II. LE DISPOSITIF ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

La proposition de loi initiale, présentée par M. Bruno le Roux, Mme Maud Olivier et les membres du groupe socialiste a été assez substantiellement modifiée lors de son examen par l'Assemblée nationale, en commission spéciale le 19 novembre 2013 puis en séance plénière le 29 novembre et le 4 décembre.

A. LA LUTTE CONTRE LE PROXÉNÉTISME ET LA TRAITE DES ÊTRES HUMAINS SUR INTERNET

L'article 1 er de la proposition de loi tend à instaurer, au sein de la loi relative à la confiance dans l'économie numérique du 21 juin 2004, de nouvelles obligations pour les fournisseurs d'accès à Internet et les hébergeurs. Désormais, outre les crimes contre l'humanité, les incitations à la haine raciale, la pornographie enfantine, l'incitation à la violence et les atteintes à la dignité humaine, les fournisseurs d'accès à Internet et les hébergeurs devront s'efforcer d'empêcher la diffusion de contenus liés à la traite des êtres humains et au proxénétisme. Seraient ainsi visés les sites internet proposant des services sexuels payants en lien avec l'activité des réseaux de traite et de proxénétisme.

En outre, l'article 1 er prévoyait, sur le modèle des dispositions introduites par la loi du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI) en matière de pédopornographie, que l'autorité administrative pourrait notifier aux fournisseurs d'accès à Internet (FAI) les adresses électroniques des sites internet fautifs en vue de leur blocage immédiat. Cette disposition a toutefois été supprimée en séance publique à l'instigation du Gouvernement, celui-ci ayant indiqué qu'une réflexion était en cours sur la faisabilité et l'efficacité d'une telle mesure dans un autre cadre légal.

B. L'ACCOMPAGNEMENT DES PERSONNES VICTIMES DE LA PROSTITUTION, DU PROXÉNÉTISME ET DE LA TRAITE DES ÊTRES HUMAINS

1. Des mesures de protection et d'accompagnement renforcées durant les procédures judiciaires

L'article 1 er ter , introduit par les députés en commission à l'initiative de la rapporteure, permet aux victimes de l'une des infractions de traite des êtres humains, de proxénétisme ou de recours à la prostitution, sur le modèle des dispositions du code de procédure pénale déjà existantes pour la protection des témoins (articles 706-57 et suivants du code de procédure pénale) :

- de déclarer comme domicile l'adresse du commissariat, de la brigade de gendarmerie de leur avocat ou d'une association qui aide ou qui accompagne les personnes prostituées ; l'Assemblée nationale a adopté en séance publique un amendement prévoyant que les personnes prostituées peuvent également déclarer comme domicile l'adresse de leur avocat ou d'une association qui les aide ou qui les accompagne ;

- de bénéficier des dispositions des articles 706-58 et suivantes relatives au témoignage anonyme ;

- de bénéficier de mesures destinées à assurer leur protection, leur insertion et leur sécurité, prévues à l'article 706-63-1 et fixées par la commission nationale de protection et de réinsertion. Elles pourraient également faire l'usage d'une identité d'emprunt.

Par ailleurs, l'article 9 bis , adopté par les députés en séance publique, tend à ajouter à la liste des personnes vulnérables prévue par le code pénal les personnes prostituées. Ainsi, les peines sanctionnant les personnes qui se rendront coupables à leur encontre de violences, d'agressions sexuelles ou de viols seront aggravées. Les députés ont également adopté un sous-amendement du Gouvernement précisant que seules seraient concernées les violences commises dans l'exercice de l'activité de prostitution, afin d'écarter celles commises sur une personne prostituée en raison d'un contentieux personnel, sans lien avec son activité de prostitution.

En outre, l'article 10 aligne le régime juridique applicable à l'indemnisation des victimes de proxénétisme sur celui des victimes de la traite. Il leur permet ainsi d'obtenir réparation intégrale auprès de la commission d'indemnisation des victimes d'infraction (CIVI) sans avoir à prouver d'incapacité de travail.

L'article 11 reprend quant à lui, au sein du code de procédure pénale, les dispositions de la loi du 9 avril 1975, qui permet aux associations de lutte contre le proxénétisme ou d'aide aux personnes prostituées de se constituer partie civile, et en étend le champ aux associations dont l'objet statutaire est la lutte contre la traite des êtres humains. Il prévoit également que si l'association concernée est reconnue d'utilité publique, son action sera recevable y compris sans l'accord de la victime.

Enfin, l'article 12 prévoit que le huis clos est de droit en cour d'assises ou au tribunal correctionnel, à la demande de la victime ou de l'une des victimes, dans les procès pour traite ou proxénétisme aggravé.

