EXPOSÉ GÉNÉRAL

I. UN SYSTÈME FERROVIAIRE EN PERTE DE VITESSE

A. UN PAYSAGE FERROVIAIRE ÉCLATÉ

1. Les effets désastreux de la réforme de 1997...
a) Une séparation en trompe-l'oeil

La loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d'orientation des transports intérieurs, dite « LOTI », a transformé la SNCF en un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), disposant d'une autonomie financière.

La loi n° 97-135 du 13 février 1997 portant création de l'établissement public « Réseau ferré de France » en vue du renouveau du transport ferroviaire a créé, à ses côtés, un EPIC responsable de la gestion du réseau, RFF. Cette réforme visait avant tout à soulager la SNCF d'une part conséquente de sa dette, afin de lui permettre de retrouver une situation financière saine. Cette dette ne pouvait toutefois être reprise par l'État, qui cherchait alors à contenir sa dette publique pour obtenir sa qualification pour la zone euro. Elle a dès lors été affectée à RFF, qui a été considéré dès sa création comme une structure de défaisance 1 ( * ) .

Mais la réforme de 1997 a aussi été présentée comme un moyen de clarifier les responsabilités des différents acteurs, dans la mesure où elle séparait le gestionnaire d'infrastructure de l'exploitant des services de transport. Ce faisant, la loi de 1997 allait bien au-delà de ce qu'exigeait la directive européenne n° 91/440/CE du 29 juillet 1991 relative au développement de chemins de fer communautaires. Si celle-ci imposait une séparation comptable entre les activités d'exploitation des services de transport et celles relatives à la gestion de l'infrastructure, elle n'exigeait aucunement leur séparation organique ou institutionnelle.

Cependant, la logique de séparation défendue par les auteurs du projet de loi n'a pas été portée à son terme, pour préserver l'unité sociale de la SNCF . Dès l'origine, il a été prévu que la SNCF continuerait à assurer, en tant que « gestionnaire délégué », non seulement le fonctionnement et l'entretien des installations techniques et de sécurité du réseau mais aussi la gestion du trafic et des circulations sur le réseau ferré national. Avec 1500 agents, RFF ne peut rien sans les équipes de SNCF Infra, qui regroupent environ 45 000 personnes.

La séparation introduite par la loi de 1997 est donc une séparation en trompe-l'oeil, puisque RFF ne peut gérer effectivement le réseau qu'en s'appuyant sur la SNCF. Cette situation, dans laquelle la gestion de l'infrastructure a été partagée entre deux entités, ne connaît pas d'équivalent en Europe ni dans le reste du monde . Les autres pays font en effet le choix, soit de confier leur réseau à une structure séparée, qui s'en occupe dans son intégralité 2 ( * ) , soit de le laisser entièrement au sein de l'opérateur historique 3 ( * ) . La loi de 1997 a ainsi conféré une complexité exceptionnelle à la gestion du réseau, qui a encore été renforcée par l'évolution du droit européen.

b) Un cloisonnement renforcé par l'évolution du droit européen

Dans l'objectif de garantir un accès équitable et non-discriminatoire à l'infrastructure, le premier « paquet ferroviaire » a identifié quatre « fonctions essentielles » 4 ( * ) ne pouvant être exercées par des entreprises proposant elles-mêmes des services de transport ferroviaire :

- la préparation et l'adoption des décisions concernant la délivrance de licences aux entreprises ferroviaires,

- l'adoption des décisions concernant la répartition des sillons, y compris la définition et l'évaluation de la disponibilité ainsi que l'attribution de sillons individuels,

- l'adoption des décisions concernant la tarification de l'infrastructure,

- le contrôle du respect des obligations de service public requises pour la fourniture de certains services.

La directive n° 2001/14/CE du 26 février 2001 concernant la répartition des capacités d'infrastructure ferroviaire et la tarification de l'infrastructure ferroviaire indiquait que l'allocation des sillons devait être assurée par un organisme indépendant des entreprises ferroviaires sur le plan juridique, organisationnel et décisionnel .

