Représentants de la Confédération nationale des associations familiales laïques (CNAFAL), de l'Union des familles laïques (UFAL) et de la Confédération syndicale des familles (CSF)

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M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Nous recevons la CNAFAL, l'UFAL et la CSF.

M. Jean-Marie Bonnemayre , président de la Confédération nationale des associations familiales laïques (CNAFAL) . - La CNAFAL existe depuis plus de 45 ans au niveau national, et les associations familiales laïques depuis plus de 65 ans. Après la loi de juillet 1975 sur les associations familiales, nous avions fait le choix d'adhérer à l'UNAF. Les années 1970 ont marqué de grandes ruptures dans la conception de la famille ; le divorce par consentement mutuel, la libre contraception, la levée de l'interdiction de l'avortement et la pleine capacité juridique des femmes ont fait éclater le modèle de la famille patriarcale. Aujourd'hui, les familles monoparentales sont nombreuses, mais elles sont souvent la transition vers des familles recomposées.

Le parallélisme est saisissant, 45 ans après ; les familles homoparentales doivent obtenir une reconnaissance pleine et entière de leurs droits : mariage, adoption, PMA. La CNAFAL était la seule association familiale à soutenir le Pacs. A qui fera-t-on croire que seuls 15 % des adhérents de l'UNAF sont favorables au mariage homosexuel, seuls 6 %, favorables à l'adoption ? La question de la représentativité de l'UNAF doit être posée. D'ailleurs, la CNAFAL a soutenu la demande d'agrément de l'association des parents gays et lesbiens (APGL) à l'UNAF.

Vous avez auditionné des personnalités prestigieuses comme Irène Théry ou Françoise Héritier qui sont des habituées de nos colloques. La CNAFAL mettra donc l'accent sur ses convictions et non sur les arguments qui vous sont connus. Nous considérons qu'il n'y a pas de famille standard, normée, même si l'église catholique a tenté d'imposer son modèle. Pour nous, toute discrimination est génératrice d'exclusion et de stigmatisation. Laïcs, nous prenons en compte l'intérêt de l'enfant : le principe de protection de l'enfant doit s'appliquer pleinement, quelle que soit la situation familiale. Les homosexuels revendiquent des droits, mais aussi des devoirs ! « Il n'y a pas de meilleure éducation que celle qui vous permet de remettre en cause celle que l'on a reçue », disait Paul Valéry.

Nous sommes pour l'accès des enfants à leurs origines. La réalité des liens qui unissent les membres d'une famille doit être prise en compte ; reconnaissance symbolique et reconnaissance juridique vont de pair. Maintenir la situation actuelle, c'est continuer d'ostraciser les homosexuels, de les laisser de côté. Le Pacs a été une avancée, mais reste une boîte où l'on a tenté de maintenir les homosexuels. Les familles homosexuelles ont droit aux droits, à l'invisibilité par la banalisation de leur situation. L'opprobre et la honte, c'est le venin qu'on inocule dans la construction de l'être.

Les couples gays et lesbiens sont attachés à la famille, d'autant plus qu'ils en ont souvent été exclus. Ils veulent faire famille. Marcel Proust parlait ainsi des homosexuels dans Sodome et Gomorrhe : « Race sur qui pèse une malédiction et qui doit vivre dans le mensonge et le parjure, puisqu'elle sait tenu pour punissable et honteux, pour inavouable, son désir ; [...] fils sans mère, à laquelle ils sont obligés de mentir toute la vie et même à l'heure de lui fermer les yeux ».

Messieurs les parlementaires, je vous invite à mettre fin à cette malédiction.

M. Michel Canet, président de l'Union des familles laïques (UFAL). - L'UFAL apporte son soutien à ce projet de loi, qui constitue une étape vers l'égalité entre les différentes formes de couples. Nous sommes attachés au caractère laïc du mariage civil. Nous souhaitons que le Pacs évolue vers des droits comparables à ceux qu'offre le mariage, avec une cérémonie en mairie. L'UFAL souhaite un même contrat civil pour tous les couples. Ce contrat civil républicain doit être bien distingué du mariage religieux ; dans une République une, indivisible, laïque, démocratique et sociale, les couples homosexuels doivent être traités à égalité avec tous les autres.