2. La création d'un dispositif d'accompagnement vers la sortie de la prostitution

L' article 3 de la proposition de loi, dans sa version initiale, reprend les dispositions de l'article 42 de la loi pour la sécurité intérieure du 18 mars 2003 relatives au droit pour les personnes prostituées de bénéficier d'un système de protection et d'assistance et crée un parcours de sortie de la prostitution. Il a été entièrement réécrit par l'Assemblée nationale qui a précisé les contours et le déroulement des mesures d'accompagnement qui pourront être mises en oeuvre.

Les principaux points du dispositif sont les suivants :

- une instance départementale doit être chargée d'organiser et de coordonner l'action en faveur des victimes de la prostitution, du proxénétisme et de la traite des êtres humains ; elle a en particulier pour mission d'assurer le suivi du parcours de sortie de la prostitution ;

- l'entrée dans le parcours de sortie de la prostitution doit permettre aux personnes de bénéficier d'une autorisation provisoire de séjour, créée à l'article 6, d'une aide financière à l'insertion sociale et professionnelle et de remises fiscales gracieuses ;

- le projet d'insertion sociale et professionnelle défini dans le cadre du parcours de sortie doit être proposé et mis en oeuvre par une association agréée dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État.

La durée du parcours, ses conditions de renouvellement, les actions qui seront mises en oeuvre ainsi que les conditions de suivi de ces actions ont également vocation à être définies par décret en Conseil d'État.

Le financement du parcours de sortie de la prostitution doit être assuré par un fonds destiné à la prévention de la prostitution et à l'accompagnement social et professionnel des personnes prostituées, créé à l' article 4 . Ce fonds a un objet plus large puisqu'il doit également soutenir des mesures de sensibilisation des populations, de réduction des risques sanitaires et de prévention de l'entrée dans la prostitution.

Trois types de ressources doivent l'alimenter :

- des crédits de l'État adoptés en loi de finances ;

- des recettes provenant de la confiscation des biens ayant servi à commettre l'infraction de proxénétisme ainsi que des produits issus de cette infraction ;

- un montant, défini chaque année par arrêté ministériel, prélevé sur le produit des amendes acquittées par les personnes ayant eu recours à la prostitution.

Deux articles portent plus spécifiquement sur les conditions d'hébergement des personnes prostituées. L' article 8 vise à permettre aux associations qui auront été agréées dans le cadre du parcours de sortie prévu à l'article 3 de bénéficier de l'allocation de logement temporaire (ALT). Cette aide est versée aux organismes qui sont chargés de loger, à titre transitoire, des personnes défavorisées. L' article 9 a quant à lui pour objet de permettre aux personnes victimes de la prostitution et du proxénétisme d'accéder, dans des conditions sécurisantes, à des places d'hébergement en centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS). Cette possibilité n'est jusqu'à présent ouverte qu'aux victimes de la traite des êtres humains.

Une autre disposition porte de façon plus indirecte sur l'accompagnement des personnes prostituées. Il s'agit de l'article 1 er bis qui vise à compléter les formations délivrées aux travailleurs sociaux en y intégrant les questions relatives à la prévention de la prostitution.

3. Des mesures en faveur du droit au séjour des personnes prostituées

L'article 6 prévoit que la carte de séjour temporaire « vie privée et familiale », délivrée en vertu de l'article 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers à l'étranger qui dépose plainte contre une personne qu'il accuse d'avoir commis à son encontre les infractions de traite des êtres humains ou de proxénétisme ou qui témoigne dans une procédure pénale concernant une personne poursuivie pour ces mêmes infractions, sera désormais renouvelée de plein droit pendant toute la durée de la procédure pénale.

Cet article prévoit également qu'une autorisation provisoire de séjour d'une durée de six mois pourra être délivrée à l'étranger victime des mêmes infractions qui, sans être engagé dans une procédure pénale, est pris en charge par une association agréée ayant pour objet statutaire l'aide et l'accompagnement des personnes soumises à la prostitution.

La commission spéciale de l'Assemblée nationale a adopté des amendements substituant à la condition de prise en charge par une association agréée celle d'un engagement dans le parcours de sortie de la prostitution instauré par l'article 3 du présent projet de loi. Elle a également prévu que l'autorisation provisoire de séjour serait renouvelable pendant toute la durée du parcours de sortie de la prostitution .

4. L'accompagnement sanitaire des personnes prostituées

La proposition de loi ne prévoyait à l'origine aucune disposition relative à l'accompagnement sanitaire des personnes prostituées. Un article 14 ter a été adopté par l'Assemblée nationale, qui assigne à l'État la mission de mettre en oeuvre la politique de réduction des risques en direction des personnes prostituées. Cette politique est définie comme devant permettre la prévention des infections sexuellement transmissibles, et des dommages sanitaires, sociaux et psychologiques liés à l'activité prostitutionnelle.

Il est prévu que les orientations de cette politique soient définies par un document national de référence approuvé par décret. Comme l'a indiqué la ministre des affaires sociales et de la santé lors de son audition, l'élaboration de ce document a été confiée à la Haute autorité de santé (HAS).

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