EXAMEN DES ARTICLES
CHAPITRE IER - RENFORCEMENT DES MOYENS DE LUTTE CONTRE LE PROXÉNÉTISME ET LA TRAITE DES ÊTRES HUMAINS AUX FINS D'EXPLOITATION SEXUELLE

Article 1er (article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN)) - Renforcement de la lutte contre les réseaux de traite et de proxénétisme agissant sur Internet

Objet : Le présent article tend à modifier l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique afin de renforcer la lutte contre les réseaux de traite des êtres humains et de proxénétisme qui utilisent le réseau internet dans le but d'organiser leur activité.

I - Le droit en vigueur

Le premier alinéa du 7 du I de l'article 6 de la loi n° 2004-575 prévoit que les fournisseurs d'accès à Internet (FAI) et les hébergeurs de sites internet ne sont pas soumis « à une obligation générale de surveiller les informations [qu'ils] transmettent ou stockent, ni à une obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites ». L'article 6 prévoit néanmoins deux procédures qui peuvent aboutir au retrait de contenus illicites sur des sites internet :

- la procédure de l'alinéa 5 du I de l'article 6

Les hébergeurs de sites ne peuvent pas voir leur responsabilité pénale engagée s'ils stockent des informations illicites sans en avoir connaissance. Toutefois, l'alinéa 5 du I de l'article 6 prévoit que, si un signalement précis est fait à un hébergeur, sa connaissance du caractère illicite du contenu illicite est présumée. Il doit alors retirer les données concernées ou en rendre l'accès impossible. Il s'agit d'une procédure assez lourde dans la mesure où le signalement justifiant que l'hébergeur est présumé avoir connaissance des données illégales doit être très complet. Ce signalement doit en effet comprendre :

- la date de la notification ;

- si le notifiant est une personne physique : ses nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance ; si le requérant est une personne morale : sa forme, sa dénomination, son siège social et l'organe qui la représente légalement ;

- les nom et domicile du destinataire ou, s'il s'agit d'une personne morale, sa dénomination et son siège social ;

- la description des faits litigieux et leur localisation précise ;

- les motifs pour lesquels le contenu doit être retiré, comprenant la mention des dispositions légales et des justifications de faits ;

- la copie de la correspondance adressée à l'auteur ou à l'éditeur des informations ou activités litigieuses demandant leur interruption, leur retrait ou leur modification, ou la justification de ce que l'auteur ou l'éditeur n'a pu être contacté.

- la procédure de l'alinéa 7 du I de l'article 6

Pour des infractions considérées comme particulièrement graves (crimes contre l'humanité, incitation à la haine raciale, pornographie enfantine, incitation à la violence, notamment l'incitation aux violences faites aux femmes, atteintes à la dignité humaine), le septième alinéa du même I de l'article 6 prévoit des obligations supplémentaires pour les FAI et les hébergeurs de sites internet. En effet, ils sont soumis à une obligation de vigilance vis-à-vis de ces infractions et doivent « concourir à la lutte contre la diffusion des infractions visées aux cinquième et huitième alinéas de l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et aux articles 227-23 et 227-24 du code pénal [diffusion d'images pédopornographiques] ».

L'article 24 de la loi du 29 juillet 1881

« Seront punis de cinq ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende ceux qui, par l'un des moyens énoncés à l'article précédent, auront directement provoqué, dans le cas où cette provocation n'aurait pas été suivie d'effet, à commettre l'une des infractions suivantes :

1° Les atteintes volontaires à la vie, les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne et les agressions sexuelles, définies par le livre II du code pénal ;

2° Les vols, les extorsions et les destructions, dégradations et détériorations volontaires dangereuses pour les personnes, définis par le livre III du code pénal.

Ceux qui, par les mêmes moyens, auront directement provoqué à l'un des crimes et délits portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation prévus par le titre Ier du livre IV du code pénal, seront punis des mêmes peines.

Seront punis de la même peine ceux qui, par l'un des moyens énoncés en l'article 23, auront fait l'apologie des crimes visés au premier alinéa, des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité ou des crimes et délits de collaboration avec l'ennemi.

Seront punis des peines prévues par l'alinéa 1er ceux qui, par les mêmes moyens, auront provoqué directement aux actes de terrorisme prévus par le titre II du livre IV du code pénal, ou qui en auront fait l'apologie.

