B. UNE COMPÉTENCE ÉTENDUE, EN DÉPIT DE LIMITES RÉELLES


L'activité de nomination

L'importance du rôle conféré au CSM se manifeste dans l'étendue de son activité de nomination. Chaque année, le Conseil connaît ainsi du sort de plus de 20 % des juges et 30 % des parquetiers 12 ( * ) .

La totalité des propositions de nomination soumises au CSM, qu'il s'agisse du siège ou du parquet 13 ( * ) , sont publiées dans une circulaire du garde des sceaux, afin de permettre aux magistrats qui le souhaiteraient de faire connaître au Conseil supérieur leurs observations.

Cette procédure dite de la « transparence » constitue une garantie pour les « observants », qui s'estiment plus éligibles que le candidat de la Chancellerie au poste vacant. Elle offre au CSM l'opportunité d'apprécier les mérites comparés de chacun. À défaut d'observations, le Conseil supérieur ne pourrait se prononcer que sur les qualités objectives du candidat, sans point de comparaison, et serait donc très dépendant des seules appréciations du ministère de la justice.

Dans la très grande majorité des cas, le Conseil supérieur de la magistrature rend un avis favorable ou conforme 14 ( * ) à la proposition qui lui est faite. Jusqu'en 2011, la proportion d'avis favorables ou conformes, qu'il s'agisse du siège ou du parquet, était supérieure à 90 %. L'année 2012 marque cependant un tournant, puisque cette proportion chute à 86 % pour le siège et 75 % pour le parquet.

Le nombre élevé d'accords du CSM sur la proposition qui lui est faite rend compte de plusieurs phénomènes.

Le premier d'entre eux est la qualité des choix effectués par la direction des services judiciaires et l'existence d'une jurisprudence du Conseil supérieur sur l'appréciation des mérites du candidat. Soucieux à la fois, de rendre ses décisions plus transparentes, de décourager les observations non adéquates et d'encourager les observations justifiées, le CSM a d'ailleurs présenté, dans son dernier rapport d'activité, les grandes lignes de cette jurisprudence, qui, à mérite équivalent, donne la priorité à l'adéquation du profil du candidat à la fonction, puis à l'ancienneté, au respect de la mobilité géographique et fonctionnelle, à la situation personnelle du magistrat, et, enfin, à l'impact de la nomination éventuelle sur le fonctionnement des juridictions.

Les échanges entre la Chancellerie et le CSM jouent aussi leur rôle : la formation compétente à l'égard des magistrats du parquet fait ainsi parfois connaître au garde des sceaux, la qualité particulière d'un observant, qui justifierait qu'il soit proposé à un autre poste.

Enfin, les membres du CSM ont indiqué, lors de leur audition par votre rapporteur, que compte tenu de la qualité globale des dossiers des magistrats proposés, il était rare que le candidat proposé présente une inadéquation manifeste au poste vacant. En l'absence d'observants de meilleure qualité, l'avis ne pouvait donc être que favorable ou conforme.

Depuis 2008, les gardes des sceaux successifs se sont engagés à ne plus passer outre l'avis défavorable du CSM rendu sur une proposition de nomination à un poste du parquet .

Cet engagement est important. La pratique antérieure à 2008 montre que le ministre de la justice avait pu passer outre l'avis du CSM dans 9 cas sur 10 en 2006 et 6 cas sur 10 en 2007. Ce nombre alimentait d'autant plus la suspicion quant à la dépendance du parquet vis-à-vis l'exécutif, que le CSM rendant moins de 2,5 % d'avis défavorables, on pouvait difficilement croire qu'il n'avait pas de solides raisons de se prononcer contre la proposition du garde des sceaux.

Activité de la formation du siège en matière d'avis sur
les projets de nomination présentés par le garde des sceaux

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

Nombre de projets de nomination examinés par le Conseil

1294

1290

1129

1278

1347

1233

1238

Nombre d'observations

683

707

626

964

638

527

233

Nombre d'avis conformes

1235

1227

1081

1230

1279

1187

1067

Nombre d'avis non conformes

26

32

27

25

37

22

41

Nombre de retraits

21

22

7

13

7

17

25

Nombre de désistements

12

9

14

10

22

13

10 *

Nombre de décisions d'incompétence

0

0

0

0

2

0

0

Nombre de sursis à avis

12

9

14

10

22

6

10

* : ayant fait l'objet de retrait de l'ordre du jour

Source : Conseil supérieur de la magistrature

Activité de la formation du parquet en matière d'avis sur
les propositions présentées par le garde des sceaux

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

Nombre de propositions

560

576

592

655

614

577

630

Nombre d'observations

158

232

257

172

194

145

145

Nombre d'avis favorables

538

555

578

633

597

550

483

dont décharges

0

0

0

1

1

1

0

Nombre d'avis défavorables

10

14

6

13

6

9

15

Nombre de retraits

8

4

3

4

5

9

19

Nombre de désistements

4

3

5

5

6

0

3 *

Sursis à avis

0

0

0

0

0

9

6

Nombre de « passé outre »

9

9

0

0

0

0

0

* : ayant fait l'objet de retrait de l'ordre du jour

Source : Conseil supérieur de la magistrature

Dépendant des propositions du ministère de la justice ou des observations qui lui sont transmises dans la procédure pour avis, le Conseil supérieur de la magistrature retrouve une plénitude d'appréciation lorsqu'il exerce son pouvoir de proposition aux plus hautes fonctions du siège.