Le 29 décembre 2010, la Commission européenne a saisi la Cour de justice de l'Union européenne d'un recours en manquement, reprochant à la France d'avoir laissé la SNCF s'occuper de certaines fonctions relatives à l'allocation des sillons 5 ( * ) sans organiser une telle indépendance. À l'époque où la Commission a adressé un avis motivé à la France en phase précontentieuse, la direction de la circulation ferroviaire (DCF) n'avait en effet pas encore été créée. Le 13 avril 2013, la Cour de justice de l'Union européenne a donné raison à la Commission.

Cette évolution du droit européen et la procédure précontentieuse qui l'a suivie expliquent la création, par la loi n° 2009-1503 du 8 décembre 2009 relative à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports, dite loi « ORTF », de la direction de la circulation ferroviaire (DCF). Toujours rattachée à la SNCF, cette direction a fait l'objet de mesures législatives spécifiques de nature à garantir son indépendance. La gestion de l'infrastructure a dès lors été partagée entre RFF, et, au sein de la SNCF, SNCF Infra et la direction de la circulation ferroviaire (DCF).

c) Un éclatement aux conséquences néfastes pour l'entretien du réseau

Surcoûts de gestion, dilution des responsabilités, absence de réactivité... Les effets de cet éclatement n'ont pas tardé à se faire sentir. Dans son rapport public d'avril 2008 intitulé « le réseau ferroviaire : une réforme inachevée, une stratégie incertaine » , la Cour des comptes a confirmé les constats réalisés dès 2001 par le conseil supérieur du service public ferroviaire, alors présidé par notre collègue Jean-Jacques Filleul, dans son « évaluation de la réforme du secteur du transport ferroviaire. »

En premier lieu, le partage et la gestion du patrimoine ont donné lieu à de nombreux conflits entre la SNCF et RFF , les textes prévus dans ce domaine n'épuisant pas l'ensemble des cas de figure rencontrés. Il a fallu plus de dix ans, et la sollicitation de plusieurs instances d'arbitrage, pour que ce partage puisse aboutir, avec, en conséquence, des frais considérables engagés par les deux EPIC pour défendre leur point de vue.

Ensuite, une véritable guerre ouverte a pu être observée entre les deux EPIC au sujet de la convention de gestion de l'infrastructure censée préciser la répartition des moyens et des missions entre les deux EPIC. Il a notamment souvent été reproché à la SNCF de ne pas donner d'informations suffisantes sur le coût de la prestation qu'elle effectuait pour RFF, empêchant celui-ci de contrôler le montant de sa rémunération, essentiellement forfaitaire. Pour répondre à cette difficulté, l'État a imposé un quasi-gel de la rémunération de la SNCF, qui est restée proche de 2,5 milliards d'euros entre 1998 et 2005. En conséquence, la SNCF, considérant que sa rémunération couvrait de moins en moins le coût croissant de ses services, malgré ses efforts pour le réduire, a revu à la baisse ses prestations, sur les lignes les moins utilisées en particulier, et en imposant des ralentissements aux trains pour éviter les accidents. Les effets de cette séparation sur la qualité de l'entretien du réseau ont donc été directement visibles.

Ces effets néfastes s'expliquent aussi par les conflits récurrents entre la SNCF et RFF au sujet de la programmation des opérations de maintenance, entraînant des difficultés pour établir l'horaire annuel et le graphique de circulation. Si chacun des deux EPIC semble avoir eu sa part de responsabilité dans ces difficultés, la Cour des comptes a relevé le caractère inéluctable de tels dysfonctionnements dans un système éclaté , en affirmant, par exemple, que « toute frontière entre la confection du graphique de circulation et la gestion en temps réel des circulations est artificielle. »

Ces dysfonctionnements n'ont pas seulement eu un impact sur l'entretien du réseau, mais aussi sur les procédures d'allocation des sillons. Le fret en a particulièrement souffert, la priorité étant souvent donnée au trafic de voyageurs ou aux travaux, ce qui explique en partie son recul. La multiplication des « sillons précaires », pouvant être annulés peu de temps avant leur utilisation, s'accorde en effet mal avec les besoins de prévisibilité des chargeurs.