Tous cris ou chants séditieux proférés dans les lieux ou réunions publics seront punis de l'amende prévue pour les contraventions de la 5° classe.

Ceux qui, par l'un des moyens énoncés à l'article 23, auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, seront punis d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende ou de l'une de ces deux peines seulement.

Seront punis des peines prévues à l'alinéa précédent ceux qui, par ces mêmes moyens, auront provoqué à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle ou de leur handicap ou auront provoqué, à l'égard des mêmes personnes, aux discriminations prévues par les articles 225-2 et 432-7 du code pénal.

En cas de condamnation pour l'un des faits prévus par les deux alinéas précédents, le tribunal pourra en outre ordonner :

1° Sauf lorsque la responsabilité de l'auteur de l'infraction est retenue sur le fondement de l'article 42 et du premier alinéa de l'article 43 de la présente loi ou des trois premiers alinéas de l'article 93-3 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, la privation des droits énumérés aux 2° et 3° de l'article 131-26 du code pénal pour une durée de cinq ans au plus ;

2° L'affichage ou la diffusion de la décision prononcée dans les conditions prévues par l'article 131-35 du code pénal. »

Ces obligations supplémentaires à la charge des FAI et des hébergeurs sont les suivantes :

- mettre en place un dispositif permettant à toute personne de signaler ces infractions ;

- informer promptement les autorités publiques compétentes des signalements qu'ils reçoivent ;

- rendre publics les moyens qu'ils consacrent à la lutte contre ces activités illicites.

En outre, en vertu de la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI), les FAI doivent bloquer immédiatement l'accès aux sites pédopornographiques signalés par l'autorité administrative, ce qui constitue une technique différente du simple retrait de contenu par un hébergeur à la suite d'un signalement. Cette technique est notamment utilisable quand l'hébergeur du site internet incriminé se trouve à l'étranger, et que le FAI ne peut donc pas obtenir de cet hébergeur l'inactivation du site comme il le pourrait s'agissant d'un hébergeur français. Toutefois, le décret d'application de cette disposition n'a jamais paru 45 ( * ) . Elle n'a donc jamais été mise en oeuvre.

II - La proposition de loi initiale

Le a) du 1° de l'article 1 er de la proposition de loi concerne la procédure du 7 du I de l'article 6 de la LCEN telle que décrite ci-dessus (procédure renforcée) . Il tend à ajouter à la liste des infractions dont la diffusion doit être empêchée par les FAI et les hébergeurs de sites internet la traite des êtres humains (article 225-4-1 du code pénal) le proxénétisme (article 225-5 du même code) et les infractions qui lui sont assimilées .

Les obligations des FAI et des hébergeurs prévues au 7 du I de l'article 6 de la LCEN s'appliqueraient ainsi désormais aux sites internet proposant des services sexuels payants en lien avec l'activité des réseaux de traite des êtres humains et de proxénétisme .

En outre, le b) du 1° du texte initial prévoit, sur le modèle des dispositions inappliquées relatives à la pédopornographie, que l'autorité administrative peut notifier aux FAI les adresses électroniques de ces sites internet en vue du blocage immédiat de l'accès à ces sites. Il prévoit également que les décisions de l'autorité administrative pourront être contestées devant le juge administratif dans les conditions de droit commun.

III - Le texte adopté par l'Assemblée nationale

Les députés ont adopté en séance publique deux amendements identiques du Gouvernement et de M. Sergio Coronado supprimant les dispositions prévoyant la possibilité d'un blocage administratif des sites internet abritant des activités liées à la traite ou au proxénétisme . En effet, Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement, a indiqué qu'un groupe de travail réfléchissait à la question du blocage des sites internet, certaines difficultés techniques n'ayant pu être résolues à ce jour, difficultés qui expliquent également la non-adoption du décret d'application sur le blocage des sites pédopornographiques prévu par la LOPPSI.

IV - La position de votre commission spéciale

Le réseau internet constitue aujourd'hui l'un des principaux vecteurs de la prostitution organisée par les réseaux de traite et de proxénétisme, comme votre rapporteure en a acquis la conviction notamment à la suite des auditions des responsables de l'office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication et de l'office central pour la répression de la traite des êtres humains. Dès lors, les dispositions de l'article premier constituent une avancée indispensable pour lutter contre ce type de criminalité.