Tous les magistrats peuvent lui adresser leur candidature. Il examine leurs mérites respectifs, entend ceux qu'il souhaite et décide souverainement de celui qu'il proposera. En 2011, pour 73 propositions 15 ( * ) , il a ainsi entendu 179 candidats et reçu les dossiers de 1387 candidats.


• L'activité disciplinaire

Si l'activité disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature peut paraître numériquement marginale par rapport à celle de nomination, puisqu'elle s'élève à quelques décisions par an, elle est juridiquement aussi importante pour garantir l'indépendance de la justice, puisqu'elle soustrait les magistrats -quoiqu'à un degré moindre pour le parquet- à l'appréciation discrétionnaire du garde des sceaux ou des chefs de juridiction.

Défini aux articles 43 et suivant de l'ordonnance statutaire du 22 décembre 1958, le régime disciplinaire des magistrats compte huit degrés, de la réprimande avec inscription au dossier à la révocation, avec ou sans suspension des droits à pension, en passant par l'interdiction temporaire d'exercice.

L'initiative de la poursuite appartient concurremment, depuis 2001 au garde des sceaux ou au chef de cour. Toutefois, dans plus de 80 % des cas, seul le premier est à l'origine de la poursuite.

Lorsqu'elle statue en matière disciplinaire, la formation compétente à l'égard des magistrats du siège rend une décision juridictionnelle, susceptible d'un recours en cassation devant le Conseil d'État. En revanche, la formation compétente à l'égard des magistrats du parquet ne donnant qu'un avis sur la sanction disciplinaire prononcée par le garde des sceaux, seule cette dernière peut faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'État, qui effectue alors un contrôle plus étendu que lorsqu'il est juge de cassation.

La procédure suivie répond aux exigences habituelles du contentieux disciplinaire : le Conseil supérieur nomme un rapporteur, qui instruit le dossier et procède le cas échéant à une enquête. Le magistrat mis en cause est entendu par le rapporteur et la formation compétente. Il bénéficie de l'assistance d'un avocat ou d'un conseil syndical. Le principe du contradictoire est respecté et le rapporteur qui a instruit le dossier s'abstient de participer à la délibération de la formation compétente. La décision est rendue au cours d'une audience publique.


• La saisine par les justiciables

Conçue pour permettre aux justiciables de saisir le CSM des fautes commises par un magistrat, la saisine directe a heureusement démenti les inquiétudes qu'elle avait suscitées.

La loi organique du 22 juillet 2010 l'a en effet entourée de suffisamment de garanties pour éviter qu'elle puisse être dévoyée et servir à contester une décision de justice ou à déstabiliser un magistrat qui n'aurait pas commis de faute.

Son champ est limité aux faits susceptibles de recevoir une qualification disciplinaire commis par un magistrat à l'occasion d'une procédure concernant un justiciable. À peine d'irrecevabilité, la plainte ne peut être dirigée contre un magistrat qui demeure saisi de la procédure ni présentée après l'expiration d'un délai d'un an suivant une décision irrévocable.

Au sein des formations disciplinaires, des commissions d'admission des requêtes sont chargées d'instruire les plaintes, d'examiner leur recevabilité et d'indiquer si les faits reprochés sont bien susceptibles de relever d'une sanction disciplinaire 16 ( * ) . Si tel est le cas, elles en saisissent la formation disciplinaire et informent le justiciable, le magistrat concerné, sa hiérarchie et le garde des sceaux.

La saisine du CSM par les justiciables n'a pas rencontré le succès attendu. En effet, sur 611 plaintes adressées au Conseil supérieur depuis son installation en 2011 jusqu'à la fin de l'année 2012, seules 14 (dont cinq relatives au même magistrat) ont été déclarées recevables.


• L'activité consultative

Le Conseil supérieur de la magistrature ne pouvant se saisir d'office, son activité consultative est, elle aussi, limitée et dépend des demandes qui lui sont adressées par le Président de la République et le garde des sceaux 17 ( * ) .

Il publie cependant un rapport d'activité annuel de chacune de ses formations, ainsi que le recueil des obligations déontologiques des magistrats, élaboré à partir de la jurisprudence de ses formations statuant en matière disciplinaire.


* 12 Le CSM se prononce aussi sur la nomination de juges de proximité.

* 13 Alors que jusqu'à présent les propositions de nomination à des postes de procureur général et de magistrats du parquet général à la Cour de cassation, d'inspecteur général et d'inspecteurs généraux adjoints des services judiciaires, de procureurs généraux près une cour d'appel et de substitut chargé du secrétariat général d'une juridiction, échappaient à la procédure de transparence, Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, s'est engagée à les y soumettre dans une circulaire du 31 juillet 2012.

* 14 Les avis favorables correspondent à ceux rendus par la formation parquet, les avis conformes à ceux rendus par la formation siège.

* 15 Il a par ailleurs examiné 6 demandes de décharge de fonction de président.

* 16 En cas d'irrecevabilité manifeste, les présidents de ces commissions peuvent d'office rejeter les plaintes.

* 17 La formation plénière a rendu deux avis entre 2011 et 2012, le premier sur l'affaire dite de Pornic, le 21 mars 2011, le second sur l'obligation de mobilité des magistrats occupant des fonctions de juge spécialisé, le 13 mars 2013.

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