Des efforts importants ont été réalisés par les deux EPIC pour réduire les points de désaccord et viser une gestion plus cohérente du réseau. Ils ne suffisent toutefois pas à contrecarrer les obstacles inhérents à la séparation de 1997, qui a obligé deux EPIC dont les intérêts sont par nature contradictoires à travailler ensemble.

C'est ce qu'a conclu la Cour des comptes dans un nouveau rapport sur « l'entretien du réseau ferré national » remis en juillet 2012 à la commission des finances du Sénat. Si elle reconnaît la préoccupation qu'ont eu les deux EPIC de faire évoluer leurs relations, en signant la convention de gestion de l'infrastructure triannuelle 2007-2010, elle souligne que cette convention n'a pas échappé « aux problèmes rencontrés par les textes précédents, la résurgence rapide des griefs réciproques empêchant de définir une nouvelle convention pluriannuelle à l'expiration de la convention 2007-2010. Les deux établissements sont ainsi revenus depuis 2011 à la formule de « conventions d'entretien » annuelles, difficilement conclues en cours d'exercice, et qui ne constituent que des actualisations à la marge des textes précédents, dépourvues d'ambition collective. »

Sa conclusion est sans appel : les conventions de maintenance, « à bout de souffle » , représentent pour elle « un dispositif conventionnel devenu de plus en plus complexe avec le temps : élaboré dans un contexte de méfiance réciproque, il aboutit à un dispositif tatillon et procédurier, faiblement régulé, dont le renouvellement, par avenants ou nouvelles conventions, s'est effectué au prix de négociations de plus en plus laborieuses, qui mobilisent les énergies et le temps des responsables des deux établissements publics. »

La Cour relève aussi les coûts de transaction d'un tel dispositif, en évoquant le chiffre de deux personnes affectées à cette négociation permanente dans les deux établissements, au niveau central et local.

Elle reconnaît toutefois aussi les effets positifs du système instauré en 1997 en termes d'émulation de l'entreprise historique. La création de RFF et le recours à des expertises extérieures à la SNCF a en effet permis de nombreuses évolutions méthodologiques (industrialisation de la maintenance, politique d'axes, recherche de nouveaux gains de productivité, développement de la sous-traitance et de la mise en concurrence ).

2. ... amplifiés par un recul de l'État stratège
a) Un État impuissant face aux conflits entre la SNCF et RFF

Dans un tel contexte conflictuel, l'État n'a pas su ou n'a pas pu jouer pleinement le rôle d'arbitre qui aurait dû être le sien. La Cour des comptes cite plusieurs exemples de situations où l'intervention de l'État, pourtant nécessaire, n'est pas intervenue, ou avec retard. Pour n'en citer qu'un, la réaction des tutelles face aux désaccords relatif au partage du patrimoine a été tardive : alors que la création de RFF a été votée en 1997, les tutelles n'ont réussi qu'en 2004 à résoudre certaines difficultés, sans parvenir à les traiter toutes, puisqu'il restait encore à la fin 2007 des questions à trancher, telles que la dévolution des cours de gares.

Au-delà, de ce rôle d'arbitrage, l'État ne s'est pas suffisamment impliqué dans les questions stratégiques liées au système, laissant ainsi de larges marges de manoeuvre aux deux EPIC.

Dans ce cadre, et comme l'a rappelé notre collègue Edmond Hervé dans son rapport sur « le service public ferroviaire et les collectivités territoriales 6 ( * ) », la SNCF a souvent été qualifiée d'« État dans l'État ».

b) Un suivi insuffisant de l'activité de la SNCF...

Pour donner une autre illustration, ce n'est qu'en 2011, et sous l'effet du droit européen, que l'État a repris la main sur les trains d'équilibre du territoire (TET), dont la dimension est pourtant primordiale en termes d'aménagement du territoire . Jusqu'en 2010, la SNCF assurait le financement de ces lignes déficitaires par un prélèvement sur les résultats des lignes à grande vitesse. Cette péréquation interne a dû être abandonnée, dans la mesure où le règlement européen n° 1370/2007 du 23 octobre 2007 dit « règlement OSP 7 ( * ) » énonce que le maintien de lignes déficitaires correspondant à une obligation de service public ouvre droit à une compensation financière.