S'agissant des dispositions prévoyant le blocage de l'accès aux sites internet sur décision administrative, supprimées par l'Assemblée nationale, votre commission spéciale s'est ralliée à la position des députés. Elle a en effet considéré que ces dispositions soulevaient encore, à ce stade, des questions relatives à leur application concrète et à leur efficacité. Votre rapporteure examinera en vue de l'examen du texte en séance publique les conclusions rendues très récemment par le groupe de travail interministériel sur la cybercriminalité 46 ( * ) .

Votre commission spéciale a adopté l'article 1 er sans modification .

Article 1er bis (article L. 451-1 du code de l'action sociale et des familles) - Extension des formations sociales aux professionnels et personnels engagés dans la prévention de la prostitution

Objet : Cet article, inséré par l'Assemblée nationale, a pour objet d'ajouter à la liste des sujets abordés lors des formations des travailleurs sociaux les questions relatives à la prévention de la prostitution.

I - Le droit en vigueur

L'article L. 451-1 du code de l'action sociale et des familles fixe les règles générales applicables à la formation des travailleurs sociaux. Les diplômes et titres du travail social sont délivrés par l'État qui contrôle le respect des programmes, la qualification des formateurs et directeurs des établissements de formation ainsi que la qualité des enseignements délivrés.

Ces formations sont destinées aux personnels engagés dans :

- « la lutte contre les exclusions et contre la maltraitance » ;

- « la prévention et la compensation de la perte d'autonomie, des handicaps ou des inadaptations » ;

- « la promotion du droit au logement, de la cohésion sociale et du développement social » .

Depuis la loi de décentralisation du 13 août 2004 47 ( * ) , la définition et la mise en oeuvre de la politique de formation des travailleurs sociaux ont été transférées aux régions. À ce titre, elles sont chargées de recenser les besoins de formation dans le cadre de l'élaboration d'un schéma régional des formations sociales. Cette compétence s'exerce en association avec les départements. Elles ont également pour mission d'agréer les établissements dispensant les formations initiales et de les financer. La compétence d'agrément peut être déléguée par voie de convention aux départements qui en font la demande. La loi du 5 mars 2014 48 ( * ) a introduit un certain nombre d'ajustements et de clarifications, en lien avec la création du service public régional de la formation professionnelle. Ces dispositions entrent en vigueur au 1 er janvier 2015.

II - Le texte adopté par l'Assemblée nationale

Inséré en commission spéciale à l'initiative de M. Charles de Courson, le présent article vise à compléter l'article L. 451-1 du code de l'action sociale et des familles afin que les formations sociales bénéficient également aux professionnels engagés « dans la prévention de la prostitution » .

Cette disposition se fonde sur le constat du manque de formation des travailleurs sociaux pour prévenir les risques d'entrée des jeunes dans la prostitution . Or, comme le souligne le rapport de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale sur le renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel, « s'il n'existe aucune donnée incontestable portant sur l'âge moyen d'entrée dans la prostitution, les acteurs associatifs impliqués constatent un nombre élevé de jeunes » . Le rapport recommande par conséquent de « former les acteurs éducatifs et sociaux aux réalités de la prostitution, à l'identification des pratiques prostitutionelles, à la prévention de celles-ci et au recours à la prostitution » (recommandation n° 38) 49 ( * ) .

Cette préconisation rejoint les préoccupations formulées par l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) en décembre 2012 50 ( * ) . Celle-ci soulignait en effet le manque d'investissement voire le relatif déni de la part des pouvoirs publics sur cette question de la prostitution des mineurs . Citant un rapport réalisé en 2006 par la protection judiciaire de la jeunesse sur la prostitution des mineurs à Paris - l'une des rares études disponibles sur le sujet - l'Igas indique que « la problématique de la prostitution demeure totalement inexplorée et désinvestie » par les services de l'aide sociale à l'enfance (ASE). Elle ne constituerait jamais un motif d'entrée dans la prise en charge par l'ASE. Au total, seuls quelques acteurs associatifs de terrain seraient véritablement mobilisés dans la lutte contre la prostitution des mineurs.