L'adoption doit être ouverte à tous. La refuser aux couples homosexuels serait incompréhensible quand elle est ouverte aux célibataires. De même, le livret de famille doit être unique pour tous. Le code de l'action sociale et des familles doit reconnaître comme famille les couples pacsés et les concubins associés aux père et mère isolés, avec à terme un statut de beau-parent.

Enfin, l'UFAL regrette que le projet de loi n'ouvre pas l'AMP à tous les couples de femmes, avec filiation automatique.

Mme Marie-Françoise Martin, présidente de la Confédération syndicale des familes (CSF). - La CSF se situe dans le mouvement de l'UNAF, qui regroupe une pluralité de mouvements.

La CSF, implantée dans 70 départements, regroupe des familles des quartiers populaires des grandes villes depuis 1946 et prend en compte la globalité de la vie des familles : consommation, logement, éducation, santé, culture, loisirs... Notre mot d'ordre est le faire avec, le faire ensemble, et non le faire pour ou à la place de ; la CSF défend les familles dans leur diversité.

La société évolue, les familles aussi. Le droit vient accompagner ces évolutions et assurer la protection des personnes. Le statut de la femme a bien changé au XXe siècle ; la CSF s'était investie pour la reconnaissance des femmes chefs de famille et la défense des jeunes femmes célibataires qui subissaient l'opprobre de la société. Elle s'est battue pour les droits propres des familles monoparentales. Les attentes de la société sont très diversifiées, le code de la famille a dû s'adapter : autorité parentale, divorce, avortement... Depuis 1982, l'homosexualité n'est plus perçue comme une tare, une maladie, voire une déviance, mais la question du mariage et de l'adoption par les couples de même sexe continue de faire débat.

Le droit au mariage est un droit fondamental de la personne. L'égalité entre époux a été progressivement reconnue : le mari ne doit plus protection  à la femme et la femme obéissance au mari... Le mariage civil constitue une double démarche, de la part du couple mais aussi de la société ; le code civil recentre les droits du couple sur les questions patrimoniales.

Aujourd'hui, on peut organiser sa vie de couple de différentes façons : union libre, Pacs, concubinage. Mais sur le plan symbolique, le mariage représente l'entrée dans la norme et l'accès à un statut social. Rappelons que 13 000 élus avaient signé une pétition contre la célébration du Pacs en mairie ; si la loi sur le mariage pour tous est adoptée, elle devra être appliquée partout.

Le Pacs n'ouvre pas les mêmes droits que le mariage. Les tribunaux refusent les demandes d'adoption simple aux compagnes homosexuelles des mères biologiques, ce qui n'est pas conforme à l'intérêt de l'enfant.

Parce que le mariage est une affaire entre adultes, la CSF, très attachée à l'égalité des droits, est favorable au mariage pour tous.

Mme Aminata Koné, secrétaire générale de la CSF. - Nous sommes favorables à l'adoption par les familles homoparentales, mais l'adoption pose problème : l'adoption simple ne donne pas suffisamment de garanties à l'enfant, mais l'adoption plénière gomme l'histoire de l'enfant. Nous souhaitons donc une réforme de l'adoption dans le cadre du mariage pour tous, en renforçant les garanties de l'adoption simple, mais en permettant à l'enfant de connaître son histoire personnelle.

Ce débat m'a émue, tant il a mis en cause les choix de vie des minorités. Tous les citoyens ont droit à la protection de la loi. Sans loi, les minorités sont en difficulté. Il faut apaiser les tensions sociales et que toutes les familles aient les mêmes droits et devoirs.

Mme Michelle Meunier , rapporteure pour avis . - Les débats au sein de l'UNAF ont dû être passionnants, mais difficiles puisque vous représentez une position minoritaire.