L'État est ainsi devenu autorité organisatrice des transports (AOT) des trains d'équilibre du territoire, en signant le 13 décembre 2010 une convention avec la SNCF relative à leur exploitation. Le mécanisme de péréquation a été externalisé, dans la mesure où une part importante de la contribution de l'État est issue de la contribution de solidarité territoriale (CST), due par les entreprises de service de transport ferroviaire de voyageurs réalisés pour tout ou partie sur le réseau ferré national, ainsi que du produit de la taxe sur le résultat des entreprises ferroviaires (TREF), due par les entreprises ayant des activités de transport de voyageurs dont le chiffre d'affaires est supérieur à 300 millions d'euros. La convention signée avec l'État détermine les obligations de service public que l'exploitant doit assurer pour l'ensemble des TET, en matière de desserte des gares, de fréquence, de maintenance et de régénération du matériel roulant existant.

Par ailleurs, aucun dispositif n'a remplacé les contrats de plan passé entre l'État et la SNCF abandonnés au début des 1990. En conséquence, le suivi des activités de la SNCF par la tutelle, malgré son intérêt stratégique évident et l'ampleur des contributions financières que lui a versées l'État, a été peu satisfaisant.

Les contributions de l'État au profit de la SNCF ou de sa caisse de retraite

Les contributions d'exploitation versées à la SNCF

En 2013, le montant total des différentes subventions d'exploitation versées par l'État à la SNCF a atteint près de 400 millions d'euros 8 ( * ) . Elles se décomposent de la manière suivante :

- la compensation de l'État à la SNCF au titre de l'exploitation des trains d'équilibre du territoire (312 millions d'euros en 2012) ;

- la compensation du manque à gagner pour la SNCF résultant de la mise en oeuvre des tarifications sociales nationales (40 millions d'euros en 2013) 9 ( * ) ;

- une participation du ministère de la culture et de la communication au financement du plan de transport de la presse quotidienne (5 millions d'euros en 2012) ;

- une subvention au titre de la politique sociale en matière d'emplois (emplois jeunes et autres contrats spécifiques), dont bénéficie la SNCF suivant les mêmes conditions que n'importe quelle entreprise (32 millions d'euros en 2012).

Les contributions hors exploitation

La SNCF ne reçoit aujourd'hui plus directement de contributions hors exploitation de l'État. Depuis le 1er juillet 2007, la subvention d'équilibre du régime de retraite des personnels au statut est versée directement à la Caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF (CPRP), organisme de sécurité sociale doté de la personnalité morale, consécutivement au décret n° 2007-730 du 7 mai 2007. En 2012, l'État a versé 3,3 milliards d'euros à cet organisme autonome.

Jusqu'en 2007, l'État a versé des contributions à la SNCF au titre du service annexe d'amortissement de la dette (SAAD), un cadre comptable permettant de cantonner une partie de la dette financée de façon spécifique par des contributions de l'État. En 2007, l'INSEE a dû requalifier cette dette, de facto assumée par l'État, en dette publique, à la suite d'une interprétation d'Eurostat en ce sens. Le Parlement a alors autorisé en loi de finances rectificative la reprise de la dette du SAAD, qui représentait alors 8 ,4 milliards d'euros, par la caisse de la dette publique.

Contribution de l'État hors exploitation

Source : DGITM

c) ... comme de RFF

Il a fallu attendre le diagnostic alarmant de l'état du réseau réalisé par l'école polytechnique de Lausanne, dit audit Rivier, de 2005, pour que l'État se décide à suivre de plus près l'activité de RFF.

