C. LA « BOMBE À RETARDEMENT » DE LA DETTE

1. La hausse continue de la dette sous l'effet des déficits budgétaires successifs

L'encours nominal de la dette négociable de l'Etat devrait augmenter de 71 milliards d'euros entre 2014 et 2015 , correspondant au plafond de la variation de la dette à moyen et long terme 5 ( * ) (70,9 milliards d'euros) et à l'évolution du coût d'indexation (100 millions d'euros), tandis que la dette à court terme resterait stable. Cet encours passera de 1 531,8 milliards d'euros fin 2013 à 1 602,8 milliards d'euros fin 2014, soit une augmentation de 4,6 %.

Évolution de l'encours de la dette négociable

(en milliards d'euros)

encours

fin
2009

fin
2010

fin
2011

fin
2012

fin
2013

fin
2014
(prévision)

fin
2015
(prévision)

Ensemble de la dette - valeur nominale

1 133,5

1 212,3

1 293,9

1 365,5

1 437,6

1 511,0

1 581,9

OAT & BTAN

919,4

1 025,2

1 116,1

1 198,9

1 263,8

1 333,0

1 403,9

BTF

214,1

187,1

177,8

166,6

173,8

178,0

178,0

Supplément d'indexation à la date considérée

14,5

16,7

19,1

20,7

20,2

20,8

20,9

Ensemble de la dette - valeur actualisée (1)

1 148,0

1 229,0

1 313,0

1 386,2

1 457,2

1 531,8

1 602,8

variation d'une année à l'autre

+131,4

+81,0

+84,0

+73,2

+71,0

+74,6

+71,0

Source : réponses au questionnaire budgétaire

(1) Nominal pour les titres à taux fixe ; nominal + supplément d'indexation à la date considérée pour les titres indexés

À la fin août 2014, l'encours de dette négociable de l'État s'élève à 1 524 milliards d'euros en valeur actualisée. Ces données confirment par ailleurs que la part de l'endettement à court terme continue à refluer. Après avoir atteint un pic fin 2009 (18,6 % de l'encours total), les bons du Trésor à taux fixe devraient représenter 11,25 % du stock de dette en valeur nominale à fin 2015 (178 milliards d'euros).

La progression de l'encours de la dette nominale ralentit par rapport aux années de crise 2008 et 2009 : elle s'élève à 5,1 % en 2014, 5,3 % entre 2012 et 2013, 5,6 % entre 2011 et 2012, 6,8 % entre 2010 et 2011 et 7,1 % entre 2009 et 2010.

Elle reste toutefois beaucoup trop élevée . Le Gouvernement développe en effet une stratégie de réduction très lente des déficits publics. L'objectif est de protéger la croissance en mettant à profit le niveau extrêmement bas des taux d'intérêt qui rend la dette publique peu pénalisante.

Cette stratégie est fondée sur une double illusion .

Premièrement, le maintien de déficit élevés, loin de protéger la croissance, déprime la demande privée et inhibe ainsi le reprise économique . En effet, face à ces déficits, les agents économiques attendent une hausse des impôts et une baisse des transferts publics dans le futur (principe d'équivalence ricardienne), donc dépensent moins dès aujourd'hui : on observe historiquement une nette corrélation entre creusement des déficits, hausse de l'épargne des ménages et baisse de l'investissement des entreprises. Au contraire, les exemples étrangers démontrent que la réduction des dépenses publiques est favorable à la croissance.

Deuxièmement, les taux d'intérêt bas ne sont pas un acquis définitif . Ils sont susceptibles de remonter brutalement si les investisseurs achèvent de se convaincre de l'inefficacité de la politique économique du Gouvernement et du caractère non soutenable de sa politique budgétaire. La politique de roulement d'une dette à maturité courte ou moyenne expose particulièrement à ce risque, dont la réalisation aurait un impact majeur sur le solde budgétaire de l'État .

2. Les conséquences potentiellement désastreuses d'une inévitable remontée des taux d'intérêt

Une remontée durable des taux d'intérêt constitue un facteur d'aggravation de la charge de la dette. Le projet annuel de performances présente une simulation d'un choc de 1 % (par rapport au scénario de référence) sur l'ensemble de la courbe à compter de 2015, présentée ci-dessous 6 ( * ) .

Conséquences d'un choc de 1 % sur la courbe des taux d'intérêts

(en milliards d'euros)

Source : projet annuel de performances pour 2015

Comme expliqué précédemment, la propagation du choc au stock de dette est d'autant plus rapide que le rythme de refinancement est élevé. Or, à date du 31 août 2014, 30 % de la dette négociable de l'État présentait une échéance à moins de deux ans (23 % entre deux ans et cinq ans et 47 % à plus de cinq ans).

