C. LES QUESTIONS DE PRINCIPE SOULEVÉES AU COURS DES TRAVAUX DE VOTRE COMMISSION SPÉCIALE

Si les auditions menées par votre commission spéciale ont conduit au constat partagé de la nécessité d'une évolution de la législation, afin de renforcer la lutte contre la traite des êtres humains et d'améliorer l'accompagnement social et sanitaire des personnes prostituées, d'autres questions soulevées par le texte de la proposition de loi ont fait débat.

1. Prostitution contrainte et prostitution choisie

Dans un arrêt de 2007, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a jugé que « la prostitution [est] incompatible avec la dignité humaine, dès lors qu'elle est contrainte » 42 ( * ) . Cette position la conduit à estimer que, lorsqu'elle n'est pas contrainte, la prostitution peut être une activité économique, soumise par conséquent à la perception d'impôts et de cotisations sociales.

La question de l'existence d'un libre choix a été présente durant l'ensemble des travaux de votre commission spéciale. Des associations et des personnes prostituées sont venues témoigner de l'existence d'une prostitution dite « traditionnelle » qui serait librement choisie. Elles ont pu exprimer leurs craintes sur les conséquences que pourrait entraîner la pénalisation du recours à la prostitution .

Tout en respectant pleinement la parole et le ressenti des personnes concernées, votre rapporteure relève pour sa part que la contrainte, au moins économique, reste en tout état de cause omniprésente dans l'exercice de la prostitution. Elle estime que, dans tous les cas, le recours à la prostitution constitue une violence et une atteinte à la personne humaine.

2. Le rôle du législateur

La disposition visant à incriminer les clients de personnes prostituées a soulevé au cours des travaux de votre commission la question du rôle du législateur.

Pour certains de ses membres, le législateur n'a pas à encadrer les relations sexuelles entre deux adultes consentants . C'est un point de vue défendu par la CEDH, qui a fixé des principes particulièrement clairs en la matière. Elle a ainsi estimé en 2005 que « le droit d'entretenir des relations sexuelles découle du droit fondamental de disposer de son corps, partie intégrante de la notion d'autonomie personnelle » 43 ( * ) .

Pour votre rapporteure, cette jurisprudence ne s'applique qu'à des relations relevant du domaine de l'intime, de la vie privée . Or il n'en est pas de même s'agissant de la prostitution. Comme l'a souligné Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, lors de son audition, celle-ci repose sur un acte tarifé, parfois défini comme un « service », qui traduit l'existence d'une relation contractuelle entre deux personnes aux intérêts très distincts 44 ( * ) .

3. La responsabilité du client

La majorité des membres de votre commission spéciale a considéré qu'il était préférable de concentrer les efforts des forces de l'ordre et de la justice pour poursuivre les personnes qui contraignent directement les prostituées - proxénètes, membres des réseaux - plutôt que de sanctionner les clients.

Votre rapporteure estime au contraire que, sans client, l'activité prostitutionnelle ne pourrait pas exister. Si la prostitution est bel et bien un marché, alors celui-ci se caractérise par la rencontre entre une offre et une demande, qui est celle du client. C'est bien parce que cette demande est présente que des proxénètes et des réseaux de traite jugent la prostitution lucrative et s'engagent dans ce commerce des êtres humains. Cela a été souligné à plusieurs reprises lors des auditions de votre commission spéciale : les réseaux mafieux conduisent généralement plusieurs activités parallèlement, dont le trafic de drogue et d'armes. Dans le cas où l'une d'entre elles s'avère moins lucrative, ils se tournent vers une autre.


* 42 CEDH, 11 septembre 2007, Tremblay c/ France.

* 43 CEDH, 17 février 2005, K.A. et A.D. contre Belgique.

* 44 Audition du 2 juillet 2014.

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