Dans l'avis qu'elle a émis sur la présente proposition de loi, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) souligne également le besoin des formations des professionnels , notamment des travailleurs sociaux, en contact avec les mineurs victimes de prostitution. Elle estime en outre que doit être posée la question « de la prise en charge de ces mineurs qui doivent pouvoir bénéficier de structures adaptées et encadrées par des professionnels spécifiquement formés » 51 ( * ) .

III - La position de votre commission spéciale

Votre commission spéciale salue l'introduction du présent article qui permettra de sensibiliser les travailleurs sociaux à un sujet difficile à aborder pour les jeunes. Il constitue un complément utile aux dispositions des articles 15 à 15 bis relatives à la prévention des pratiques prostitutionnelles dans les établissements scolaires.

À l'initiative de sa rapporteure, soutenue par son président, elle a adopté un amendement visant à ce que les formations portent également sur « l'identification des situations de prostitution, de proxénétisme et de traite des êtres humains ».

Un tel élargissement apparaît utile, notamment au regard des mesures d'accompagnement social et professionnel mises en place à l'article 3 pour les personnes victimes de la prostitution, du proxénétisme et de la traite. Il est en outre cohérent avec la mesure n° 2 du plan d'action national contre la traite des êtres humains 2014-2016 qui vise à développer la formation des professionnels à l'identification et à la protection des victimes. À ce titre, votre commission spéciale se satisfait pleinement du fait que cette dernière mesure ne concerne pas les seuls travailleurs sociaux mais l'ensemble des professionnels - médecins, policiers, enseignants, magistrats, notamment - amenés à être en contact avec des personnes victimes de la prostitution, du proxénétisme et de la traite des êtres humains.

Votre commission spéciale a adopté l'article 1 er bis ainsi modifié.

Article 1er ter A - Domiciliation des personnes prostituées

Objet : Cet article, inséré par l'Assemblée nationale, vise à permettre aux personnes prostituées de se domicilier auprès de leur avocat ou d'une association spécialisée pour effectuer leurs démarches administratives.

I - Le droit en vigueur

Les personnes sans domicile stable peuvent déclarer une adresse auprès d'un centre communal ou intercommunal d'action sociale (CCAS/CIAS) ou auprès d'un organisme agréé à cet effet par le département - il s'agit le plus souvent une association. Les conditions applicables à cette procédure sont fixées par les articles L. 264-1 à L. 264-10 du code de l'action sociale et des familles.

L'élection de domicile est possible pour l'exercice d'un certain nombre de droits, limitativement énumérés à l'article L. 264-1. Il s'agit :

- du bénéfice des prestations sociales légales, réglementaires et conventionnelles 52 ( * ) , à l'exception de l'aide médicale d'État ;

- de la délivrance d'une carte d'identité ;

- de l'inscription sur les listes électorales ;

- de l'aide juridictionnelle.

La loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi « ALUR », a ajouté à cette liste l'exercice des droits civils reconnus par la loi 53 ( * ) . L'objectif est, pour l'essentiel, de faciliter l'accomplissement des actes d'état civil (naissance, mariage, décès).

En principe, les personnes en situation irrégulière ne peuvent pas se faire domicilier. Jusqu'à la loi « ALUR », les demandeurs d'asile et les personnes demandant à bénéficier de l'aide médicale d'État (AME) bénéficiaient malgré tout d'une procédure dérogatoire. Dans une optique de simplification et d'alignement des droits entre ces différents types de publics, la loi ALUR a supprimé ces dispositions dérogatoires afin que s'applique la procédure de droit commun. Désormais, les personnes qui ne disposent pas d'un titre de séjour sur le territoire français peuvent se faire domicilier, dans les conditions fixées par le code de l'action sociale et des familles, pour bénéficier de l'AME, de l'aide juridictionnelle ainsi que pour exercer les droits civils qui leur sont reconnus par la loi.

L'élection de domicile est valable pour une durée d'un an. Elle est renouvelable de droit, sauf lorsque l'intéressé demande à ne plus en bénéficier, acquiert un domicile stable ou ne se manifeste plus auprès de l'organisme qui lui a délivré l'attestation.

Des dispositions dérogatoires existent pour une catégorie de public très spécifique. L'article 30 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 prévoit en effet que les personnes détenues peuvent élire domicile auprès de leur établissement pénitentiaire pour l'exercice de leurs droits civiques, pour le bénéfice des prestations d'aide sociale ainsi que pour faciliter leurs démarches administratives 54 ( * ) .