Comme le relève la rapporteure générale Valérie Rabault dans son rapport sur le projet de loi de finances rectificative pour 2014, « la seule dégradation des conditions de financement du déficit et de la charge de la dette, qui actuellement bénéficient de taux d'intérêt historiquement bas, serait à très court terme insurmontable ».

Le scénario de remontée progressive des taux de long terme retenu par le présent projet de loi de finances prévoit un retour concomitant à une croissance plus soutenue. Dans cette hypothèse, l'impact positif sur le déficit budgétaire d'une croissance plus élevée peut venir compenser la hausse de la charge de la dette résultant de l'augmentation des taux d'intérêt.

Une hausse des taux sans reprise économique serait beaucoup moins soutenable. Cela pourrait être le cas dans deux hypothèses :

- celle d'un choc inflationniste non anticipé , comme lors des chocs pétroliers des années 1970-1980 ou lors de la forte hausse des prix des matières premières en 2007-2008 ;

- celle d'une forte augmentation de la prime de risque de la France , dans le cadre d'une crise de défiance des marchés financiers . Lorsque les investisseurs n'ont plus confiance en la capacité d'un pays à rembourser sa dette, alors ils demandent des taux d'intérêt plus élevés en contrepartie du risque de défaut. Ceci augmente la charge d'intérêt de la dette du pays concerné, et donc son déficit public. Un cercle vicieux, dont il est difficile de sortir, s'installe.

Cette dernière hypothèse est de plus en plus envisageable à mesure que le Gouvernement fait la preuve de son incapacité à engager les réformes nécessaires au redressement des finances publiques et de l'économie de notre pays . L'érosion de la crédibilité de la France a d'ailleurs commencé à se traduire dans les analyses des agences de notation. L'agence de notation Fitch a ainsi annoncé, le 14 octobre 2014, avoir placé la note « AA + » de la France sous surveillance négative. Cette décision intervient quelques jours après celle de Standard & Poor's qui a confirmé la note « AA » de la ' France tout en abaissant sa perspective, de stable à négative. L'agence Moody's avait adopté la même position en septembre dernier.

Le risque est également renforcé par la confirmation qu'apporte chaque jour la situation de la France au fait, établi par les études économétriques, qu' une dette publique élevée conduit à une croissance faible . Cette croissance faible conduit elle-même à une hausse plus rapide de l'endettement public si les mesures d'ajustement nécessaires ne sont pas rapidement prises. S'enclenche alors également un cercle vicieux conduisant potentiellement au défaut .

Il faut par ailleurs souligner qu'une reprise de l'inflation aurait un impact important sur la charge de la dette du fait de l'indexation de certains titres de dette. La provision pour charge d'indexation du capital des titres indexés est par construction très sensible au risque inflationniste. Un point d'inflation en plus représente 1,8 milliard d'euros de provision supplémentaire. Toutefois, cette provision constatant une charge payable dans le futur, l'impact budgétaire de cette hausse ne se traduirait pas immédiatement en trésorerie.

3. L'effet « boule de neige » et la nécessité de dégager un excédent primaire

L'État est en déficit de 31,4 milliards d'euros avant même de payer les intérêts de sa dette : ceux-ci sont donc financés par emprunt . Cela conduit à une progression autoentretenue de la dette de l'État, alimentée chaque année par la charge des intérêts.

Cette situation est d'autant plus inquiétante que le taux de croissance du produit intérieur brut (PIB) français devrait ressortir à 0,4% en 2014, selon les dernières prévisions de l'INSEE, soit un niveau inférieur au taux d'intérêt de la dette publique française. Cette situation conduit à l'enclenchement d'un « effet boule de neige » qui augmente mécaniquement le ratio entre endettement public et PIB.

Le rétablissement d'un excédent primaire, de l'État comme de l'ensemble des administrations publiques, est indispensable pour enrayer la mécanique d'accumulation de la dette et réduire le risque de refinancement. Il faut pour cela que l'État se recentre sur ses missions premières et réduise drastiquement les transferts directs ou indirects aux ménages et aux entreprises , y compris lorsqu'ils prennent la forme de dépenses fiscales.


* 5 Plafond fixé par l'article d'équilibre du présent projet de loi de finances, conformément à l'article 34 de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances.

* 6 Cette simulation correspond à « une optique ?maastrichtienne«, avec une charge agrégeant intérêts courus et étalement des primes et décotes à l'émission ». Dans le cadre de sa politique d'émission à moyen et long terme, l'Agence France Trésor complète les émissions sur lignes nouvelles par la réouverture d'anciennes « souches ».

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