II. LA NECESSITE DE REMEDIER A L'INCONSTITUTIONNALITE DES DISPOSITIONS ENCADRANT L'EXERCICE DES RECOURS CONTRE LES ARRETES D'ADMISSION EN QUALITE DE PUPILLE DE L'ETAT

A. LA VARIABILITE DES PRATIQUES ENGENDREE PAR L'IMPRECISION DE LA LOI

1. Les règles fixées par le code de l'action sociale et des familles

Jusqu'en 1984, l'arrêté d'admission en qualité de pupille de l'Etat ne pouvait être contesté que devant le juge administratif par le biais d'un recours pour excès de pouvoir. Cohérente avec le principe général selon lequel le contentieux des décisions administratives relève du juge administratif, cette règle limitait le pouvoir d'appréciation du juge à celle de la seule légalité de l'arrêté et non de son opportunité. En d'autres termes, le juge n'était pas en mesure de dire si la décision d'admission était conforme ou non à l'intérêt de l'enfant.

La loi précitée du 6 juin 1984 a introduit un régime juridique d'exception en confiant au juge judiciaire le contentieux des arrêtés d'admission en qualité de pupille de l'Etat. Afin de ne pas retarder démesurément la possibilité de placer l'enfant en vue de l'adoption, un délai de trente jours suivant la date de l'arrêté du président du conseil général a été fixé pour contester celui-ci.

Le premier alinéa de l'article L. 224-8 du code de l'action sociale et des familles dispose ainsi que la décision d'admission peut être contestée devant le tribunal de grande instance « par les parents, en l'absence de déclaration judiciaire d'abandon ou d'un retrait total de l'autorité parentale, par les alliés de l'enfant ou toute personne justifiant d'un lien avec lui, notamment pour avoir assuré sa garde, de droit ou de fait, et qui demandent à en assumer la charge ».

Durant ce laps de temps, toute possibilité de placer l'enfant en vue de l'adoption est suspendue , ainsi qu'en dispose le 1° de l'article R. 224-18 du code de l'action sociale et des familles : « lorsque la décision d'admission d'un enfant en qualité de pupille de l'Etat a fait l'objet d'un recours, quel qu'il soit, le conseil de famille ne peut examiner aucun projet d'adoption tant que la décision juridictionnelle n'est pas devenue définitive » .

Aucun recensement systématique ne permet actuellement de connaître le nombre de recours exercés chaque année contre les arrêtés d'admission en qualité de pupille de l'Etat. L'étude d'impact annexée au projet de loi indique cependant que la Direction générale de la cohésion sociale aurait connaissance d'environ quatre à cinq recours par an.

2. Des pratiques variables selon les départements

L'imprécision des dispositions du premier alinéa de l'article L. 224-8 empêche une application uniforme de la loi dans les départements.

Certains conseils généraux notifient leurs arrêtés d'admission aux personnes dont ils ont connaissance mais cette pratique, en l'absence de toute règle explicite, est loin d'être répandue.

Dans le but de sécuriser la situation de l'enfant au plus vite, beaucoup de départements ont fait le choix, contrairement à ce qui est indiqué dans la loi, de prendre deux arrêtés d'admission , le premier au moment du recueil par le service de l'ASE, le second une fois que les délais légaux de deux ou six mois prévus à l'article L. 224-4 se sont écoulés. D'autres rédigent l'arrêté d'admission dès le recueil de l'enfant en prévoyant de le rendre définitif à l'issue de ces mêmes délais.

Ces pratiques ont pour conséquence d'imputer le délai de trente jours sur celui de deux ou six mois. Cela permet certes d'envisager plus rapidement le placement en vue de l'adoption mais limite le délai dont disposent les requérants pour agir et les oblige à contester le statut de pupille alors que celui-ci n'est pas encore acquis à titre définitif.

Le risque de voir les personnes ayant qualité pour agir déposer leur recours une fois le délai de trente jours écoulé se trouve donc renforcé par l'application qui est faite de la loi. Le juge civil a d'ailleurs été amené à considérer que l'absence de notification par un conseil général d'un arrêté aux grands-parents de l'enfant, alors même que leur domicile et leur lien de parenté étaient connus des services départementaux a eu pour effet de ne pas faire courir le délai de recours 13 ( * ) .

C'est sur une situation de ce type que le Conseil constitutionnel a été amené à examiner la conformité à la Constitution du premier alinéa de l'article L. 224-8 du code de l'action sociale et des familles.


* 13 Cour d'appel de Paris, 13 septembre 1996, Juris-Data n° 1996-024658.

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