Le 3 novembre 2008, le Gouvernement s'est engagé dans une démarche de contractualisation avec RFF, pour la période 2008-2012. Ce contrat de performance a identifié trente-trois engagements répartis en quatre objectifs stratégiques : s'adapter à l'ouverture du marché et développer les recettes commerciales ; moderniser les infrastructures et améliorer la performance du réseau ; viser l'équilibre économique et établir un financement durable ; organiser un pilotage dynamique et assurer une gouvernance responsable. Il a été accompagné d'une restructuration des subventions versées par l'État à RFF. Si ce contrat a permis des avancées, il n'a pas pleinement porté ses fruits en raison de l'évolution du contexte économique depuis la crise de 2008.

Cette démarche de contractualisation paraît tardive eu égard aux enjeux stratégiques et financiers que revêtent l'entretien et le développement du réseau.

Les contributions de l'État au profit de RFF en 2014

Dans le projet de loi de finances pour 2014, un concours de l'État de près de 2,5 milliards d'euros a été prévu pour l'entretien du réseau existant par RFF, dont :

- 1,6 milliard d'euros pour le financement de l'utilisation du réseau ferré national par les trains régionaux de voyageurs (« TER ») ;

- 518 millions d'euros pour le financement de l'utilisation du réseau ferré national par les trains nationaux classiques de voyageurs («Intercités») ;

- 324 millions d'euros pour les concours versés à RFF relatifs à l'utilisation du réseau ferré national par les trains de fret.

Le financement des projets de développement du réseau a quant à lui été progressivement transféré à l'AFITF depuis 2005, soit directement, soit via des fonds de concours de l'État, en particulier pour le financement des volets ferroviaires des contrats de projet État-Régions.

Source : DGITM

Évolution des crédits versés par l'État à RFF depuis 2005

Montants en M€

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

LFI 2013 (*)

PLF 2014(*)

Subventions d'investissements reportées sur l'AFITF (HT)

88

30

7

Contribution aux charges d'infrastructure (TTC jusqu'en 2005 puis HT)

1 242

978

828

658

Subvention de régénération (HT)

900

970

985

805

Contribution au désendettement (HT)

800

730

694

686

Montants en M€

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

LFI 2013 (*)

PLF 2014(*)

Contribution « TER » (HT en 2009 puis en TTC)

1 141

1 489

1 522

1560

1627

1638

(**)

Contribution «TET» (HT jusqu'en 2011, TTC en 2012)

359

242

244

455

474

517

Contribution « fret » (dont complément de péage fret en TTC)

819

745
(230)

577
(230)

320
(257)

426
(257)

324 (271)

Total TTC

3 030

2 709

2 514

2 149

2 319

2 476

2 343

2 335

2 536

2 479

• * les montants indiqués en LFI et PLF sont hors gels

• ** en 2014 les gares font l'objet d'une tarification distincte alors qu'elles étaient prises en compte, pour le réseau RFF dans la RA TER s'agissant des trafics TER. La redevance gare étant prise en charge directement par les régions, la charge correspondante (61 M€ HT) est transférée aux régions ce qui baisse d'autant la RA TER.

Synthèse des relations financières entre l'État, RFF et la SNCF en 2013 10 ( * )

3. Des autorités organisatrices régionales qui peinent à trouver leur place

Douze ans après la régionalisation des TER, reconnue unanimement comme un succès, les régions plaident en faveur d'une pleine reconnaissance de leur statut d'autorité organisatrice des transports.

a) Les régions sont au coeur du développement du rail

La décentralisation des compétences en matière de transports collectifs d'intérêt régional constitue une réforme majeure dans le domaine des transports. Après plusieurs expérimentations volontaires 11 ( * ) , l'article 124 de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) transfère ainsi aux régions la compétence d'autorité organisatrice de ces transports à compter du 1 er janvier 2002. Les modalités en sont précisées par le décret n° 2001-1116 du 27 novembre 2001 relatif au transfert de compétences en matière de transports collectifs d'intérêt régional.

La loi prévoit que les régions concluent des conventions avec la SNCF pour déterminer les conditions d'organisation, de financement et les obligations de service public relatives aux lignes TER (dessertes, fréquence, tarifs sociaux, information des voyageurs, etc.).