II - Le texte adopté par l'Assemblée nationale

Issu d'un amendement adopté en séance plénière à l'Assemblée nationale, le présent article prévoit que « pour leurs démarches administratives, les personnes prostituées peuvent déclarer comme domicile l'adresse de leur avocat ou d'une association qui aide ou qui accompagne les personnes prostituées » .

Il a été présenté comme un complément aux dispositions de l'article 1 er ter qui permettent aux victimes de la traite des êtres humains, du proxénétisme ou de l'infraction de recours à la prostitution de déclarer comme domicile l'adresse du commissariat, de la brigade de gendarmerie ou d'une association qui aide ou qui accompagne les personnes prostituées.

III - La position de votre commission spéciale

Votre commission spéciale comprend parfaitement la logique de cet article qui vise à faciliter les démarches administratives des personnes prostituées qui ne sont pas engagées dans une procédure pénale et ne peuvent donc pas bénéficier des dispositions de l'article 1 er ter de la proposition de loi.

Elle n'estime cependant pas satisfaisant le dispositif proposé.

Comme exposé précédemment, la procédure de domiciliation fait l'objet d'un encadrement spécifique par le code de l'action sociale et des familles. Cette procédure n'exclut pas a priori les personnes qui se prostituent. Quelles seraient, dès lors, les justifications à l'introduction d'une procédure spécifique ? La nécessité de se domicilier résulte de l'absence de domicile fixe et non de l'activité exercée, en l'occurrence la prostitution . De ce point de vue, le présent article revêt un caractère stigmatisant vis-à-vis des personnes prostituées alors même que l'ensemble des acteurs institutionnels ou associatifs auditionnés par votre commission spéciale ont insisté sur la nécessité de privilégier l'accès au droit commun plutôt que de multiplier les dispositifs dédiés à une catégorie de public particulière.

Sans doute un dispositif spécifique se justifie-t-il dans les situations où les personnes prostituées risquent d'être mises en danger et doivent bénéficier d'une protection spécifique. Mais dans ce cas, la procédure prévue à l'article 1 er ter apparaît largement suffisante.

En outre, votre commission spéciale s'interroge sur la formulation particulièrement large adoptée par le présent article. Si, lors des débats à l'Assemblée nationale, il a été indiqué que cet article devait permettre aux personnes concernées « de franchir un premier pas dans leur parcours de sortie de la prostitution » , aucun lien n'est défini entre le présent article et le parcours mis en place à l'article 3. En l'état, il peut donc être compris que le présent article vise avant tout à faciliter les conditions d'exercice de la prostitution . Or l'article 225-5 du code pénal dispose que « le fait, par quiconque, de quelque manière que ce soit [...] d'aider, d'assister ou de protéger la prostitution d'autrui [...] » est considéré comme du proxénétisme. Les avocats ou associations domiciliant des personnes prostituées dans les conditions prévues au présent article pourraient donc être assimilés à des proxénètes.

En considération de l'ensemble de ces éléments, votre commission spéciale a adopté un amendement de suppression du présent article , présenté par sa rapporteure et son président.

Votre commission spéciale a supprimé l'article 1 er ter A.

Article 1er ter (article 706-34-1 [nouveau] du code de procédure pénale) - Protection des personnes victimes de la traite des êtres humains, du proxénétisme ou de la prostitution

Objet : Issu d'un amendement du rapporteur adopté par la commission spéciale à l'Assemblée nationale, cet article offre la possibilité aux victimes de la traite des êtres humains, du proxénétisme ou de la prostitution de déclarer comme domicile l'adresse du commissariat, de la brigade de gendarmerie ou d'une association qui aide ou qui accompagne les personnes prostituées. Il permet aux victimes de témoigner sans que leur identité apparaisse dans la procédure, de bénéficier de mesures destinées à assurer leur protection, leur insertion et leur sécurité et de faire usage d'une identité d'emprunt.

I - Le droit en vigueur

Actuellement, les articles 706-57 et suivants du code de procédure pénale prévoient la possibilité d'une protection des témoins au procès pénal. L'article 706-57 permet ainsi au témoin de déclarer comme domicile l'adresse du commissariat ou de la brigade de gendarmerie , l'adresse réelle étant alors inscrite sur un registre côté et paraphé ouvert à cet effet.

