AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

La possibilité de parvenir, au-delà des clivages partisans, à surmonter les difficultés dans lesquelles se trouve notre système d'assurance maladie repose sur la possibilité de dresser un constat objectif de la situation dans laquelle nous nous trouvons.

Il paraît dès lors intéressant de mettre en contexte la situation française en nous fondant sur l'analyse qui ouvre l'ouvrage de référence de deux économistes de la santé anglais et américain sur la situation des systèmes de santé aujourd'hui dans le monde.

« La politique de santé est un problème central dans la plupart des pays. Dans les pays développés, la proportion du produit national brut consacrée à la santé croît rapidement et les méthodes traditionnelles pour la financer sont mises sous pression. Des espérances de vie accrues font émerger de nouveaux défis liés à la gestion sur le long terme de maladies chroniques. Les disparités de santé, qui résultent principalement de facteurs extérieurs aux systèmes de santé, sont un enjeu des politiques publiques, mais on manque d'éléments sur les moyens de les réduire efficacement. Les entreprises du secteur de la santé et les professionnels de santé ont produit des avancées technologiques formidables, mais ils constituent également un groupe d'intérêt particulièrement puissant et une pression très forte s'exerce souvent pour adopter de nouvelles technologies avant qu'elles aient pu être véritablement évaluées. » 1 ( * )

La France n'est donc pas la seule à faire face à des défis tant conjoncturels que structurels concernant son système d'assurance maladie. Elle se singularise cependant par la méthode qu'elle a choisie pour faire face à l'augmentation de ses dépenses de santé. Le rapport charges et produits de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnam) relève ainsi que « La croissance de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie] Ondam, et plus globalement des dépenses de santé, a fortement ralenti dans les années récentes. Comparée à d'autres pays de l'OCDE où un coup de frein brutal a suivi de fortes augmentations, la France se caractérise par une croissance globalement modérée depuis 2000 et par une trajectoire de ralentissement progressif qui a permis de préserver le fonctionnement du système de santé d'à-coups majeurs. L'Ondam est respecté depuis 2010, avec une stabilité de la part des dépenses financée publiquement. » 2 ( * ) .

Le choix opéré par les gouvernements successifs de ne pas reporter brusquement, fût-ce à titre temporaire, la charge des soins sur les ménages paraît donc justifiée du point de vue économique, comme il l'est de celui de la justice sociale qui est au fondement de notre système. Pourtant, pour perdurer, il devra nécessairement évoluer de manière importante.

Le système d'assurance maladie mis en place en France après la Seconde guerre mondiale se caractérise par la volonté de solvabiliser la demande, plus que d'organiser les soins comme cela a pu être le cas au Royaume-Uni. Le système de médecine de ville tel qu'il existait avant 1945 est donc resté largement inchangé. Il ne saurait être question de remettre en cause la place de la médecine libérale dans notre système de soins, mais il convient de prendre en compte une double évolution.

D'une part le pilotage du système a évolué. La prise en charge de la santé reposait initialement sur la rencontre de l'offre et des besoins, éventuellement infléchie par les orientations des ministres en charge de la santé et de la sécurité sociale, mais principalement marquée par le développement d'importants équipements hospitaliers, l'ensemble des soins étant couverts par des fonds gérés par les partenaires sociaux.

Aujourd'hui, outre la part réduite des partenaires sociaux dans la gestion de l'assurance maladie, l'implication des caisses des régimes obligatoires de base et plus particulièrement de la Cnam dans la gestion du risque, c'est-à-dire dans l'action sur les causes de la dépense - soit la maladie, la prescription et les soins -, a transformé leur rôle d'origine de « simple » payeur en celui d'un acteur du système de soins susceptible de définir directement avec les acteurs de santé des objectifs contractuels, au-delà du seul tarif de rémunération des actes.