En pratique, cette régionalisation des transports express régionaux (TER) a fortement stimulé le trafic . Dans son rapport public pour 2009 12 ( * ) , la Cour des comptes relève ainsi une augmentation de 27 % du nombre de voyageurs par km entre 2002 et 2007. Dans son récent rapport, Jacques Auxiette 13 ( * ) , président du conseil régional des Pays de la Loire et de la commission « infrastructures et transport » de l'association des régions de France (ARF), confirme cette tendance, et fait état d'une fréquentation en hausse de 53 % entre 2002 et 2012. Il souligne que les régions ont investi massivement (8,2 Mds€ dans le renouvellement du matériel roulant) pour développer l'offre de TER qui a connu une augmentation de 24% au cours de cette décennie.

Les trains régionaux (TER et Transilien) représentent aujourd'hui 80 % du nombre total de circulations du réseau ferré national (12 000 trains régionaux quotidiens sur un total de 15 000 circulations quotidiennes). Ainsi, 3,8 millions de voyageurs utilisent quotidiennement les trains régionaux, dont le remplissage progresse (83 voyageurs en moyenne en 2012 contre 67 en 2002). L' amélioration n'est pas seulement quantitative mais également qualitative, puisque 60 % des TER sont neufs, c'est-à-dire avec des conditions de confort, de bruit, d'accessibilité largement modernisées.

b) Leur capacité de financement se heurte à un effet de ciseau

Les autorités organisatrices régionales (c'est-à-dire les régions et le STIF) fournissent les deux tiers du financement public du système ferroviaire . Elles y injectent chaque année 5,8 milliards d'euros, soit 1,4 milliard d'euros d'investissements et 4,4 milliards d'euros versés à la SNCF pour assurer le fonctionnement du TER et du Transilien. Or ces dépenses sont très dynamiques : le coût du TER a ainsi augmenté de 90 % entre 2002 et 2012, soit une hausse moyenne 4,4 % par an (hors effets d'accroissement de l'offre). Malgré leur fort engagement, l'action des régions est relativement contrainte : elles ne peuvent pas choisir leur opérateur, ni disposer des gares 14 ( * ) et du réseau ferré national autrement qu'en acquittant des péages d'accès.  Pour cette raison, elles réclament davantage de transparence financière et une meilleure connaissance des coûts de production.

Les ressources des régions sont quant à elles diffuses et ne suivent pas la progression des dépenses, ce qui augmente leur reste à charge . Les recettes voyageurs liées au TER ont certes augmenté de 92 % entre 2002 et 2012, mais leur taux de couverture des coûts du TER (y compris redevances d'infrastructure) reste stable autour de 29 %. Les régions n'ont d'ailleurs pas la possibilité de fixer les tarifs, qui restent du ressort national. Quant à la dotation allouée par l'État 15 ( * ) , celle-ci est notoirement insuffisante pour financer des besoins ferroviaires croissants. Leur capacité à moduler la taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques (TICPE) pour financer les grandes infrastructures de transport ne constitue qu'un maigre substitut. Au final, le reste à charge des régions s'est élevé à plus d'un milliard d'euros en 2011, selon Jacques Auxiette.

Évolution de l'offre, du trafic et des financements publics du TER
entre 2002 et 2012 (base 100 = 2002)

Source : Manifeste des régions pour le renouveau du système ferroviaire (2014)

c) Les régions réclament davantage de poids dans la gouvernance ferroviaire

Les responsabilités et relations financières confuses ont été à l'origine de tensions récurrentes entre les régions, la SNCF et l'État. Pour clarifier la situation, les régions souhaitent, à l'instar des communes et de leurs groupements pour les transports collectifs urbains, devenir des autorités organisatrices de transport de plein exercice .

