pas entendu sur les bancs adverses  lorsque le Pacs a été voté! J'étais alors députée. Si le combat d'opposition avait été autre, nous serions allés plus loin, peut-être jusqu'à une union civile. Jamais, monsieur Revet, il n'a été question d'isoler le droit des couples homosexuels. Le Pacs est ouvert à tous. S'il y a 4% de couples homosexuels, cela donne juste une indication sur la proportion de couples homosexuels dans notre pays.

On ne met pas à bas l'institution du mariage, Monsieur Leleux, on ouvre une possibilité nouvelle d'accéder à cette institution de la République. Mme Meunier a raison d'invoquer égalité et fraternité.

Les discriminations dont seraient victimes les enfants de couples homosexuels dans les cours d'école ? Elles ne seront pas différentes de celles que d'autres subissent. Savez-vous qu'un enfant s'est suicidé récemment parce qu'il était roux ? C'est un scandale. Les enfants élevés dans des familles homosexuelles seront moqués, comme l'étaient hier les enfants de divorcés. Tout est question d'éducation. A nous de lutter contre les discriminations.

Mes collègues de l'opinion séparée se sont félicités, tout d'abord, de la tenue des débats à la CNCDH. Regrettant de ne pouvoir adopter le texte final, ils reprochent au projet de bouleverser la nature du mariage et les règles classiques de la filiation. Ils se fondent sur les textes internationaux, qui, sauf la charte européenne des droits fondamentaux, plus récente, et sans doute mieux adaptée aux réalités du présent, parlent encore d'un homme et d'une femme. N'ayant pas les mêmes réserves que la majorité sur ce risque de créer un mariage bis , mes collègues préconisent une union civile pour l'égalité des droits. Ils s'interrogent sur la filiation, rejetant la PMA pour des motifs autres que thérapeutiques - sur laquelle l'avis de la Commission est très prudent - et la GPA. Il y a certes, à côté des 99% de cas de GPA marchande, une GPA d'affection, entre soeurs, mais alors, il doit y avoir adoption simple. Enfin, il y a des exemples de GPA bibliques.

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Je vous invite à consulter le rapport de notre groupe sénatorial sur la GPA et la PMA. Il concluait à une GPA encadrée. Lors des auditons, tout le monde s'est déclaré opposé à une GPA d'affection parce qu'elle bouscule les lignées.

M. Charles Revet . - L'union civile que nous proposons n'est pas plus discriminatoire que le Pacs, ouvert à tous. Le mariage est autre chose.

M. Jean-René Lecerf . - Le mariage ne deviendra pas un simple contrat, avez-vous dit. Ce n'est pas l'opinion de partisans du texte que nous avons entendus. Enfin, la banalisation de la PMA au nom du principe d'égalité ne peut-elle emporter une libéralisation aussi large de la GPA ?

Mme Christine Lazerges . - Il y a une grande différence entre PMA et GPA, laquelle porte atteinte aux droits fondamentaux.

M. Jean-René Lecerf . - Et le principe d'égalité ?

Mme Christine Lazerges . - Il n'exige pas un traitement absolument identique a expliqué la Cour européenne des droits de l'homme. La CNCDH est pour l'instant réservée sur un élargissement de la PMA. Et pour recourir à une PMA, on n'a pas besoin d'être marié.

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Le critère est la stabilité de vie commune.

Mme Christine Lazerges . - C'est une faculté ouverte à tous les couples qui ont une vie commune avérée.

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Merci d'avoir répondu à nos questions.

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