Par ailleurs, les articles 706-58 et suivants autorisent le témoignage anonyme en cas de procédure pour un crime ou un délit puni de trois ans d'emprisonnement lorsque l'audition du témoin est susceptible de mettre gravement en danger sa vie ou son intégrité physique ou celles des membres de sa famille ou de ses proches. La décision de mettre en oeuvre cette procédure est décidée par le juge des libertés et de la détention, saisi par requête motivée du procureur de la République ou du juge d'instruction.

Compte-tenu du caractère dérogatoire au droit commun de la procédure pénale de cette dernière possibilité, plusieurs garanties sont prévues :

- cette procédure n'est pas applicable si, au regard des circonstances dans lesquelles l'infraction a été commise ou de la personnalité du témoin, la connaissance de l'identité de la personne est indispensable à l'exercice des droits de la défense ;

- il existe une possibilité de recours pour la personne mise en examen : elle peut, dans les dix jours à compter de la date à laquelle il lui a été donné connaissance du contenu de l'audition d'un témoin anonyme, contester, devant le président de la chambre de l'instruction, le recours à cette procédure ; le président de la chambre de l'instruction statue par décision motivée insusceptible de recours ; s'il estime la contestation justifiée, il ordonne l'annulation de l'audition ; il peut également ordonner que l'identité du témoin soit révélée à la condition que ce dernier fasse expressément connaître qu'il accepte la levée de son anonymat ;

- la personne mise en examen peut demander à être confrontée avec le témoin anonyme par l'intermédiaire d'un dispositif technique permettant l'audition du témoin à distance ou à faire interroger ce témoin par son avocat par ce même moyen ; la voix du témoin est alors rendue non identifiable par des procédés techniques ;

- enfin, aucune condamnation ne peut être prononcée sur le seul fondement de déclarations recueillies par la procédure du témoignage anonyme.

Par ailleurs, l'article 706-63-1 prévoit un dispositif de protection pour les « repentis » , c'est-à-dire pour les personnes qui, ayant tenté de commettre un crime ou un délit, ont finalement averti les autorités, permettant ainsi d'éviter la réalisation de l'infraction et éventuellement d'identifier d'autres auteurs ou complices. Ces personnes peuvent alors bénéficier d'une protection destinée à assurer leur sécurité et être autorisées à faire usage d'une identité d'emprunt. Des mesures de protection et de réinsertion sont définies, sur réquisitions du procureur de la République, par la commission nationale de protection et de réinsertion 55 ( * ) . Elles peuvent consister en mesures de protection physique, de domiciliation et en aides diverses.

II - Le texte adopté par l'Assemblée nationale

Le 2° du présent article ajoute un article 706-34-1 au titre XVII du code de procédure pénale. Ce nouvel article permet aux victimes de l'une des infractions de traite des êtres humains, de proxénétisme ou de recours à la prostitution, sur le modèle et par référence aux dispositions prévues pour la protection des témoins précitées :

- de déclarer comme domicile , comme prévu à l'article 706-57, l'adresse du commissariat, de la brigade de gendarmerie, de leur avocat ou d'une association qui aide ou qui accompagne les personnes prostituées ; les députés ont adopté en séance publique un amendement de M. Sergio Coronado prévoyant que les prostituées peuvent également déclarer comme domicile l'adresse de leur avocat ou d'une association qui aide ou qui accompagne les personnes prostituées ;

- de bénéficier des dispositions des articles 706-58 et suivantes relatives au témoignage anonyme ;

- de bénéficier de mesures destinées à assurer leur protection, leur insertion et leur sécurité , prévues à l'article 706-63-1, dont l'usage d'une identité d'emprunt.

III - La position de votre commission spéciale

Certaines des dispositions prévues par le présent article peuvent déjà, en vertu du droit en vigueur, bénéficier aux personnes prostituées victimes de la traite ou du proxénétisme : il en est ainsi de la possibilité de domiciliation auprès du commissariat ou de la brigade de gendarmerie et de la possibilité de témoigner de manière anonyme. Votre commission spéciale a adopté un amendement présenté conjointement par sa rapporteure et son président afin de supprimer en conséquence les dispositions redondantes du présent article.