Le modèle intégré du Syndicat des transports d'Île-de-France (STIF) constitue à ce titre une source d'inspiration pour les AOT régionales. En effet, le STIF est aujourd'hui constitué en autorité organisatrice de plein exercice sur l'ensemble de l'Île-de-France. Il peut ainsi assurer la maîtrise d'ouvrage des infrastructures de l'ensemble des modes de transports collectifs de service public , tout en respectant les compétences des gestionnaires d'infrastructures du réseau ferré national (RFF) et du réseau de métropolitain (RATP) 16 ( * ) . Depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (MAPAM), il peut même intervenir dans les autres secteurs de la mobilité (autopartage, covoiturage, service public de location de bicyclettes), dans le respect de l'initiative privée ou de l'intervention d'autres collectivités (comme pour les services « Vélib » ou « Autolib », initialement développés par la Ville de Paris).

Partant de ce constat, plusieurs pistes ont été suggérées par Jacques Auxiette pour renforcer la place des régions, parmi lesquelles : la création d'une ressource fiscale dédiée au financement du système ferroviaire ; l'octroi de la liberté tarifaire pour les trajets réalisés en TER sur leur territoire ; une consolidation de la transparence financière et une meilleure information sur les coûts de production de la SNCF ; une plus grande implication dans la gouvernance des gares régionales ; le transfert de la propriété des matériels roulants et une plus grande maîtrise de l'état de l'infrastructure ; la désignation comme chef de file chargé de mettre en place un schéma de l'intermodalité .


* 1 Cf. infra.

* 2 Comme en Suède, en Belgique ou en Espagne.

* 3 Comme en Allemagne, en Autriche ou en Italie.

* 4 Par la directive n° 2001/12/CE du 26 février 2001 modifiant la directive n° 91/440/CE du 29 juillet 1991.

* 5 La réalisation d'études techniques d'exécution nécessaires à l'instruction des demandes de sillons effectuée en amont de la prise de décision et l'attribution des sillons de dernière minute.

* 6 Edmond Hervé, « le service public ferroviaire et les collectivités territoriales », rapport d'information n° 92 réalisé au nom de la délégation du Sénat aux collectivités territoriales et à la décentralisation, Sénat, 2013-2014.

* 7 Obligations de service public.

* 8 Hors versement du ministère de la défense.

* 9 Son montant devait atteindre 70 millions d'euros, conformément à la loi de finances pour 2013, mais a finalement dû être abaissé à 40 millions d'euros compte tenu des contraintes budgétaires qui pèsent sur l'État.

* 10 Ce schéma n'intègre ni le versement éventuel de dividendes de la SNCF à l'État, ni la participation de l'État au financement de l'AFITF, ni les dépenses d'investissement de renouvellement et de développement du réseau ou du matériel roulant. Source : DGITM.

* 11 Alsace, Centre, Nord-Pas-de-Calais, Pays-de-la-Loire, Provence-Alpes-Côte d'Azur, Rhône-Alpes, Limousin

* 12 Le transfert aux régions du transport express régional (TER) : un bilan mitigé et des évolutions à poursuive - Rapport public thématique de la Cour des comptes (novembre 2009) ;

* 13 Jacques Auxiette, Un nouveau destin pour le service public ferroviaire français : les propositions des régions, avril 2013 (voir infra, page 26).

* 14 Les régions dépensent en moyenne 650 millions d'euros par an en faveur des gares régionales mais ne disposent pas de tous les leviers nécessaires à leur pilotage.

* 15 Le montant de la compensation allouée aux régions en contrepartie du transfert de compétences est fixé à 1, 52 milliard d'euros par un arrêté du 8 août 2002 et ventilé comme suit :

- 1, 13 milliard d'euros au titre de la contribution pour l'exploitation des services transférés permettant au compte de l'activité TER de la SNCF d'être équilibré l'année du transfert l'exploitation ;

- 208,7 millions d'euros pour aider au renouvellement du parc de matériel roulant affecté aux services transférés.

- 179,7 millions d'euros correspondant aux pertes de recettes induites par les tarifs sociaux mis en place à la demande de l'État ;

Cette compensation est intégrée dans la dotation générale de décentralisation versée aux régions.

* 16 Le STIF a récupéré la propriété des matériels roulants de la RATP depuis la loi n° 2009-1503 du 8 décembre 2009 relative à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires.

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