B. LES MESURES DU PROJET DE LOI.

1. Créer un cadre pour encourager le regroupement des agriculteurs autour de projets innovants.
a) La création du GIEE et l'extension du bail environnemental.

Le GIEE constitue l'une des principales innovations du projet de loi, et le socle institutionnel de la mise en place de la démarche agro-écologique .

Il s'agit avec cet outil d'aller au-delà de l'agriculture raisonnée , qui constitue une démarche individuelle et qui ne vise aucunement à changer de modèle mais à optimiser les utilisations d'intrants en restant dans un modèle classique de production.

Tel qu'envisagé par le projet de loi, le GIEE est un cadre souple. Il pourrait servir à la mise en oeuvre de mesures agro-environnementales de nouvelle génération , conçues non pas comme des mesures individuelles mais des mesures systèmes. Il encourage les agriculteurs à se regrouper, mais aussi à s'associer avec d'autres acteurs pour mettre en oeuvre de nouvelles pratiques. Le projet de loi prévoit que les GIEE fonctionnent en lien avec un territoire de mise en oeuvre. C'est un instrument juridique nouveau pour une coopération gagnant-gagnant entre acteurs qui cherchent à la fois une meilleure performance économique et une performance environnementale.

Le projet de loi comprend aussi d'autres avancées visant à mieux prendre en compte la problématique environnementale : il envisage en particulier de développer le bail rural environnemental , qui est actuellement un bail dérogatoire au droit commun, en proposant à tous les propriétaires d'y recourir.

b) Moderniser les cadres existants : coopératives, interprofessions, contractualisation.

Le projet de loi poursuit un autre objectif : donner des armes nouvelles aux agriculteurs pour se regrouper et agir ensemble dans un cadre collectif.

Dans cette optique, le projet de loi conforte les groupements agricoles d'exploitation en commun (GAEC) en tenant compte de leur reconnaissance dans le droit européen.

Il vise également à améliorer la gouvernance des coopératives pour que le pouvoir final de décision reste effectivement dans les mains des agriculteurs.

Le projet de loi conforte également la démarche de contractualisation engagée avec la LMAP de 2010 et organise une procédure de médiation obligatoire des conflits commerciaux auxquels les agriculteurs sont parties.

Il conforte également le rôle des interprofessions dans la régulation des filières agricoles et alimentaires, conformément aux nouvelles possibilités ouvertes en ce sens par la réforme de la PAC.

Il inscrit dans la loi le droit de moduler les aides publiques en fonction du degré d'organisation collective des agriculteurs , afin de favoriser les organisations de producteurs.

Toutes ces dispositions ont un but précis : sortir de la logique individualiste et encourager les démarches collectives car c'est ensemble que les agriculteurs sont plus efficaces.

2. Adapter la gouvernance de la politique agricole.
a) Le rôle accru des régions.

Le projet de loi réforme la gouvernance des politiques agricoles et alimentaires en donnant un rôle accru aux régions . Celles-ci deviendront autorité de gestion du deuxième pilier de la PAC. Il est donc cohérent qu'elles participent pleinement à l'élaboration du programme régional de l'agriculture durable (PRAD), dont elles seront co-auteurs avec l'État. Les régions seront également représentées au conseil d'administration de FranceAgrimer.

Le projet de loi donne également un cadre régional aux sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER), qui ne pourront plus être organisées sur une base départementale. Le schéma directeur utilisé pour le contrôle des structures sera également établi au niveau régional, et non plus départemental, même si seront conservées des marges de manoeuvres pour l'adapter aux particularités de sous-ensembles géographiques ou de productions particulières.

La région sera donc l'échelon ordinaire de la planification de la politique agricole. C'est au niveau régional que seront pensées et mises en oeuvre les politiques agricoles territorialisées.

b) Une politique agricole construite en concertation avec les acteurs professionnels.

Si le projet de loi donne un poids supplémentaire à la région, il ne s'agit en revanche pas de supprimer la place des professionnels dans la co-construction de la politique agricole.

Le mouvement d'ouverture des interprofessions à tous les syndicats représentant la production agricole, y compris les syndicats minoritaires, est d'ores et déjà engagé . Votre rapporteur partage cet objectif et souhaite que les interprofessions prennent toute leur place dans l'organisation des filières. La religion de la concurrence libre et non faussée ne doit pas empêcher la régulation des marchés .