Par ailleurs, l'extension du bénéfice des mesures de protection des témoins aux victimes de l'infraction de recours à la prostitution - infraction supprimée, en tout état de cause, du texte finalement adopté par la commission - a paru quelque peu disproportionnée à votre rapporteure. Ainsi, une personne prostituée pourrait témoigner de manière anonyme contre l'un de ses clients, ce qui paraît excessif ; les mesures de protection des témoins, dérogatoires de la procédure pénale ordinaire, s'appliquent en principe à des infractions graves (délits punis de trois ans d'emprisonnement). L'amendement de votre rapporteure a également pour effet de supprimer cette extension.

En revanche, votre commission spéciale juge particulièrement opportunes la nouvelle possibilité de domiciliation auprès d'un avocat ou d'une association et la possibilité de bénéficier des mesures de protection et d'insertion définies par la commission nationale compétente.

Ces dispositions vont dans le sens de la législation italienne, qui lie la question de la sortie de la prostitution à celle de la lutte contre la traite des êtres humains, législation dont l'adjoint au procureur national anti-mafia à Rome a démontré tout l'intérêt lors de son audition devant la commission 56 ( * ) . Votre commission souhaite que la mise en oeuvre effective des mesures de protection et de réinsertion prévues par le texte offre aux victimes des réseaux de traite une véritable voie de sortie.

Votre commission spéciale a adopté l'article 1 er ter ainsi modifié .

Article 1er quater - Rapport annuel du Gouvernement au Parlement sur les actions de coopération internationale et européenne en matière de lutte contre les réseaux de traite et de proxénétisme

Objet : Cet article, inséré par l'Assemblée nationale, prévoit la publication d'un rapport annuel du Gouvernement au Parlement sur le bilan des actions de coopération engagées par la France en matière de lutte contre les réseaux de traite et de proxénétisme ainsi que sur l'impact de la proposition de loi sur la prostitution dans les zones transfrontalières.

I - Le texte adopté par l'Assemblée nationale

Le présent article, issu d'un amendement présenté par la rapporteure Maud Olivier en commission spéciale, prévoyait initialement la remise annuelle d'un rapport « faisant le bilan des actions de coopération européenne et internationale engagées par la France dans le but de renforcer l'efficacité des moyens de lutte contre les réseaux de traite des êtres humains et de proxénétisme » . Il a été complété en séance plénière afin que le rapport analyse également l'impact de la loi sur la prostitution dans les zones transfrontalières.

II - La position de votre commission spéciale

Comme l'ont mis en évidence l'ensemble des auditions menées par votre commission spéciale, la lutte contre les réseaux de traite des êtres humains et de proxénétisme ne peut trouver toute sa portée qu'à la condition d'être menée à l'échelle européenne . M. Giusto Schiaccitano, adjoint au procureur national anti-mafia italien, a insisté sur la nécessité d'une uniformisation des législations entre pays européens en matière de traite des êtres humains 57 ( * ) . M. Robert Badinter a de son côté appelé de ses voeux la création d'un parquet européen 58 ( * ) .

La mesure n° 18 du plan d'action national de lutte contre la traite des êtres humains a quant à elle pour objet la définition d'un agenda de coopération aux niveaux européen et international, selon trois orientations : la protection des victimes ; la prévention de la traite à des fins d'exploitation de la prostitution ; la lutte contre les réseaux.

Votre commission spéciale estime que les demandes de rapport au Gouvernement présentent un intérêt lorsqu'elles permettent au Parlement de disposer de données qu'il ne pourrait se procurer par lui-même et d'une analyse suffisamment poussée sur le sujet traité. Or il est peu probable que le Gouvernement soit en mesure de transmettre chaque année au Parlement des informations autres que purement factuelles sur des mesures de coopération européenne et internationale en matière de lutte contre la traite dans la mesure où celles-ci demeurent encore embryonnaires sur bien des points. Il en est de même s'agissant de l'évolution de la prostitution dans les zones transfrontalières. En outre, la coopération européenne et internationale étant inscrite parmi les mesures du plan d'action national de lutte contre la traite des êtres humains, le suivi de la mise en oeuvre de celui-ci devrait permettre de disposer d'un nombre d'informations suffisant. Il est en revanche légitime qu'un bilan soit réalisé dans un délai plus long, pour connaître l'impact de la présente proposition de loi .