J'ai entendu parler de droits des mères : je ne sais pas ce que c'est ; vous parlez de droits des femmes : je m'y retrouve davantage ! Où se situe le point de clivage avec la position majoritaire de l'UNAF ?

M. Yves Détraigne . - Quelle est votre définition de la famille aujourd'hui ? Est-elle liée à l'enfant ?

Mme Marie-Odile Pelle Printanier, vice-présidente de la CNAFAL . - Selon Irène Théry, « l'ignorance est le terreau de toutes les peurs ». L'UNAF a refusé toutes les évolutions récentes de la famille : le Pacs, la réforme du divorce... Le clivage est donc ancien. Je rappelle que le président Fondard qui vient de s'exprimer au nom de l'UNAF, fait partie de la CSF qui tient un discours en rupture avec la position de l'UNAF. Cette ambiguïté est gênante...

Nous aurions voulu dire un mot sur la PMA.

Mme Michelle Meunier , rapporteure pour avis. - Elle n'est pas dans la loi.

Mme Marie-Odile Pelle Printanier . - Nous voulions la voir inscrite dans le texte, ne serait-ce que dans ses conditions actuelles. La CNAFAL a rencontré Mme Bertinotti, qui a organisé cinq colloques dans toute la France, pour faire mieux connaître ces sujets de société. La ministre nous a expliqué pourquoi la PMA figurerait dans la loi famille et pas dans ce projet de loi-ci ; elle nous a convaincus.

La saisine du comité d'éthique nous inquiète : on risque de ne pas avancer beaucoup, si j'en juge par le rapport du professeur Sicard sur la fin de vie ! Et pour avoir participé aux précédents Etats généraux sur la bioéthique, j'estime -avec M. Leonetti- que les débats n'avaient pas été très objectifs. Or le comité d'éthique n'a pas changé.

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - L'avis du comité d'éthique est purement consultatif ; le Gouvernement et le Parlement feront ce qu'ils voudront.

Mme Marie-Odile Pelle Printanier. - Nous faisons confiance au Parlement.

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Nous voulons un débat apaisé. Chacun sait que je suis favorable au mariage, à la PMA et à la GPA pour tous. Mais par étape : nous avons bien attendu 15 ans après le Pacs avant de créer le mariage pour tous.

M. Jean-Marie Bonnemayre. - Dès lors qu'un couple se constitue dans la durée, il fait famille, avec ou sans enfant. Avec l'évolution de la société, un homme et une femme peuvent faire plusieurs familles, successivement.

Le statut juridique doit assurer la protection de l'enfant, notamment en matière patrimoniale et en cas de séparation. Nous voulons une société plus adulte et plus protectrice des intérêts des enfants.

M. Michel Canet . - L'UNAF a pris son envol à une époque où les associations laïques n'y participaient pas. Les associations traditionnelles y sont majoritaires, l'évolution est donc très lente...

A l'UNAF, nous avons tous la même vision de l'intérêt de la famille. Tout le monde souhaite aider les familles les plus défavorisées, lutter contre les inégalités... Mais, dès lors qu'il faut prendre une position de principe, c'est le repli stratégique et nous devenons ultra-minoritaires ! L'UNAF évoluera. En attendant, je suis un peu déçu.

M. Charles Arambourou, administrateur de l'UFAL . - l'UNAF, c'est le lobby familialiste. Les principales associations de l'UNAF sont contre le mariage pour tous, même si l'UNAF a construit quelques contre-feux, comme la proposition d'une union civile pour les homosexuels. Dommage qu'il y ait un tel décalage entre l'UNAF, institution ayant pignon sur rue, et la réalité de notre pays !

La famille, c'est d'abord des personnes qui ont des liens de parenté : ascendants, descendants, collatéraux, alliés...au total, une nébuleuse assez vaste !

La famille nucléaire, dans l'acception traditionnelle, regroupait papa, maman et les enfants. Il existe dorénavant, non une, mais des familles. Il y a même des concubins non cohabitant ! L'évolution de la société est vertigineuse.