De même, les structures de concertation comme le CSO sont préservées et leur rôle est réaffirmé par le projet de loi.

Le dialogue et la concertation passent aussi par le maintien sur les territoires d'instances d'avis où sont représentés les agriculteurs , comme les commissions départementales d'orientation agricole (CDOA), qui jouent un rôle fondamental. Le projet de loi conserve ces outils indispensables.

3. Protéger les terres agricoles et organiser l'occupation de l'espace agricole.
a) Un renforcement de la protection du foncier.

En 50 ans, la France a perdu 20 % de surface agricole. 2,5 millions d'hectares ont été urbanisés et 4,5 millions d'hectares se sont couverts de bois et forêts.

Entre 2006 et 2010, ce sont 78 000 hectares qui ont été urbanisés tous les ans. C'est-à-dire plus de 300 000 hectares en 4 ans, soit l'équivalent de la surface agricole moyenne d'un département.

La LMAP de 2010 avait déjà mis en place quelques outils pour ralentir la consommation des espaces agricoles mais il est fondamental de passer à la vitesse supérieure.

Il n'est pas anormal de construire davantage dans un pays qui continue à gagner des habitants. Mais la construction d'infrastructures et l'ouverture de nouveaux espaces à l'urbanisation doivent être mieux maîtrisés, en particulier dans les espaces périurbains.

L'espace agricole doit cesser d'être un espace en creux de l'urbanisation, mais au contraire être préservé voire sanctuarisé dans les documents d'urbanisme. L'espace doit aussi être pensé pour permettre l'exploitation des parcelles, qui nécessitent chemins, drainages, aménagements et bâtiments agricoles.

Le projet de loi renforce les instruments d'observation du foncier agricole. Il renforce le pouvoir des commissions départementales de la consommation des espaces agricoles (CDCEA). Il s'agit là d'un enjeu majeur pour l'avenir de l'agriculture.

b) Organiser l'occupation du foncier agricole pour favoriser l'installation et le modèle d'agriculture familiale.

Le projet de loi renforce également les outils qui permettent d'organiser l'occupation de l'espace agricole, en limitant la course à l'agrandissement des exploitations.

Les SAFER sont confortées dans leur rôle d'instruments de portage foncier des terres agricoles . Elles doivent être mieux informées par les vendeurs, et peuvent plus facilement intervenir sur les bâtiments d'exploitation dans le cadre de leur droit de préemption. La boîte à outil juridique à leur disposition est revue de manière à faire des SAFER le bras armé de l'installation des jeunes agriculteurs et des pratiques innovantes en agriculture.

À rebours de la loi d'orientation agricole de 2006 10 ( * ) , le contrôle des structures est conforté et rénové . Spécificité française, l'autorisation d'exploiter permet de lutter contre les agrandissements excessifs d'exploitation, au détriment de l'installation. Mais il s'agit de lutter contre les contournements, notamment à travers les montages sociétaires.

Le projet de loi en revanche ne modifie qu'à la marge le statut du fermage, qui contribue à protéger l'agriculteur . Ce statut est particulièrement important puisqu'un quart des terres seulement est exploitée en France en faire-valoir direct. Le faire-valoir indirect reste le mode principal d'exploitation des terres agricoles.

4. Conforter l'excellence sanitaire de la France.
a) Faire face aux nouvelles menaces sanitaires.

La qualité sanitaire de l'alimentation est reconnue comme étant d'un niveau élevé en France. Elle est la condition de la confiance des consommateurs, aussi bien à l'intérieur des frontières que pour l'exportation.

Le système de surveillance et de contrôle des risques s'inscrit dans un cadre européen plutôt efficace. Le système d'alerte rapide pour les denrées alimentaires et les aliments pour animaux 11 ( * ) assure une surveillance constante de l'alimentation.

Il existe également une surveillance vétérinaire sur l'état du cheptel. Mais cette vigilance doit être préservée . Les zoonoses émergentes et réémergentes constituent une menace persistante 12 ( * ) .

La faune sauvage peut être vecteur de propagation d'agents pathogènes, ce qui justifie un renforcement des mesures de police sanitaire à son égard proposée par le projet de loi.