D'autre part, le comportement des acteurs a connu au cours des vingt dernières années d'importantes transformations. Le travail des professionnels libéraux a commencé à évoluer du fait de l'aspiration des jeunes professionnels de santé à un travail en équipe permettant la définition de projets de santé communs, voire pluridisciplinaires, et la prise en compte d'aspirations légitimes concernant leur qualité de vie. Les enjeux ont donc changé. La question du tarif, longtemps le principal instrument de régulation du coût des soins, s'est trouvée renouvelée par la recherche de modalités de définitions des priorités de santé publique justifiant une rémunération des professionnels de santé au-delà de l'acte, dont la convention médicale signée le 26 juillet 2011 constitue un premier aboutissement en mettant en place une rémunération basée sur les objectifs de santé publique.

Il s'agit désormais de trouver un équilibre entre la part tarifaire, payée par le patient, et la part forfaitaire ou variable, versée par l'assurance maladie, des rémunérations, afin notamment de favoriser l'exercice en groupe pluri-professionnel et de concilier les choix des professionnels de santé avec la possibilité pour tous les citoyens d'accéder à des soins de qualité sur l'ensemble du territoire.

La volonté de continuer à trouver, dans le cadre conventionnel, des solutions négociées avec les professionnels de santé pour répondre à ces questions et ce même en temps de crise, constitue un trait caractéristique de notre système de santé.

Ceci suppose une vision sur plusieurs années du système d'assurance maladie. Or celle-ci est brouillée par l'horizon budgétaire annuel du projet de loi de financement, qui est parfois pendant de longues périodes le seul moment de discussion des objectifs de l'assurance maladie.

Certes, le vote des objectifs de dépenses de l'assurance maladie s'inscrit dans le cadre de la programmation pluriannuelle. Celui-ci pourtant repose, quel que soit le Gouvernement qui le présente, sur des hypothèses de croissance dont l'optimisme va croissant pour permettre la disparition des déficits à la fin de la période de programmation. En pratique, le retour à l'équilibre est donc repoussé à un horizon incertain. Ces textes ne sont donc pas l'occasion de prendre un engagement véritable sur un ensemble de mesures structurelles et cohérentes permettant d'assurer la pérennité d'un système auquel les Français demeurent attachés.

Les objectifs en matière de santé sont fixés par la loi de santé publique. Le rapport annexé à loi relative à la politique de santé publique du 9 août 2004 3 ( * ) proposait de suivre une série d'indicateurs transversaux de la santé de la population, et définissait 100 objectifs de santé spécifiques accompagnés de propositions d'indicateurs « souhaitables ». La définition de ces objectifs s'était appuyée sur les travaux préalables d'un groupe d'experts mobilisés entre novembre 2002 et mars 2003 pour analyser un ensemble de problèmes de santé sélectionnés sur la base des travaux du Haut Comité de Santé Publique, ainsi que sur leur retentissement en termes de « charge de morbidité » selon le rapport annuel de l'OMS publié en 2002.

En l'absence d'une nouvelle loi de santé publique depuis dix ans, la fixation des objectifs de santé publique et de qualité des soins, qui incombe à l'État, a résulté de manière de plus en plus importante de la négociation conventionnelle, ce qui pose une question de légitimité du directeur général de la Cnam face au ministre en charge de la santé.

Il faut donc souligner l'importance que revêt le dépôt par le Gouvernement d'un projet de loi relatif à la santé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 15 octobre dernier. Cinq axes d'intervention ont été retenus : renforcer la prévention et la promotion de la santé, faciliter au quotidien les parcours de santé, renforcer l'efficacité des politiques publiques et la démocratie sanitaire, simplifier et harmoniser le droit existant.

S'il doit apporter les nouvelles orientations nécessaires pour maintenir l'assurance maladie dans le cadre de notre système de sécurité sociale, ce projet doit pouvoir rallier l'ensemble des Français, au-delà des clivages politiques. Ceci suppose notamment un respect du travail parlementaire et un recours limité aux mesures prises par ordonnance.


* 1 Sherry Glied et Peter C. Smith (dir.), The Oxford Handbook of Health Economics, Oxford, 2011.

* 2 Rapport au ministre chargé de la sécurité sociale et au Parlement sur l'évolution des charges et des produits de l'Assurance maladie au titre de 2015 (loi du 13 août 2004).

* 3 Loi n° 2004-806.

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