Votre commission spéciale a donc adopté un amendement de suppression du présent article , sur proposition de sa rapporteure et de son président. Ses dispositions ont été incluses dans l'amendement présenté à l'article 18 qui prévoit la publication d'un rapport dressant le bilan de la mise en oeuvre de la proposition de loi dans les deux ans suivant sa promulgation.

Votre commission spéciale a supprimé l'article 1 er quater.

Article 1er quinquies (nouveau) (article L. 8112-2 du code du travail) - Extension du champ de compétence des inspecteurs du travail

Objet : Cet article additionnel, introduit à l'initiative de la rapporteure et du président de la commission, a pour objet d'étendre le champ de compétence des inspecteurs du travail à la constatation des infractions de traite des êtres humains.

Outre leurs missions générales relatives au contrôle de la bonne application du droit du travail, les inspecteurs du travail, sont compétents, aux termes de l'article L. 8112-2 du code du travail, pour constater un certain nombre d'infractions, notamment en matière de discriminations , de harcèlement sexuel ou moral ou de conditions de travail et d'hébergement contraires à la dignité de la personne .

Sur proposition de sa rapporteure et de son président, la commission spéciale a adopté un amendement créant un article additionnel afin d'élargir le champ de compétence des inspecteurs du travail à la constatation des infractions de traite des êtres humains.

Cette mesure, qui traduit en droit la mesure n° 13 du plan d'action national contre la traite des êtres humains 2014-2016 , constitue la transposition de dispositions européennes 59 ( * ) . Celles-ci prévoient que les inspecteurs du travail doivent se voir explicitement confier la compétence de constater par procès-verbal les situations illégales de « traite des êtres humains, soumission à du travail ou des services forcés, à de l'esclavage ou à des pratiques analogues à l'esclavage ».

La disposition adoptée par votre commission présente un lien étroit avec l'objet du texte dans la mesure où 79 % des victimes de la traite des êtres humains seraient victimes d'exploitation sexuelle (pour 18 % soumises au travail forcé et 3 % à d'autres formes d'exploitation) 60 ( * ) .

Votre commission spéciale a adopté l'article 1 er quinquies ainsi rédigé .


* 45 Dans sa décision n° 2000-441 DC du 28 décembre 2000 sur la loi de finances rectificative pour 2000, le Conseil constitutionnel estime que les coûts d'interceptions sur les réseaux mises en oeuvre par les FAI ne peuvent rester à la charge de ceux-ci. Dès lors, une négociation est ouverte entre l'État et les FAI sur la compensation des coûts liés au blocage des sites.

* 46 « Protéger les internautes », rapport du groupe de travail interministériel sur la lutte contre la cybercriminalité présidé par M. Marc ROBERT, procureur général près la Cour d'appel de Riom.

* 47 Loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales.

* 48 Loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale.

* 49 Rapport d'information de Mme Maud Olivier au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes sur le renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel, n° 1360, 2013-2014.

* 50 Igas, « Prostitution : les enjeux sanitaires », décembre 2012.

* 51 CNCDH, Avis sur la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, assemblée plénière du 22 mai 2014.

* 52 La circulaire du 25 février 2008 dispose que cette notion recouvre : l'ensemble des prestations légales services par les CAF et les caisses de la MSA au nom de l'Etat, les prestations d'assurance vieillesse, l'affiliation à un régime de sécurité sociale et à la CMU complémentaire, les allocations servies par les Assedic (désormais Pôle emploi), les prestations d'aide sociale légale financées par les départements.

* 53 Loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové.

* 54 Loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire.

* 55 Les compétences et le fonctionnement de cette commission sont fixés par le décret n° 2014-346 du 17 mars 2014 relatif à la protection des personnes mentionnées à l'article 706-63-1 du code de procédure pénale bénéficiant d'exemptions ou de réductions de peines.

* 56 Audition du 7 mai 2014.

* 57 Audition de la commission spéciale du 7 mai 2014.

* 58 Audition de la commission spéciale du 14 mai 2014.

* 59 Directive n° 2011/36 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes et remplaçant la décision-cadre 2002/629/JAI du Conseil, adoptée le 5 avril 2011.

* 60 Chiffres fournis par le ministère des droits des femmes, de la ville, de jeunesse et des sports.

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