C. LES ENJEUX DE LA POLITIQUE FRANÇAISE D'AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT

1. Le respect de l'objectif des 0,7 %

La France s'est engagée, dans le cadre des objectifs du millénaire des Nations Unies, à consacrer 0,7 % de RNB à l'aide publique au développement en 2015, avec une étape intermédiaire de 0,56 % en 2010.

Comme on l'a vu, notre pays en est loin, puisqu'il n'atteint que 0,46 %, soit un niveau inférieur à l'objectif de 2010.

Dans ces conditions, il apparaît évident à vos rapporteurs spéciaux que l'objectif ne sera pas atteint.

Certes, le contexte économique et la nécessite de redresser les comptes publics rendent difficile un accroissement important de l'effort en faveur du développement. Ils soulignent néanmoins que le Royaume-Uni, soumis au même contexte économique, maintient l'objectif d'arriver à 0,7 % de son RNB d'ici 2015 , et se situe d'ores-et-déjà à un niveau plus important que la France (0,56 %).

En février dernier, votre rapporteur spécial Yvon Collin s'est rendu à Londres où il a pu s'entretenir avec Lynne Featherstone, Parliamentary under secretary of State (ministre déléguée) au développement international, avec le président et plusieurs membres de la commission du développement international de la chambre des communes et avec le commissaire en chef de l'ICAI ( Independant commission for aid impact ).

Il est ressorti de ces entretiens que l'atteinte de l'objectif était avant tout une question de volonté politique . Mme Featherstone a souligné que cet objectif faisait l'objet d'un consensus au sein des principaux partis britanniques, du fait, notamment, des efforts qui étaient faits pour s'assurer que ces sommes étaient employées de façon efficace.

Vos rapporteurs spéciaux considèrent qu'il faut que la France adopte une trajectoire précise pour atteindre cet objectif.

Ils se réjouissent néanmoins que notre pays, contrairement à certains de ses partenaires européens, n'a pas appliqué de coupes drastiques dans sa politique d'aide publique au développement.

2. Le renforcement de la part bilatérale de notre aide

Selon les dernières données disponibles figurant dans le DPT annexé au présent projet de loi de finances, la part de l'aide bilatérale dans l'APD nette réalisée par la France en 2012 s'établissait à 66 %.

Ce chiffre est en augmentation par rapport aux années précédentes, et devrait atteindre 69 % en 2014.

Évolution de l'aide bilatérale française depuis 2008

(en millions d'euros)

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

Dons

3 527

3 647

3 760

3 328

3 334

3 373

3 288

Prêts nets

422

505

1 090

1 965

1 754

2 614

2 291

Annulations de dette

675

1 009

1 029

817

1 080

607

1 579

Aide bilatérale totale

4 624

5 161

5 879

6 109

6 169

6 594

7 158

Total APD

7 562

9 049

9 751

9 348

9 358

9 899

10 327

Part de l'aide bilatérale

61 %

57 %

60 %

65 %

66 %

67 %

69 %

Source : Direction générale du Trésor et CAD - les chiffres 2013 et 2014 sont des prévisions.

Comme la commission des finances l'a souvent observé, le niveau élevé de l'aide multilatérale - comme, par ailleurs, celui des annulations et refinancements de dettes - se réalise au détriment de l'aide bilatérale « de terrain », sous forme d'aide aux projets et de coopération technique, laquelle est nettement plus visible pour le rayonnement international de notre pays.

Vos rapporteurs spéciaux saluent donc le rééquilibrage en cours en faveur du bilatéralisme.

3. Le renforcement des capacités d'action de l'AFD

Votre rapporteure spéciale Fabienne Keller s'est rendue en avril dernier au Maroc pour réaliser un contrôle sur la politique française d'APD en matière d'énergie et de transport 3 ( * ) . À cette occasion, elle a pu être sensibilisée aux difficultés qu'éprouve désormais l'AFD à intervenir dans ce pays, qui est pourtant un des principaux bénéficiaires de notre APD et l'un de nos importants partenaires commerciaux.

En effet, l'AFD étant une institution financière, elle est soumise au respect des ratios prudentiels qui s'appliquent à tout établissement bancaire, et notamment au « ratio grand risque » 4 ( * ) , qui prévoit qu'elle ne peut engager plus de 25 % de ses fonds propres pour un même emprunteur ou garant. Elle également soumise aux normes réglementaires de « Bâle III », qui renforcent les exigences en termes de fonds propres.

Les simulations que l'AFD a réalisées en prévision de la mise en place de ces normes réglementaires montrent qu'avec un volume d'activité stable et le maintien des caractéristiques actuelles de la ressources à condition spéciale 5 ( * ) (RCS) , l'AFD ne respectera plus la limite des grands risques dès 2015, dans cinq pays (Maroc, Tunisie, Vietnam, Brésil, Chine et Kenya) pour les expositions souveraines et dans trois pays pour les expositions non souveraines (Afrique du Sud, Turquie et Maroc).

La limite de 25 % est déjà atteinte au Maroc. Dès lors, les signatures de nouvelles conventions de prêts se trouvent limitées aux remboursements en capital (50 millions d'euros en 2013).

Vos rapporteurs spéciaux estiment qu'il serait souhaitable de desserrer la contrainte résultant du respect du « ratio grand risque » et invitent le Gouvernement à étudier les différentes pistes le permettant, notamment en jouant sur la RCS, afin de ne pas entraver l'action de l'AFD.

La question du renforcement des fonds propres de l'AFD - un milliard d'euros serait nécessaire - devra être tranchée dans le contrat d'objectif et de moyens qui doit être adopté début janvier .

4. L'annonce d'une loi de programmation de l'APD

Vos rapporteurs spéciaux se félicitent que, dans le prolongement du travail de concertation mené dans le cadre des « assises du développement », le comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) se soit réuni le 31 juillet dernier, alors que sa dernière réunion datait de 2009.

Le CICID a pu notamment redéfinir les priorités géographiques de la politique d'APD, afin de se concentrer sur les pays les plus en difficulté. Le CICID a également acté la création du Conseil national du développement et de la solidarité internationale (CNDSI), chargé de maintenir de manière souple une concertation régulière entre l'État, les élus et l'ensemble des parties prenantes du développement.

Vos rapporteurs se réjouissent également de l'annonce par le Gouvernement du dépôt au Parlement, au début de l'année 2014, d'un projet de loi d'orientation et de programmation sur la politique de développement et de solidarité internationale. Ce sera la première fois que le Parlement sera ainsi associé à la définition de notre politique d'aide publique au développement.

Ils émettent le souhait que ces initiatives dans le domaine de l'APD augurent d'une volonté ambitieuse du Gouvernement en cette matière.


* 3 « Définir l'ambition de l'APD française dans l'énergie et s'inspirer des succès marocains » (rapport n° 804 - 2012-2013).

* 4 Règlement du Comité de la réglementation bancaire et financière (CRBF) n° 93-05 du 21 décembre 1993 modifié relatif au contrôle des grands risques.

* 5 Prêt de long terme (30 ans) qui peut, selon le ratio considéré, être comptabilisé dans les fonds propres.

Page mise à jour le

Partager cette page