La France n'a rien à craindre de la transparence, bien au contraire. Les scandales comme celui de la viande de cheval apparu début 2013 révèlent des déviances de certains opérateurs contre lesquelles il faut lutter avec la plus grande énergie. C'est pourquoi le projet de loi organise la publicité des résultats des contrôles sanitaires, répondant à la fois à une demande sociale et à un impératif de responsabilisation individuelle des opérateurs de la chaîne alimentaire.

L'antibiorésistance constitue aussi une menace nouvelle et le projet de loi prévoit de mieux encadrer les conditions d'utilisation des antibiotiques ainsi que les conditions économiques de leur distribution dans les élevages.

b) Des exigences plus fortes en matière de pesticides.

La loi Grenelle II 13 ( * ) avait mis en place un nouveau dispositif pour encadrer l'utilisation des pesticides. Un récent rapport de la mission sénatoriale d'information sur les pesticides et leurs effets sur la santé recommandait de renforcer encore la réglementation .

Le projet de loi reprend plusieurs des propositions de ce rapport, organise le suivi des produits après leur mise sur le marché, promeut les méthodes alternatives, et notamment le bio-contrôle.

Surtout, il confie le soin de délivrer les autorisations de mise sur le marché, à l'instar de ce qui existe pour le médicament, non plus au ministre chargé de l'agriculture mais à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), qui effectue déjà l'évaluation scientifique des produits.

Il s'agit là d'une évolution forte dans la répartition des rôles entre autorités chargées de l'évaluation du risque d'une part et de la gestion du risque d'autre part. Au terme de nombreuses auditions, votre rapporteur considère que, loin de fragiliser le dispositif national de mise sur le marché, ce transfert apportera davantage de cohérence et de réactivité .

5. Moderniser l'enseignement agricole.

La modernisation de l'enseignement agricole constitue l'objectif général du titre IV , consacré à l'enseignement, à la formation, à la recherche et aux développements agricoles et forestiers . S'il ne comporte que deux articles à l'origine, 26 et 27, ceux-ci sont capitaux dans l'économie générale du texte.

a) Les spécificités de la formation agricole confortées.

L' article 26 du projet de loi, traitant de l'enseignement et de la formation professionnelle agricole s, contient diverses mesures positives.

Il permet une acquisition progressive des diplômes , pour éviter les sorties du système éducatif sans reconnaissance de compétences.

Une voie d'accès spécifique aux écoles supérieures d'agronomie pour les bacheliers professionnels est mise en place, afin de diversifier les publics y accédant tout en conservant l'excellence des formations.

L'article actualise les missions de l'enseignement agricole au regard de ses évolutions économiques, environnementales et sociétales.

Il met en cohérence l'évolution de ces missions avec les projets des établissements d'enseignement - publics comme privés - et la gestion des exploitations qui leur sont rattachées, en insistant sur l'importance de l'ouverture européenne et internationale des formations.

Enfin, est permise l' indemnisation en cas de calamités agricoles des exploitations des établissements d'enseignement agricole, dont l'importance est capitale.

b) La recherche d'une plus grande efficacité de l'enseignement supérieur et de la recherche agricoles.

L' article 27 traite spécifiquement de l' enseignement supérieur agricole et vétérinaire . Celui-ci est véritablement au coeur du rapprochement entre les sciences agronomiques, la biologie, l'écologie et la santé, et de leur capacité à répondre aux défis sociétaux de demain.

Les missions assignées à l'enseignement supérieur agricole public sont adaptées par le texte, qui les étend à l'accompagnement de nouvelles pratiques agricoles, en lien avec la recherche, et à la mise au point de méthode durables et territorialisées. Est également mentionné l'apport de cet enseignement à la construction d'un espace européen d'enseignement supérieur et de recherche en matière agricole. Est en outre mise en avant sa mission de promotion de la diversité des recrutements et de la mixité, ainsi que l'appui apporté à l'enseignement technique agricole.

L'article donne par ailleurs l'assise juridique nécessaire à la mise en place d'un dispositif innovant de préparation à l'accès aux formations d'ingénieurs au sein des établissements d'enseignement supérieur agricole publics, assuré par les établissements publics locaux d'enseignement et de formation professionnelle agricoles.