Le devoir du Parlement est d'assurer que les principes républicains s'appliquent à toutes les situations dès lors qu'elles ne violent pas l'ordre public. N'oublions pas non plus les familles monoparentales ; elles existent, bien qu'on refuse aux femmes célibataires la PMA. Cette dernière aurait dû être traitée dans le texte sur le mariage pour tous.

L'UFAL s'inquiète de l'avis demandé au comité d'éthique, dont la composition est étrangère aux principes laïcs de notre République : on y trouve des gens qui sont là à raison de leurs convictions ! Sur un certain nombre de sujets, ses avis n'ont pas placé la France en pointe parmi les démocraties occidentales...

Mme Aminata Koné . - L'UNAF connaît un blocage culturel et historique. La CSF était un mouvement ouvrier ; elle comprenait quelques religieux, mais s'est déconfessionnalisée. Nous ne pouvons pas avoir la même position que la majorité de l'UNAF, car les familles populaires ne sont pas attachées au mariage. Les gens sont libres de leur choix !

Mme Michelle Meunier , rapporteure pour avis . - Un enfant sur deux naît hors mariage.

Mme Aminata Koné . - Si les notaires conseillent le mariage à ces familles, c'est pour protéger le conjoint survivant. Le mariage offre en effet une protection solennelle : tout le monde a droit à cette protection.

Nous ne sommes pas attachés à la famille mais aux familles, dans leur diversité. Le fait familial, pour nous, est l'ensemble de ce qui constitue notre société.

Sur l'AMP, le débat n'est pas fermé ; il nous faut du temps pour mener la réflexion à son terme. Les lois sont faites pour protéger, ne l'oublions pas. La famille hétérosexuelle peut aussi être violente envers l'enfant !

Le président de l'UNAF est certes membre de la CSF mais il défend la position de l'institution, c'est-à-dire la position majoritaire. L'UNAF a bien fini par accepter le Pacs, naguère considéré comme la fin du monde ; elle propose aujourd'hui une union civile. J'espère que cette loi sera votée, et s'appliquera pour que toutes les familles puissent vivre leur projet familial avec sérénité.

M. Michel Canet . - Le code de l'action sociale et des familles considère comme famille les couples mariés et les personnes seules avec enfant, mais pas les personnes pacsées sans enfant. Nous demandons depuis longtemps la reconnaissance comme familles des pacsés et des concubins déclarés sans enfants.

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Les débats sur le Pacs ont été très âpres. Il s'agissait d'un débat sur le couple, pas sur la famille. Le groupe socialiste, à l'époque, soutenait l'idée que les personnes pacsées étaient deux célibataires vivant ensemble !

Mme Marie-Odile Pelle Printanier . - J'ai défendu le Pacs à l'Assemblée générale de l'UNAF à Perpignan sous les huées et les sifflets. Depuis, les choses ont évolué, puisque l'UNAF demande maintenant une amélioration du Pacs pour refuser le mariage pour tous. Je ne doute pas qu'elle évoluera encore, mais nous souhaiterions des débats plus apaisés et moins énergivores !

Plus de la moitié des premiers enfants naissent hors mariage : les couples ne se marient plus pour avoir des enfants, mais parce qu'ils en ont déjà !

Mme Catherine Tasca . - Le Pacs découlait aussi de l'idée que notre société était handicapée par le secret : la majorité des homosexuels vivaient leur choix dans le secret ; le Pacs leur donnait l'occasion d'en sortir et de faire reconnaître leur existence par la société. En matière de filiation, il faudra poser la question de l'accès aux origines pour les enfants. De nouveaux secrets ne doivent pas venir peser sur notre société. Il n'y a pas pire que le mensonge, pour les relations interpersonnelles et pour la société.

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Lors du débat sur le Pacs, M. Brun a été honnête et nous a précisé que la motion votée à Perpignan était majoritaire, mais que la minorité était en désaccord.

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