III. LA PROPOSITION DE LOI : UNE RÉPONSE PARTIELLE AUX DIFFICULTÉS SOULEVÉES PAR LES CONDITIONS D'EXERCICE DE LA PROSTITUTION DE VOIE PUBLIQUE

Au regard de l'ensemble de ces éléments, votre commission des lois ne peut qu'approuver l'abrogation du délit de racolage public proposée par notre collègue Esther Benbassa et ses collègues du groupe écologiste.

Toutefois, votre commission a conscience que cette abrogation ne résoudra pas l'ensemble des difficultés - nombreuses et complexes - soulevées par les conditions d'exercice de la prostitution à l'heure actuelle. De ce point de vue, la présente proposition de loi doit être regardée comme la première étape d'une démarche plus globale tendant à redéfinir les politiques publiques menées à destination des personnes prostituées.

A. L'ABROGATION OPPORTUNE DU DÉLIT DE RACOLAGE PUBLIC

Alors que la prostitution est en France une activité licite, la correctionnalisation du délit de racolage public a considérablement accru la situation de précarité des personnes prostituées, par l'isolement, l'éloignement des structures sanitaires et associatives et par une défiance accrue à l'encontre des forces de police et de gendarmerie.

Au regard de ce bilan, votre commission des lois ne peut qu'approuver l'abrogation de ce délit proposée par la proposition de loi.

Elle observe, en outre, que les pouvoirs publics ne seront pas pour autant démunis face aux éventuels troubles à l'ordre public suscités par certaines manifestations de la prostitution de voie publique.

Rappelons tout d'abord que le fait de pratiquer des relations sexuelles tarifées - comme tout type de relations sexuelles du reste - sur la voie publique ou dans un lieu accessible aux regards du public est un délit, susceptible de fonder une garde à vue et des poursuites devant le tribunal correctionnel. En effet, aux termes de l'article 222-32 du code pénal, « l'exhibition sexuelle imposée à la vue d'autrui dans un lieu accessible aux regards du public est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende ». Un recours plus fréquent à ces dispositions offrirait une réponse pénale plus adéquate aux troubles suscités, dans certains quartiers, par la pratique de « passes » dans les parties communes des immeubles d'habitation par exemple.

En outre, l'abrogation du délit de racolage public ne remettra pas en cause la possibilité qu'ont les maires, au titre de leurs pouvoirs de police générale, d'édicter des arrêtés municipaux interdisant ou restreignant la présence de personnes prostituées sur la voie publique là où cette présence est susceptible de créer des troubles à l'ordre public.

Aux termes de l'article L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales, la police municipale a notamment pour but de « réprimer les atteintes à la tranquillité publique telles que les rixes et disputes accompagnées d'ameutement dans les rues, le tumulte excité dans les lieux d'assemblée publique, les attroupements, les bruits, les troubles du voisinage, les rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants et tous actes de nature à compromettre la tranquillité publique ».

Sur le fondement de ces dispositions, par exemple, la ville de Lyon a édicté au cours des dernières années plusieurs arrêtés tendant à interdire la présence de personnes prostituées ou de « véhicules équipés pour le séjour ou l'exercice d'une activité » dans certains quartiers. De même, le contrat local de sécurité adopté par la ville de Nice inclut expressément la prostitution parmi les « faits générateurs du sentiment d'insécurité » susceptibles de fonder une action de sa police municipale.

La méconnaissance des interdictions ou le manquement aux obligations édictées par les arrêtés de police sont punis d'une amende de première classe. Le cas échéant, la mise en fourrière du véhicule peut être ordonnée.

L'abrogation du délit de racolage ne créera pas donc de vide juridique. Elle privera en revanche les forces de police et de gendarmerie d'un outil - contestable comme on l'a vu - leur permettant, au moyen de l'interpellation et de la garde à vue, de nouer un contact avec les personnes prostituées et de les inviter à témoigner des faits de violence et de contrainte dont elles seraient victimes. Votre rapporteur estime cependant que les objectifs aujourd'hui poursuivis par les forces de police à travers la garde à vue doivent être pris en compte et appelle de ses voeux une réflexion sur un dispositif qui permettrait de restaurer la confiance entre personnes prostituées et forces de l'ordre.

Au vu de l'ensemble de ces considérations, votre commission a donc adopté la proposition de loi , après avoir adopté deux amendements de son rapporteur tendant, d'une part, à opérer les coordinations nécessaires dans le code pénal et le code de procédure pénale, et, d'autre part, à permettre l'application de cette abrogation aux trois territoires d'outre-mer soumis, en matière pénale, au principe de spécialité législative (Wallis et Futuna, Polynésie française, Nouvelle Calédonie).

Conformément au principe de rétroactivité des lois pénales plus douces, cette abrogation s'appliquera immédiatement à l'ensemble des procédures en cours. Elle mettra également un terme à l'exécution des peines prononcées sur le fondement de ce délit (article 112-4 du code pénal).

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