Mais la plus emblématique de ses mesures est la création de l'Institut agronomique et vétérinaire de France (IAVF). Cette structure prendra le relais du consortium Agreenium, qui n'a pas fait réellement la preuve de son efficacité. Il sera chargé de rapprocher l'enseignement supérieur agronomique et vétérinaire et la recherche, publics comme privés, et d'harmoniser les formations des personnels. Cela en coordonnant l'ensemble des acteurs intéressés, qui aujourd'hui encore travaillent trop de façon séparée sur l'ensemble du territoire national, et même en-dehors.

6. Une ambition pour la forêt

Le titre V du projet de loi est entièrement consacré à la forêt . Il vise, de façon générale, à une meilleure valorisation du potentiel économique des forêts, tout en renforçant les garanties de sa gestion durable.

Les fonctions d'intérêt général des bois et forêts, qui justifient notamment la possible indemnisation de leurs propriétaires au titre de la multifonctionnalité, sont réaffirmées et précisées, à l' article 29 . Ce même article adapte les missions et la gouvernance de la politique forestière et encadre la conservation des ressources génétiques forestières.

Surtout, il crée un Fonds stratégique de la forêt et du bois (FSFB), qui restaure en quelque sorte le Fonds forestier national, disparu au début des années 2000. L'instauration de ce fonds répond au besoin de la filière de disposer d'un instrument financier dédié au soutien aux investissements, en amont comme en aval, afin de renforcer la mobilisation de la ressource bois dans notre pays. La loi de finances pour 2014 14 ( * ) a déjà prévu les moyens qui lui seront attribués, le projet de loi donnant au fonds une existence formelle.

L' article 30 renforce les instruments de gestion durable et multifonctionnelle des forêts appartenant à des particuliers, en instaurant notamment un nouveau type de structure, le groupement d'intérêt économique et environnemental forestier (GIEEF), instrument favorisant le rassemblement des parcelles forestières.

Au titre des dispositions d'importance, l' article 33 instaure un dispositif de contrôle et de sanction de la mise sur le marché de bois et de produits dérivés du bois issus d'une récolte illégale , qui portent atteinte au développement durable des forêts et sont source d'une concurrence déloyale pour les producteurs nationaux respectueux du droit.

7. Favoriser l'agriculture ultramarine.

Votre rapporteur salue le choix du gouvernement de consacrer un titre spécifique aux outre-mer au sein du projet de loi . L'agriculture ultramarine fait en effet face à des défis spécifiques : nos outre-mer sont soumis à des contraintes propres mais disposent également d'atouts majeurs en matière agricole et forestière. Trop souvent, les Gouvernements successifs ont eu tendance à renvoyer les problématiques ultramarines à des ordonnances. Tel n'est pas le cas du présent projet de loi : votre rapporteur y voit un signal fort à l'égard de nos outre-mer.

Outre les traditionnelles dispositions d'adaptation du droit commun à leurs spécificités institutionnelles, le titre VI du projet de loi comprend plusieurs dispositions importantes, telles que :

- à l'article 34 , la territorialisation de la gouvernance de l'agriculture , de l'agroalimentaire et de la forêt, avec la création d'un comité d'orientation stratégique et de développement agricole (COSDA), chargé de définir, au niveau local, une politique de développement agricole, agro-industriel et rural et d'assurer la cohérence entre les divers dispositifs de soutien et les financements afférents ;

- la conclusion obligatoire d'un contrat d'objectifs et de performance entre les chambres d'agriculture des départements d'outre-mer, l'État et les collectivités territoriales , cette disposition constituant une réponse aux difficultés chroniques rencontrées par les chambres d'agriculture des outre-mer ;

- l'abaissement aux deux tiers de la proportion des indivisaires nécessaire pour conclure ou renouveler des baux d'exploitation , ceci alors que de nombreux terrains agricoles sont, dans les outre-mer, en situation de terres incultes ou non exploitées du fait du statut d'indivision ;

- à l'article 35 , l'exercice par le préfet des compétences du Centre national de la propriété forestière (CNPF) en Guadeloupe, en Martinique et à La Réunion, comme cela est déjà le cas à Mayotte et en Guyane.


* 10 Loi n° 2006-11 du 5 janvier 2006 d'orientation agricole.

* 11 Rapid Alert System for Food and Feed (RASFF).

* 12 Voir la note d'analyse n° 66 du centre d'études et de prospective du ministère de l'agriculture.

* 13 Loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement.

* 14 Loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014.

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